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Femme et politique au tchad: cas des parlementaires et des membres du gouvernement(1962-2018)


par Nadjilem Ribar CHRYSSEL
Université de Yaoundé 1 - Master 2024
  

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II- LE CODE DES PERSONNES ET DE LA FAMILLE

Il peut désormais être admis que grâce à la globalisation, les libertés citoyennes acquises au niveau international peuvent être revendiquées également au niveau local. Aussi, malgré les différences importantes qui peuvent exister entre les femmes (culturelles, sociales, historiques, les inégalités de statuts, de niveaux ou de conditions de vie), on se rend compte par ailleurs que les ressemblances sont nombreuses, lorsqu'on tient compte des expériences diverses vécues par les femmes60. La résonance du combat contre la condamnation par lapidation en 2002 de la jeune nigériane haoussa Safiya Husseini, pour cause d'enfant adultérin par un tribunal musulman du Nord du Nigéria et dont la peine a finalement été non appliquée, est le résultat de la levée de boucliers des mouvements féministes nigérians, africains et le concours de la mobilisation à l'échelle internationale.

«Ce succès démontre que les événements, les luttes et les décisions qui surviennent dans le contexte mondial, ont un impact certain aussi bien sur les populations africaines que sur les femmes elles-mêmes». C'est justement au niveau global qu'ont été discutés les nombreux problèmes concernant la planète, notamment de la préservation de l'environnement en passant par les questions de population, sans oublier les thématiques spécifiques aux femmes pour ce qui est de leurs conditions, statuts, rôles et droits, compte étant tenu des graves inégalités entre les sexes.

Fatou Sow constate qu'en se déportant dans l'arène internationale, les problèmes des femmes sortent du cadre familial et privé pour atteindre une autre dimension, celle de la sphère publique et de ce fait, l'État a l'obligation d'accorder un plus grand crédit aux problèmes d'inégalité de genre dont celui se rapportant aux relations personnelles entre les individus. Cette dernière pense que c'est justement à ce niveau que la position de subordination des femmes est rendue plus visible à travers le Code de la famille61. Suite à la ratification des traités et conventions internationaux par le Tchad, (Déclaration universelle des droits de l'homme, Charte africaine des droits de l'homme, CEDEF, etc.) et la volonté du gouvernement, il a été décidé la mise en route d'un projet d'élaboration d'un Code des personnes et de la famille62. La présente partie de ce travail fait l'état des lieux sur ce sujet et montre les difficultés dans la mise en oeuvre de ce document et comment cet état de choses

60 F. Sow, «La globalisation en Afrique : les femmes, l'État et le marché», 2011, p.2.

61 Sow, «La globalisation en Afrique», 2011, p.3.

62 E. G. Brya, «Où est passé le projet du code des personnes et de la famille?» 2013, http://tchadmeilleur.blogspot.fr/2013/03/ou-est- passe-le-projet-du-code-des.html, consulté le 10 janvier 2023 à 17h30.

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fragilise les femmes et contribue à la perpétuation des inégalités entre les femmes et les hommes.

1- La question du code de la famille

Le travail d'élaboration du Code des personnes et de la famille a commencé en 1994 par un décret créant les commissions et diverses instances disséminées dans toutes les régions du pays, à l'effet de rassembler toutes les informations nécessaires pour adresser cette thématique. Le Code en gestation devait tenir compte des textes déjà en vigueur dans les différentes juridictions traditionnelles et faire en sorte que le nouvel arsenal juridique soit adapté aux réalités tchadiennes. Le bien-fondé de ce document se faisait sentir, car il fallait réglementer des aspects importants régissant les droits des personnes et de la famille en matière de mariage, de divorce, de tutelle des enfants, de filiation, de régimes matrimoniaux et de successions. Or tous ces aspects ont été laissés dans le giron des traditions, des us et des coutumes.

