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Femme et politique au tchad: cas des parlementaires et des membres du gouvernement(1962-2018)par Nadjilem Ribar CHRYSSEL Université de Yaoundé 1 - Master 2024 |
II- LA CONQUETE DES DROITS POLITIQUESDepuis l'indépendance, tous les pays africains reconnaissent, en principe, sur le plan politique, les mêmes droits aux hommes et aux femmes. On entend par droit politique, les droits, protections et privilèges accordés à tous les citoyens par la loi dans leurs relations à l'État qui doit les protéger pour éviter toute discrimination10. Les systèmes législatifs et exécutifs n'ont cependant pas toujours facilité l'exercice des droits politiques par des femmes. 1- La femme tchadienne au niveau du parlement Conscientes du vide constitutionnel qui existe au Tchad après la suspension de la constitution de l'UNIR en 1990, les nouvelles autorités ont mis en place, par Décret No 007/P-CE/9111 du 22 janvier 1991, un Comité chargé de l'élaboration d'un texte fondamental de la République. Ce texte, appelé Charte Nationale de la République à valeur constitutionnelle, a été publié par Décret No 081/PR/9112 du 28 février 1991. Cette charte a-t-elle pris en compte la dimension femme ? Vu son caractère urgent et provisoire, la Charte a considéré les grands traits d'une constitution sans entrer dans les détails. Néanmoins, elle a proposé l'élaboration d'un code de la famille. Par cette proposition, la Charte Nationale de la République a pris en compte la dimension femme. Après l'adoption de la Charte nationale de la République, un organe consultatif appelé Conseil Provisoire de la République a été créé. Les membres de ce Conseil, au nombre de 31, portaient le titre de conseillers de la République. Le Conseil Provisoire de la République jouait le rôle de Parlement. Parmi ces conseillers de la République, il y a un représentant de chacune des 15 préfectures, y compris la ville de N'Djamena. Sur les 31 conseillers, il y a eu deux femmes, soit 6,4%13. Les participants à la Conférence Nationale Souveraine de janvier à avril 1993 ont rédigé la Charte de transition de la République qui a valeur constitutionnelle. Celle-ci a été 9 Organisation pour l'Alimentation et l'Agriculture, Politique de la FAO sur l'égalité des sexes. Atteindre les objectifs de sécurité alimentaires dans l'agriculture et le développement rural, FAO, Rome 2013, p.1. 10 Toupictionnaire, Dictionnaire de politique, droit politique, https://www.toupie.org/Dictionnaire/Droit politique.htm, consulté le 15 juillet 2022 à 19h30. 11 Ngakoutou, Femme tchadienne, p.110. 12 Ibid, p.111. 13 Ibid, p.172. 48 adoptée par la conférence le 5 avril 1993 et publiée par le Décret No 282/PR/9314 du 9 avril 1993, portant publication de la charte de transition. Quelle nouveauté prévoit cette Charte dans son contenu par rapport à la femme ? Dans son article 8, la Charte stipule que les Tchadiens de deux sexes ont le même droit et même devoir. Ils sont égaux devant la loi sans distinction de race, de sexe, d'origine et de religion. Les tchadiens de deux sexes sont électeurs et éligibles dans les conditions déterminées par la loi. Et l'article 21 de préciser que «tout tchadien a droit au travail et à une juste rémunération. Nul ne peut être lésé dans son emploi, en raison de son origine, de son sexe ou de ses opinions». Ces deux articles mettent l'accent sur l'égalité de sexe en matière de droits et devoirs et en matière d'accès au travail et à la juste rémunération. A cet effet, il convient de préciser qu'à la première législature de l'ère démocratique de 1997 à 2001, sur 123 membres, l'on compte 03 femmes avec un pourcentage de 2,40%. Pourtant, c'est la législature qui suit immédiatement la conférence nationale souveraine qui recommandait 30% des sièges pour les femmes dans les instances de prises de décisions. Les femmes animent la vie politique nationale avec des termes précis, à travers des rencontres, des meetings et de vastes campagnes de sensibilisation. Des plaidoyers ont été faits auprès des chefs de partis politiques en vue d'encourager les candidatures féminines aux élections législatives. Par exemple sur les trentaines des femmes candidatent aux législatives de 2002 à 2006, sur 155 membres, neuf (9) femmes ont été élues avec un pourcentage de 5,81%. Pour la troisième législature de l'ère démocratique, dont les élections se sont déroulées le 13 février 2011, elles étaient 145 candidates inscrites sur les différentes listes de compétition sur les 1409 postulants pour les 188 sièges à pourvoir. Seulement 24 seront élues avec un pourcentage de 12, 77%. Mais cette législature de 2011 est prorogée de 2015 à 2018 compte tenu de l'insécurité du pays et de crise financière, d'où l'on compte 28 femmes avec un pourcentage en légère augmentation soit 14,9%. A cet effet, il conviendrait de présenter le nombre des femmes au parlement de 1991 à 2018. 14 Ngakoutou, Femme tchadienne, p.180. 49 Tableau 3: Nombre des femmes au parlement de 1991 à 2018
Source : Archives de l'Assemblée Nationale du Tchad, 06 juillet 2023. Il se dégage de ce tableau que la présence de la femme tchadienne au sein des différents parlements a varié selon les différentes législatures. Pour ce qui est du Conseil supérieur de transition, mis en place par la Conférence Nationale Souveraine (CNS) de 1993, seules dix (10) femmes s'étaient vues attribuer le précieux siège de conseillers. Et, ce sera tout pour la maigre récolte en matière de fonction électives. L'on est arrivé à un chiffre de vingt-quatre (24) dans l'hémicycle de 2011 à 2015 et vingt-huit (28) dans l'hémicycle de 2015 à 2018 prorogé. De 1991 à 2018, l'on assiste à une légère progression de la femme au parlement. Mais il faut néanmoins préciser que la femme demeure toujours sous représentée du nombre des femmes au sein de la population totale. 15 Wikigender, «L'implication politique des femmes en Afrique», https://www.google.com/search, consulté le 10 septembre 2022 à 14h25. 50 Graphique 3:Nombre de femmes au parlement de 1991 à 2018. Nombre total des membres au parlement Nombre total des femmes députées 200 180 160 140 120 100 40 20 60 80 0 Source : Graphique réalisé à partir du tableau ci-dessus. Ce graphique présente le nombre de femmes élues au parlement à l'ère de 1991 à 2018. Il ressort que l'amorce du processus de démocratisation vint aider les femmes à être plus participatives. En effet, après la Conférence Nationale Souveraine de 1993, le Tchad entre dans une période de transition qui verra deux femmes occuper des postes ministériels ; celui des affaires sociales et de la promotion féminine et celui du secrétariat d'État à la fonction publique. Pendant toute la période transitoire le ministère de l'action sociale et de la famille resta l'apanage des femmes. 1- La femme au niveau du gouvernement La presence des femmes en politique au Tchad est un enjeu important afin d'instaurer une véritable représentativité des instances dirigeantes politiques et de permettre leurs de jouir de leurs pleins droits15. Les données émanant de diverses institutions du système des Nations- 51 Unies concordent pour établir la faible participation des femmes dans les instances officielles de prise de décisions. C'est au sein de l'exécutif qu'elles sont les moins représentées16. Au Tchad, la problématique de l'implication des femmes dans les instances de prise de décisions et de la création des conditions pour qu'elles exercent pleinement les responsabilités s'inscrivent dans le champ plus large de l'égalité de genre, de l'équité et de l'autonomisation des femmes17. Comme tel, c'est un domaine qui s'est beaucoup amélioré depuis 2009, tant en ce qui concerne l'engagement politique que l'adoption des politiques et stratégies. Le chemin à parcourir pour une représentativité optimale des femmes dans les instances de décisions au Tchad demeure important, car, l'état des lieux dénote une présence mitigée et erratique des femmes dans les instances de prise de décision, dans un contexte de forte prégnance traditionnelle qui entretient une perception de réductrice de la femme18. Pourtant, en dépit du dispositif juridique existant et de bonnes intentions maintes fois déclarées par les hautes autorités, les hommes et les femmes ne jouissent pas encore des mêmes privilèges quant-à leur participation à la vie publique et à la prise en compte de leurs potentialités féminines dans le domaine de la gouvernance19. En effet, le nombre des femmes ministres se progresse depuis l'arrivée au pouvoir du Mouvement Patriotique du Salut (MPS) sous la direction d'Idriss Deby Itno en décembre 1990. Le tout premier des premiers ministres sous Idriss Deby Itno, le chef du gouvernement Jean Bawoyeu Alingué (mars 1991-mai 1992), a nommé deux femmes (02) dans ses différentes équipes, notamment, Mariam Mahamat Nour comme secrétaire d'État au Plan et à la Coopération, puis aux Finances, et Achta Tone Gossingar comme secrétaire d'État à la Santé publique, chargé des Affaires Sociales et de la Promotion féminine20. Au gouvernement de Joseph Yodoyman (mai 1992-avril 1993), une seule (01) femme a été ministre, Dionkito née Deyo Julienne (secrétaire d'État à la Santé publique et aux Affaires sociales). Le Premier ministre Abdelkerim Fidèle Moungar (avril 1993-novembre 1993), a intégré dans son gouvernement, une seule femme (01), Bintou Malloum au portefeuille de ministre des Affaires Sociales et de la Famille. Durant ses deux passages comme Premier ministre, Nouradine Delwa Kassiré Coumakoye a nommé ou renommé neuf femmes (09). Il y 16 Adjamagbo-Johnson, «La politique est aussi l'affaire des femmes», p.64. 17 P. Amina Longoh, 40 ans, femme politique, ministre de Genre et de la Solidarité Nationale, Ndjamena, le 20 août 2022. 18 AMSPASSNT, «Rapport national d'évaluation», p.18. 19 L. Beassemda, 60 ans, ancienne ministre de l'enseignement supérieur, N'Djamena, le 30 octobre 2022. 20 C. Dingaomadji, «Tchad : les femmes qui ont été, au moins, une fois ministre», Tchad infos, no 9, 16 mars 2021, p. 1. 52 a Bintou Malloum (ministre de la Condition féminine et des Affaires sociales), Mariam Mahamat Nour (ministres du Plan et de la Coopération), Fatimé Tchombi (ministre de la Fonction publique), Haoua Outhman Djamé (ministre de l'Environnement, de la Qualité de la vie et des parcs nationaux), Ngarmbatina Carmel Sou IV (ministre de l'Action sociale, de la Solidarité nationale et de la Famille), Dillah Lucienne (ministre du Développement culturel et artistique), Fatimé Issa Ramadane (ministre chargé des Droits de l'homme), Khadidja Hassaballah (secrétaire d'État à l'Agriculture, chargé de la formation professionnelle et de la sécurité alimentaire) et Hapsita Alboukhari (secrétaire d'État à l'Éducation nationale, chargée de l'alphabétisation)21. Sous Djimasta Koïbla (avril 1995-mai 1997), deux (02) femmes ont occupé des postes ministériels ; Achta Selguet (ministre de la Condition féminine et des Affaires sociales) et Aziza Ahmat Sénoussi (ministre de la Condition féminine).Le Premier ministre Nassour Guelengdouksia Ouaidou, a accordé deux (02) portefeuilles ministériels aux femmes parmi lesquelles, Monique Ngaralbaye (ministre de l'Action sociale et de la Famille) et Agnès Allafi (ministre de l'Action sociale et de la Famille) de mai 1997 à décembre 1999. Sous Nagoum Yamassoum comme Premier ministre (décembre 1999-juin 2002), Mariam Attahir et Elyse Loum se sont succédée au ministère de l'Action sociale et de la Famille. Le Premier ministre Haroun Kabadi (juin 2002-juin 2003), a désigné une femme, dont Akia Abouna au Tourisme22.En un an et huit mois, le chef du gouvernement, Moussa Faki Mahamat (juin 2003-février 2005), a confié les ministères de la Santé publique à Aziza Baroud et l'Action sociale et la Famille à Ursule Tourkounda qui sera remplacée par Fatimé Kimto. En plus de celles qui ont déjà été ministres, le Premier ministre Pascal Yoadimnadji (février 2005-février 2007), a travaillé avec Haoua Outman Djamé (Contrôle d'État et de la Moralisation), Chene Adoum (Aménagement du territoire, urbanisme et habitat), Ngarmbatina Carmel Sou IV (Commerce et artisanat), Dillah Lucienne (Déléguée auprès du ministre des affaires étrangères) et Mariam Moussa Ali (Secrétaire Général du Gouvernement Adjoint). Dans les gouvernements Youssouf Saleh Abbas (avril 2008-mars 2010), les femmes ayant été nommées sont Khadidja Abdelkader (Environnement, Eau et Ressources Halieutiques), Fatimé Issa Ramadan (Chargé des Droits de l'Homme et des Promotions des Libertés), Fatimé Tchombi (Fonction Publique et du Travail), Hapsita Alboukhari (Secrétaire 21 Dingaomadji, «Tchad : les femmes», p. 2. 