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L'identité en débat - Représentations et idéologies dans les discours sur l'immigration au sein de l'espace public

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par Jean-Marie GIRIER
Université Lyon II - Université Lyon III - ENS-Lsh Lyon - Master 2 recherche en Sciences de l'information et de la communication 2007
  

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Représentations, stéréotypes et langage

Afin de comprendre la structure et les logiques de la confrontation dans le débat public, il nous est nécessaire de passer par le langage. La communication politique mobilise le symbolique lorsqu'elle diffuse des signifiants dans un espace public et qu'elle échange des représentations.

Dans son ouvrage de référence L'immigration prise aux mots, Simone Bonnafous invite à réfléchir sur le pouvoir politique et social du discours58(*). A travers un corpus très large de la presse écrite politique, de Militant à Lutte ouvrière en passant par le Figaro et Le Nouvel Observateur, la linguiste démontre une modification des approches du thème de l'immigration dans le temps. Au cours des années 1980, la médiatisation de l'immigration l'a fait passer de la rubrique « fait divers » de la presse régional à la rubrique « société » de la presse nationale. Banalisation des écritures, confusion générale, ces années sont synonyme d'une relative homogénéisation du comportement de la presse politique au profit des thèses de l'extrême droite. Les grands évènements médiatiques des années 1980 (marche des Beurs, rodéos des Minguettes...) ont imposé des référents communs à l'ensemble des médias, alors que des thématiques communes comme l'insécurité urbaine venaient s'agréger au traitement médiatique de ce fait social. Battegay et Boubeker apportent au travail de Bonnafous une conclusion enrichissante, qui rejoint la question des représentations :

« Cette visibilité de l'immigration dans la presse française a familiarisé les lecteurs ou les téléspectateurs avec des situations ou des populations qui auparavant étaient négligées des regards publics. Mais cette visibilité ne se confond pas avec une quelconque transparence. Les projecteurs de l'actualité, lorsqu'ils se sont dirigés sur l'immigration, ont en même temps figé des attitudes et des comportements, transformé en moments de représentation publique des scènes de la vie quotidienne, modifié des cours d'action59(*) ».

Pour ces anthropologues, le travail des médias peut être interprété comme un « symptôme », comme le révélateur de la construction en cours de nouveaux référents. Les évènements médiatiques touchant au thème de l'immigration depuis la fin de la seconde guerre mondiale sont devenus « des sortes de références obligées dans la mise en récits d'évènements ultérieurs ». Dans son analyse très fine de l'opinion sous la Ve République, Gastaut présente trois moments constitutifs de la naissance d'une prise de conscience60(*). Porteurs d'une charge émotionnelle forte, ces évènements touchent la mémoire collective liée à l'Algérie, le choc de l'ignorance, et le rapport à la mort. En octobre 1961, la police lyncha et assassina des Algériens en plein coeur de la capitale. Ces « ratonnades » réinvestirent la plaie encore ouverte de la question algérienne. En mai 1968, les immigrés solidaires de grévistes dénoncèrent leurs conditions de vie, projetant au regard jusque-là ignorant des français la réalité de l'immigration. Enfin, un fait divers tragique d'asphyxie dans un foyer d'immigrés africains à Aubervilliers, similaire à celui qui précéda le débat en 2006, imposa à tous le premier véritable débat sur l'immigration. Dans les années 1990, Battegay et Boubeker ont effectué le même travail en faisant émerger trois grands moments : la suspicion sur l'opinion arabo-musulmane de France pendant la Guerre du Golfe, la mode « Beur » (de la marche des Beurs à SOS Racisme), et la montée en affaire de la mosquée de Lyon.

On peut remarquer que les analyses de Battegay et Boubeker, dont les images de l'immigration sont l'objet, traitent uniquement de faits relatifs à l'immigration arabo-musulmane. C'est parce qu'il existe dans le temps un glissement des représentations d' « étranger » à « immigré maghrébin ». Cela est précisément démontré et démonté dans l'étude de Yvan Gastaut sur l'appréciation des étrangers selon leur origine par les Français. Les résultats sont édifiants : les Français appréhendent les immigrés en fonction de leur appartenance ethnique et de leur provenance. Les représentations fonctionnent donc selon une « catégorisation simpliste », dans une vision stéréotypée. Ainsi les immigrés Kabyles, Turques ou Djerbiens seront perçus comme Maghrébins, Chinois ou Vietnamiens comme Asiatiques, Italiens et Espagnols comme Européens blancs, Sénégalais et Rwandais comme des Noirs.