Dans la constitution du Tchad du 31 mars 1996 révisée en 2005posant la base d'une société égalitaire et laïque63, la primauté de la Nation est reconnue sur l'ethnicité, la tribu, la région ou la religion. L'adoption d'un Code des personnes et de la famille devait traduire la volonté de mise en conformité des modalités juridiques du pays avec la loi fondamentale, ce qui devait contribuer à promouvoir le statut des femmes. La commission nationale a rédigé un avant-projet de Code en 1999 et celui-ci a été remis au Ministère de l'Action sociale et de la famille en 2000. C'est dès ce moment qu'ont commencé les mouvements de protestation, surtout des cadres et notables musulmans qui n'étaient pas d'accord sur le fond et la forme du document en élaboration.

Sur le fond, ils sont contre certains aspects du document en projet qui, selon eux, sont en contradiction avec l'islam. Ils décrient particulièrement les articles concernant :

- L'âge du mariage des filles,

- Les modalités du divorce,

- Les dispositions relatives au droit de succession accordé aussi bien aux enfants

nés hors mariage qu'à ceux qui sont légitimes,

- La question de l'héritage.

63 L'article 147 de la constitution de 1993 du Tchad révisée en 2005 stipule «qu'il est institué un seul ordre de juridiction dont la Cour Suprême est l'instance suprême», ce qui est en contradiction avec la triple juridiction qui est encore en vigueur.

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Les organisations musulmanes voient dans le Code qu'elles contestent, «une minable procédure qui est un scénario satanique tendant à imposer à la majorité des Tchadiens un texte qu'ils refusent»64. Au niveau de la forme, les contestataires pensent que le texte proposé ne fait aucune référence aux valeurs des communautés nationales et que la commission élaborant le Code ne reflète pas toutes les sensibilités du pays, sans oublier le fait que les enquêtes pour recueillir les opinions des Tchadiens sur la question ont été menées en catimini et par des voies détournées65. L'avènement de la loi de 2005 révisant la constitution de 1996 considère désormais le Code des personnes et de la famille comme relevant du domaine de la loi et non plus comme étant l'apanage des textes sacrés (Coran) selon l'entendement des groupes musulmans.

Cette nouvelle disposition constitutionnelle, combinée au plaidoyer de la société civile et des partenaires au développement, était censée trancher les tergiversations religieuses et les querelles sur le document en élaboration. Malgré les différentes reformulations du projet pour tenir compte des réserves émises par les contestataires, les organisations islamiques ont continué de le boycotter et de le rejeter. Depuis lors, le projet de Code est resté en veilleuse et n'a plus connu d'avancée.

La sociologue Fatou Sow ne semble pas surprise par la tournure que prend ce genre d'événements. Elle fait d'abord observer que les femmes font moins recours à la loi, car celle-ci est souvent ignorée d'elles, ce qui les renvoie aux usages qui leur sont généralement mieux connus (sociaux, religieux)66. Par la suite, elle observe une tendance générale des États africains à l'autoritarisme marqué par un pouvoir fort et centralisé qui se donne pour devoir de construire la nation et de conduire au développement. Par ailleurs, la plupart des constitutions des pays africains garantissent l'égalité entre les êtres humains, bien que d'un autre côté, l'inégalité entre les sexes se pratique au coeur même des politiques67.

Aussi, la structure de fonctionnement de l'État africain «consolide, reproduit, voire crée l'inégalité. Les institutions de pouvoir généralement dirigés et contrôlés par les hommes, maintiennent la domination masculine sur la vie des femmes»68. Dans ce contexte, les revendications des femmes dérangent, ce que l'auteure résume par «l'ordre patriarcal

64 M. Abba Ngolo, «Tchad : le Code des personnes et de la famille rejeté», 2012, p.1, nouvelessor.over-blog.com/article-tchad-le-code- des-personnes-et-de-la-famille-rejete-par-abba-ngolo-109479181.html, consulté le 11 janvier 2023 à 19h45.

65 Ibid.

66 Sow, «La globalisation en Afrique», p.4.

67 Ibid, p.6.

68 Ibid, p. 7.

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inégalitaire qui a pourtant fait reproduire des textes réglementaires pour corriger cette disparité»69. Lors de la présentation du rapport du Tchad (CCPR/C/TCD/2) au Comité de droit de l'Homme des Nations Unies70, les experts de cette institution ont fait remarquer que dans le pays, les lois coutumières sont fondamentalement discriminatoires, surtout en ce qui concerne le mariage et la succession. Par ailleurs, l'État n'arrive pas à interférer dans les domaines ci-dessus cités, alors qu'il en a l'obligation, conformément aux conventions et traités signés.