22 Ibid, p. 2. 53 d'État à l'Éducation Nationale, Chargé de l'Enseignement de Base), Mahadié Outhman Issa (Secrétaire d'État à la Santé, chargé des formations sanitaires) et Khadidja Hassaballah (Secrétaire d'État à l'Éducation, chargé de l'enseignement de base)23. Le nombre des femmes ministres continue toujours d'augmenter avec les gouvernements Emmanuel Nadingar (mars 2010-janvier 2013). En plus de celles qui ont déjà occupé une fois un département ministériel, des nouvelles têtes ont été nommées, notamment, Toupta Boguena (Santé publique), Assia Abbo (Secrétaire Général du Gouvernement), Naima Abdelmouti (Secrétaire d'État à l'Action sociale), Habiba Sahoulba Gontchomé (Secrétaire d'État aux Finances, chargé du budget), Yakoura Malloum Alwihda (Microcrédits en faveur de la promotion de la femme et de la jeunesse) et Amina Kodjiyana (Droits de l'Homme et libertés fondamentales)24. Parmi les nouvelles femmes nommées par le Premier ministre Joseph Djimrangar Dadnadji (janvier-novembre 2013), il y a Sadié Goukouni Weddeye (Action sociale), Ruth Tedebé (Secrétaire d'Etat aux Affaires étrangères), Benaiwa Djibergui Rosine Amane (Postes et NTIC), Djimasbeye Ndade Mandagua (Secrétaire d'État à l'Économie et au plan), Chamsal Houda Abakar Kadade (Secrétaire d'État à la Santé publique), Haoua Acyl (Aviation civile et météorologie), Kassiré Isabelle Housna (Secrétaire d'État aux Affaires étrangères), Banata Tchalet Sow (Microcrédits pour la promotion de la femme et de la jeunesse). Il faut noter que les mêmes personnalités féminines ont été reconduites aux gouvernements de Kalzeubé Payimi Deubet (novembre 2013-février 2016)25. Le dernier Premier ministre Pahimi Padacké Albert (février 2016-mai 2018), a confié quelques ministères à des femmes qui ont déjà été dans un des gouvernements précédents, à l'exception du secrétariat d'État à l'Éducation nationale et à la Promotion Civique occupé par Félicité Nguesse Ndoubahidi, qui fait son entrée dans une équipe gouvernementale. A cet effet, il convient de présenter le tableau de nombre des femmes au gouvernement à l'ère du multipartisme de 1991 à 2018. 23 Dingaomadi, «Tchad : les femmes», p. 2. 24 Ibid, p. 2. 25 Ibid, p. 3. 54 Tableau 4: Nombre des femmes au gouvernement à l'ère du multipartisme de 1991 à 2018
Source : Archives du Secrétariat Général du gouvernement, 08 juillet 2023. 55 Il ressort de ce tableau, qu'au niveau du gouvernement, il y a certes des améliorations à l'ère démocratique, mais les femmes demeurent sous-représentées. Le nombre des femmes dans chaque gouvernement n'a jamais dépassé une vingtaine, et celle-ci ont généralement occupé les domaines qui renvoient à leur rôle sociale (enseignement ; action sociale, promotion féminine, santé, etc.). L'on note 96 femmes ministres et 45 femmes secrétaires d'État qui fait au total 141 femmes au gouvernement de 1991 à 2018. A cela s'ajoute le diagramme en bâtons présentant l'évolution des nombres d femmes aux gouvernements entre 1991 à 2018. Graphique 4: Evolution des nombres des femmes aux gouvernements entre 1991 à 2018 1991-1992 1992-1993 1993 1993-1995 1995-1997 1997-1999 1999-2002 2002-2003 2003-2005 2005-2007 2007-2008 2008-2010 2010-2013 2013 2013-2016 2016-2018
Source : Graphique réalisé à partir du tableau ci-dessus. L'on peut dire que la présence de la femme à l'avènement du multipartisme au sein des gouvernements connait une certaine croissance non négligeable. Le record de nombre des femmes dans les gouvernements a été battu. Même si le président Idriss Deby Itno a promis 30% de places pour la gente féminine dans les fonctions nominatives et électives, des efforts restent à faire. Il est déplorable de remarquer que ces femmes ne sont pas la tête des ministères stratégiques tels que la justice, les affaires étrangères, l'économie ou la défense26. Au sein des ministères, les femmes n'occupent pas les postes de décision. Bref, on trouve les femmes dans toutes les instances dirigeantes du pays et depuis l'avènement d'Idriss Deby Itno au pouvoir en décembre 1990, le nombre aux différents 26 M. Abdelkerim, 45 ans, enseignant-chercheur à l'Université de N'Djamena, N'Djamena, le 30 octobre 2022. 56 parlements et gouvernements n'a cessé d'augmenter. Il existe de nombreuses associations féminines, notamment la Cellule de Liaison et d'Information des Associations Féminines du Tchad (CELIAF), Association des Femmes Juristes (AFJ), le Réseau des Femmes Ministres et Parlementaires du Tchad(REFEMP/T), soutenues et encouragées par le chef de l'État qui ont pris d'assaut la vie sociale nationale propulsant ainsi les femmes, au-devant de la scène sociale et politique du pays27. L'opposition au régime du président Idriss Deby Itno possède aussi des formations féminines qui ont pu voir le jour grâce à sa politique ayant favorisé leur éclosion. Des sensibilisations ont été menées à l'endroit des femmes leaders des partis politiques, des associations et des syndicats en vue de leur participation massive à la vie politique du pays lors des échéances électorales28. Les femmes arrivèrent tant bien que mal à se partager les postes ministériels avec les hommes. Celles-ci sont liées à une participation limitée dans ces instances étatiques. 2- Une participation limitée dans les instances étatiques Cette limitation peut s'analyser à travers des facteurs qui sont externes aux femmes tchadiennes d'une part et qui leur sont proprement inhérents d'autre part au parlement qu'au gouvernement. 3.1. Les facteurs externes La société tchadienne est hiérarchisée. Cette hiérarchisation de la société fait un état de rapprochement des individus avec la culture et la tradition en place. Dans les principes des cultures et traditions, la femme occupe une certaine position. Laquelle position est jugée contraignante suite aux effets de la modernité. Ainsi, le leadership féminin bien qu'ayant connu une nette amélioration reste enfermé dans le carcan des croyances religieuses et traditionnelles29. Les problèmes de la femme, au village comme en ville, loin d'être éconduits par les pouvoirs publics restent important qu'avant sauf qu'ils connaissent des situations de déplacement. Autrement dit, la femme tchadienne est dépendante des pratiques et normes culturelles en vigueur dans la société. Au Tchad, les relations de genre se réfèrent plus à la religion à savoir : l'Islam, le Christianisme et l'Animisme. Dans ce sens, la première 27 M. Abdelkerim, 45 ans, enseignant-chercheur à l'Université de N'Djamena, N'Djamena, le 30 octobre 2022. 28 R. Yaneko, 60 ans, ancienne ministre de la femme, N'Djamena, le 20 novembre 2022. 29 P. Amina Longoh, 40 ans, femme politique, ministre de Genre et de la Solidarité Nationale, N'Djamena, le 20 août 2022. 57 différence est biologique en rapport à la divinité. Faisant référence à la création de l'homme et de la femme. Le poids des traditions est visible et perceptible sur le terrain dans la mesure où certaines normes et valeurs traditionnelles situent cet être (la femme) au stade inférieur que l'homme. Les traditions retiennent que «la femme est inférieure à l'homme», par conséquent, elle doit juste rester à sa place prévue par celles-ci30. En ce qui concerne les difficultés religieuses, l'opinion populaire pense que la religion est à l'origine du fait que les femmes soient celles-là qui doivent uniquement rester à la maison, garder le foyer et ne sont pas autorisées à sortir pour exercer un métier hors du foyer. La réalité est qu'avant l'arrivée de la religion aussi, les femmes tchadiennes occupaient les mêmes responsabilités. Ceci parce que les femmes doivent garder les enfants à la maison et les hommes partent chercher de quoi se nourrir et protéger la famille31. En effet, le Coran et la Bible ainsi que leurs interprétations au niveau local, il ressort que la religion n'est pas un frein pour le développement de la femme. Elle n'empêche en aucun cas que la femme soit autonome financièrement ou qu'elle soit leader. Mais, les hommes ont interprété la religion en leur faveur. Lorsque la religion est arrivée, les hommes ont choisi des parties de cette religion qui sont en harmonie avec leur tradition. Cette dernière attribuait déjà à la femme la place de la femme au ménage, femme mère et femme épouse afin de ne pas modifier certaines pratiques qui leurs donnaient plus d'autorité et plus de pouvoir auprès de la femme. Avec la vulgarisation des écoles occidentale, les femmes se sont beaucoup instruites et ont compris que la religion n'était pas le garant de leurs problèmes mais plutôt, la mauvaise interprétation de celui-ci32. La religion a fait que la femme tchadienne doit être entretenue, par son époux, si l'homme ne rationne pas, il est en train de pécher. Certes que la femme dispose des devoirs envers son mari mais, le fait de rester à la maison sans possibilité d'emploi ou d'études n'en faisait pas partie. L'obligation à l'homme de nourrir sa femme et les enfants, de les éduquer est considérée par ceux-ci comme un prétexte pour refuser à la femme de sortir mais, reste exercer les travaux domestiques puisqu'elle est à la charge de l'homme exerçant une fonction ou pas. Alors que selon les leaders religieux, il n'est écrit nulle part que les tâches domestiques incombent à la responsabilité de la femme si ce n'est la tradition. Bien que les normes religieuses priment sur les traditions tchadiennes, cette partie de la réalité approuvée 30 R. Yaneko, 60 ans, ancienne ministre de la femme, N'Djamena, le 20 novembre 2022. 31 M. Abdelkerim, 45 ans, enseignant-chercheur à l'Université de N'Djamena, N'Djamena, le 30 octobre 2022. 32 P. Amina Longoh, 40 ans, femme politique, ministre de Genre et de la Solidarité Nationale, N'Djamena, le 20 août 2022. 