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L'identité en débat - Représentations et idéologies dans les discours sur l'immigration au sein de l'espace public

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par Jean-Marie GIRIER
Université Lyon II - Université Lyon III - ENS-Lsh Lyon - Master 2 recherche en Sciences de l'information et de la communication 2007
  

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II. Une vision coloniale de l'immigré

Nous allons désormais nous attacher à interpréter ce qui fonde les représentations de l'immigration. Cela va nous mener à replacer le débat dans une temporalité longue car le processus de construction des représentations s'assimile à une lente sédimentation qui cache peu à peu ses fondements. On peut avancer qu'une analyse fine de notre corpus ne nous permettrait en aucun cas de comprendre le mécanisme des représentations de l'immigration, si ce n'est d'en constater la mutation à un moment précis dans l'échelle du temps. Nous mettrons tout d'abord ses représentations à l'épreuve de notre histoire coloniale, puis nous détaillerons le rôle fondamental du stéréotype. Enfin, nous élargirons notre analyse au champ esthétique en étudiant diverses représentations iconiques.

Les refoulés de la colonisation

Dans leur travail sur l'immigration dans l'espace public, Bastenier et Dassetto rappellent l'importance de la composante temporelle du phénomène migratoire. Ils soulignent que le temps est une dimension implicite des phénomènes sociaux, repoussant les analyses qui « photographient » l'instant hors de toute compréhension correcte. Par exemple, Le Moigne et Lebon soulignent l'importance du temps dans la compréhension de l'incidence de la structure démographique de l'immigration sur les équilibres financiers de la protection sociale. Ainsi « si aujourd'hui, du fait du regroupement familial et du nombre élevé d'enfants, le bilan en est négatif, l'immigration de main-d'oeuvre s'est soldée dans la passé par une contribution financière positive qu'expliqueraient sa répartition par groupe d'âge et par sexe, ainsi que son taux d'activité élevé50(*) ». Ce cas symbolise bien les résultats de la prise en compte d'un temps long, c'est pourquoi le traitement de toute thématique sociale impose une perspective large afin de ne pas omettre des éléments fondamentaux pour l'analyse.

La composante temporelle doit aussi être placée du côté du psychisme. Dans son étude sur la délinquance des « jeunes issus de l'immigration », le sociologue et historien Laurent Mucchielli évoque « le poids d'un racisme refoulé sur les populations issues des anciennes colonies51(*) ». Ce rappel au processus dynamique développé par Freud permet de faire le lien entre historicité et inconscient. Le refoulement, rattaché à la partie inconsciente du moi, détourne des souvenirs susceptibles de provoquer une « décharge de déplaisir52(*) ».

Même si elle n'est que très rarement désignée comme telle, par une certaine prise de distance avec la psychanalyse, cette notion de refoulé et d'éléments latents dans l'inconscient transparaît dans beaucoup de recherches. C'est ainsi que Guénif-Souilamas avance que les effets de la colonisation continuent d'être opératoires sur les migrants et leurs descendants, elle décrit ainsi à sa manière un reniement de leurs origines par certains immigrés pour intégrer une nouvelle société de cour53(*).

Ce qui est en jeu dans le débat de 2006, c'est donc la mémoire, dès lors qu'elle apparaît comme la médiation entre des histoires de vie singulières et l'histoire d'une nation. Cette mémoire est celle d'une période proche, celle de la décolonisation mais aussi de cinq cents ans de colonisation. On assiste dans le débat à la reformulation des représentations coloniales issues de cette mémoire au service d'intérêts contemporains. L'État français s'est installé à travers les siècles sur tous les continents, il a diffusé une culture d'Etat contrebalancée localement par un « art de détourner » qui a engendré une nouvelle culture. A présent, cette colonisation est réinvestie sous la forme d'une analogie avec l'immigration54(*). Les députés le soulignent d'ailleurs à propos du durcissement de la législation pour les ressortissants de pays liés à notre histoire coloniale où l'on peut assister à une stratégie d'appropriation de ce moment de l'histoire

« - M. Serge Blisko (PS). En adoptant cette disposition, vous allez nous priver de ces communautés certes limitées sur le plan numérique, mais très importantes sur le plan symbolique,...

- Mme Muriel Marland-Militello (UMP). C'est bon, je crois que nous avons compris !

- M. Serge Blisko (PS). ...dont l'attachement à la France trouve ses racines dans l'histoire de notre pays, notamment la longue période coloniale qu'il a connue.

- M. Christian Vanneste (UMP). C'est l'un des aspects positifs de la colonisation ! (Sourires sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) »

Pour les Français comme pour les immigrés, la colonisation et les difficiles décolonisations, en particulier celle d'Algérie, semblent avoir marqué la mémoire collective et se répercutent au fil des générations à travers le langage55(*). La mémoire est une parole qui prend forme dans des récits, porteurs d'un imaginaire, qui aujourd'hui diffusent et rejouent cette mémoire. La mémoire permet aussi de fonder le politique dans la mesure où les acteurs sont porteurs d'une culture que l'on retrouve dans le réel des pratiques. Dans son travail sur l'oubli colonial, Myriam Cottias remet en cause « la grande famille nationale » prônée par Renan. Elle considère que l'effet de cette prescription a été « d'enraciner l'oubli de l'esclavage dans le métarécit national en ignorant l'expérience du passé esclavagiste56(*) » de l'époque. L'absence de mémoire renvoie vers l'inconscient un imaginaire dramatique fondé sur une parole mythique. Une croyance se construit sur une absence de repères et sur un manque de connaissances. Le temps long procède alors à une mutation silencieuse dans l'évolution des représentations. Plus proche de nous, à propos de la guerre d'Algérie, Yvan Gastaut évoque « un tabou », une « mémoire éclatée », un conflit fondateur de certaines représentations de l'immigré qui restera symboliquement très présent57(*). Entre le racisme d'un État colonial, le déchirement des harkis et une immigration algérienne que la France découvrait, la guerre d'Algérie a marqué les comportements d'aujourd'hui. Plus récemment, le colonialisme a été réinvesti à propos de son rôle dans la pratique de l'esclavage.

* 50 LE MOIGNE, Guy et LEBON, André, L'immigration en France, 4ème édition, 1999, p 81.

* 51 MUCCHIELLI, Laurent, « Immigration et délinquance : fantasmes et réalités », dans Guénif-Souilamas, Nacira (dir.), La République mise à nu par son immigration, 2006, p 49.

* 52 FREUD, Sigmund, cité par ROUDINESCO, Elisabeth et PLON, Michel, Dictionnaire de la psychanalyse, 1997, p 884.

* 53 GUÉNIF-SOUILAMAS, Nacira , « La république aristocratique et la nouvelle société de Cour », dans GUÉNIF-SOUILAMAS, Nacira (dir.), La République mise à nu par son immigration, 2006, p 9-26.

* 54 BANCEL, Nicolas et BLANCHARD, Pascal, De l'indigène à l'immigré, 1998.

* 55 BANCEL, Nicolas et BLANCHARD, Pascal, Culture post-coloniale 1961-2006, Traces et mémoires coloniales en France, 2006.

* 56 COTTIAS, Myriam, « Et si l'esclavage colonial faisait Histoire nationale ? », Association lacanienne internationale, 2005.

* 57 GASTAUT, Yvan, L'immigration et l'opinion en France sous la Ve République, 2000, chapitre 1, p 17-35.

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