Fatou Sow révèle cette timidité des pouvoirs publics en matière de planification familiale, dont les femmes subissent les contraintes. Elle cite le scandale causé au Tchad par un documentaire sur l'excision, produit par une journaliste musulmane de la télévision nationale 71 . Cette journaliste a subi des menaces de mort de la part des associations musulmanes locales et n'a bénéficié d'aucun soutien des pouvoirs publics jusqu'à ce qu'une grande mobilisation menée par une campagne internationale ne fasse réagir l'État pour que ce dernier intime enfin l'ordre aux autorités religieuses.

Il faut cependant signaler que malgré le peu d'engouement des autorités publiques à diligenter ce dossier, ce dernier est régulièrement soulevé par des groupes de femmes des églises et de différents secteurs de la vie civile, comme les associations des droits humains et des femmes juristes tchadiennes (AFJT), de même que la Cellule de liaison et d'information des associations féminines du Tchad (CELIAF) qui est un réseau important de femmes. Ces regroupements ne se laissent pas endormir et sensibilisent sur les différentes questions concernant la thématique, font des campagnes de plaidoyer et signent des pétitions qu'elles envoient aux autorités pour continuer à maintenir la pression72 . A cela s'ajoute les difficultés d'élaboration du code et perpétuation des inégalités entre les hommes et les femmes.

69 Ibid, p.9.

70 OHCHR, «Le comité des droits de l'homme examine le rapport du Tchad», 2014, http://www.ohchr.org/FR/NewsEvents/Pages/DisplayNews.aspx?NewsID=14396&La ngID=F, consulté le 22 janvier 2023 à 21h25.

71 Ibid, p.6.

72 M. Abdelkerim, 45 ans, Enseignant-chercheur à l'Université de N'Djamena, N'Djamena, le 10 novembre 2022.

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2- Difficulté d'élaboration du Code et perpétuation des inégalités entre les hommes et les femmes

Le combat pour la mise en place du Code des personnes et de la famille est en réalité une confrontation de deux conceptions du monde73 notamment les conservateurs et les réformateurs. Les premiers cités, partisans du statu quo pensent que les femmes, suite à la dot versée (pour les mariées), font partie du patrimoine du mari et par conséquent de son héritage (en cas de décès de ce dernier). Aussi, en ne conservant pas la situation en l'état par leur volonté de créer un arsenal juridique nouveau en faveur des femmes, les juristes tchadiens seraient devenus des adeptes du néocolonialisme en faisant preuve de déculturation et d'aliénation par rapport aux conceptions et thèses occidentales74.

Pour les tenants de cette vision, il faut évoluer avec les réalités de son milieu, sinon, «on s'expose à voir un profond démembrement social se produire et à voir le système juridique tout entier à jamais compromis''75. Le code tant souhaité n'aurait donc pas un grand nombre de points communs avec la vie réelle des personnes qu'il doit régir. Par contre, les réformateurs pensent que, le Code des personnes et de la famille est absolument indispensable, en ce sens qu'il permet de se défaire des valeurs traditionnelles rétrogrades et anachroniques qui sont de ce fait, mal adaptées au contexte socioéconomique en vigueur dans les communautés tchadiennes et causent un préjudice sérieux aux femmes. Le juriste tchadien Djikoloum Benan observe que le droit tchadien reste très ambigu et fait remarquer l'absence de normes mises en oeuvre pour traduire dans les faits les principes déjà affirmés dans la constitution76.

En effet, s'agissant du droit des personnes et de la famille, l'ordonnance tchadienne portant réforme de l'organisation judiciaire stipule «en cas de silence de la coutume, la loi doit être appliquée''77. Cette disposition montre clairement que la coutume est de manière incontestable, la source principale du droit des personnes et de la famille au Tchad. Une large autonomie est laissée aux coutumes dans un contexte où le droit coutumier est à large spectre.