58 par la religion reste non acceptée par la tradition du fait de «l'hypocrisie des hommes» qui souhaitaient à tout prix garder le contrôle absolu sur les femmes33. Dans les interactions sociales, les hommes usent de ce privilège pour priver à la femme même ce qui lui ait dû comme les études, l'apprentissage, la recherche. Pour le partage de l'héritage, la religion prévoit pour la femme, la moitié de ce que l'homme reçoit. Cette pratique était instaurée dans le sens que l'homme soit celui qui prend la responsable de la famille du défunt. Avant, la majorité des femmes était sans activités et sont à la charge du mari, du père ou du frère. Il s'agit donc d'une pratique culturelle qui se présente en défaveur de la femme car les femmes se présentent comme celles-là qui prennent mieux soin de la famille. Plusieurs femmes tchadiennes vivent célibataires et/ou les parents ne sont plus à mesure de prendre soin d'elles. Elles sont donc contraintes de devenir autonomes pour s'en sortir ou maintenir leur rythme de vie34. La femme à la moitié de ce que l'homme peut avoir, ceci est une instruction de la religion être révolue puisqu'avant, les femmes étaient toutes mariées elles n'étaient pas aussi nombreuses, et ses femmes étaient à la charge de leur mari. Mais cette situation a catégoriquement basculé, les femmes s'occupent déjà de leur famille, on donnait plus de part à l'homme pour qu'il puisse prendre en charge toute la grande famille chose qui ne s'observe plus. Les religieux devaient comprendre que même si on ne peut pas changer les écrits, on peut quand même améliorer les choses grâce à l'évolution de temps, puisque ce n'est pas toutes les femmes qui sont mariées car elles sont plus nombreuses que les hommes et les femmes se cherchent aussi, la situation économique familiale n'est plus seulement sur le poids de l'homme, lui donner la moitié est en fait insignifiant35. Parmi les conséquences des pratiques traditionnelles et culturelles se présentent les répercussions sur la vie des femmes tels que : l'absence de communication entre parents et filles. En général, cette absence se présente entre les enfants de tous les sexes et les parents. Les mères et les enfants se plaignent du fait de la distance entre les pères et les enfants. Les enfants se réfèrent plus à leur mère pour exposer leurs problèmes, le quel ne trouve souvent pas de suite parce que les femmes n'ont pas le pouvoir de décider. Il faut aussi noter le retrait des parents (hommes) lors de la prise de décision importante dans la vie des filles. Les filles sont considérées sur tout par les pères comme des êtres donc le rapprochement est illicite et ils 33 Z. Beine, 45ans, enseignant-chercheur à l'Université de Toukra, N'Djamena, le 10 août 2022. 34 L. Beassemda, 60 ans, ancienne ministre de l'enseignement supérieur, N'Djamena, le 30 octobre 2022. 35 M. Abdelkerim, 45 ans, enseignant-chercheur à l'Université de N'Djamena, N'Djamena, le 30 octobre 2022. 59 maintiennent de distance lorsqu'il s'agit de discuter ou sympathiser avec elles. Les besoins des enfants passent d'abord par leur mère avant d'arriver chez leur père même comme c'est à eux qu'appartiennent les dernières décisions de la famille : Les jeunes filles sont stigmatisées, elle ne sont pas écoutées, elles sont frustrées dans leurs familles même, les parents ne veuillent pas leurs donner ni d'opportunités, ni de privilège pour se chercher sur tout, si c'est un travail ou un cour qui se passe en soirée, les parents refusent de causer avec les filles sur tous les pères, ils ne sont presque jamais là pour écouter le problème de leurs filles36. L'absence de communication entre pères et filles fait installer le doute et le manque de confiance des parents envers les filles. Cette situation rend donc le déplacement de la fille difficile que ce soit pour le commerce que pour les études ou la formation. Les conjoints également refusent le déplacement de leurs femmes par manque de confiance à moins qu'il y ait un membre de famille chez qui celle-ci va résider. De même, dans le cadre de service les femmes sont de fois victime des harcèlements où des abus sexuels par les supérieurs afin de pouvoir avancer dans leur service. Les hommes refusent donc que leurs femmes exercent un métier par mesure de protection parce que la femme est vulnérable et séduisante. Car, par tout elle passe, elle est exposée à des tentations. Pour tout dire, les pesanteurs socioculturelles, bien que ce soit en phase de relativisation, ont laissé des séquelles dans les mentalités des tchadiens au Tchad37. Les raisons de la marginalisation politique des femmes peuvent s'apprécier différemment, suivant que l'on se situe au niveau du parlement ou au niveau du gouvernement. La marginalisation des femmes dans la sphère législative et exécutive est susceptible d'être mal interprétée du côté des formations politiques, dont les pratiques électorales n'ont pas fondamentalement varié depuis 1962. Les discours qui ont cours dans les partis politiques frappent les esprits par leurs contradictions internes et notamment le clivage qui règne entre l'application des discours politiques et le comportement des tenants des partis sur le terrain. Ou encore, dans les scrutins de listes, la position en bas de liste occupée par les femmes leur laisse peu de chance en cas de partage de sièges, car seules les têtes de listes peuvent briguer le mandat. 36 L. Beassemda, 60 ans, ancienne ministre de l'enseignement supérieur, N'Djamena, le 30 octobre 2022. 37 F. Nguesse Ndoubahidi, 55 ans, ancienne secrétaire d'État à l'éducation nationale et à la promotion, N'Djamena, le 02 novembre 2022. 60 Les difficultés en lien avec l'administration se présentent sur plusieurs plans à savoir : premièrement, les difficultés d'accès aux marchés internationaux. Les entreprises faisant dans la transformation rencontrent des difficultés d'accès au marché pour la revente de leurs produits. L'accès au marché externe à la ville, c'est-à-dire transporter les produits de la ville de N'Djamena pour les marchés d'une autre ville comme Moundou, Abéché constitue une dépense maximale en taxe, impôt, douane qui à la fin se retrouve plus facturant que le produit à vendre. L'accès aux marchés internationaux regorge plusieurs conditions lourdes en terme de papier pour l'égalisation, l'autorisation, et en terme de lenteur administrative. Cette situation décourage les femmes entrepreneures et finissent par vendre les produits au niveau national et local où le rendement est faible en terme de coût et de rapidité38. Deuxièmement, il existe des difficultés par rapport à l'administration du projet. Selon les structures, plusieurs projets ne font pas tout d'abord la préenquête ou l'étude du milieu d'implantation de projet avant le lancement de ce dernier. Ainsi, dans le délai de la durée du projet que la structure prélève le temps de la préenquête, la recherche des bénéficiaires, le temps d'implantation du projet. Par conséquent, le projet débute avec les formations, sensibilisation lorsque sa date déterminée a déjà épuisé sa moitié. Et le reste de temps évidement est presqu'insuffisant pour la réussite du projet d'où l'incapacité ou l'inaccessibilité des projets par les bénéficiaires qui conduit aux échecs de ses derniers. Le non achèvement ou la faible adaptation des projets favorables à l'autonomisation de la femme, ralenti le processus de développement chez les femmes39. Troisièmement, se présente le problème d'admiration en termes de potentialité féminine. L'infélicité est notée à ce niveau en ce sens que le travail de la femme est minimisé et méprisé. Pour qu'une femme s'en sorte, il lui faut d'abord travailler doublement que l'homme. La femme doit toujours prouver ce qu'elle est capable de faire avant d'être acceptée même dans le cas où sa compétence est avérée. Les idées des femmes sont «volées» ou reprises par les hommes et ils développent cela en leurs faveurs sans droit d'auteurs. En revanche, la présence des femmes battantes dans cette même situation est sans ignorée. Ces femmes ne se laissent pas faire et se battent pour leurs hégémonies. Car, les femmes ont aussi de la potentialité il suffit juste qu'elles décident de s'exprimer. Quatrièmement, toujours au niveau administratif, que ce soit dans l'administration politique, commandement, étatique, les femmes sont confrontées à des difficultés tels que le 38 M. Abdelkerim, 45 ans, enseignant-chercheur à l'Université de N'Djamena, N'Djamena, le 30 octobre 2022. 39 R. Yaneko, 60 ans, ancienne ministre de la femme, N'Djamena, le 20 novembre 2022. 61 retrait de la femme dans les décisions du conseil c'est-à-dire, lors qu'il y a des réunions où il va falloir prendre des décisions importantes dans la structure, les femmes sont retirées de cette réunion dans une certaine mesure, et dans l'autre, elles ne sont pas tenues informée de l'effectivité d'une quelconque réunion. Il apparait clairement que les femmes font face à des difficultés administratives que ce soit dans l'administration gouvernementale, politique que des organismes en place40. L'hésitation du gouvernement s'entend comme un procédé qui consiste à prendre la problématique de la représentativité du leadership au Tchad. Il est difficile de comprendre et d'expliquer le faible impact des actions du gouvernement dans la promotion de la femme tchadienne. C'est ce qui explique alors la faible représentativité de celles-ci dans les postes de responsabilité et la difficulté d'observance des mobilités de ce genre. Depuis la nuit de temps, les nominations et élections montrent cette hésitation genrée. Il faut chercher avec beaucoup de profondeur pour le positionnement des femmes. Malgré l'application des mesures de représentativité des femmes en politique, les quotas rendent compte de l'incertitude du gouvernement à nommer les femmes dans certains postes. L'Etat lui-même hésite à mettre la femme à certains postes, il avance par tâtonnement afin de nommer les femmes parce que, l'homme quel que soit son niveau ou rang social, va d'abord minimiser la femme avant de savoir qui elle est réellement. Ceci a pour sens que le gouvernement en place hésite à faire confiance aux femmes, car lui-même est resté dans l'esprit de la gouvernance traditionnelle fortement masculinisée. Pourtant le principe du quota des femmes repose sur l'idée que les femmes doivent être présentes, selon un certain pourcentage, dans les divers organes de l'Etat, autant sur les listes des candidatures que dans les assemblées parlementaires, les commissions ou le gouvernement. Avec le système de quota, ce ne sont pas les femmes elles-mêmes qui ont la charge du recrutement. L'objectif fondamental d'un recrutement est de recruter les femmes aux postes politiques, de manière à assurer leurs présences effectives dans la vie politique. A cela s'ajoutent les facteurs internes. 3.2. Les facteurs internes A certains moments, la femme participe à son infériorisation ou assujettissement elle-même, en même temps elle est victime des attitudes et des constructions sociales. D'une part, la femme tchadienne se présente comme victime des pratiques sociales à la fois venant de leurs maris que de la société dans la mesure où, plusieurs choses empêchent ou ralentissent 40 R. Yaneko, 60 ans, ancienne ministre de la femme, N'Djamena, le 20 novembre 2022. 