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Haïti : Etat serendip? Mecanismes de blocage et/ou d'accélération de l'émergence de l'Etat moderne

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par Renald Luberice
Université Paris VIII - Master Science politique 2008
  

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3.2. Exploitation et déni de liberté

Le slogan « liberté ou la mort ! » claironne sur cette partie ouest de l'ile. Il met en exergue la fierté d'une Haïti libre mais « [...] cette fierté est tissée d'angoisse dans un pays où il fallait réaliser une difficile symbiose entre groupes d'origines diverses et motivés par tant d'intérêts contradictoires. »156 Au-delà de ce slogan dont Dessalines est le principal promoteur surgissent des problèmes pratiques157 hérités de la structure coloniale qu'il faut immédiatement résoudre. Bien que le peuple soit enthousiasmé derrière ses dirigeants en jurant en choeur de « vivre libre ou mourir !», il semblerait qu'il n'entend et ne conçoit pas la même chose de la liberté. Les dirigeants conçoivent la liberté, qui est d'abord le fait des élites militaires, comme la liberté par rapport à la métropole et aux autres puissances coloniales qui

155 Ibid. P. 391

156 Yves Saint-Gérard, op cit. P. 111

157 L'organisation des plantations est par exemple au coeur des préoccupations de l'Etat

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« tenteraient de ravir » cette indépendance durement acquise. Mais le peuple envisage une liberté « réelle » où ses conditions d'existence changent par rapport au temps de la colonie. Cette divergence de vue entre gouvernants et gouvernés va « pourrir » les rapports Etat/société pendant de longues années. « Le maintien - dans un souci de rentabilité - de la grande propriété privée ou étatisée allait à l'encontre des espérances de la masse des Noirs qui, conformément aux promesses de l'Empereur, espéraient bénéficier d'une réforme agraire. »158 En outre, le régime dessalinien soumet les cultivateurs noirs «à une stricte discipline qui conduisit au travail salarié forcé sur les plantations »159

Dès l'époque de Toussaint Louverture (avant l'indépendance) le problème de la régulation de la liberté ou de la compatibilité de l'abolition de l'esclavage avec le système « économique de plantation » s'était posé.

En effet, Toussaint Louverture se trouve dès le début de « sa » monopolisation du pouvoir politique à Saint-Domingue face à un dilemme : Comment gérer les nouveaux libres ? Comment les maintenir dans les champs afin que les travaux des plantations ne s'interrompent pas ? Car, quoi qu'on puisse affirmer, à Saint-Domingue l'esclavage est avant tout un moyen de production consistant à chosifier les hommes pour l'exploitation capitaliste. Abolir l'esclavage suppose d'autres moyens de production de substitution. Or le capitalisme du début du XIXème siècle n'entendait pas se priver de la force des esclaves, très peu onéreuse. Les préoccupations de Toussaint apparaissent clairement dans l'article 14 de la constitution de 1801, lorsqu'il affirme : « La colonie, étant essentiellement agricole, ne peut souffrir la moindre interruption dans les travaux de ses cultures. »160

Comment expliquer aux nouveaux libres qu'ils sont libres mais doivent encore rester dans les plantations, ce qui est pour eux symbole d'aliénation ? Toussaint tentera d'établir un « régime de travail forcé », qui ne dit pas son nom, en remplacement de l'esclavage. L'article 16 affirme que « tout changement de domicile de la part des cultivateurs entraine la ruine des cultures. » avant d'ajouter que « pour réprimer un vice aussi funeste à la colonie que contraire à l'ordre public, le gouverneur fait tous les règlements de police que les circonstances

158 « Biographie de Dessalines » http://webu2.upmf-grenoble.fr/Haiti/Dessalines.htm consulté le 21/04/08

159 Ibid.

160 Voir la Constitution de 1801, « Des cultures et du commerce », art. 14

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nécessitent »161. Ces mesures « économiques » ne correspondent pas à l'aspiration des esclaves qui se sont insurgés en vue d'être libres.

Et le « Spartacus des noirs », Toussaint Louverture, et le Héros de Pont Rouge162, Jean Jacques Dessalines, prennent des décisions dans le but de consolider l'Etat au détriment de ce pourquoi le peuple s'est battu : la liberté. Dessalines ira jusqu'à inscrire dans la Constitution de 1805 que « La qualité de citoyen d'Haïti se perd par l'émigration et par la naturalisation en pays étranger, et par la condamnation à des peines afflictives et infamantes. Le premier cas emporte la peine de mort et la confiscation des propriétés.»163 Ces mesures auraient été prises en vue de la sauvegarde nationale. Mais comment le peuple les entend-il ?

Henri Christophe dans la volonté de solidifier l'économie du Nord « fit construire des manufactures de cotonnades et des usines d'armement. Mais d'un autre côté, son autoritarisme sans nuance fut de plus en plus mal supporté : il se livra à des exactions, monopolisa l'industrie, et rétablit le servage de la glèbe, avec des moyens de répression bien voisins de l'esclavage. Il avait créé une maison royale et militaire, avec une armée de 24.000 hommes, que ne pouvait entretenir une population pauvre et sans commerce de 240.000 âmes.» Avec 1 soldat pour 10 habitants, l'Etat « christophien » s'apparente à un véritable Etat « policier ».