73 B. Djikoloum, «La condition de la veuve dans le droit positif tchadien des personnes et de la famille'', Revue internationale de droit comparé, no 12, 2002, p. 811.

74 Djikoloum, «La condition de la veuve'', p.813.

75 Ibid, p. 814.

76 Notamment lorsque l'ordonnance ci-dessous citée qui prône l'égalité entre femmes et hommes devant la loi et la garantie de l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes et la protection de leurs droits dans tous les domaines de la vie privée et publique (article 13 et 14 de la constitution 1996 révisée).

77 Article 71 de l'ordonnance du 21 mars 1967 citée par B. Djikoloum, La condition de la veuve dans le droit positif tchadien des personnes et de la famille, Revue internationale de droit comparé, no 12, 2002, pp. 814.

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Ainsi et comme déjà mentionné, il existe plusieurs droits coutumiers notamment un droit coutumier animiste, celui des populations du Sud très christianisées, un droit coutumier musulman, ce qui fait beaucoup de micro sources du droit. Et quand on sait que dans le droit coutumier animiste à lui seul, il y a autant de normes coutumières que d'ethnies, on comprend très aisément la difficile administration du droit d'une manière sereine et l'impossibilité de favoriser la cohésion sociale, la connaissance et l'assimilation du droit par tous les justiciables en général et les femmes en particulier78. Dans un contexte, où la société est patriarcale et très traditionaliste, on imagine la part congrue des espaces de liberté laissés aux femmes.

On peut regretter cette prégnance de la coutume sur le droit moderne, alors que la défense des droits fondamentaux est mieux garantie par la loi écrite (moderne), d'autant que cette situation donne au droit des personnes et de la famille une sorte d'imprécision. On remarquera par ailleurs que, bien que le législateur tchadien ait imposé une certaine limite à la coutume en reconnaissant dans le même article 72 de l'ordonnance précédemment citée que «les coutumes doivent être écartées lorsqu'elles sont contraires à l'ordre public de l'État», une ambiguïté demeure au sujet du contenu de l'``ordre public».

Cette notion de droit constitue une limite à l'exercice par les individus de leurs droits fondamentaux et libertés publiques. Elle est par conséquent une notion floue et controversée, car imprécise et variable dans le temps 79 . C'est donc au juge qu'il revient d'écarter l'application des règles coutumières lorsqu'elles sont incompatibles avec les principes fondamentaux assurant les garanties des personnes. Djikoloum Benan doute de la capacité du juge tchadien à invoquer la notion d'ordre public pour écarter la coutume dans le rendu des décisions de justice pour deux raisons :

- La présence permanente des assesseurs (très traditionalistes) dans toutes les

affaires civiles. (Ces derniers, étant les maitres des coutumes locales influenceront souvent le juge par rapport aux décisions à prendre dans le sens de pérenniser les valeurs locales),

- La persistance des pratiques de corruption et de trafic d'influence au sein de

l'appareil judiciaire et la fragilité matérielle des juges, surtout depuis la baisse de 50% de leurs primes80.

78 Djikoloum, «La condition de la veuve», p. 811.

79 N. Rousseau, «Fiche de droit administratif : l'ordre administratif'', 2012, https://chevaliersdesgrandsarrets.com/2012/04/10/fiche-droit-administratif-ordre- public/, consulté le 12 janvier 2023 à 17h45.

80 Décret pris par les autorités publiques tchadiennes le 15 septembre 2016 pour faire face aux tensions de trésorerie de l'État.

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L'Assemblée parlementaire de la Francophonie, citant le rapport d'examen de Beijing + 20, conclue : «En général, le droit écrit est égalitaire, contrairement au droit coutumier dans ses interprétations dominantes. En droit coutumier, le régime matrimonial, la propriété, les règles de la transmission de la succession sont toujours déterminées selon le sexe et consacrent la prééminence de la masculinité. Cette situation entretient une confusion sur le statut de la femme dans la famille. La femme ne peut, dans ces conditions, ni décider de la maternité (espacement ou limitation des naissances), ni exercer sur une base égalitaire, les mêmes responsabilités que l'homme pendant le mariage ou lors de sa dissolution»81.