62 son autonomisation. En tant que femme, elle est victime des traitements et des pratiques qui concourent en défaveur de celle-ci à savoir : Premièrement, c'est la jalousie des maris : les difficultés pour les femmes de pouvoir sortir pour exercer une activité s'expliquent par la jalousie de l'homme. Selon les femmes, cette jalousie se manifeste de deux manières : les hommes sont jaloux de voir leurs femmes être courtisées ou convoitées par d'autres hommes dehors. L'autre forme de jalousie est exprimée par le fait qu'ils n'acceptent pas de voir la femme s'épanouir économiquement mieux qu'eux qui sont, «des hommes de la maison». Cette situation est aussi expliquée par le fait que c'est une façon de les empêcher d'ouvrir leurs esprits et voir la réalité du monde extérieur. Au début là, les maris laissent mais quand ils voient que les femmes ont commencé à s'épanouir, ils se relâchent, ils lui empêchent de sortir de fois la femme abandonne elle n'insiste pas de fois ça devient un litige41. De ce qui précède, il ressort que les hommes à travers leur égo refusent que la femme évolue ou soit plus aisée qu'eux. De ce fait, ils trouvent tous les prétextes pour ramener cette dernière à la maison afin qu'elle reste dépendante. Deuxièmement, c'est l'abandon de responsabilité familiale par des conjoints : les données à ce niveau expliquent que les femmes dès qu'elles commencent une activité économique, toutes les charges familiales leurs incombent. Car, les maris arrêtent de s'occuper du foyer, des enfants et d'elles-mêmes comme ils le faisaient auparavant. La femme n'étant pas donc financièrement stable finit par abandonner l'activité ou chuter en termes de budget. En bref, la femme n'est pas accompagnée et également non encouragée dans la recherche de son autonomisation42. Troisièmement, les femmes leaders éprouvent aussi des difficultés liées à l'accès au mariage civil. Le fait de se marier coutumièrement et religieusement n'impose pas au gouvernement de réunir le couple sur un même lieu d'exécution des fonctions. Les hommes n'ont pas toujours l'esprit de mariage civil parce qu'ils n'y trouvent pas d'intérêt à le faire plus encore, les hommes qui ne sont pas fonctionnaires, ignorent l'importance de ce mariage en plus des valeurs traditionnelles et économiques que cela comporte. En bref, cette condition de vie (être loin du conjoint) rend ces femmes non épanouies psychologiquement et frustrées 41 R. Yaneko, 60 ans, ancienne ministre de la femme, N'Djamena, le 20 novembre 2022. 42 M. Abdelkerim, 45 ans, enseignant-chercheur à l'Université de N'Djamena, N'Djamena, le 30 octobre 2022. 63 non seulement par le fait de la distance avec la famille, mais aussi à cause de sa dislocation qui impacte sur la garde des enfants et leur éducation43. Quatrièmement, la femme est également considérée comme victime dans la mesure où elle est marquée par la pression du mariage, qui lui met dans l'embarras de choix entre le mariage et la pratique d'une activité économique. Autrement dit, certains hommes avant d'épouser une femme, la conditionne d'abord d'abandonner les études, ou l'activité qu'elle exerçait afin d'être acceptée comme épouse. Cette situation est d'amblée récurrente au Tchad car, de fois ces mêmes femmes qui ont abandonné le travail pour le mariage se trouvent à la longue sanctionnées par un divorce ou par la viduité et affrontent en ce moment «des jours sombres» de leur vie44. Cinquièmement, la femme a aussi les difficultés d'appréciation sociale de ses efforts. La femme avant d'être appréciée doit doubler les efforts au niveau de son travail par rapport à l'homme. Elle est à tous les niveaux minimisée et dévalorisée tant qu'il s'agit de travailler dans la société. Celle-ci a tendance à la considérer comme inapte et incapable jusqu'à ce qu'elle démontre le contraire. En outre, la femme tchadienne s'auto-dévalorise dans la mesure où, selon les données de terrain, certaines femmes à partir de leurs pratiques ethniques ou culturelles, naissent et trouvent que la valeur de la femme n'est complète que si elle est mariée s'occupant de son foyer. A partir de là, elles éloignent l'idée de l'autonomisation dans leur vie profitant juste des gratitudes venant de leurs époux. Cette information fait la présentation des femmes qui, à cause de leur manque d'obstination à garder à la fois leur foyer et le travail, amènent ou poussent les hommes à refuser ou à s'opposer au fait qu'elles sortent pour exercer une activité. De plus, certaines femmes sont elles-mêmes les causes de leurs difficultés car, elles ont une mauvaise gestion en termes d'économie. Elles se plaignent du problème d'autonomisation mais n'investissent pas dans une activité. Elles dépensent de l'argent juste pour des occasions et cérémonies non nécessaires45. Les femmes tchadiennes font des dépenses démesurées, non réfléchies et illogiques. Egalement, elles aiment aussi l'imitation, le suivisme sans raison. A l'instant où quelque chose les intéresse, elles sont capable d'aller même prêter de l'argent pour l'avoir mais ne 43 L. Beassemda, 60 ans, ancienne ministre de l'enseignement supérieur, N'Djamena, le 30 octobre 2022. 44 R. Yaneko, 60 ans, ancienne ministre de la femme, N'Djamena, le 20 novembre 2022. 45 M. Abdelkerim, 45 ans, enseignant-chercheur à l'Université de N'Djamena, N'Djamena, le 30 octobre 2022. 46 R. Yaneko Romba, 65 ans, Ancienne ministre des affaires sociales et de la promotion féminine, N'Djamena, le 20 octobre 2022. 64 réfléchissent pas à comment faire pour investir. La femme s'auto-dévalorise aussi en ce sens qu'elle est une femme qui se résigne devant les hommes, elle refuse de s'imposer, refuse même de discuter les opinions des hommes. La femme est présentée comme victime ou complice de sa situation dans la mesure où son comportement ou ce qu'elle subit relève de la culture et tradition de sa localité. Elle est l'objet d'une socialisation bien préparée et reproduit juste ce qu'elle a appris au cours de celle-ci. Mais, certaines d'entre elles refusent de braver pour surmonter les difficultés. A cette ambiguïté, s'ajoute l'auto-évaluation à laquelle se livrent les femmes dans les instances étatiques lorsqu'il s'agit de prendre ou bien de participer à des décisions importantes qui touchent les affaires de la nation. Cette auto-évaluation se traduit dans les expressions telle que «ana mara sakit, maï i diân ngoye ; taama beï», ce qui signifie une «simple femme». Elles s'interdisent par conséquent, toute révolution, toute remise en cause, toute initiative personnelle pour exécuter le dire des hommes politiques. Cette situation rend impossible tout effort de solidarité entre les femmes pour des actions dynamiques et concertées. La marginalisation peut s'expliquer aussi par le dilettantisme des femmes46. Généralement, les femmes militent en masse dans les partis politiques, mais combien sont celles qui rêvent de faire carrière en politique ? Pour la grande majorité d'entre elles, la politique est juste un passe-temps pour résoudre quelques problèmes quotidiens, ou tout simplement un divertissement. On n'est donc pas étonné que dans les branches féminines des partis, les militantes, passent plus de temps à la cuisine pour organiser les fêtes du parti. L'on note par ailleurs que la naïveté est aussi un frein à la percée des femmes en politique. La politique est avant tout un jeu d'intérêts, où chacun tire la couverture de son côté. Ce qui suppose que les acteurs sont en permanence tendus vers tel poste, tel titre honorifique, telle. Pour atteindre leurs objectifs, ils sont prêts à toutes sortes de manipulations ou compromissions et utilisent des méthodes plus ou moins machiavéliques. Or dans ce monde complexe et impitoyable, les femmes font souvent confiance aux mots des hommes, car elles continuent à cultiver les valeurs telles que l'honnêteté, l'amitié, la bonne foi en politique. Ces différentes attitudes qui passent pour être naturelles au Tchad, agissent, en fin de compte, au détriment de la femme. Ayant présenté la conquête des droits politique, il semble nécessaire d'analyser l'émancipation des femmes au niveau du leadership féminin en politique au Tchad. 65 III- L'EMANCIPATION DES FEMMES AU NIVEAU DU LEADERSHIP EN POLITIQUE AU TCHAD En jouant un rôle décisif dans la contestation, les femmes tchadiennes voulaient aboutir à un changement politique porteur d'espoir pour un bien-être, dont elles entendaient jouir dans leur vie quotidienne et celle de leur famille. Elles n'ont pas suivi des stratégies claires montrant qu'elles entendaient accéder désormais aux structures du pouvoir pour y jouer un rôle de premier plan, au même titre que les hommes47. Dans cette partie, l'on va présenter la lutte des organisations féminines militantes des droits de l'homme pour la participation massive des femmes en politique et dans la vie publique, et ensuite, leurs oeuvres. 1- La lutte des organisations féminines militantes des droits de l'homme pour la participation massive des femmes en politique et dans la vie publique A travers l'histoire, les femmes ont milité pour obtenir des droits et, à plus large échelle, transformer la société afin de la rendre plus égalitaire entre les sexes. L'on pense notamment à la lutte pour l'acquisition du droit de vote, lutte marquante du XXème siècle dans plusieurs pays dans le monde48. Depuis les débuts des années 1990 au Tchad, on a assisté à la prolifération des organisations de la société civile dont certaines sont exclusivement féminines qui militent pour les droits de l'homme notamment la Cellule de Liaison et d'Information des Associations Féminines du Tchad (CELIAF), Association des Femmes juristes (AFJ), le Réseau des Femmes Ministres et Parlementaires du Tchad (REFEMP/T) 49 .Ces organisations, selon leurs statuts, ont pour mission essentielles la promotion et/ou la protection des droits de l'Homme soit de manière générale (droit et libertés fondamentaux de l'homme), soit de manière spécifique ou catégorielle (droit des femmes ou droits des enfants). Ces associations constituent un élément clé dans la revendication, la promotion et la défense des droits de la femme. Elles font de plus en plus de pression sur les pouvoirs publics pour une amélioration du statut de la femme, cela nécessite au préalable, l'existence d'un cadre juridique qui lui consacre des droits spécifiques et réaffirme son attachement aux valeurs universelles des droits de l'Homme, et à la Charte Africaine des Droits de l'Homme et 47 Adjamagbo-Johnson, «Le politique est aussi l'affaire des femmes», p.69. 48 C. Rouillard et A. Du rocher, «Les femmes influencent la politique : le discours de femme dans le débat sur la parité», Revue Histoire Engagée, no 12, février 2019, p.1. 49 F. Nguesse Ndoubahidi, 55 ans, ancienne secrétaire d'État à l'éducation nationale et à la promotion, N'Djamena, le 02 novembre 2022. 66 des Peuples. Aussi, l'amélioration des conditions de vie des femmes passe-t-elle par l'accès de celle-ci aux services sociaux de base qui est un droit constitutionnel.50 L'action des femmes est de plus en plus visible dans les mouvements féminins à travers le monde, dans les organisations de la société civile, dans l'État et les milieux politiques de la société51. Pourtant, de nombreux pays à travers le monde se sont dotés de mesures visant l'atteinte de la parité de par des mouvements de femmes52.L'acquisition d'un intérêt pour la politique partisane, le fait de devenir membre d'un parti, de devenir militant actif53 et de poser sa candidature lors d'une élection sont le résultat de la socialisation politique, c'est-à-dire «l'ensemble des processus d'acquisition et de formation des différents attributs de l'identité politique''54. Les réflexions sur l'engagement politique des femmes portent souvent sur le moment, où elles souhaitent être candidates lors d'une élection. Toutefois, si on se réfère aux travaux qui étudient la trajectoire des militantes et des femmes politiques, il apparait que la socialisation politique commence beaucoup plut tôt. En effet, avant de se lancer en politique, il faut d'abord prendre intérêt aux affaires publiques55. Ainsi, nombre d'organisation des femmes se prononcent sur l'importance pour les femmes de s'engager activement dans la chose politique. La stratégie adoptée s'articule habituellement autour des points suivants : la formation et préparation des femmes chargées de mener des actions de sensibilisation auprès de leurs consoeurs ; organisation de séminaires sur la problématique à l'intention des membres d'organisations de femmes ; campagne de promotion de la participation politique des femmes ; encadrement des femmes intéressées56. La participation massive de ces femmes en politique n'a vu le jour au Tchad que dans les années 1990 avec les mutations démocratiques qu'a connues le pays57. 