Paragraphe 1. Les éléments du
modèle européen
Le modèle européen735, inspiré
par Hans Kelsen736, est principalement caractérisé par
la concentration du contentieux constitutionnel (A) et le caractère
direct du contrôle (B).
A. La concentration du contentieux constitutionnel
La concentration est un principe de la justice constitutionnelle
à Maurice (a). Elle obéit aussi à une particularité
(b).
a. La similitude entre le système mauricien et le
modèle européen
Le système concentré ou centralisé de
contrôle signifie qu?un seul organe étatique est autorisé
à exercer les pouvoirs d?un juge constitutionnel. En ce sens, selon le
modèle autrichien, une seule juridiction, souvent spéciale et en
dehors de la hiérarchie des tribunaux, est dotée du pouvoir de
contrôler la constitutionnalité de la Loi. Le contentieux
constitutionnel se distingue nettement du contentieux de droit commun. Ce
monopole permet d?assurer un
734 Le contrôle des Lois est prévu par plusieurs
articles de la Constitution de Maurice. V. les articles 2, 17, 45-1, 81-1-a et
c, 83, 84, et 119.
735 FAVOREU Louis, cité note 391.
736 KELSEN Hans, cité note 448.
équilibre entre le principe de la séparation des
pouvoirs qui nécessairement récuse toute immixtion du juge dans
le pouvoir législatif, et la théorie de l?ordre juridique
hiérarchisé qui fonde le constitutionnalisme, plus exactement, le
contrôle de constitutionnalité737.
Ce modèle européen n?a pas été en
soi introduit à l?île Maurice. L?idée d?instaurer un
Conseil Constitutionnel doté d?un pouvoir suspensif des Lois a
été écartée par Stanley A. De Smith. Mais une
solution assez proche de la finalité d?une juridiction
spécialisée a été retenue. Le contentieux
constitutionnel est du ressort exclusif de la Cour Suprême locale dans la
hiérarchie des juridictions strictement mauriciennes. Elle peut exercer
ce pouvoir selon deux procédures. Elle peut être saisie
directement par les justiciables aux fins d?examiner une Loi de manière
objective738 et, sur renvoi, par une juridiction inférieure
d?une question constitutionnelle préjudicielle739. La
contestation de la régularité d?une Loi étant un litige
important et grave, le constituant a voulu habiliter les seuls hauts magistrats
à trancher les litiges y relatifs. Les juges inférieurs doivent
renvoyer toute question d?interprétation d?une norme constitutionnelle
à la Cour Suprême.
b. Les atténuations
La comparaison avec le modèle européen
mérite d?être tempérée. La concentration du
contentieux au profit de la seule Cour Suprême n?est pas absolue et est
assortie d?une limite essentielle. Comme dans toutes les autres
matières, la Cour Suprême est en contentieux constitutionnel
soumise au contrôle du Comité Judiciaire740. Celui-ci
peut statuer en cassation sur toute interprétation des normes
constitutionnelles par la Cour Suprême741. Le
contrôle
737 «Le système de contrôle
centralisé correspond à une manière différente de
concevoir la séparation des pouvoirs... Aux yeux de Montesquieu et de
Rousseau... toute interprétation des Lois par des juges... constituait
en conséquence un empiétement sur le pouvoir exclusif qu?avait le
législateur de créer le droit. Aujourd?hui encore, même
s?il a été reconnu souhaitable d?instituer un certain
contrôle sur la constitutionnalité des Lois, on continue à
voir dans ce contrôle une fonction de caractère essentiellement
politique», CAPPELLETTI Mauro: «Le pouvoir des juges»,
Economica, 1990, 397 p., v. p. 201.
738 Article 81-1-2 CM.
739 L?article 84-1 CM dispose que: «Lorsqu?une question
concernant l?interprétation de la Constitution est soulevée
devant une cour de justice de Maurice... et que la cour estime que la question
touche un point de droit important, la Cour Suprême renvoie cette
question à la Cour Suprême».
740 La Cour Suprême peut agir comme une juridiction de
première instance. V. CSM: 10 octobre 1972, Virahsawmy c/ The
Commissioner of Police, MR, 1972, pp. 255 à 260, le Chef-Juge Sir
Latour-Adrien rédacteur de l'arrêt.
741 L?article 81-1-a CM dispose qu?un «pourvoi contre les
décisions de la Cour d?Appel ou de la Cour Suprême devant le
Comité Judiciaire existe de plein droit... à l?encontre des
décisions définitives dans toute procédure civile ou
pénale sur des questions d?interprétation de la
Constitution».
constitutionnel peut s?exercer en deux temps et par deux
juridictions de hiérarchie différente, ce qui constitue une sorte
de contrôle à double détente.
