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L'Etat de droit: entre la domination et la rationalité communicationelle

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par Raphaël BAZEBIZONZA
Faculté de Philosophie Saint Pierre Canisius de Kimwenza - Maîtrise 2007
  

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I.4. De la domination a l'émancipation par la discussion

Pour libérer l'homme de la domination, établie par la dépendance de l'homme aux appareils techniques et à leurs propriétaires, Marcuse propose une transformation qualitative de la rationalité scientifique et technique dont le « projet » fondamental est corrompu par le capitalisme ; il faut une Nouvelle Science et une Nouvelle Technique, pour lesquelles la nature ne soit plus objet de domination technique mais partenaire d'une relation de type interactionnel.

Prenant Marcuse au mot, Habermas conteste ce mysticisme naturaliste. Le « projet » marcusien d'une rationalité scientifique et technique qualitativement différente procède d'une assimilation entre les deux « cadres de référence » anthropologiques qu'il faut bien distinguer : d'une part le travail qui allège les tâches et définit le progrès cumulatif et linéaire de la technique et, d'autre part, l'interaction. Pour Habermas, la prétention virulente de Marcuse demeure incompréhensible ou insensée. Il n'est donc pas question de remettre en cause la relation instrumentale de la technique. En fait, l'alternative d'une Nouvelle Science et d'une Nouvelle Technique ne tient pas. La conclusion de Marcuse pose à tort que les sous-systèmes techniques (évoluant sous l'emprise de la technique) soient devenus eux-mêmes, à eux seuls, ce que Habermas appelle le cadre institutionnel ou le système social. En bref, Marcuse a assimilé trop vite l'infrastructure économico-scientifique au cadre juridico-politique (et donc à l'idéologie) et, de ce fait, la technique à la domination.

Pour Habermas, « la libération de la faim et de la misère ne coïncide pas nécessairement avec la libération de la servitude et de l'humiliation, car l'évolution du travail et celle de l'interaction ne sont pas automatiquement liées »37(*). Avant même les critiques pessimistes faites par Herbert Marcuse à la raison unidimensionnelle de Max Horkheimer et de Theodor W. Adorno avait déjà montré qu'il y a une « ambigüité dans le concept de rationalisation »38(*). C'est qu'il faut bien distinguer une rationalisation qui est émancipation communicationnelle et interaction « exempte de domination »39(*). Au lieu de cela, notre époque scientificisée « fait que s'efface de la conscience des hommes le dualisme du travail et de l'interaction »40(*) et on assiste à une « élimination de la différence entre pratique et technique »41(*) « comme si la maîtrise pratique de notre histoire se laissait réduire à une opération technique disposant de processus objectivités »42(*). « Il ne suffit pas qu'un système social remplisse certaines conditions de rationalité technologique »43(*). Il y a un défi de la technique que la technique seule ne permet pas de relever.

La confrontation avec Marcuse a donc considérablement clarifié la position de Habermas. Pour lui, la relation instrumentale est irremplaçable en son genre : il n'est pas d'attitude alternative au rapport instrumental que constitue le travail. La technique n'est donc pas un « projet historique » de domination, mais une sorte d'invariant anthropologique révélé par l'expérience du travail. La forme historique prise par la domination trouve sa consolidation avec la forme idéologique prise par la technique : celle-ci fonctionne comme idéologie, elle n'est pas idéologie. Ce n'est plus la rationalité technique comme telle qui est critiquable, mais bien seulement l'usage qui en est fait à des fins de légitimation de la domination. Dès lors, ce fonctionnement idéologique relève bien plus de la pratique que de la rationalité technique elle-même.

C'est donc vers une critique de la pratique qu'il faut se tourner. Il n'y a pas une bonne et une mauvaise technique, mais plutôt deux domaines qui interagissent l'un sur l'autre et que la critique doit analyser afin de s'émanciper de la domination que cette corrélation a induite. De plus, cette affirmation se fonde, pour Habermas, sur un double constat empirique : le complexe scientifico-technique se politise en même temps que la politique tend à se faire « science » ; la science et la technique sont devenues « la force productive »44(*) la plus importante tandis que l'extension des domaines d'intervention de l'Etat a peu à peu teinté l'action de ce dernier d'un « caractère négatif »45(*) : cette action qui vise à la stabilité et à la croissance du système économique est alors orientée de façon à éliminer les dysfonctionnements et non pas de façon à trouver des solutions aux questions d'ordre pratique. La solution de ces problèmes « techniques » risque donc d'échapper au contrôle de l'opinion pour être confiée à des experts. Ainsi la question politique se laisse-t-elle reformuler en des termes nouveaux : opérer une critique de la technique impose de comprendre comment celle-ci parvient à envahir le domaine pratique.