50 Association des Femmes Juriste de Niger (AFJN), «Guide participation des femmes à la politique au Niger'', FIIAPP, 2016, p.14. 51 UNRISD Info, «Égalité des sexes : En quête de justice dans un monde d'inégalités'' no 10, 2007, p.2. 52 M. Krook, Quotas for Women in Politics? Gender and Candidate Selection Reform Worldwide, New York, Oxford University Press, 2009, p.20. 53 T. Evelyne, Égalité homme-femmes ? : Le militantisme au Québec : le PQ et le PLQ, Montréal, Hurtubise, 2003, p.26. 54 M. Anne, «Socialisation et lien politique'', in Thierry Bloss (dir.), La dialectique des rapports hommes-femmes, Paris, Presses Universitaires de France, 2002, p.27. 55 Lacasse, et al, Les femmes en politique, p.34. 56 M. Merlet, La participation politique des femmes en Haïti. Quelques éléments d'analyse, Port-au-Prince, Éditions Fanm Yo La, 2002, p.21. 57 A. Haoua, 45 ans, ministre de l'aviation civile et météorologie, N'Djamena, le 10 novembre 2022. 67 Au Tchad, les femmes quittent du statut politique individualiste au mouvement des femmes marquant le féminisme58. Elles se forment en groupement associatif pour défendre leur position et se faire entendre au niveau de la haute hiérarchie politique nationale. Cela se fait à travers plusieurs canaux notamment les médias, conférences, séminaires, rencontre d'échange au niveau provincial, internet, etc. A cet effet, il est judicieux de faire un bref aperçu de ces structures. L'on présente d'abord, l'Association des Femmes Juristes du Tchad (AFJT), ensuite, la Cellule de Liaison des Associations Féminines (CELIAF), et enfin, le Réseau des Femmes Ministres et Parlementaires du Tchad (REFEMP/T). 1.1- L'Association des Femmes Juristes du Tchad Suite au constat de discrimination de toutes sortes (politique, économique, sociale et culturelle), dont sont victimes les femmes au Tchad, les femmes juristes se sont engagées à lutter contre les obstacles à l'épanouissement de la femme en décidant de créer une association. L'association des femmes juristes du Tchad a été créée le 9 Août 1991 à N'Djamena. C'est une organisation à but non lucratif, apolitique et laïque59. Elle se fixe comme objectifs : - D'apporter son concours à l'édification des textes juridiques, notamment ceux régissant la condition de la femme et de l'enfant ; - De rassembler et de diffuser toutes les informations sur la condition juridique, sociale, économique et culturelle de la femme et de l'enfant pour une meilleure connaissance de leurs droits ; - D'établir et d'harmoniser les relations entre les femmes juristes et les milieux juridiques ; - De défendre et de protéger les intérêts professionnels sociaux et culturels des femmes60. L'organigramme de l'association est composé de : - Une assemblée générale ; - Un bureau exécutif ; - Des commissions spécialisées 58 M. Abdelkerim, 45 ans, enseignant-chercheur à l'université de N'Djamena, N'Djamena, le 10 novembre 2022. 59 O. Merabane, 45 ans, vice-présidente de l'AFJT N'Djamena, N'Djamena, le 22 aout 2022. 60 O. Merabane, 45 ans, vice-présidente de l'AFJT N'Djamena, N'Djamena, le 22 aout 2022. 68 L'AFJT est ouverte à toute femme tchadienne juriste, mais aussi aux femmes juristes étrangères résidant au Tchad. C'est le bureau exécutif qui assure l'administration de l'association. A cela, s'ajoute la Cellule de Liaison des associations Féminines. 1.2- La Cellule de Liaison des Associations Féminines Constatant une forte émergence des associations féminines au Tchad, il est créé en 1996 une institution dénommée Cellule de Liaison des Associations Féminines. Cette institution a pour ambition de développer et renforcer la collaboration entre l'État, les partenaires du développement et les associations féminines, en vue d'assurer la défense des intérêts particuliers des femmes au Tchad61. Elle a pour objectifs : - Créer un espace d'échange et de réflexion pour les associations féminines ; - Assurer la collecte et la vulgarisation des documents importants nationaux et internationaux relatifs à la promotion de femmes ; - Faciliter l'accès à l'information relative aux appuis techniques, matériels et financiers ; - Favoriser les relations entre les associations et les organisations nationales et internationales ; - Aider à la réflexion sur les stratégies de développement au féminin ; - Assurer la représentation des associations, des membres et de défendre leurs intérêts ; - Constituer une banque de données disponibles et accessible aux associations féminines ; - Faciliter la participation des associations membres aux événements commémoratifs. Cette institution a son siège social à N'Djamena et est présente dans 19 provinces du pays avec une antenne provinciale aux chefs-lieux respectifs (Abéché, Amdjaras, Am-Timan, Ati, Biltine, Bol, Bongor, Doba, Faya, Kelo, Koumra, Mao, Massakory, Moundou, Mongo, Moussoro, N'Djamena, Pala, Sarh) et plus de 10 cellules dans les chefs de département. Elle regroupe depuis fin juillet 2015, plus de 1600 organisations féminines de base (affiliées) avec environs 40.000 membres adhérentes (femmes prises individuelles qui sont membres desdites 61 M. Yodamné, 50 ans, Présidente à la CELIAF N'Djamena, N'Djamena, le 22 août 2022. 69 organisations). Elle est dirigée par une équipe de coordination. Peuvent devenir membres de cette cellule toutes les associations ayant une existence légale et qui en font la demande62. L'on présente le réseau des Femmes Ministres et Parlementaires du Tchad. 1.3- Le Réseau des Femmes Ministres et Parlementaires du Tchad (REFEMP/T) Considérant que la présence massive et la participation effective des femmes dans les instances de décisions sont une condition sine qua non du développement du pays, les femmes ministres et parlementaires du Tchad, réunies en Assemblée Générale les 27 et 28 janvier 1999, décident de la création d'une institution dénommée, le Réseau des Femmes Ministres et Parlementaires du Tchad. C'est une organisation à but non lucratif d'utilité publique63. Le REFEMP/T se fixe comme objectifs : - S'atteler à la réalisation du programme d'action de la conférence sur la politique et le développement (CIPD) du Caire en septembre 1994, de la plate-forme Africaine de Dakar en novembre 1994, du plan d'action de Copenhague en mars 1995 et du programme d'action de Beijing de septembre 1995, en adaptant les stratégies aux réalités spécifiques de notre pays ; - De renforcer la collaboration avec les autres réseaux nationaux pour échange d'informations et de partage d'expériences aussi bien sur le plan politique que sur celui de la législation ; - Inciter toute action de nature à amener le gouvernement à prendre les mesures concrétisant la participation de la femme à la vie publique et à l'exercice des responsabilités politiques ; - Renforcer la collaboration entre les femmes de l'exécutif et celles du législatif pour une meilleure appréhension des questions de la population et de développement64. Cette institution a son siège à N'Djamena. Elle est composée de trois organes : - L'Assemblée Générale ; - Le Secrétariat Exécutif ; - Les commissions spécialisées. C'est le secrétariat exécutif du réseau qui assure les actes de fonctionnement. Le réseau a pour membres toutes les femmes ministres ou parlementaires en activités ou ayant exercé ces fonctions, du membre de droit qui est le ministre chargé de la femme, des membres 62 M. Yodamné, 50 ans, Présidente à la CELIAF N'Djamena, N'Djamena, le 22 août 2022. 63 E. Loum, 55 ans, secrétaire exécutif de REFEMP/T N'Djamena, N'Djamena, le 20 août 2022. 64 E. Loum, 55 ans, secrétaire exécutif de REFEMP/T N'Djamena, N'Djamena, le 20 août 2022. 70 d'honneur que sont la Première Dame de la République du Tchad, le Représentant local du FNUAP et toute personne ayant rendu d'importants services au Réseau. Après cette brève aperçue, une lecture sur les oeuvres de ces organisations féminines s'avère nécessaire. 2- Les oeuvres des organisations féminines Les oeuvres désignent les travaux réalisés par ces différentes organisations pour la promotion et l'épanouissement de la femme. En effet, l'une des réalisations communes à toutes ces organisations a été la sensibilisation qui se situe à deux niveaux. D'abord, elle a pour but d'informer le public en général, et les femmes en particulier de l'existence des différentes structures, d'expliquer les mécanismes de fonctionnement et de faire montrer de leur disponibilité à accueillir toute personne intéressée. Ensuite, la sensibilisation dans les domaines spécifiques à ces organisations. Ainsi, il en est de la sensibilisation organisée par l'AFJT sur les droits et les devoirs de la femme par le biais des journées de la femme. Le réseau s'oriente beaucoup plus sur les problèmes relatifs à la population plus particulièrement le VIH/SIDA ou encore de CELIAF qui s'évertue à faire comprendre aux associations féminines la nécessité d'adhérer à la coordination65. Outre la sensibilisation, l'AFJT est très active dans le domaine de la formation aux droits de la femme, de la revendication de ces droits en fournissant conseils et assistance judiciaires quand les femmes se trouvent impliquées à un différend. Ce différend peut être d'ordre conjugal, professionnel ou commercial. Elle a aussi tenu des ateliers de formations des leaders politiques féminins ainsi que sur le renforcement des femmes leaders d'une manière générale. Il faut observer que la majeure partie du travail de l'AFJT se déroule à N'Djamena compte tenu du nombre très réduit de femmes juristes. Cependant, le relais est assuré dans les provinces par quelques rares juristes et des paras juristes formés pour le besoin de la cause66. La CELIAF par contre, a son domaine de prédilection dans les activités socio-économiques. Elle a des antennes régionales dans les provinces ; elle regroupe plus de trois cent associations 67 . Grâce à elle, plusieurs associations ont bénéficié des formations notamment dans le domaine de gestion des finances des associations, du renforcement des capacités, de la transformation des produits alimentaires, de la fabrication des savons, pagnes etc.68 65 Ngartebaye Le-yota, «La participation des femmes», p.80. 66 Ngartebaye Le-yota, «La participation des femmes», p.82. 67 M. Yodamné, 50 ans, Présidente à la CELIAF N'Djamena, N'Djamena, le 22 août 2022. 