Aussi, cette particularité mauricienne crée un
effet contraire à l?objectif même du système
centralisé de contrôle juridictionnel de la Loi. Le système
concentré a pour mérite d?assurer une certaine
sécurité juridique des normes législatives par opposition
au système diffus qui laisse planer le doute sur la
constitutionnalité des Lois tant que la juridiction suprême ne
s?est pas prononcée. Dans le système centralisé, une seule
juridiction statue et clarifie la situation. Sa décision a une valeur
absolue et l?unité jurisprudentielle est maintenue à son
comble742. Or, le duopole mauricien peut créer l?exacte
situation inverse. La Cour Suprême locale peut déclarer
inconstitutionnelle une Loi, qui par voie de conséquence est
écartée, voire disparaît de l?ordre juridique, et les juges
de la Downing Street peuvent redonner vie à la Loi
déclarée non conforme743. Ce système de double
contrôle peut appeler des réserves du fait du risque de
l?instabilité juridique qu?il comporte mais demeure néanmoins
nécessaire à l?unification de la jurisprudence
constitutionnelle.
La deuxième caractéristique du modèle
européen, le contrôle direct, à la différence du
premier, ne souffre d?aucune exception en droit mauricien.
B. Le contrôle direct
Le contrôle direct de la Loi ou la voie d?action
(direct control of legislative action) est nécessairement une
caractéristique du modèle européen, notamment
français, dans la mesure où cette modalité du
contrôle est inexistante dans le modèle américain. Il
convient d?analyser la voie d?action telle qu?elle s?est
développée à Maurice (a) et les règles de
procédure de sa mise en oeuvre (b) afin d?apprécier son
efficacité.
a. La voie d'action
742 ROUSSEAU Dominique, cité note 27, v. p. 23.
743 CJCP: 23 juillet 1992, The Governement of Mauritius c/
Union Flacq Sugar Estates Company Ltd., WLR, 1992, vol. 1, pp. 903 à
912, affaire de Maurice, Lord Templeman rédacteur de l'arrêt. La
Cour Suprême avait sanctionné une Loi portant sur la direction des
sociétés commerciales pour violation du droit constitutionnel de
propriété. Mais le Comité Judiciaire, en cassation, a
renversé la décision de la Cour locale et considéré
la Loi constitutionnelle.
V. également CJCP: 26 mars 1984, Attorney-General c/
Momoudou Jobe, WLR, 1984, vol. 3, pp. 174 à 185, affaire de la Gambie,
Lord Diplock rédacteur de l'arrêt. La Cour Suprême de la
Gambie avait déclaré une Loi conforme à la Constitution.
La Cour d?Appel avait infirmé la décision des premiers juges. En
cassation, le Comité Judiciaire avait déclaré la Loi
partiellement conforme.
La voie d?action est conçue à Maurice comme le
moyen principal du déclenchement du procès constitutionnel tant
elle est largement ouverte744. Le recours peut être
intenté par des particuliers. A l?inverse du système
français, aucune autorité n?est expressément investie d?un
tel pouvoir. Le système permet une certaine démocratisation du
mode de contrôle juridictionnel de la Loi, conformément à
la tendance observée dans les grandes démocraties occidentales de
conférer à la justice constitutionnelle une
légitimité qui lui est souvent déniée. Le
système mauricien permet aux citoyens de contrôler sur le plan
juridique, les pouvoirs publics745 en habilitant le juge de
première instance et le juge de cassation de contrôler de
façon abstraite la norme dont la constitutionnalité est
critiquée746.
La Constitution mauricienne prévoit deux modes
d?exercice de la voie d?action. La distinction a peu d?intérêt
mais doit être soulignée. L?article 17 de la Constitution permet
à la Cour Suprême de prendre toute mesure appropriée pour
faire cesser toute violation des droits contenus dans le chapitre deux de la
Loi Fondamentale747, s?il n?existe, selon le juge londonien, d?autre
voie de recours juridictionnel748. L?article 83 confère
à la Cour Suprême des pouvoirs similaires pour faire respecter les
dispositions résiduelles de la Constitution749.
744 GLOVER Victor, Sir, GOSK: «L?universalité des
droits fondamentaux et la diversité culturelle», in Colloque
International sur l?Effectivité des Droits Fondamentaux dans les Pays de
la Communauté Francophone organisée par AUPELF-UREF à
Maurice le 28 septembre au 1er octobre 1993, 18 p., v. p. 12.
745 «Le vote... est à la fois l?acte par lequel le
peuple exprime sa volonté et celui par lequel il délègue
l?expression, pour un temps déterminé, à des
représentants. Cette délégation aboutit à un
abandon de son pouvoir de décision entre deux élections. Les
cours constitutionnelles atténuent cette logique-là du vote. La
délégation n?est plus un abandon dans la mesure où les
cours, en statuant au nom de la souveraineté populaire, adoptent une
référence qui les met en position de faire prévaloir cette
dernière, de restaurer la volonté populaire en
rétablissant la soumission de la volonté
représentative», ROUSSEAU Dominique, cité note 27, v. p.
