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Haïti : Etat serendip? Mecanismes de blocage et/ou d'accélération de l'émergence de l'Etat moderne

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par Renald Luberice
Université Paris VIII - Master Science politique 2008
  

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3.3. Gestion de la violence : impuissance ou « construction ~ d'un type d'E nouveau ?

Les travaux véritablement sociohistoriques sur l'Etat d'Haïti sont rares. Sauveur Pierre Etienne fait partie des seuls auteurs ayant travaillé sur le sujet. Il a eu recours, comme c'est le cas des auteurs qui travaillent sur un certains nombre d'Etats issus de colonisation, aux théories de l'Etat néopatrimonial qui « s'inspirent du patrimonialisme comme toile de fond du modèle idéal-typique de domination traditionnelle chez Max Weber172 ». Sauveur pierre Etienne s'inspire ouvertement des théories de J-F Médard (traditionnel) et de J-F Bayart (historicité) en vue d'apporter une explication à ce qu'il appelle l'échec de l'émergence de l'Etat moderne en Haïti173. J-F Bayart soutient la thèse que le pouvoir de l'Etat permet d'accéder aux ressources matérielles et morales de cet Etat174. Sauveur Pierre Etienne reformule cette thèse en affirmant : «L'Etat post colonial haïtien se trouvât à la base du

171 Gérard Barthélémy, op. cit.

172 Mwayi la Tshiyembe, « L'échec des théories de `'l'Etat politique du ventre» et de `'l'Etat néopatrimonial» »,

P. 111

173 Sauveur Pierre Etienne, Op. Cit.

174 Jean-François Bayart, L 'Etat en Afrique, la politique du ventre, paris, Fayard, 1989, P.87

processus de stratification sociale en Haïti et c'est l'interaction entre les constructions de l'Etat et la formation des classes sociales qui permet une meilleure compréhension des rapports entre Etat et société et de la lutte acharnée que se sont livré les élites politiques pendant deux siècles pour la conquête, l'exercice et la conservation du pouvoir politique.175 ». On sait que les thèses de l'Etat néopatrimonial de J-F Médard et celle de la « politique du ventre»176 relatif à l'Etat en Afrique ont été très critiquées.

Cependant nous ne réfutons pas l'utilisation du terme de néopatrimonialisme pour les mêmes raisons dans le contexte haïtien. Ce sont les idées et les faits qu'exprime le concept qui sont problématiques et qui ne correspondent pas à la réalité haïtienne, à savoir, notamment, que le néopatrimonialisme est un « mélange de tradition et d'arbitraire » combiné avec « d'autres logiques » sur lequel s'appuie un pouvoir personnel. L'idée de tradition renvoie à un passé immémorial, en Haïti on ne peut pas parler de domination traditionnelle, ni même de tradition vu la composition (structure) même de la société Àdes gens venus de toute part, de culture éloignée les unes des autres À nous n'ignorons évidemment pas le caractère ambigu de la tradition car «des traditions qui semblent très anciennes ou se proclament comme telles ont souvent une origine très récente et sont parfois inventées177 », et l'un des gros problèmes de l'Haïti contemporaine peut-être justement conçu comme l'incapacité à « inventer la tradition », qui aurait pu servir à légitimer la domination et la cohésion sociale.

Les habitants de Saint-Domingue venaient d'horizons très variés, et tout était fait pour ne pas réunir dans un même endroit des esclaves qui pouvaient avoir des liens culturels ou tribaux. L'idée même de conscience collective leur était étrangère (ou était à inventer). Les esclaves de Saint-Domingue ont dû s'inventer une nouvelle culture qui n'est autre que le produit d'une transculturation178, c'est-à-dire un emprunt à la culture française mélangé avec des notions

175 Sauveur Pierre Etienne, op. cit. P. 117

176 Voir Mwayiala Tshiyembe, Op. Cit.

177 Eric Hobsbawm, Tarence O Ranger, The invention of tradition, Cambridge University press, 1992, Pp. 171- 189

178 « Processus par lequel des communautés régionales, marginales, subordonnées ou en position de minorité empruntent certains matériaux à la culture nationale, dominante, métropolitaine ou majoritaire et les remodèlent selon leur propre usage » ce concept a été développé par l'anthropologue et sociologue cubain Fernando Ortiz dans les années 1940 voir http://www.ditl.info/arttest/art4438.php et « Fernando Ortíz on the Phases of Transculturation », http://www.historyofcuba.com/history/race/Ortiz-2.htm, consulté le 24/03/07

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africaines et quelques vestiges Taï nos (amérindiens), puis façonné à leur manière. En ce sens l'Etat d'Haïti des 25 premières années ne saurait être ni patrimonial179, ni néopatrimonial. Pour avoir une idée plus précise du type d'Etat auquel on a affaire regardons de plus près les moyens Àmilitaires, économiques et administratifs et humains- dont il dispose tout au long de cette période (1804-1825).