La réponse de Habermas comporte deux volets : d'une part, il entend insister sur le caractère « passif » de ces « normes sociales » que représente le cadre institutionnel ; d'autre part, cette réaction engendre, selon lui, une autonomisation et un affermissement de la fonction du cadre institutionnel. C'est ici que Habermas précise sa position. Pour lui, cette fonction est double. Le cadre institutionnel organise et établit la violence qui permet d'imposer la répression de la satisfaction de nos pulsions et structure comme système d'héritages culturels la masse de nos besoins. La domination est donc, pour Habermas, un fait politique avéré ; plus encore, celle-ci correspond à une structure fonctionnelle de la société. Sa position semble ici toute proche de celle de Weber, mais comme nous l'avons déjà vu, une conception divergente de l'action les sépare. À ce stade de sa pensée, Habermas oppose à l'action rationnelle par rapport à une fin un modèle d'action « communicationnelle » figurant une « interaction médiatisée par des symboles » dont la validité ne s'éprouve que dans l'horizon de la « compréhension »46(*).

La critique de Habermas s'en trouve considérablement enrichie : la domination peut, en effet, se comprendre comme une détérioration de cet idéal de communication révélé dans l'action. La perspective critique deviendrait alors aussi constructive que déconstructrice. Pour rendre possible l'analyse des structures systématiquement déformées de la communication, on doit supposer, au moins formellement, le modèle (même idéalisé) d'une intersubjectivité intacte, d'une communauté de communication exempte de domination. C'est par une autre figure de l'action que Habermas redonne force à sa critique. Or, cette figure de l'action est précisément inscrite au sein du cadre institutionnel. Elle relève d'une communication intersubjective et, comme telle, met en jeu ce que les agents ont en commun ; elle se « conforme aux normes en vigueur »47(*). C'est par ce biais que Habermas réinterprète la domination : c'est le cadre institutionnel qui décide de la structure de la domination et de l'importance que doit atteindre la répression.

« Une communication de cet ordre à tous les niveaux de la formation de la volonté politique, et à laquelle serait restitué son caractère politique, voilà le seul milieu au sein duquel est possible quelque chose qui mérite de s'appeler rationalisation »48(*).

C'est donc en quelque sorte un défi que Habermas lance à nos sociétés ; un défi qui demeure celui de l'émancipation et au travers duquel s'établira une maîtrise possible de ce monde social. Le diagnostic de Habermas s'ouvre sur des perspectives seulement entrevues. Il faut « mettre en branle une discussion politiquement efficace qui établisse des liens rationnels valables, entre le potentiel social du savoir et du pouvoir technique d'une part, notre savoir et notre pouvoir technique d'autre part »49(*). Cette discussion qui ne devra pas rester « sans conséquences d'ordre politique » doit nous permettre en tant que sujets politiques de « déterminer pratiquement dans quelle direction et jusqu'à quel point nous désirons développer notre savoir technique dans l'avenir »50(*) ainsi que les applications qui en découlent. L'intersubjectivité communicationnelle d'une telle « discussion universelle et exempte de domination »51(*) permettra aux hommes d'assumer avec une réelle conscience politique la dialectique qui se joue entre leur pouvoir et leur vouloir. Il est clair qu'on se meut nécessairement « à l'intérieur d'un cercle » : on ne peut prendre une décision que sur la base d'informations suffisantes et, inversement, il faut que « nous sachions qu'elle est la direction déterminée que nous souhaitons voir prendre à l'extension de notre pouvoir technique dans l'avenir »52(*).

L'itinéraire critique de Habermas semble donc nous avoir mené à une première étape : l'appréhension de la domination est tributaire d'une conception qui déborde le cadre initial que celle-ci avait fixé à l'analyse ; elle désigne certes un certain exercice du pouvoir, mais celui-ci ne se comprend qu'au sein d'une logique historique et politique qui le dépasse : exercice non seulement politique mais aussi social53(*) qui ne pourrait se penser que comme communication contrainte ou déformée. Singulièrement, la domination relève donc, pour Habermas, d'autre chose qu'elle-même : elle est la figure historique d'un dérèglement, d'une distorsion par rapport à un idéal qui reste à préciser.

* 37 Jürgen HABERMAS, La technique et la science comme « idéologie », p. 211.

* 38 Ibid., p. 61.

* 39 Ibid., p. 24.

* 40 Ibid., p. 44.

* 41 Ibid., p. 58.

* 42 Ibid., pp. 159 sq., 84 et passim.

* 43 Ibid., p. 94.

* 44 Ibid., p. 19.

* 45 Ibid., p. 40.

* 46 Ibid., p. 22.

* 47 Ibid.

* 48 Ibid., p. 68.

* 49 Ibid., Préface, p. XLIV.

* 50 Ibid., p. 95.

* 51 Ibid., p. 96.

* 52 Ibid., p. 120 sq.

* 53 Quand la maîtrise de la nature, au travers de l'utilisation de la technique, imprègne le monde social - d'abord par les sous-systèmes techniques eux-mêmes, puis au sein du cadre institutionnel.

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