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Haïti : Etat serendip? Mecanismes de blocage et/ou d'accélération de l'émergence de l'Etat moderne

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par Renald Luberice
Université Paris VIII - Master Science politique 2008
  

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2. Un état de guerre permanent

Et vous, hommes précieux, généraux intrépides, qui insensibles à vos propres malheurs, avez ressuscité la liberté en lui prodiguant généreusement votre sang ; vous n'avez rien fait si vous ne donnez aux nations qui tenteraient de nous la ravir à nouveau un terrible mais juste exemple, de la vengeance que doit exercer un peuple fier d'avoir récupéré sa liberté et déterminé à la maintenir. Intimidons ceux qui oseraient tenter de nous la ravir une nouvelle fois. Commençons par les Français...96.

A travers ces propos, J.J. Dessalines97 confirme l'état de guerre permanent dans lequel va évoluer la jeune nation. La perte de cette colonie a été pour la France l'effondrement du rêve « de se constituer un empire en Amérique »98. Cette déception est illustrée par la liquidation rapide de la Louisiane, mais elle ne la (à Haïti) lui pardonnera jamais. Ce chapitre se consacre à cette situation et ses conséquences sur le devenir d'Haïti en tant qu'Etat indépendant.

2.1 La hantise

96 J.J. Dessalines, « Proclamation pour abjuration de la nation française ». Voir l'allocution complète en annexe.

97 Premier chef d'Etat d'Haïti

98 Gérard Barthélémy, La République haïtienne. Etat des lieux et perspectives. Paris, P. 8

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Une fois l'indépendance acquise, la société haïtienne est loin d'atteindre « l'ataraxie sociale ». Elle vit dans la peur et consacre quasiment tous ses moyens dans sa défense et dans l'entretien de cette peur99. Celle-ci se justifie par le fait que les Etats voisins refusent de reconnaître l'Etat d'Haïti. Pas même ceux dont elle entretenait des relations commerciales privilégiées ou d'entraide100. Les colons émigrés en France n'ont de leur coté eu de cesse de presser le « gouvernement pour qu'il soumît par la force la partie occidentale de Saint-Domingue. »101

L'arrivée d'Haïti dans le « concert des nations » est problématique. « La raison en est que c'est une émancipation de fait qui avait été arrachée au colon. »102 La France va ainsi s'opposer à l'émancipation de son ancienne « perle des Antilles » pendant près d'un quart de siècle au cours duquel « le pays a figuré au ban de toutes les nations occidentales esclavagistes. Pour ces dernières, aucune émancipation n'aurait su dépendre de la volonté de l'esclave qui, tout au plus, ne pouvait que la désirer ou la mériter. »103 Dans le cadre des « tractations» et des rivalités interétatiques certains Etats comme l'Angleterre ou les nouveaux Etats-Unis d'Amérique ont soutenu d'une manière ou d'une autre la guerre de l'indépendance d'Haïti. Ils ne l'ont pas soutenue parce qu'ils voulaient voir l'île indépendante mais contre la France et grâce aux avantages commerciaux ou coloniaux qu'ils pouvaient en tirer.

Il est toutefois indélicat que des Etats esclavagistes soutiennent une révolution d'esclaves contre « perpétrées » leur maîtres. Le capitalisme de la fin du 18eme siècle et du début du siècle suivant se repose sur ce moyen de production « essentiellement fait de rapports sociaux » et « d'hommes-objets », que constitue l'esclavage. La reconnaissance d'Haïti aurait pu donc être considérée comme un signal envoyé aux autres colonies adjacentes. Ce qui mettrait à mal le système capitaliste colonial. Cependant la hantise n'était pas le fait exclusif

99 Les moyens de l'Etat sont consacrés à la sauvegarde de l'indépendance mais aussi à l'enrichissement personnel des élites dirigeantes. A ce sujet, voir Leslie Péan, Haïti, économie politique de la corruption, op. cit.

100 Haïti avait des relations commerciales privilégiées avec l'Angleterre grâce à un accord commercial contracté par Toussaint Louverture (cf. accord commercial). Elle a également pourvu de l'aide à certains dirigeants de l'Amérique hispanique dont Simon Bolivar qui a séjourné en Haïti dans le cadre de la préparation de l'indépendance de son pays.

101 Alain Yacou, op. cit. P. 668

102 Gérard Barthélemy, « Réflexions sur deux mémoires inconciliables : celle du maître et celle de l'esclave. Le cas d'Haïti, Cahiers d'études africaines, 173-174, 2004, http://etudesafricaines.revues.org/document4567.html

103 Ibid.

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d'Haïti mais aussi d'Etats voisins à commencer par l'ancienne métropole. L'étonnante centralisation de la violence par Jean-Pierre Boyer laissait à désirer.

En effet, de son coté la France, « craignait pour ses colonies des Antilles (dans lesquelles elle maintenait l'esclavage) [en voyant] l'accroissement du pouvoir de Boyer, devenu chef des Noirs comme des Mulâtres, [elle] essaya de traverser l'entreprise en faisant paraître ses forces navales à la presqu'île de Samana ; mais son gouvernement n'osa pas intervenir efficacement ». Cette crainte de l'ancienne mère patrie devait s'amplifier quand Jean-Pierre Boyer arbora « ouvertement une politique de protection à [l'égard d'habitants de colonie française] : en 1822, il donna secours et asile aux proscrits de la Martinique. »104