68 Idem. 71 Elle a par ailleurs cherché et obtenu plusieurs financements pour soutenir les différentes associations. Ces financements ont permis l'achat et l'installation des moulins, la tenue de petites pharmacies et le renforcement des systèmes de crédits qu'octroient les associations à leurs membres. Elle a aussi facilité les voyages de plusieurs femmes tant du côté intérieur que du côté de l'extérieur pour partage d'expériences. De la création par rapport à l'AFJT et la CELIAF, le REFEMP/T s'oriente beaucoup plus du côté politique et social. A travers le réseau, les femmes ont pu plaider et négocier des postes importantes pour leurs consoeurs69. Sur le plan social, le réseau s'investit beaucoup plus sur la lutte contre le VIH/SIDA. En partant des réalisations de ces différentes institutions, il faut remarquer qu'à la lecture de leurs objectifs beaucoup reste à faire ; même les oeuvres déjà réalisées souffrent de lacunes : - D'abord, la plupart des réalisations se borne dans la capitale à N'Djamena, sinon dans les grands centres urbains et le milieu rural le plus concerné est laissé à son triste sort ; - Ensuite, on constate que le champ d'action de ces organisations se tourne vers le sud du pays. Le nord excepté Abéché et le centre sont délaissés. Ce sont pourtant justement des milieux où la religion musulmane règne et la femme éprouve assez de difficultés à s'exprimer afin de revendiquer ses droits ; - Enfin, hormis quelques incursions dans le domaine politique, ces organisations ne s'attardent pas beaucoup plus sur le volet politique. L'action politique n'est qu'incidente70. Outre le cadre associatif, l'héritage politique des parents ou du conjoint constitue aussi une porte d'entrée en politique. Par héritage politique, l'on entend le bénéfice du capital de crédit moral qu'une personne peut jouir du fait du passé politique de son père, de sa mère, ou de son conjoint. Le phénomène de l'héritage politique s'explique par le fait qu'une femme ou une fille, ayant un parent ou un mari homme politique, arrive, dans ses obligations conjugales ou de filles à accueillir les hôtes, à sympathiser avec les visiteurs reçus par le père ou le mari, à prendre goût aux discussions politiques qui ont cours lors des rencontres. D'autres doivent leur entrée en politique grâce à leur militantisme n'ayant ni père, ni mari comme homme politique pour les parrainer. 69 E. Loum, 55 ans, secrétaire exécutif de REFEMP/T N'Djamena, N'Djamena, le 20 août 2022. 70 Ngartebaye Le-yota, «La participation des femmes», p.87. 72 Dans ce chapitre, il était question d'apporter une esquisse de l'émancipation de la femme tchadienne en politique à l'ère de la démocratie. D'après les analyses, il ressort que la chute du régime dictatorial d'Hissen Habré, en 1990, et le vent de la démocratie qui soufflait désormais sur le continent africain ont dû permettre aux tchadiens de reposer la question du multipartisme dans leur pays. La démocratie en décembre 1990 a ouvert la voie aux revendications de la femme tchadienne. La glace fut brisée. L'on assiste à une nette présence des femmes tchadiennes dans la scène politique et dans les instances de prises de décisions comme au parlement qu'au gouvernement. Plusieurs organisations féminines ont vu le jour, notamment la CELIAF, l'AFJT et le REFEMP/T. Le record de nombre des femmes dans le parlement qu'au gouvernement a été battu. Même si le président Idriss Deby Itno a promis 30% de places pour la gente féminine dans les fonctions nominatives et électives, des efforts restent à faire. Il est déplorable de remarquer que ces femmes ne sont pas la tête des ministères stratégiques tels que la justice, les affaires étrangères, l'économie ou la défense. Ceci dit, dans le chapitre subséquent, l'on aborde donc les politiques liées aux femmes et leur niveau de mise en oeuvre au Tchad. 73 CHAPITRE III : LES POLITIQUES LIEES AUX 74 Ce chapitre analyse la question spécifique du niveau de réalisation des politiques que l'État tchadien met en oeuvre dans le cadre du règlement des multiples problèmes, dont les femmes sont victimes. Dans ce cadre, l'on montre dans un premier temps la politique nationale de genre au Tchad ensuite, le Code des personnes et de la famille et enfin, la question des violences basées sur le genre. I. LA POLITIQUE NATIONALE DE GENRE AU TCHAD Dans cette partie du travail, il est question de présenter la politique nationale de genre au Tchad. Il s'agit de faire un état des lieux sur les problématiques relatives aux femmes, afin de se rendre compte, si ces questions d'importance sont des priorités inscrites dans l'agenda des autorités politiques du pays. L'on présente d'abord le contexte de l'élaboration de la politique de genre au Tchad, ensuite analyse les inégalités au Tchad et enfin, souligne les mécanismes prévus pour la promotion du genre. 1- Contexte de son élaboration Il faut dès le départ signaler que la politique nationale en matière de genre au Tchad a été élaborée en décembre 20111, mais n'est toujours pas validée2. Le retard dans la validation de ce document dénote déjà des difficultés qu'éprouve l'État à mettre en oeuvre une politique en matière de genre qui ne heurte pas les personnes qui n'entendent pas reconnaitre aux femmes un minimum de droits et un cadre juridique qui puisse les protéger. L'analyse de ce qu'il est convenu d'appeler le projet de politique nationale de genre au Tchad tient compte de son contexte d'élaboration, de la synthèse sur les inégalités de genre au Tchad et des mécanismes prévus pour la promotion du genre dans ce pays. La société tchadienne est fortement traditionnelle et compte une centaine d'ethnies3 qui ont pour caractéristiques principales l'existence de nombreuses coutumes aussi tenaces les unes que les autres. On observe aussi la présence des pratiques religieuses très ancrées dans la vie des populations et qui conditionnent leur manière de vivre. L'espace national est partagé entre trois types de croyances notamment le christianisme, l'islam et l'animisme. En conséquence, trois sortes de juridictions régissent la vie des parties en fonction de l'adhésion à l'une ou l'autre des croyances suscitées. 1 Archives du Ministère de l'Action Social, de la Solidarité Nationale et de la Famille du Tchad (AMASSNF), Politique nationale, Rapport d'activité, Avril 2010, p.14. 2 E.A. Kobela, «L'impact des projets de développement sur la qualité de vie des femmes : l'exemple du PRODALKA au Tchad», Thèse de Doctorat 3e cycle en Sociologie, Université Bretagne Loire, 2017, p.150. 3 G. F. Dumont, «Géopolitique et populations au Tchad», 2007,www.cairn.info/revue-outre-terre1-2007-3-page-263.htm, consulté le 25 décembre 2022 à 09h20. 75 De ce fait, la coexistence entre le droit moderne et les droits coutumiers prépondérants et profondément enracinés dans les pratiques institutionnelles, crée un environnement qui est peu propice à la mise en oeuvre des lois et politiques favorables à l'égalité des sexes, notamment dans les domaines de l'éducation, de la santé de la reproduction et de la jouissance des droits humains.4 La société tchadienne étant à dominance patriarcale, comme c'est le cas dans plusieurs pays au Sud du Sahara, elle assigne des rôles différents aux filles et aux garçons dès leur bas âge (perception réductrice du statut de la femme, division sexuée du travail etc.). Ces considérations socioculturelles entrainent comme conséquence une inégalité des femmes par rapport aux hommes, et ce, sur plusieurs plans (accès à la connaissance, aux ressources, aux opportunités économiques et politiques etc.)5. Les rôles multiples joués par les femmes, qui sont la majorité de la population totale du pays6, restent souvent invisibles et peu reconnus7. Une telle situation n'est pas de nature à favoriser le développement d'un pays, lorsque ce dernier ne peut pas profiter de la pleine participation de tous ses bras valides, femmes et hommes, à la construction de la prospérité commune. C'est donc en tenant compte de cette situation et des pressions internationales que le gouvernement tchadien a pris l'engagement, à travers la stratégie nationale de réduction de la pauvreté (SNRP), de valoriser le capital humain en mettant un accent particulier sur le renforcement et le développement des ressources humaines et l'amélioration des conditions de vie des groupes vulnérable 8 . Le gouvernement ayant souscrit à des engagements internationaux, il avait moralement l'obligation de s'y conformer en se dotant d'une politique nationale en matière de genre. L'on verra au moment de l'analyse de la situation du genre au Tchad que, malgré les engagements internationaux pris par le pays, des écarts importants subsistent dans la pratique sur le terrain. L'élaboration d'une politique en matière de genre exige au préalable une bonne connaissance du contexte socioculturel et de l'environnement institutionnel qui déterminent les rapports sociaux entre les hommes et les femmes au sein du ménage et dans la société. 4 A. Gautier, «Les relations conjugales d'après les codes civils», in P. Vimard, et al, Familles au Sud, familles au Nord, Bruxelles, Bruylant, 2006, p.163. 5 A. Opportune, 50 ans, ancienne rapporteur général de la commission Défense et Sécurité au parlement, N'Djamena, le 30 novembre 2022. 6 AMEPCIT, «Enquête Démographique», Rapport d'activité, Mars 2016, p.17. 7 AMEPCIT, `Deuxième Recensement de la Population et de l'Habitat (RGPG 2, 2009), Rapport d'activité, 2014, p.30. 8 La communauté internationale exige que des mécanismes de développement des groupes vulnérables soient mis en oeuvre pour que les États demandeurs bénéficient de son concours financier. 76 Une telle démarche nécessite d'interroger les réalités sociales pour saisir les fondements et les mécanismes qui sont à la base de ces rapports, en vue de comprendre la distribution des rôles et l'attribution des statuts selon le sexe ainsi que les valeurs culturelles et les normes sociales qui à la fois en découlent et les reproduisent9. L'intérêt de l'État tchadien pour cette thématique du genre est l'aboutissement des résolutions et recommandations venant d'institutions internationales comme les conférences internationales des femmes à Mexico en 1975, à Copenhague en 1980, à Nairobi en 1985, à Beijing en 1995, la CEDEF en 1979 entrée en vigueur en 1981 et ratifiée par le Tchad en 1996. C'est aussi le fruit de grands rassemblements internationaux et des actes des conférences régionales, tels le Plan d'action africain adopté à la 6ème conférence régionale africaine sur les femmes à Addis-Abeba en 1999, la Déclaration solennelle sur l'égalité de genre en Afrique (DSEGA) adoptée par les chefs d'État africains à Addis-Abeba en 2004, la Politique genre de la Communauté Économique des États de l'Afrique Centrale (CEEAC) en 200410. Pour les concepteurs de la politique nationale de genre, ce document est destiné à fournir à l'État et à ses partenaires au développement, «un instrument d'orientation en vue d'intégrer les préoccupations, besoins spécifiques des hommes et des femmes ainsi que leurs capacités à concevoir, mettre en oeuvre, contrôler et évaluer les plans et programmes de développement''11. L'opérationnalisation de ce document devra contribuer à l'amélioration du statut social, économique, juridique et politique des femmes dans la perspective d'un développement durable. Cette vision stratégique ambitionne à court, moyen et long terme, de réaliser l'équité et l'égalité de genre par l'instauration d'un environnement favorable à l'institutionnalisation du genre dans les politiques, programmes et projets de développement et dans la gouvernance. Elle permettra d'impulser au niveau de tous les acteurs des réflexes genres sensibles, en vue d'un changement de comportement favorable au respect du droit à la différence et à l'égalité des sexes dans l'accès, la gestion et le contrôle des affaires nationales, locales et familiales. La nécessité de la mise en place d'une politique nationale, même si elle est bénéfique au pays, reste d'abord l'aboutissement des résolutions et des recommandations des instances 9 AMASSNF, Politique nationale, Rapport d'activité, Avril 2010, p. 24. 10 Ibid, p. 25. 11 Ibid, p. 26. 77 internationales12. La mise en place d'une politique crédible en matière de genre nécessite de procéder à l'analyse de la situation du genre au Tchad, notamment des inégalités qui touchent la gente féminine. 2- Les inégalités de la gente féminine au Tchad Une analyse succincte de la situation du genre au Tchad met en avant d'importantes inégalités entre les hommes et les femmes dans tous les secteurs de développement13. Trois principaux points vont être évoqués dans ce cadre, à savoir :
