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L'identité en débat - Représentations et idéologies dans les discours sur l'immigration au sein de l'espace public

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par Jean-Marie GIRIER
Université Lyon II - Université Lyon III - ENS-Lsh Lyon - Master 2 recherche en Sciences de l'information et de la communication 2007
  

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Les interruptions en séance : des fragments signifiants de vérités singulières.

A partir d'une telle division, nous souhaitons comprendre comment s'applique ce mécanisme de division et jusqu'où cet imaginaire se met en oeuvre dans le cours du débat. A travers le prisme des interventions à l'Assemblée nationale, nous pensons pouvoir constater l'émergence d'une parcelle de l'inconscient des députés sur cette question. Pour parvenir à notre analyse, nous avons sélectionné un ensemble d'interruptions durant les discours. Selon Francesca Cabassino48(*), ces interruptions relèvent d'un « rituel protestataire » institutionnalisé, mais nous postulons que l'essence spontanée de cette pratique de communication non légitime permet de déceler dans des vitupérations des formules offrant une vision uniforme et très péjorative de l'immigré. Souvent ironique, parfois humoristique, nous pensons trouver dans ce que Cabasino nomme une « théâtralisation de l'indignation » les signifiants d'un mouvement argumentatif. Parmi ceux-ci, il y a ce que l'on nomme communément des lapsus révélateurs, des transgressions du « surmoi » qui nous permettrons de voir comment les députés projettent dans le débat un imaginaire, un fantasme de l'immigré.

A partir de l'ensemble de réactions que nous avons sélectionné, il est possible de construire deux catégories d'interruptions sur le thème de l'immigration. La première, dans un processus de désignation de l'Autre, tend à mettre en avant la valeur exogène de l'immigration en ramenant systématiquement la discussion sur des exemples liés au Maghreb ou à l'Afrique. Il est intéressant de constater que ce processus fonctionne pour les députés de toute appartenance politique. Ainsi lorsque le ministre de l'Intérieur évoque la venue d'informaticiens indiens, Patrick Braouezec demande « Et pourquoi ne recrutez-vous pas des ingénieurs sénégalais ? ». Ce type d'interrogation pourrait paraître anodin, mais sa fréquence témoigne de cette vision unique des migrations. Il est encore plus frappant de voir combien la connaissance d'un pays d'Afrique s'articule dans l'énonciation politique comme une forme de légitimation :

« - M. Jérôme Lambert. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme la semaine dernière en commission des lois, je tiens à rappeler que je fais partie des nombreux Français, et d'un certain nombre de collègues parlementaires, qui ont choisi de se marier avec une personne d'origine étrangère, puisque j'ai épousé une Algérienne. (« Et alors ? » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

- M. Pierre-Louis Fagniez. Ce n'est pas une MST ! »

- M. Jérôme Lambert. Par ailleurs, j'ai été le président du groupe d'amitié France-Algérie, présidé maintenant par Bernard Derosier et dont je suis désormais le vice-président.

- Mme Nadine Morano. Et moi, je suis la vice-présidente du groupe d'amitié avec le Tchad !

- M. Jérôme Lambert. C'est dire que je continue à m'occuper au quotidien de problèmes généraux concernant l'immigration ».

Le socialiste Jérôme Lambert, au titre d'une attention particulière pour certains pays d'Afrique, réduit la question générale de l'immigration à une connaissance particulière. Cette réduction, procédé employé par une grande partie des députés, conduit à assigner une identité politique spécifique sur un phénomène dont la complexité technique requerrait davantage de prise de distance.

La seconde catégorie d'interruptions est beaucoup plus riche, et aussi plus intéressante. Composée uniquement d'interventions de députés de la majorité, elle trace les contours d'un fantasme autour de l'immigration dans lequel s'accumulent un ensemble de représentations négatives. Tout d'abord, on retrouve les conclusions des travaux de Simone Bonnafous lorsque les élus UMP évoquent le « problème de l'immigration ». Ainsi, Claude Goasguen (UMP) interpelle l'opposition en lançant : « Le problème de l'immigration ne vous intéresse pas, en définitive ! ». Ensuite, la valeur négative du « problème » de l'immigration est articulée avec un espace réel, celui de l'aire de vie, de la zone urbaine :

« - M. Bernard Roman (PS). Non, votre intention est ailleurs. Il s'agit pour vous de faire une nouvelle offre électorale aux électeurs d'extrême droite sous forme de restrictions sans précédent du droit au regroupement familial et du droit d'asile des étrangers.