Après l'indépendance (1804) Haïti présente les caractéristiques d'un Etat-nation. On assiste à un apparent processus d'institutionnalisation du pouvoir180. Dessalines prétend l'exercer au nom de l'Etat, essaie d'établir des règles qui régiraient l'attribution du pouvoir suprême à sa succession à travers des mécanismes constitutionnels. On observe, dans une certaine mesure, la réunion des trois éléments : territoire, population et autorité publique. Cependant les autorités semblent prétendre que le territoire haïtien c'est l'ile d'Haïti (avec l'actuelle République dominicaine), ce qui fait que la délimitation territoriale est ineffective. Car l'espace envisagé n'est pas effectivement soumis à la domination de l'Etat, du moins jusqu'à l'avènement au pouvoir de Jean-Pierre Boyer.

Mais d'un autre coté, si l'on se place objectivement dans le contexte du début du 19eme siècle ne pourrait-on pas qualifier l'Etat issu de la révolution haïtienne, celui de 1804-1806, de l'Etat moderne? Un Etat n'est, semble-t-il, moderne que par rapport aux autres Etats contemporains. Pour ce faire, il faudrait donc analyser les moyens dont dispose le nouvel Etat par rapport aux autres Etats. Nous n'avons cependant pas le temps et la capacité à entreprendre ce travail ici. Nous nous contenterons d'affirmer que l'Etat est étroitement lié (dépendant des) aux interactions commerciales, militaires et diplomatiques. Dans ce système d'interdépendance plus les Etats sont disposés de populations importantes, d'une « économie commercialisée » capitaliste et capables d'imposer « les lois de la guerre et leur forme d'Etat »181 plus ils seraient à même d'être « Etats wébériens ».

179 « On appellera domination patrimoniale toute domination orientée principalement dans le sens de la tradition, mais exercée en vertu d'un droit personnel absolu » affirme Max Weber in Economie et société, Les catégories de la sociologie/1, Paris, Pocket, 2006

180 Il serait judicieux de parler d'un pouvoir individualisé sous Dessalines qui l'exerce plus ou moins en fonction de « ses qualités personnelles », du rôle qu'il a joué lors de la guerre de l'indépendance.

181 Charles Tilly, op, cit. p. 56

On n'a pas de forme achevée de ce qu'est ou doit être un Etat moderne. On ne pourra qualifier tel ou tel Etat de moderne que par rapport à ce qui existe comme Etat à l'Epoque où l'on parle. Aujourd'hui dans le cadre de la construction de l'Union Européenne de nouvelles possibilités d'organisation internationale de la société s'ouvrent et semblent clairement indiquées que la forme étatique actuelle n'est pas définitive. Nous sommes désormais obligés d'appréhender l'Etat dit moderne non dans une perspective normative mais comme une forme possible d'organisation d'une société humaine. L'Etat ne sera plus défini par rapport à ce qui fait défaut ou qui excède dans telle ou telle société donnée mais en termes de possibilisation d'organisation sociale182.

Sur le plan économique l'Etat haïtien issu de l'indépendance est tout de suite soumis à un embargo colonial. Il devra commercer seulement avec les pays qui acceptent de prendre le risque de contourner cette sanction. L'Angleterre et les Etats-Unis sont des pays qui n'ont pas voulu donner leur accord à l'embargo. Car l'indépendance du Saint-Domingue (future Haïti) est pour eux le meilleur moyen de remplacer les français. Malgré la destruction des bases économiques à cause de la guerre de l'indépendance et la nécessité de chasser les colons l'agriculture semble, en juin 1803, ne pas se porter si mal, à en croire Jean-Jacques Dessalines : « Le commerce avec les Etats-Unis, Monsieur le Président [du congrès], présente aux immenses récoltes que nous avons en dépôt et à celles, plus riantes, qui se présentent cette année un débouché que nous réclamons des armateurs de votre nation »183. Le système économique que met en place Dessalines est un système dirigiste. C'est l'Etat qui désigne le « nombre de marchands autorisés à recevoir des marchandises des négociants étrangers suivant un système de rotation »184.