Les femmes restent les grandes perdantes de l'absence du Code des personnes et de la famille, parce que le droit applicable au Tchad leur est globalement défavorable, car d'essence coutumière dans une société patriarcale. Il apparait manifestement qu'il manque une réelle volonté politique de la part des autorités gouvernementales de doter le Tchad d'un Code des personnes et de la famille qui soit égalitaire, unique et opposable à tous. En ne le faisant pas, le pays se met en porte-à-faux vis-à-vis des résolutions auxquelles il a souscrit. On conclura à ce niveau que la non implication de l'État dans la validation du texte susmentionné est très dommageable pour les Tchadiennes et que le pays manque ainsi une occasion de s'occuper d'un pan de problèmes qui leur sont spécifiques.

Ayant souligné le code des personnes et de la famille, l'on présente les autres politiques liées aux femmes : la stratégie de lutte contre les violences basées sur le genre au Tchad.

81 C. Guillet, «Le statut matrimonial: mettre fin aux discriminations dans l'espace francophone», 2015, p.23,

https://apf.francophonie.org/IMG/pdf/reseau_- _rapport_sur_le_statut_matrimonial_mme_guittet-
france_.pdf,consulté le 13 janvier 2023 à 18h35.

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III- LES AUTRES POLITIQUES LIEES AUX FEMMES : LA STRATEGIE DE LUTTE CONTRE LES VIOLENCES BASEES SUR LE GENRE AU TCHAD

Grâce à un soutien financier et technique du Fonds des Nations Unies pour la population (UNFPA), une analyse documentaire sur les violences basées sur le genre a pu être réalisée au Tchad82. Cette analyse devait déboucher sur une politique de lutte contre les violences basées sur le genre au Tchad, politique qui reste encore attendue. Les violences persistent dans la plupart des régions du pays et elles sont répandues dans les différentes couches sociales aussi bien dans le domaine public que dans celui privé. Il y a lieu de remarquer que les violences basées sur le genre restent un secteur peu maitrisé par les acteurs concernés par cette problématique à cause d'un certain nombre d'insuffisances :

- Leurs faibles capacités dans le domaine,

- Le manque de coordination dans les actions,

- L'inefficacité du système d'informations au niveau national.

La stratégie en élaboration s'inscrit dans la perspective de procéder à un ancrage réel d'une véritable prise de conscience de la population sur l'existence des violences basées sur le genre, de même que leurs méfaits sur les femmes et leur impact sur le développement du pays. La stratégie nationale a pour objectif de servir de cadre d'intervention de tous les acteurs. Elle doit traduire l'engagement et la volonté politique du Gouvernement d'assurer une coordination efficace de la prévention et de la protection des victimes des violences basées sur le genre. Le cadre normatif envisagé s'appesantit sur deux temps forts :

- L'analyse de la situation des violences basées sur le genre,

- Les orientations stratégiques d'intervention.

1- L'analyse de la situation des violences

La violence, selon l'article premier de la Déclaration sur l'élimination de la violence à l'égard des femmes des Nations Unies s'entend comme Tous actes de violence dirigée contre le sexe féminin et causant ou pouvant causer aux femmes un préjudice ou des souffrances physiques, sexuelles ou psychologiques, y compris la menace de tels actes, la contrainte ou la privation arbitraire de liberté, que ce soit dans la vie publique ou dans la vie privée83. La

82 UNFPA, Analyse documentaire sur les violences basées sur le genre au Tchad, N'Djamena, UNFPA, 2010, p.34.

83 OHCHR, «Déclaration sur l'élimination de la violence à l'égard des femmes», 1993, http://www.ohchr.org/FR/ProfessionalInterest/Pages/ViolenceAgainstWomen.aspx, consulté le 14 janvier 2023 à 22h30.

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violence basée sur le genre est un terme global désignant tout acte préjudiciable commis contre la volonté d'une personne et reposant sur les différences socialement définies entre les femmes et les hommes84.