De son côté, Bonnafous a relevé un glissement sémantique d' « étranger » à « immigré ». Pour ce dernier, elle rappelle que ce terme banal et courant est aussi le plus « collant ». En effet, il est « difficile en France de se débarrasser de cette étiquette qui vous marque définitivement du sceau de l'extranéité en fonction d'un critère qui semble être celui de la peau, du faciès et de la condition sociale beaucoup plus que de l'origine réelle61(*) ». En mettant à l'épreuve de cette analyse notre corpus, il apparaît que ce glissement ne se produit pas, même dans les interventions du Front national. Nous pensons que ce glissement n'était que conjoncturel, et que les connotations négatives portées par le vocable « immigré » ont permis un retour sur le terme « étranger ». Par contre, le temps de notre débat nous permet de rejoindre Gastaut lorsqu'il ajoute que l'opinion française a opéré un amalgame entre « immigré » et « Algérien » selon l'équation « étranger=immigré=arabe=Maghrébin ou Nord-Africain=Algérien ». Si bien qu'en novembre 1984, Le Nouvel Observateur titra en une : « Immigrés, vous voulez dire Arabes ! ». Depuis, bien ancrées dès les années 1980, les représentations de l'immigré comme maghrébin restent extrêmement présentes, confirmant le réinvestissement de la mémoire de la guerre d'Algérie.

La présentation du travail de Amossy et Herschberg Pierrot62(*) sur le stéréotype va nous permettre de développer nos propos précédents et de prolonger notre propos vers le thème des représentations sociales. Le terme « stéréotype » désigne « les images dans notre tête qui médiatisent notre rapport au réel ». Il s'agit des représentations préconçues, préexistantes, qui médiatisent un rapport à la cause, au réel. En outre, la composante temporelle est ici essentielle afin de placer ce processus évolutif dans un temps long, car c'est là que se produit une mutation silencieuse des représentations dont l'effet sera visible au fil des générations. Ainsi, les représentations de l' « Arabe » se sont sédimentées dans le temps tout en se maintenant dans l'univers symbolique, et sont réapparues au moment de la guerre d'Algérie, évènement qui a alors entraîné une nouvelle évolution de ces représentations. Il nous semble important à partir de cela de retenir que nos perceptions sont déjà modelées par ces images collectives, ainsi ce que l'on sait conditionne ce que l'on voit.

Dans cette visée, il est souligné l'importance des représentations collectives dans la cohésion du groupe. L'exemple du stéréotype le place clairement dans cette optique collective car il permet la reconnaissance et l'échange symbolique au sein d'une communauté. Au final, la psychologie sociale constitue une tentative d'aborder l'identité d'un individu dans une articulation entre son individualité et son appartenance au groupe. Pour Jodelet, « comme le stéréotype, la représentation sociale met en rapport la vision d'un objet donné avec l'appartenance socioculturelle du sujet. Comme lui, elle relève d'un « savoir de sens commun » entendu comme connaissance « spontanée », « naïve », ou comme pensée naturelle par opposition à la pensée scientifique63(*) ». Jodelet évoque sans la nommer une perspective structuraliste, où ce savoir de sens commun, ce qui est partagé, s'incarne dans le noyau central des éléments de la représentation. Cela permet de prendre quelque peu de recul par rapport à une surdétermination holiste des représentations de l'individu par celles du groupe. Ensuite, il faut revenir sur le terme « naturel », qui rappelle la naturalisation qui est pour Moscovici un temps majeur du processus des représentations, car c'est cette naturalisation qui permet d'inscrire la représentation dans une certaine historicité.

Alors que les stéréotypes sont parfois assimilés à un processus entièrement péjoratif entraînant la négation de l'altérité, comme dans le cas du « mauvais immigré arabe », Adorno, dans une perspective psychodynamique, revient sur la dialectique singulier-collectif en considérant que « la source des représentations hostiles de l'Autre serait à rechercher dans un dynamisme psychique, dans la structure profonde de la personnalité, plus que dans les contraintes intrinsèques à la vie sociale64(*) ». Cette proposition nous conduit à effectuer deux remarques. Tout d'abord, cela nous rappelle le concept de l'altérité en tant que relation intersubjective dont nous avons précédemment parlé. Ensuite, nous abordons la difficulté pour certaines disciplines de prendre en compte le collectif. Ainsi, dans son ouvrage, Rouquette souligne par exemple qu'il est difficile pour les psychologues d'accepter la notion de représentation collective65(*). Puisqu'il n'existe qu'une activité mentale individuelle, et comme les représentations sont des activités mentales, l'aspect collectif apparaît irrecevable. Ce syllogisme simpliste que présente Rouquette est révélateur, et il en va de même pour la psychanalyse qui ne peut adhérer au propos concernant l'inconscient collectif, laissant l'adjectif « collectif » aux représentations. L'inconscient relève du singulier, donc les représentations relèvent d'une médiation entre un sujet et un destinateur qui partagent une référence collective.