Par ailleurs les intérêts politiques des élites semblent opposer à l'intérêt public. Les fondateurs « de la République ont mis du temps à se défaire de la mentalité d'anciens colonisés. »164 En effet dans le contexte colonial « pour un esclave voler le maître n'est pas voler »165 . Dans l'Haïti « libérée », le maitre ce ne sont pas les colons mais l'Etat. Cela à une double signification. L'oppresseur a changé de nom et de visage. L'homme blanc n'est plus, Saint- Domingue non plus. Le nom de colonie a été remplacé par République mais les fonctions restent pour l'ancien esclave les mêmes : celles d'oppresseur et d'oppressé. Et si dans le cadre colonial on avait l'habitude de banaliser, normaliser le fait de voler le maître oppresseur il n'y a pas raison qu'il en soit autrement concernant l'Etat oppresseur. Ainsi le ton est donné par « Jean Jacques Dessalines à l'égard de l'Etat qu'il est censé construire /.../ «plumez la poule

161 Ibid. art. 16

162 L'endroit où il est assassiné le 17 octobre 1806

163 Constitution de 1805, art.7

164 Leslie J. R- Péan, op. cit. p. 2

165 Ibid.

mais ne la laissez pas crier !» »166 Pour entretenir ses nombreuses maitresses l'Empereur n'hésite pas à utiliser les recettes douanières167.

Par ailleurs Leslie Péan met accent sur le fait que Haïti soit construite sur des bases raciales et que les politiques partisanes sont déterminées par les antagonismes entre mulâtre et noirs. Les masses paysannes deviennent « les otages permanents » de ces conflits partisans entre des élites qui ne songent qu'à leurs intérêts propres. Jacques Chevrier qui a préfacé l'ouvrage de

L. Péan que nous avons susmentionné affirme que « sans doute doit-on admettre que la source du mal remonte à la blessure coloniale, le traumatisme se transmettant de génération en génération. /.../ [c'est] un Etat malade de la débrouille, du tribalisme, de l'intimidation et de la terreur quotidienne. » 168

Haïti a su se construire un type de socialisation à partir de ses différents héritages À amérindiens, africains et européens. C'est une socialisation de « transculturalité » qui peut rendre peu pertinente les typologies traditionnelles utilisées pour décrire les formes d'organisation sociale, politique et juridique. La source des éléments qui attribuent une dimension transculturelle à la socialisation haïtienne reste néanmoins imaginaire (de image) dans la mémoire collective. C'est-à-dire liée symboliquement à un ailleurs très flou. Le terme qui correspondrait le plus est imago venant du latin et qui signifie image. Imago désigne aussi le stade final du développement d'un insecte ptérygote qui a effectué sa métamorphose. Il peut s'agir également d'adulte reproducteur. Répondant aux questions d'un enquêteur canadien un paysan haïtien dénommé Gillilus169 affirme :

L'enquêteur : Gi llus, les gens de Guinée170, qu'est-ce qu'ils sont venus faire ici ?

Gillus : Et bien, les gens de Guinée eux-mêmes, moi je ne les ai jamais rencontrés... Mais j'ai entendu mon père en parler. Les gens de Guinée, ce qu'ils sont venus faire ici, moi je n'en sais rien, non ! Mais ces anciens de Guinée, ils ont à voir avec les vieux murs qui sont là... C'est eux qui les ont faits, ces Guinée !

166 Ibid.

167 Pour Pétion, le successeur de Dessalines « voler l'Etat ce n'est pas voler ».

168 Jacques Chevrier « préface » in Leslie Péan, op. cit. p. 5

169 Voir Gérard Barthélémy, « Réflexions sur deux mémoires inconciliables : celle du maître et de l'esclave. Le cas D'Haïti », Cahiers d'études africaines, XLIV (1-2), 173-174, 2004, pp. 127-139

170 Le terme « gens de guinée » signifie les ancêtres c'est une référence à l'Afrique qui n'est pas l'Afrique continentale mais imaginaire.

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Enquêteur : Est-ce que ce ne sont pas les Blancs qui les ont fait faire, ces murs-là ?

Gillus : Non, ce ne sont pas les Blancs qui les ont faits, non mais c'est leur cerveau à eux qui a conçu ce travâl.

Le type de socialisation qui s'est développé en Haïti est spécifique car ce «sont les esclaves eux-mêmes qui ont arraché leur liberté à la suite d'une révolte et d'une guerre victorieuse.»171 Cette spécificité, le caractère transculturel d'Haïti n'influe-t-il pas sur les procédures, analyses et réflexions, les calculs et les tactiques utilisés en vue de conquérir le pouvoir politique, accéder à la direction des monopoles de contraintes, arbitrer entre des intérêts et des valeurs souvent opposés? Comment comprendre le mode de gestion de la violence en vogue en Haïti ? N'a-t-on pas affaire à un type d'Etat nouveau ? N'avons-nous pas déjà souligné quelques limites du modèle normatif wébérien ? Cette troisième et dernière sous-partie sera une tentative d'apporter réponses à ces interrogations.

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"Un démenti, si pauvre qu'il soit, rassure les sots et déroute les incrédules"   Talleyrand