La crainte et la menace permanente que fait peser cette indépendance sur la jeune nation allait prendre une tournure particulière et lourde de conséquence quand en « 1825, une flottille française commandée par un capitaine de vaisseau parut dans la rade de Port-au-Prince, avec pour mission d'obtenir l'enregistrement immédiat d'une ordonnance du roi Charles X (ord. du 17 avril 1825) : la France réclamait le versement d'une indemnité de 150 millions, pour prix de la reconnaissance de l'indépendance d'Haïti. »105

Cette a semblé faire frémir Boyer qui avait, probablement, peur de perdre l'indépendance de la patrie ou de voir la ville de Port-au-Prince, bâtie en bois, brulée « se soumit et fit accepter l'ordonnance dans une séance secrète du sénat, malgré les résistances et l'impossibilité où l'on était de satisfaire aux conditions imposées. »106 Boyer allait envoyer des comminssaires contracter un emprunt de 30 millions de francs au près de la banque française afin de commencer à honorer une dette nationale artificielle. Cette dette déclarée dette nationale constituera un lord fardeau hypothéquant le développement du pays. Le corps législatif allait décréter une imposition extra-ordinaire de 30. 000 000 de gourdes dont la population est incapable de pourvoir.

Le gouvernement haïtien conscient de sa force réelle devait tout mettre en oeuvre en vue de
rassurer les puissances coloniales voisines de sa volonté de pas s'immiscer dans leurs affaires
internes ce qui l'exposerait à une annexion ou à une recolonisation. Ainsi la Constitution 1806

104 Voir http://webu2.upmf-grenoble.fr/Haiti/Boyer.htm

105 Ibid.

106 Ibid.

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a pris soin, à l'article 2, d'inscrire que « La République d'Haïti ne formera jamais aucune entreprise dans les vues de faire des conquêtes ni de troubler la paix et le régime intérieur des îles étrangères. ». La nouvelle République se trouve dans une situation d'autarcie avec l'obligation, pour continuer d'exister, de combattre tant que « l'acharnement, la barbarie et l'avarice de nos ennemis les porteront sur nos rivages »107. C'est une posture de défensivité extrême avec une absence totale d'offensivité.

Ce constat est valable d'aussi bien sur le plan économique (commercial) que militaropolitique. Cependant on aurait pu trouver une exception à cette affirmation concernant la campagne de l'est. Mais à vrai dire c'en est pas une puisque selon les autorités haïtiennes la République Dominicaine a, d'une part, toujours été partie intégrante d'Haïti, d'autre part, Haïti est plus sûre si elle n'a que la mer pour frontière. Donc les campagnes orientales s'inscrivent toujours dans cette politique défensive. Ce qui met l'Etat haïtien dans une situation d'angoisse permanente d'une attaque dans une situation où les moyens économiques manquent cruellement.

L'Etat haïtien n'est donc pas un Etat-puissance (Machtstaat)108, souverain dans le cadre du système des Etats européens, ce n'est non plus un Etat commercial (Handelsstaat), relativement clos, correspondant à la forme économique et sociale du capitalisme bourgeois , l'Etat haïtien n'est pas un Etat libéral, fondé sur le droit, et la constitution et orienté vers la liberté personnelle de l'individu enfin l'Etat Haïtien des vingt premières années est différent de l'Etat national qui « reprend et exacerbe toutes les tendances précédentes et qui est orienté vers la démocratie »109. Haïti passe 21 ans à surveiller le retour offensif d'une France qui incarne dans l'imaginaire collectif la barbarie110. A partir de 1825 certains des motifs de la hantise s'écarte mais elle doit désormais consacrer toute son énergie au service de la dette

107 Jean Jacques Dessalines, "Lettre Responsive De Dessalines a la Requête De Ses Généraux" 15 février 1804. in Bell Angelot, La Constitution de 1805...deux cents ans après: Les chants de résistance, p. 100, voir aussi Angelot ,"Nomination De Dessalines Comme Empereur," Port-au-Prince, 25 janvier 1804 , signée par les généraux de la révolution : Vernet, Clervaux, Christophe, Pétion, Gabart, Geffrard, Jean-Louis François, Férou Gerin, Magny, Raphael, Lalondrie Paul Romain, Cange Jean-Philippe, Daut, Toussaint, Brave, Morau Yayou, Magloire, Amboise, Bazelais, etc. p. 98

108 Voir Otto Hintze, Féodalité, capitalisme et Etat moderne, tr. Fr. Paris, MSH, 1991, P.310

109 Sauveur Pierre Etienne, op. cit. p. 110

110 Voir l'acte de l'indépendance et les déclarations du gouverneur général à vie, Jean-Jacques Dessalines en annexe.

contractée à la France. Cependant les luttes internes en vue d'accéder à la direction des ressources économiques, politiques et symboliques n'en finissent pas. L'assassinat de Dessalines le 17 octobre 1806 au Pont-Rouge annonce déjà la couleur.

Les difficultés auxquelles le nouvel Etat est confronté trouvent leurs racines dans le passé colonial et dans luttes pour la reconnaissance des droits puis de l'indépendance. Ces batailles ont engendré le massacre, la fuite des élites économiques et « intellectuelles » (ou administratives), la destruction de l'économie de l'île, etc. Or l'Etat moderne avant tout question de règles procédurières strictes, de division des responsabilités, de forte hiérarchie et des relations impersonnelles, de la rationalisation de la conduite des affaires publiques, de moyens et de personnels qualifiés. L'Etat Haïtien du début du était manifestement privé des moyens c'est en sens que nous pouvons parler de destruction des bases sur lesquelles l'Etat moderne ou wébérien devrait émerger.

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"Un démenti, si pauvre qu'il soit, rassure les sots et déroute les incrédules"   Talleyrand