Pour présenter cette co-construction d'une référence collective, reprenons les travaux de Gastaut et du raccourci « immigré = maghrébin ». Dans son chapitre sur les images stéréotypées, il apporte une explication à cette équation, qui pourrait presque apparaître comme une condensation. Les Français, dans les études sur la considération des nationalités, effectuent un classement du positif pour les Européens, puis les Asiatiques, jusqu'au négatif pour les Noirs puis les Maghrébins. L'auteur démontre de fort belle manière combien ce classement repose sur des visions stéréotypées. Outre leurs traits physiques peu distincts de la population locale, Portugais et Espagnols jouissent de l'image de rudes travailleurs, et de solides bâtisseurs. Les stéréotypes concernant les « Noirs » apparaissent contradictoires, balançant entre les restes d'un exotisme primitiviste et d'un paternalisme colonial, et une image négative de l'esclave nègre pauvre à rejeter. Enfin, l' « Arabe » subit les représentations construites depuis des siècles par les Occidentaux. L'image de l'Arabe colonisé, pacifique et travailleur ternie par les ressentiments de la guerre d'Algérie, il reste celle de l'Arabe fanatique, prêt à mourir pour ses idées. De plus, notre corpus nous indique que ces images ont relativement peu changées. L'énonciation journalistique est sur ce point un des principaux facteurs. Ainsi, le journalisme télévisé renforce la représentation de l'immigré comme un individu « sub-saharien » auquel il a ajouté le stéréotype de « l'immigré des cités ». Cette perception est partagée également sur les bancs de l'hémicycle, sur lesquels on a également assisté durant ce débat à un étrange dialogue sur « le laveur de carreaux », nouveau stéréotype du travailleur étranger.

On vient de le montrer, les éléments de la représentation sont repérables par « leurs étiquettes verbales telles qu'elles apparaissent dans le discours spontané ou provoqué des individus66(*) » ; sans se réduire à une expression particulière, on trouve ici un lien entre le signifiant et la référence collective, permettant la réalisation d'une sociabilité dans l'espace public. Les recherches le prouvent, dans la plupart des travaux sur les représentations, il s'agit d'enquêtes quantitatives sur la perception de mots-clés. Ainsi Gastaut a travaillé à partir de sondages, Lacassagne a confronté deux groupes de cinquante étudiants à des substantifs... Les représentations sont symboliques, résultat d'une symbolisation qui ne peut s'effectuer qu'à travers le langage. Alors que l'imaginaire, et même le réel sont individuels, le symbolique, par le partage d'un langage appris, est commun à tout ceux qui le parle.

* 58 BONNAFOUS, Simone, L'immigration prise aux mots, 1991.

* 59 BATTEGAY, Alain, BOUBEKER, Ahmed, Les images publiques de l'immigration, Média, actualité, immigration dans la France des années 1980, 1993, p 9.

* 60 GASTAUT, Yvan, L'immigration et l'opinion en France sous la Ve République, 2000, section 1 : « Evènements fondateurs des mentalités », p 16-66.

* 61 BONNAFOUS, Simone, « Mots et paroles de l'immigration », Revue française des affaires sociales, décembre 1992, p 5-15.

* 62 AMOSSY, Ruth, HERSCHBERG PIERROT, Anne, Stéréotypes et clichés, langue, discours, société, 1997.

* 63 Ibid, cité p 50.

* 64 Idid, cité p 40.

* 65 ROUQUETTE, Michel-Louis, La chasse à l'immigré : Violence, mémoire et représentations, Pierre Mardaga éditeur, 1997, p 133.

* 66 Ibid, p 130.

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"Il faudrait pour le bonheur des états que les philosophes fussent roi ou que les rois fussent philosophes"   Platon