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Haïti : Etat serendip? Mecanismes de blocage et/ou d'accélération de l'émergence de l'Etat moderne

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par Renald Luberice
Université Paris VIII - Master Science politique 2008
  

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3. L'Etat contre la société

Bien que les différents pères de l'indépendance, particulièrement Dessalines, n'aient eu de cesse de s'approprier la paternité de la nation et la considérer comme une grande famille unie par l'intérêt national une observation sociologique de la société haïtienne laisse plutôt entrevoir « une société éclatée [...] en centaines de milliers de communautés familiales de base à l'échelle d'un terroir rural, d'un taudis urbain, peu organisée et comme en marge de l'officialité »144. Le pouvoir étatique (ou politique) avec ses élites s'érige vraisemblablement à l'encontre de la société. Jean casimir affirme : « La nation naît en s'efforçant d'éluder un pouvoir politique qui ne rêve que de la détruire, de détruire tout ce qu'elle a de spécifique. »145 Il faut remonter au moins à la période louverturienne pour comprendre cet antagonisme Etat/Nation ou Etat/société.

3.1. Un impératif existentiel ?

Les esclaves se sont révoltés parce qu'ils veulent être libres mais pas l'indépendance. C'est en ce sens que Boukman organise avec ses troupes la cérémonie du Bois Caïman et prononce l'oraison nocturne suivante :

Dieu qui a crée le soleil, qui nous donne le jour, qui soulève les vagues et conduit l'ouragan,
nous observe, caché par les nuages. Il voit tout ce que font les hommes blancs. Le dieu des
Blancs leur inspire des crimes mais le Nôtre ne nous pousse qu'aux bonnes actions. Notre

144 Gérard Barthélémy et Christian Girault (sous la direction de), La République haïtienne. Etats des lieux et perspectives, Paris, ADEC-Karthala, 1993, Pp. 12-13

145 Cité par Gérard Barthélémy, op. cit. P. 13

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Dieu bon pour nous, nous ordonne de nous venger des offenses reçues. Il dirigera nos armes et nous aidera à chasser le symbole du blanc qui nous a tant fait gémir, et écoutez la voix de la liberté qui parle dans notre coeur à tous146.

Cependant allait apparaître que le recours à l'organisation de la société sous forme d'Etat147 était la solution la plus probable pour les Dominguois de disposer de la liberté tant désirée. L'indépendance et la capacité d'entretenir les relations internationales étaient le meilleur moyen de sauvegarder cette liberté chèrement acquise. Les relations internationales que vont entretenir les Haïtiens au lendemain de l'indépendance vont être surtout belliqueuses (du moins dans les esprits) vu la nature de leur Etat. Les dirigeants doivent sans cesse rallumer la « flamme combative » de leurs généraux, susciter la bravoure du peuple :

Qu'ils [les français] frémissent en abordant nos côtes, sinon par le souvenir des cruautés qu'ils y ont exercées, au moins par la résolution terrible que nous allons prendre de dévouer à la mort quiconque, né français, souillerait de son pied sacrilège le territoire de la liberté. /.../ Nous avons osé être libres, osons l'être par nous-mêmes et pour nous-mêmes ; imitons l'enfant qui grandit : son propre poids brise la lisière qui lui devient inutile et l'entrave dans sa marche. Quel peuple a combattu pour nous ? Quel peuple voudrait recueillir les fruits de nos travaux ? Et quelle déshonorante absurdité que de vaincre pour être esclaves. Esclaves !... Laissons aux Français cette épithète qualificative : ils ont vaincu pour cesser d'être libres. Marchons sur d'autres traces ; imitons ces peuples qui, portant leur sollicitude jusque sur l'avenir, et appréhendant de laisser à la postérité l'exemple de la lâcheté, ont préféré être exterminés que rayés du nombre des peuples libres.

Des incertitudes planent quant aux intentions des puissances coloniales voisines qui ne souhaiteraient pas que l'exemple haïtien serve de catalyseur de révoltes dans les plantations. Le nouveau gouvernement est bien conscient de cette situation et cherche à rassurer ses voisins coloniaux et négriers. Dans l'Acte de l'indépendance même Dessalines lance ce message, qui n'est pas vraiment destiné à son auditoire mais manifestement aux puissances étrangères :

Gardons-nous cependant que l'esprit de prosélytisme ne détruise notre ouvrage ; laissons en

paix respirer nos voisins, qu'ils vivent paisiblement sous l'empire des lois qu'ils se sont faites,

146 Cyril L. R. James, op cit. P. 79

147 Voir Jean Paul Jacqué , Droit constitutionnel et institutions politiques, 5eme éd., Paris, Dalloz, 2003, p. 3

et n'allons pas, boutefeux révolutionnaires, nous érigeant en législateurs des Antilles, faire consister notre gloire à troubler le repos des îles qui nous avoisinent : elles n'ont point, comme celle que nous habitons, été arrosées du sang innocent de leurs habitants ; elles n'ont point de vengeance à exercer contre l'autorité qui les protège.148

Cette affirmation tendant à faire croire que la situation des autres Antillais était différente de celle des Haïtiens était franchement problématique. Quant on sait que Napoléon n'avait pas voulu rétablir l'esclavage uniquement à Saint-Domingue mais aussi en Guadeloupe et ses autres colonies. Son projet a échoué à Saint-Domingue mais réussi dans ses autres colonies. C'était plutôt une promesse faite aux puissances coloniales à fin qu'elles laissent Haïti en paix. Car la situation du pays ne lui aurait pas permis de lutter efficacement contre une invasion anglaise ou américaine. L'émergence de l'Etat d'Haïti le place dans une autre dimension. Les autorités doivent désormais prendre en compte l'influence de la rivalité internationale de même que les rivalités internes entre groupes d'intérêts et classe sociales.