Il est bon de noter que la politique commerciale de Dessalines générait conflits et incompréhension car les « procédures douanières variaient d'un port à l'autre »185 , ce qui handicape le commerce international. Il surgissait des difficultés inintelligibles entre la perception et le remboursement des droits sur l'exportation des denrées. L'économie haïtienne est donc la suite logique de l'économie coloniale essentiellement tournée vers l'exportation

182 Il ne s'agit pas d'une posture purement relativiste mais « a-normative ».

183 Lettre de Dessalines, Général en chef de l'armée de Saint-Domingue au président du congrès des Etats Unis d'Amérique, daté du 23 juin 1803. Réproduite in Yves Auguste, « Jefferson et Haïti (1804-1810) », Revue d'Histoire Diplomatique, paris, octobre-décembre 1972, pp. 335-336,

184 Leslie Péan, op. cit. p. 104

185 Ibid

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avec une différence de taille : l'économie coloniale se voulait plus rationnelle. Autrement dit, elle se basait sur des règles généralement intelligibles en vue de son optimisation. Il y avait une certaine harmonisation. Le type d'économie en vogue dans un système peut donner une idée du type d'Etat auquel on a affaire. Le poids de l'économie détermine la puissance de l'Etat. Sa capacité en termes de ressources humaines indique la possibilité, au sens mathématique, de son degré de structuration sur le plan bureaucratique, social et administratif, et surtout son aptitude à collecter les impôts nécessaires à la formation et l'entretien d'une armée supérieure ou égale à la taille des forces armées des Etats rivaux.

Les principaux efforts d'après l'indépendance sont consacrés à la défense nationale. On peut supposer que les bénéfices tirés des exportations servent, après déduction de la répartition des recettes entre chefs et sous chefs, à entretenir l'armée186. Ce qui fait que sur le plan militaire l'Etat d'Haïti avait les moyens de dissuasion et de protection de son territoire vis-à-vis d'une puissance moyenne. Cette hypothèse est plausible si l'on prend en compte le fait que l'Armée indigène a battu l'Armée française qui était à l'époque une puissance militaire187. L'armée louverturienne a tenu en échec différentes tentatives d'invasion anglaise et a vaincu les espagnols de la partie orientale de l'ile.

Les institutions haïtiennes qui ont été mises en place sur les vestiges des institutions coloniales dépendent des facteurs économiques et humains que nous avons susmentionnés. L'Etat haïtien qui n'est pas un « produit voulu » présente les caractéristiques logiques des éléments qui le constituent Àcolonial et indigène À, des conditions qui ont favorisé son émergence. C'est un Etat serendip puisqu'il est le fruit de synthèses personnelles et imprévisibles, de l'action humaine, d'essais et d'erreurs. Les actants qui ont permis l'émergence de l'Etat serendip haïtien, cherchait autre chose, à savoir la satisfaction d'intérêts propres, et des fois rien de particulier. Bon nombre d'anomalies stratégiques de la part de la métropole, des élites de Saint-Domingue, etc. qui n'a pas été anticipé a donné Haïti comme résultat serendip.

186 Dans son ouvrage, Haïti, économie politique de la corruption. De Saint-Domingue à Haïti 1791-1870, op. cit. Leslie Péan met accent sur le poids de la corruption légitimée par les premiers dirigeants du pays dont Dessalines, Pétion, etc. Sauveur Pierre Etienne (cf. introduction) en fait l'une des causes de la non-émergence de l'Etat moderne en Haïti.

187 Il faut évidemment prendre en compte la conjoncture internationale qui n'a pas joué en faveur de la France.

Rien ne sert donc d'analyser l'Etat d'Haïti en fonction de ce qui lui fait défaut ou qu'il a en excès. Pour le comprendre, il faut l'appréhender comme la possibilisation d'organisation sociale, juridique et institutionnelle d'une société humaine. On a affaire à un type d'Etat nouveau, sérendipitien, qui est le résultat de luttes, d'agencements sociaux, institutionnels et politiques qu'ont consentis les hommes et les femmes de la fin du 18ème siècle et du début du 19ème siècle. Les stratégies utilisées dans la gestion de la violence correspondent aux expériences acquises dans la société qui a vu évoluer les actants, tout comme l'apparition de l'Etat moderne en Europe est le fruit d'expérience empirique. Chaque société contient en elle-même des probabilités (possibilité) d'organisation sociale en fonction des expériences des individus qui la composent et aussi les déterminants hasardeux résultant des actions sociales. L'ensemble des activités des hommes et des femmes susceptibles de transformer le milieu naturel ou de modifier les rapports sociaux (praxis) sont le fruit de l'expérience, de l'incertitude et du hasard. Dans une perspective a-normative désignons le type d'Etat qui a apparu en Haïti en 1804 d'Etat Sérendipe.

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"Il existe une chose plus puissante que toutes les armées du monde, c'est une idée dont l'heure est venue"   Victor Hugo