Cette forme de violence est commise à l'encontre d'une personne en raison de son genre ou de son sexe. La communauté internationale fait très attention à cette importante question qui est du domaine des droits de l'Homme et de la santé publique. Bien que de nombreuses personnes qui subissent les violences basées sur le genre soient des femmes, il faut souligner que cette violence peut aussi être perpétrée à l'encontre des hommes et des garçons. Selon les données de la Banque mondiale, le viol et les violences conjugales représentent un risque plus grand pour les femmes âgées de 15 à 44 ans que le cancer, les accidents de la route, la guerre et le paludisme réunis85. La violence à l'égard des femmes ne se limite ni à une culture, ni à une région, ni même à des groupes spécifiques de femmes dans une société. Les racines de la violence contre les femmes sont plus profondes, elles se retrouvent dans la discrimination persistante à leur égard86.

Les femmes subissent plusieurs types de violences, dont la violence sexuelle, les mutilations génitales féminines, les crimes d'honneur etc. La plus courante des violences subies par les femmes est la violence physique infligée par le partenaire intime. On estime qu'en moyenne une femme sur trois est battue, victime de violences ou maltraitée par un partenaire intime au cours de sa vie. Les États membres des Nations Unies ont adopté plusieurs conventions et résolutions dans le but de protéger les femmes contre toutes les formes de discrimination.

C'est le cas par exemple de la CEDEF. Toutefois, malgré l'engagement des États de prendre des mesures pour adresser ces questions, le constat final est que leur mise en oeuvre n'est pas facile. En effet, au niveau institutionnel, plusieurs pays ne disposent pas de mécanismes et de cadre harmonisé de lutte contre les violences faites aux femmes et aux filles et de plus, ces mécanismes peuvent être détournés87.

Au Tchad, la violence est récurrente, y compris pour les femmes et les filles et se rencontre dans toutes les sphères de la vie. Ces violences sont souvent domestiques (physiques et morales, sexuelles, socioculturelles, des pratiques néfastes et traditionnelles sans

84 Ibid.

85 ONU, «Violence à l'égard des femmes : état des lieux», 2010, p. 22, http://www.un.org/fr/women/endviolence/situation.shtml,consulté le 14 janvier 2023 à 23h10.

86 Ibid.

87 A. Gautier et al, Avec une touche d'équité et de genre... : Les politiques publiques dans les champs de la santé et du développement au Yucatan, Montréal, Presses de l'Université Laval, 2013, p.34.

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oublier les violences économiques). Les violences dans le pays relèvent des us et coutumes et sont tolérées par bon nombre de personnes. Les résultats des enquêtes menées en 2001 et 2008 ont révélé que la plupart de personnes interrogées ont connu les diverses formes de violence88.

On observe une persistance des violences basées sur le genre avec, par exemple, un taux national de mutilations génitales se situant entre 45% et 95% pour les populations réfugiées et déplacées habitant les zones de conflits89. Dans les régions musulmanes comme le Salamat et le Sila, ces mutilations concernent la quasi-totalité des femmes (95%)90. Les pratiques telles que le lévirat et le sororat, ainsi que les cas de meurtre, d'assassinat et surtout d'abandon de famille sont souvent enregistrées. Les violences basées sur le genre vont au-delà des mutilations génitales et se manifestent sous d'autres formes, telles :

- Les violences physiques (sévices corporels, bastonnades, rapt),

- Les violences sexuelles (viol, harcèlement sexuel, prostitution forcée)91,

- Les violences psychologiques (injures, harcèlement moral, privation du droit à

l'éducation ou à la succession).

2- Les orientations stratégiques

L'objectif visé par la stratégie de lutte contre les violences basées sur le genre est de créer et de rendre opérationnels un cadre commun et une plateforme d'interventions concertées pour l'ensemble des intervenants travaillant dans ce même domaine. Les actions transversales à mettre en oeuvre par cette stratégie s'articulent autour des points suivants :

- Le plaidoyer ;

- La sensibilisation ;

- Les formations ;

- La collecte des données.

L'action pour être efficace doit être globale et tous les intervenants ont le devoir de se concerter en vue d'harmoniser les différentes interventions. C'est pour cela que, dans le cadre de la prévention et de la protection contre les violences basées sur le genre, l'accent est mis dans l'amélioration, la compréhension et la connaissance de cette problématique par les

88 AMASSNF, Politique nationale, Rapport d'activité, Avril 2010, p.11.

89 AFD, «La santé des femmes au Tchad, entre urgence et développement», Savoirs communs n°15, 2013, p.15.

90 Ibid.

91 Ibid, p.16.

96

différents acteurs, notamment les politico-administratifs, les leaders religieux et les populations.