La liberté et l'indépendance nécessaires à sa sauvegarde deviennent obsessionnelles. Au point où les élites dirigeantes, en légitimant leurs décisions par la nécessité de l'indépendance, oublient ce que liberté veut dire. Elles oublient que la liberté de quelques-uns n'est pas liberté. Tout est orienté dans le sens de ce qu'elles croient nécessaires à l'existence de l'Etat d'Haïti sans prendre en considération que le combat du peuple était justement l'élimination du joug qui l'anéantit.

Dans le but d'être reconnu par la France et d'exister, car l'indépendance d'Haïti a été unilatéralement proclamée et dans le concert des nations un Etat n'existe que si les autres Etats reconnaissent son existence et son droit d'exister, l'Etat d'Haïti a contracté l'importante dette149 (dette de l'indépendance) que nous avons décrite dans les chapitres précédents au détriment des citoyens.

« Les Haïtiens disent avec colère /.../ qu'ils ne devaient rien aux propriétaires de Saint-
Domingue. Imposer une indemnité à des esclaves vainqueurs de leurs maitres, en effet, c'est
leur faire acquitter à prix d'argent ce qu'ils ont déjà payé de leur sang. »150 Le pays se trouve

148 Acte de l'indépendance d'Haïti, op. cit.

149 Pour dédomager les anciens colons propriétaires de plantation (esclaves compris)

150 Victor Schoelcher, Des colonies étrangères. Haïti, Paguerre, Paris, 1843, P. 162

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devant un impératif permanent : la lutte pour l'existence. Cette lutte sert également à justifier certains choix politiques et économiques faits par les élites dirigeantes. Son autoconstitution pose toujours problème sinon reste incompréhensible, ce qui n'est pas sans incidence sur les luttes pour la reconnaissance.

Ludwell Lee Montague avance : « Haïti ne se trouve qu'à six cent miles de la Floride... Etant donné sa proximité, sa position stratégique et le caractère unique de cette république noire, il est frappant de constater que ce pays et ce peuple demeurent si étrangers aux américains. Bien que l'histoire d'Haïti est intimement liée à celle des Etats-Unis pendant plus de deux siècles, Haïti reste toujours aux yeux des Américains une terre de présages et de mystères-une terra incognita »151. Pourtant Haïti est selon les mots de John Adams en 1783 vitale pour les Etats-Unis de la même manière que les Etats-Unis lui sont vitaux152. Cependant, les Etats-Unis, malgré les rapports commerciaux assez étroit, ont refusé de reconnaitre l'indépendance d'Haïti jusqu'en 1862. Bien que la France l'ait reconnue.

Paradoxalement les Etats-Unis avaient apporté quelques maigres soutiens à Haïti lors des luttes contre l'Armée française. Ces soutiens se sont inscrits dans le cadre des efforts américains « destinés à contrer les puissances anglaises et françaises, de façon à créer leur propre sphère d'influence dans les Amériques. »153 Mais les Etats-Unis voulaient toute fois garder de très bons rapports avec les puissances européennes. Par ailleurs Rayford Logan souligne « l'importance des préjugés raciaux dans les relations américano-haïtiennes »154. On peut également imaginer que les Etats-Unis avec ses nombreux esclaves se trouvaient dans une position indélicate de reconnaître Haïti qui est un Etat issu de la rébellion d'esclaves contre leur maitres. Thomas Hart Benton, député de Missouri, déclare :

Notre politique envers Haïti... a été fixée... depuis trente-trois ans. Nous commerçons avec eux, mais aucune relation diplomatique n'a été instaurée entre nous... Nous ne recevons aucun consul mulâtre, et aucun ambassadeur noir envoyé de leur part. Et pourquoi ? Parce que la paix de onze Etats américains ne supportera pas parmi eux l'exhibition des fruits d'une insurrection noire. Elle ne supportera pas de voir les consuls et les ambassadeurs noirs... donner à leur semblable noirs aux Etats-Unis la preuve des honneurs qui les attendent s'ils

151 Cité par Alyssa-Goldstei n Sepinwall in Yves bénot et Marcel Dorigny, op. cit., p. 387

152 Ibid.

153 Ibid.

154 Cite par Alyssa-Goldstein, op. cit. p. 389

arrivent à fournir les mêmes efforts de leur coté. Elle ne supportera pas le fait qu'on lui montre, et qu'on lui dise que, ayant assassiné leurs maitres et leurs maitresses, ils ont des chances de trouver des amis au sein de la population blanche des Etats-Unis155.

Tout va être entrepris afin d'éviter la propagation de cette contagion que représente la révolution haïtienne. Un cordon sanitaire est mis en place. Il ne faut pas exhiber ce qui pourrait nuire à la stabilité des colonies et remettre en cause le mode de production capitaliste esclavagiste. Pour continuer à exister Haïti doit s'y conformer car n'ayant pas suffisamment de moyens matériels et militaires elle résisterait très mal à une coalition américano-francoanglaise. La révolution haïtienne est présentée comme une hardiesse, un exemple à éradiquer. C'est dans ce climat international que le nouvel Etat va désormais évoluer. Cette situation influe sur type d'Etat que va devenir Haïti.

En dehors de ces problèmes de reconnaissance internationale, le pays est confronté à des problèmes intérieurs urgents qu'il faut résoudre. Comment, par exemple, concilier la liberté des anciens esclavages et la nécessité de produire suffisamment de richesse pour entretenir une armée, un appareil administratif, etc. ? Comment rompre avec l'habitus colonial ? Ce sera l'objet de la partie suivante.

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"Aux âmes bien nées, la valeur n'attend point le nombre des années"   Corneille