En effet, la situation des inégalités est observée au niveau du ménage et de la communauté. Au Tchad comme dans les sociétés patriarcales, la position de l'homme comme détenteur de l'autorité, aussi bien au sein du ménage que dans la communauté, est totalement 12 M. Caulier et al, «Déplacements de la domination. Nouvelles substantialisations dans et par les normes du genre», L'Homme et la société, no 10, 2013, p.268. 13 AMASSNF, Politique nationale, Rapport d'activité, Avril 2010, p.20. 78 réelle14. En tant qu'homme pourvoyeur, la tradition lui reconnait un rôle d'autorité15. Il existe toutefois une exception notable de la gestion des affaires familiales et communautaires chez certains groupes. Chez les Peul Mbororo qui sont des communautés au mode matriarcal16, les hommes s'occupent des tâches domestiques, alors que les femmes ont une plus grande marge de manoeuvre dans la gestion et l'utilisation des ressources familiales17. Cette exception n'enlève en rien que d'importantes inégalités et disparités de genre existent au sein de la population tchadienne. Dans la perception différenciée des rôles masculins et féminins dans les communautés tchadiennes, une exception est faite aux femmes âgées au niveau de la répartition inégale des tâches et de l'exercice du pouvoir18. On observe toutefois qu'il est parfois accordé aux femmes âgées un pouvoir qui leur permet de jouer le rôle de conseillères ou de médiatrices dans la négociation de certains types d'alliances, comme les mariages ou même la résolution de conflits familiaux. Cette dévolution de pouvoir par l'âge ne signifie pas que les femmes ont plein pouvoir dans les décisions finales, puisque seuls les hommes possèdent un pouvoir pouvant engager toute la communauté19. Déjà en moyenne, 12% de femmes dirigent les ménages avec des pointes allant à plus de 23% dans certaines régions20. Cette situation est principalement due aux migrations masculines qui ne sont pas rares au Tchad. Elles ont commencé avec les multiples conflits qui opposent souvent des groupes ethniques, obligeant ainsi les hommes à se déporter sur les territoires de conflits, où certains perdent la vie21. Il y a aussi les départs des hommes vers des cieux plus cléments à la recherche du travail22. Dans ces conditions, les femmes se retrouvent subitement cheffes de famille devant gérer seules tous les problèmes précédemment pris en charge par les hommes. Cette nouvelle donne fait que de plus en plus le genre du chef de ménage importera moins que la capacité à générer des ressources pour faire fonctionner la maison23 . 14 Kobela, «l'impact des projets», p.157. 15 L. Gondeu, La dynamique d'intégration nationale: dépasser la conflictualité ethnique d'un État entre parenthèses, Floride, Sahel research group, 2013, p.21. 16 O.I. Hindou, «Situation des Peuls Mbororo autochtones du Tchad», 2016, http://www.unesco.org/culture/fr/indigenous/Dvd/pj/PEUL/PEULC1_3.pdf, consulté le 22 décembre 2022 à 10h20. 17 Kobela, «l'impact des projets», p.159. 18 M. J. Tubiana, Des troupeaux et des femmes, Paris, L'Harmattan, 1985, p.23. 19 AMASSNF, Politique nationale, Rapport d'activité, Avril 2010, p.10. 20 Ibid, p.23. 21 C. Arditi, «Les violences ordinaires ont une histoire : le cas du Tchad», Politique africaine, 2003, p.51. 22 D. Tabutin, Population et sociétés en Afrique au Sud du Sahara, Paris, L'Harmattan, 1988, p.27. 23 Le rapport d'enquête de sécurité alimentaire et de vulnérabilité structurelle au Tchad de 2009 mentionne très clairement cette perspective, en raison des difficultés des ménages à gérer la prise en charge de la maison. 79 Les disparités et autres rapports inégaux qui affectent les statuts de manière différente ont pour base la position et les conditions de vie des hommes et des femmes. C'est par l'éducation différente donnée au garçon et à la fille par la société qui fait que l'homme devient détenteur d'un pouvoir et d'une autorité formelle24. On peut reconnaître à l'État d'avoir prévu des mécanismes de rééquilibrage comme les quotas et autres discriminations positives. Ces divers arrangements restent malheureusement des situations d'exception, face à la puissance des mécanismes socioculturels et religieux et cela n'arrange pas la situation des femmes. - Sur le plan éducationnel Pour la fréquentation de l'école primaire, on dénombre 34% d'hommes contre 23% de femmes et pour le niveau secondaire, la proportion est de 12% pour les hommes et 4% pour les femmes. Il apparait également que des générations les plus âgées aux plus jeunes, la proportion des femmes sans instruction passe de 92% pour les 65 ans et plus de 40% pour les 10-14 ans. Quant-à la proportion des filles de 6-9 ans n'ayant jamais fréquenté l'école, elle se situe à 72%25. Les disparités dans l'accès à l'éducation sont marquées par un déficit de parité persistant, accentué par les inégalités d'accès selon les ressources de parents et le milieu de résidence (urbain/rural). L'accès des filles à l'enseignement supérieur est encore très faible et stagne depuis une dizaine d'années. L'effectif des étudiants est passé il y a 10 ans, de 6 730 dont 974 filles (14,5%), à 20 349 dont 4 659 filles soit 23% en 2010/2011, selon le rapport d'évaluation des 20 ans de mise en oeuvre des recommandations de Beijing26. D'autres facteurs socioculturels et économiques expliquent les inégalités et disparités sexospécifiques dans l'éducation. On note par exemple les difficultés économiques liées au faible pouvoir d'achat des parents et à l'insécurité alimentaire (manque de cantine scolaire), le travail rémunéré ou non rémunéré des enfants, l'éloignement des écoles et l'accès au transport. On peut aussi ajouter d'autres facteurs tels que, l'emploi de temps chargé des femmes et des filles, les mariages précoces ou forcés 27 , les stéréotypes sexistes, les viols et 24 Kobela, «l'impact des projets», p.160. 25 AMEPCIT., «Enquête Démographique», Rapport d'activité», Mars 2016, p.18. 26 AMSPASSNT, «Rapport national d'évaluation des vingt (20) ans de mise en oeuvre de recommandation du programme d'action de Beijing», Juin 2014, p.11. 27 OCHA, «Aperçu des besoins humanitaires Tchad, 2014, sur Principaux problème humanitaires», http://reliefweb.int/sites/reliefweb.int/files/resources/HNO%20CHAD%202015%20FI NAL_0.pdf, consulté le 30 décembre 2022 à 13h15. 80 harcèlements sexuels, toutes choses qui limitent l'accès des filles et des femmes aux facilités éducationnelles. - Sur le plan de la santé Le Tchad est un des pays du monde, où l'accès aux services de santé maternelle et infantile est le moins bien assuré. La mortalité infanto-juvénile est restée élevée au plan national, ce qui fait que le risque de décès entre la naissance et le cinquième anniversaire est de 191 pour 1000 naissances, soit à peu près 1 enfant sur 728. Une des causes de la mortalité est liée à la qualité de l'eau. S'il est vrai que la couverture en eau potable s'est améliorée entre 2005 et 2010, passant de 30% à 44,3%, alors que la couverture en assainissement dans la même période progressait de 4% à 12%, on peut également constater que ces scores restent encore assez faibles et sont très disparates d'une région à une autre 29. Ils influencent négativement les pratiques d'hygiène qui entrainent bien souvent l'épidémie de choléra ou de toute autre maladie liée à l'eau30 . Le taux de mortalité maternelle quant à lui a augmenté ces dernières années de 827 décès pour 100 000 naissances vivantes en 1996/1997, il est passé 1099 décès dans les mêmes proportions en 200431. Ce taux a légèrement baissé autour de 1084 décès en 200932. Cette mortalité maternelle est consécutive à la faiblesse de la prise en charge des complications obstétricales et de la non fréquentation par les patientes des centres de santé ainsi qu'au faible niveau d'instruction, aux mariages précoces, au faible statut économique et social des femmes33.86% des accouchements s'effectuent encore à domicile et seulement une femme sur cinq a bénéficié d'une assistance par un personnel qualifié34. Les femmes qui ont le moins fréquemment été assistées par le personnel qualifié sont celles du milieu rural (12%), les non instruites (13%) et celles appartenant aux ménages les plus pauvres (4%)35. Le phénomène des grossesses précoces et à répétition, par exemple, fait peser des risques importants sur la survie de la mère et de l'enfant dans un pays où 37% des filles commencent leur vie féconde avant 20 ans et où seulement 3% de femmes utilisent une 28 AMEPCIT, «Enquête Démographique», Rapport d'activité», Mars 2016, p.24. 29 Ibid, p. 25. 30 La mortalité infantile se maintient dans un intervalle de 100-120 pour 1000 et la mortalité juvénile dans un intervalle de 100-110 pour 1000 (EDST 2, 2004, p. xxiv). 31 Archives du Ministère de l'Économie, de Plan et de la Coopération Internationale du Tchad (AMEPCIT), «Tchad, Enquête Démographique», Rapport d'activité, Mars 2016, p. 295. 32 AMEPCIT, «Deuxième Recensement Général de la Population et de l'Habitat, Résultats globaux, N'Djamena», Rapport d'activité, décembre 2009, p.26. 33 OCHA, «Aperçu des besoins humanitaires», p.2. 34 Ibid, p.3. 35 Ibid, p.5. 81 méthode de contraception36. On estime également que la forte mortalité des femmes en couche et même celle des enfants de moins d'un an peut être associée à l'épidémie de VIH/SIDA, en raison de la prise en charge sanitaire tardive des femmes enceintes infectées et du manque des réactifs dans les formations sanitaires, surtout dans l'arrière-pays37. Aussi le taux de séroprévalence en 2005 était estimé à 3,3% avec des disparités entre milieu rural (2,3%) et milieu urbain (7%), entre les femmes (4%) et les hommes (2,6%)38. En dépit des efforts de l'État tchadien, la couverture des besoins en protection de la transmission de la mère à l'enfant (PTME) à 7% et la prise en charge des enfants infectés par le VIH/SIDA restent insuffisantes39. Cette vulnérabilité des femmes est vraisemblablement liée au faible pouvoir de décision sur la protection des rapports sexuels mais aussi à la pauvreté. Le projet de programme national du genre révèle que le faible niveau des indicateurs de santé des femmes est en grande partie lié aux inégalités de genre qui affectent leur situation sociale et limitent leur niveau d'éducation et d'information, leur pouvoir économique sans oublier leur pouvoir de décision concernant leur santé reproductive. Le constat final est que cet état consacre la précarité de la santé de la reproduction des femmes tchadiennes et par conséquent, affecte leur capacité d'intervention en matière de développement. Il est admis que la vulnérabilité des femmes est tributaire des pratiques autorisées par la tradition comme les mutilations génitales féminines, la polygamie, les mariages forcés ou précoces, le viol, le lévirat et le sororat. A cela s'ajoute au niveau institutionnel (politique et prise de décision). 