- M. Éric Raoult (UMP). Allez vivre à Clichy, vous verrez ! »

« M. Jean-Christophe Lagarde (UDF). La mise en place du contrat d'accueil et d'intégration suppose un énorme effort dans ce domaine, avec des enseignants formés en français langue étrangère.... Imaginez le nombre de postes nécessaires pour le seul département de la Seine-Saint-Denis ! »

Les interruptions nous permettent ici de distinguer visiblement une projection subite d'un inconscient dans l'espace public. La rhétorique de ces interventions consiste à opposer à l'orateur la représentation d'un vécu « réel » de l'immigration. Cette stratégie repose en fait sur l'assignation symbolique d'un rôle nuisible à l'immigré.

Signalons que Eric Raoult (UMP) comme Jean-Christophe Lagarde (UDF) citent des zones urbaines dont ils sont les édiles. Ce rapport entre immigration et ville nous rappelle certains travaux de l'Ecole de Chicago dont les recherches du début du siècle dernier ont porté sur une description de l'évolution de la communauté immigrée dans l'espace urbain. Dans les années 1920, Robert Park a appréhendé l'espace urbain comme la projection des logiques sociales, « lieu expérimental, effet d'agrandissement et de concentration de ces processus, l'histoire naturelle des villes est pour lui le lieu où le processus de compétition, d'accommodation, de conflit, de distance, etc. se visualise49(*) ». Gérard Noiriel a analysé la concentration spatiale des immigrants en rejetant un discours communautariste, et en montrant que les causes sont à rechercher dans les conditions de vie. En effet, les immigrés font partie de la fraction la plus pauvre du prolétariat et vivent donc dans des logements à loyers bas. Les députés, dans l'exemple que nous venons de présenter, ont inversé le raisonnement en attribuant les difficultés d'un territoire urbain particulier à l'immigration en général, et non pas aux conditions de vie.

Enfin, on trouve dans cette catégorie d'interventions fantasmatiques des propos durs révélant une idéologie parfois xénophobe et anti-immigration. Ces interruptions ne sont pas maîtrisées par les groupes politiques, mais les applaudissements qui les accompagnent révèlent que la vision mise en avant fait l'unanimité. Certaines formulations composées à partir de la troisième personne du pluriel procèdent, à travers une globalisation, à l'abandon de la moindre distinction identitaire, ne serait-ce que « immigré » ou « étranger ». Ainsi Eric Raoult (UMP) lance : « Ils votent pour nous, pas pour vous ! », ou encore René Couanau (UMP) s'exclame : « Avec vous, ils seraient des milliers ». Dans un autre mode, d'autres députés dévoilent une vision extrême de l'autre :

« - Muguette Jacquaint (PCF). M. le ministre de l'Intérieur reprend un slogan véhiculé par l'extrême droite : « La France, aimez-la ou quittez-la ». Or précisément, ces étrangers aiment la France.

- M. Jérôme Rivière (UMP). Non, ils aiment son système social. »

« - M. Jérôme Rivière (UMP). Il n'est pas question ici de régularisation, mais de l'obtention de la première carte de résident. La nuance est importante.

- M. Jacques Myard (UMP). Eh oui ! Les sans-papiers n'ont rien à faire ici ! »

Dans ces quelques lignes sur le surgissement de l'inconscient dans les interruptions au coeur de l'Assemblée nationale, nous venons donc de montrer que se produit la communication d'un malaise lié à l'identité qui prend pour appui un imaginaire négatif.

* 48 CABASINO, Francesca, Formes et enjeux du débat public, discours parlementaire et immigration, 2001.

* 49 BASTENIER, Robert et DASSETTO, Felice, Immigration et espace public : la controverse de l'intégration, 1993.

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"Là où il n'y a pas d'espoir, nous devons l'inventer"   Albert Camus