Il faudra par ailleurs oeuvrer pour parvenir à une appropriation communautaire du processus de lutte contre ces violences. Aussi, aux différents axes stratégiques devraient correspondre des actions spécifiques complémentaires, chargées de venir à bout des violences faites aux femmes, afin de compléter la batterie de mesures envisagées pour diminuer, voire éliminer les violences basées sur le genre :

- La formation des personnels des institutions judiciaires,

- La mobilisation des moyens et ressources pour une assistance multisectorielle.

Dans ce chapitre, il était question de présenter les politiques liées aux femmes et leur niveau de mise en oeuvre au Tchad. Il ressort qu'en matière de politique ou de stratégie à mettre en oeuvre pour trouver une solution aux inégalités de genre qui causent de nombreuses situations d'injustice dont souffrent les femmes, le Gouvernement du Tchad a ouvert trois grands chantiers qui malheureusement restent non achevés. La politique nationale en matière de genre, le Code des personnes et de la famille et la stratégie de lutte contre les violences basées sur le genre au Tchad restent des documents qui n'ont pas encore été validés. Il est difficile d'expliquer cette situation d'une autre manière que par l'absence de volonté des autorités étatiques. Les us et coutumes en vigueur dans le pays et le poids des mouvements islamiques empêchent l'État de créer des conditions d'égalité entre les différentes composantes de sa population. Le Tchad semble ne pas vouloir se mettre à dos certains mouvements populaires qui disposent d'une capacité de nuisance qu'il ne souhaite pas avoir contre lui. Ce faisant, il préfère laisser la majorité de la population, à savoir les femmes, continuer de subir les injustices multiformes de genre et il se met en position de non-respect des traités et Conventions qu'il a lui-même signés ou ratifiés. Les différentes politiques et stratégies mises en oeuvre par le Gouvernement restent manifestement très insuffisantes et ne sont pas de nature à améliorer la condition des Tchadiennes. S'il est vrai que des actions d'envergure ne peuvent pas être menées en l'absence des financements, force est de constater qu'il manque véritablement une volonté politique pour faire bouger les lignes, à l'exemple du Code des personnes et de la famille qui reste en souffrance depuis des années à cause de la domination masculine. Fort de ce constat, il s'impose donc une politique de quota et la parité : deux stratégies de résolution de la sous-représentation des femmes tchadiennes en politique

CHAPITRE IV : LE QUOTA ET LA PARITE :
DEUX STRATEGIES DE RESOLUTION DE LA
SOUS-REPRESENTATION DES FEMMES
TCHADIENNES EN POLITIQUE

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98

Le fait qu'il ait un bon pourcentage des femmes participant à la politique dans un pays ne signifie pas que l'égalité dans les faites soit réalisée1. La revendication de la parité peut réveiller ici ou la proposition d'instaurer des quotas pour accélérer l'entrée des femmes dans la vie politique2. De ce fait, le «cadrage» dominant fournit à cette question dans le débat public, s'est focalisé sur une approche quantitative du problème, et l'affirmation du besoin d'accroitre le nombre de femme tchadienne au sein des organes représentatifs et exécutifs. Cependant, les discours sur cette question sont fortement polarisés par les partis politiques en présence3. Ces discours centrés sur la mise en oeuvre de quotas comme une possible solution à la sous-représentation des femmes, les débats n'ont guère ménagé d'espace à des approches plus structurelles de l'inégalité de genre en politique4. Le présent chapitre qui clôture ce travail, s'attèle à démontrer la politique du quota et de la parité : deux issues pour l'augmentation du nombre des femmes tchadiennes à des postes de responsabilités politiques. Dans ce chapitre, l'on montre d'abord la politique du quota et ensuite, la politique de la parité dans les fonctions nominative et élective : un souhait à réaliser et enfin, les autres processus d'implication de la femme tchadienne en politique.

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