2.2- Sur le plan institutionnel (politique et prise de décision) Les institutions au Tchad produisent et reproduisent simplement les inégalités et les disparités sexospécifiques en vigueur dans leur contexte et environnement socioculturel et politique40. En observant la gouvernance politique, économique, sociale et culturelle, on peut voir des insuffisances dans la prise en compte de la dimension genre dans la politique institutionnelle de différents secteurs41. Bien que la constitution du 31 mars 1996 révisée en 2005 consacre l'égalité de droit entre les femmes et les hommes et que des engagements en faveur du genre se soient 36 Ibid, p. 6. 37 CNLS, «Rapport d'activités sur la riposte au SIDA au Tchad 2012-2013, N'Djamena», ONUSIDA, 2014, p.17. 38 Ibid, p.18. 39 Ibid, p.19. 40 Kobela, «l'impact des projets», p.165. 41 CNLS, «Rapport d'activités sur la riposte», p.29. 82 manifestés42, les femmes et les jeunes ne sont presque pas promus dans les instances de prise de décision dans le privé comme dans le public. Il peut arriver qu'une décision prise par une femme l'engageant dans une activité politique ou syndicale doit être au préalable acceptée par le mari, le père ou le tuteur légal. Quant-à la participation des femmes à la vie politique, la situation reste contrastée malgré quelques avancées. Dans le gouvernement par exemple, les femmes demeurent sous représentées. Ainsi, leur nombre, pas assez élevé, fluctue au gré des remaniements ministériels. Quand elles sont nommées, on les confine dans des départements à caractère social tels ; l'Enseignement, l'Action sociale, la Promotion féminine etc.43, mais pas dans les Ministères techniques et de souveraineté comme les Finances, la Défense, les affaires étrangères, la Sécurité etc. Ainsi, 3,4% de femmes membres du Gouvernement en 2000 contre 10% en 2006, 12% en 2011, 25% en 2014. Au parlement de 2002 à 2011 comptait 11 femmes députées sur 155, soit 6%44. A la troisième législature de 2011 à 2015 comptait 24 femmes députées sur 188, soit 12, 77%. Cette dernière fut prorogée de 2015 à 2018 compte 28 femmes députées sur 188, soit un taux de représentation de 14,9%. Parmi les raisons qui expliquent la sous-représentation des femmes en politique, on peut en retenir quatre45: - La persistance des préjugés socioculturels et des stéréotypes sexistes ; - Le faible niveau d'éducation et d'instruction des femmes ; - La participation non équitable et le mauvais positionnement des femmes sur les listes électorales ; - Le faible pouvoir économique et financier des femmes. 2.3- Au niveau de la justice et des droits humains Officiellement, le cadre légal tchadien reconnait les mêmes droits aux hommes et aux femmes, du moins à travers la constitution du 31 mars 1996 révisée en 2005. Des mesures de discrimination positive en faveur des femmes sont parfois énoncées 46 , même si leur matérialisation reste toujours attendue. Du point de vue du droit, les femmes apparaissent 42 Kobela, «l'impact des projets», p.166. 43 Tubiana, Parcours de femmes, p.80. 44 AMASSNF, Politique nationale, Rapport d'activité, Avril 2010, p.14. 45 Ibid, p. 15. 46 Le Chef de l'État a par exemple fait des déclarations à la radio et à la presse nationales tchadiennes le 08 mars 2008 dans le sens de la mise en oeuvre des mesures tendant à instaurer l'équité entre les sexes. 83 comme les victimes des disparités qu'elles subissent en raison de la coexistence du droit coutumier (animiste et musulman) et du droit positif tchadien47. Les orientations dominantes de ces droits coutumiers sont entre autres la dot généralisée, le lévirat, la polygamie, l'absence de droit de succession (droit successoral conditionné chez les musulmanes). Le droit positiø8 ou moderne, à travers des dispositions juridiques (lois, règlements), renvoie à une certaine égalité entre toutes les composantes sociales, contrairement aux droits coutumiers qui sont sujets à des interprétations. A titre d'exemple, en droit coutumier, les affaires relevant du régime matrimonial, de la propriété, de la succession sont toujours déterminées selon le sexe et consacrent de ce fait la prééminence masculine49. Mais en réalité, le droit moderne tchadien se caractérise par une non opposition au droit coutumier, et il se montre même favorable à l'intégration de certaines valeurs coutumières. C'est dans ce cadre que la dot ou la polygamie, par exemple, sont reconnues dans la pratique judiciaire et dans la législation écrite. On peut donc dire que l'influence du droit coutumier semble plus étendue que le droit moderne, dont les prescriptions restent peu observées. La coexistence de plusieurs types de droits (coutumiers et le droit positif) limite l'exercice du principe d'égalité au Tchad. Dans un tel contexte, il existe une confusion du statut des femmes dans la famille. Ces dernières ne peuvent pas décider de la maternité (espacement ou limitation des naissances) ; elles ne peuvent exercer sur une base égalitaire les mêmes responsabilités que les hommes pendant le mariage ou lors de sa dissolution. Les conséquences de cette multiplicité de juridictions peuvent être catastrophiques pour les femmes50. Tout semble montrer que cette utilisation alternative de différentes sources de droit se fait au gré des intérêts en jeu ou des résultats recherchés dans les litiges. L'influence des us et coutumes reste un obstacle non négligeable d'une justice équitable et l'application effective du principe de l'égalité de chance ou de droit entre les femmes et les hommes. On peut dire que la pénétration du droit moderne dans les moeurs au Tchad se fait lentement. Or, en souscrivant aux traités internationaux, le pays s'est mis dans l'obligation de s'arrimer à l'ordre conventionnel, ce qui devrait le pousser à rechercher une égalité constante des femmes 47 UNFPA, «Analyse documentaire sur les violences basées sur le genre au Tchad», N'Djamena, 2010, p.32. 48 Le droit positif est l'ensemble des règles juridiques (lois, règlements) en vigueur dans un État ou dans un ensemble d'État de la communauté internationale, à un moment donné, quelque soient leurs sources. 49 Kobela, «l'impact des projets», p.168. 50 Kobela, «l'impact des projets», p.170. 84 et des hommes dans toutes les questions qui engagent leurs vies51. Mais en réalité, l'État ne semble pas vouloir que les choses avancent dans le sens de l'égalité juridique de tous les sexes. 3- Les mécanismes prévus pour la promotion du genre Les structures chargées de contribuer à la promotion du genre existent. Il y a d'abord eu la création d'un Secrétariat d'État à la promotion féminine en 1982 qui est devenu deux ans plus tard un département ministériel autonome (Ministère des affaires sociales et de la promotion féminine) qui a changé d'appellation à plusieurs reprises depuis lors52. Pour réfléchir sur les problèmes de femmes, une semaine nationale des femmes tchadiennes (SENAFET) fut instituée en 1990 53 et reste un moment important pour discuter de la contribution spécifique des femmes au développement54. Des points focaux genre55 ont aussi été mis en place et dépendent d'un comité national d'intégration des femmes au développement (CNIFD) qui existe depuis 1991. Le Ministère en charge des questions de genre a obtenu l'institutionnalisation des points focaux dans les différents Ministères concernés par la problématique, mais aussi au sein des institutions de souveraineté telles que la Présidence de la République, l'Assemblée nationale. Ces points focaux genre sont chargés de veiller à la prise en compte du genre à tous les niveaux. A l'observation, on peut s'interroger sur la fonctionnalité des différents mécanismes mis en place et sur les résultats pouvant être mis à leur actif. En effet, le constat est que des dysfonctionnements continuent d'exister dans la prise en charge du genre au Tchad. Ceci peut se voir au moins sous une triple dimension56 : - Le département ministériel en charge des questions du genre ne semble pas donner l'impulsion qu'il faut pour asseoir une véritable politique de cette problématique dans le pays ; son leadership dans le domaine reste encore à démontrer ; - Les points focaux genre disséminés dans les Ministères sont confondus aux autres fonctionnaires de ces départements et se plaignent du manque de moyens pour mener à bien 51 Ibid, p.171. 52 AMASSNF, Politique nationale, Rapport d'activité, Avril 2010, p.31. 53 Un décret du 16 avril 2002 abrogeant celui du 28 février 1990 a confirmé la place de la SENAFET comme un instrument de la mise en oeuvre de la politique nationale de la promotion des femmes tchadiennes. 54 Tubiana, Parcours de femmes, p.23. 55 Ce sont des personnes spécifiquement désignées au sein des institutions étatiques, notamment les Ministères, pour ne s'occuper que des questions de genre. 56 AMASSNF, Politique nationale, Rapport d'activité, Avril 2010, p.13. 85 leur mission. Il y a de plus lieu de s'interroger sur les compétences réelles de ces personnels ainsi que leur motivation ; - Au niveau politique, en dehors de la faiblesse des ressources allouées aux initiatives de promotion du genre, on ne sent pas un engagement fort des hauts responsables étatiques à se pencher sérieusement sur cette thématique. Pendant un moment on a constaté la fusion du Ministère en charge des questions du genre et celui de la santé, ce qui était de nature à diluer les actions spécifiques concernant le genre au sein de la nouvelle entité57. Quand on sait combien les questions de santé sont prenantes et nécessitent de grands budgets, il peut donc être considéré que les questions de genre semblent ne pas intéresser particulièrement les décideurs du pays. Le constat qui est fait de la situation du genre au Tchad est que les actions jusqu'alors menées restent faibles, sinon de l'ordre du symbolique. Or, face à une société patriarcale dans laquelle les femmes comptent très peu et leurs voix ne sont pas assez audibles, il y a véritablement plus à faire dans le sens de réfléchir à toutes sortes de mesures à prendre afin de combattre à la racine, ces comportements discriminatoires et porteurs d'une injustice sociale. L'influence aussi des religieux ne favorise pas une politique de genre qui prône une société d'égalité et de solidarité. Une réflexion profonde doit être menée pour intéresser tout le monde à cette problématique qui ne peut pas laisser hors-jeu plus de la moitié de la population du pays. A l'image des cours de morale et de conscientisation civique, il faudrait sérieusement penser à une possibilité d'introduire dans les écoles tchadiennes, un module qui provoque la réflexion sur la nécessité de lutter contre les inégalités de genre à tous les niveaux58. Par ailleurs, la création d'un observatoire de haut niveau pour se pencher sur la question de la promotion et de l'autonomisation des femmes59 bénéficiant de l'attention des plus hautes autorités du pays ne serait pas de trop. Après avoir démontré la politique de genre au Tchad, il convient de souligner le code des personnes et de la famille. 57 La fusion entre le Ministère de la santé et celui en charge des questions de genre date d'avril 2014 et a donné naissance au Ministère de la santé publique, de l'action sociale et de la solidarité nationale. Lors du réaménagement ministériel de 2016, on est revenu sur un Ministère spécifique s'occupant des aspects liés au genre. 58 R. Ribardje, 65ans, enseignant à Moundou, Moundou, le 20 août 2022. 59 AMSPASSNT., «Rapport national d'évaluation des vingt (20) ans de mise en oeuvre de recommandation du programme d'action de Beijing», Juin 2014, p.10. 86 |
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