45.
746 La voie d?action permet aussi de juridiciser et de
purifier le débat politique entre la majorité et l?opposition.
Celle-ci, comme tout citoyen, détient le pouvoir de saisir le juge pour
contester les lois adoptées par la majorité.
747 Cette article dispose dans son alinéa premier que:
«Quiconque allègue que l?une des dispositions 3 à 16 a
été, est ou est susceptible d?être violée à
son encontre, pourra, indépendamment de tout autre recours
légalement possible, s?adresser à la Cour Suprême pour
faire respecter ses droits».
748 La rédaction de l?article 17 CM est ambiguë.
En dépit des dispositions de l?alinéa premier, le second
alinéa prévoit que le juge peut ne pas exercer ses pouvoirs si le
requérant dispose d?autres voies de recours. CJCP: 11 décembre
1995, J. Subramanien c/ The Government of Mauritius, affaire mauricienne, Sir
Micheal Hardie Boys rédacteur de l'arrêt. Il fait ressortit que:
«A constitutional action is not an appropriate vehicle for a contractual
or tortious claim, nor indeed for judicial review, which has procedural
requirements of its own».
749 La distinction entre l?article 17 et l?article 83 est
curieuse et répond à peu de rationalité. CSM: 26 avril
1982, A. R. Mahboob c/ The Government of Mauritius, MR, 1982, pp. 135 à
143, le Chef-Juge Sir Maurice Rault rédacteur de l'arrêt
principal. V. l?opinion concurrente du juge Glover. Il dit que: «I confess
that I do not see the reason for the distinction», p. 143.
C?est pourquoi un règlement de la Cour du 1er juin 1990
a rapproché davantage les deux dispositions constitutionnelles dans leur
mise en oeuvre quant aux conditions de délai et de forme. Il demeure que
la saisine de la Cour soit encore plus souple dans le cadre de l?article 17.
Le juge mauricien dispose des pouvoirs pratiquement
illimités pour faire cesser toute atteinte aux droits fondamentaux. Il
peut annuler la norme incriminée ou donner toute injonction tendant
à l?inexécution de la loi litigieuse750. La Loi
réformée sur les Cours de 1945 confère à la Cour
Suprême les mêmes pouvoirs que ceux dont dispose la Haute Cour
anglaise751. Allant même plus loin, la Cour a estimé
que son pouvoir dépasse celui des cours anglaises car elle est investie
du rôle de gardien de la Constitution752. Cette
compétence permet à la Cour de déroger aux principes de la
procédure administrative anglaise753 au cas où les
règles du contentieux sont inadaptées au contentieux
constitutionnel.
b. Les règles de procédure
On peut penser que les dispositions des articles 17 et 83 de
la Constitution permettent au juge d?exercer un contrôle a priori de la
Loi. Ces articles peuvent être mis en oeuvre dès lors qu?il y a un
risque vraisemblable qu?une norme constitutionnelle soit «susceptible
d?être violée». Mais la Cour Suprême a
privilégié le contrôle a posteriori de la Loi et a
expressément écarté toute idée de contrôle a
priori. On se prendra à regretter cette négation par la Cour
Suprême de ses compétences. On voit mal en quoi la
procédure existante, la saisine du juge des référés
(judge in chambers) en vue de lui demander d?ordonner au Parlement de
ne pas légiférer ou au Chef de l?Etat de ne pas donner son
assentiment à la Loi, avait apparu aux juges mauriciens comme une
entorse trop manifeste au principe de la séparation des
pouvoirs754. Les juges,
750 L?article 17-2 CM dispose que «(la Cour
Suprême) pourra faire telles injonctions (orders) et
délivrer telles ordonnances (issue such writs) qui lui semblent
appropriées pour faire respecter ou assurer le respect des dispositions
de l?article 3 à 16».
751 L?article 17 de la Loi de 1945 dispose que «The
Supreme Court shall have original jurisdiction to hear, conduct and pass
decisions in civil suits, actions, causes, and any matter may be brought and
may be pending before the Supreme Court and the judges shall sit and proceed to
and conduct and carry on business in the same manner as the High Court of
Justice in England and its judges».
752 CSM: 2 juin 1993, Attorney-General c/ Ramgoolam, LRC,
1993, vol. 3, pp. 82 à 93. Le juge Lallah rédacteur de
l'arrêt. Selon le juge: «We also indicated, however, that our
Constitution has conferred on the Supreme Court a fundamental jurisdiction
concerning constitutional matters unknown to the courts in the United Kingdom
and that Erskine May necessarily had to be read subject to the particular
jurisdiction which the Constitution has so vested in the Supreme Court»,
ibid., p. 85.
753 CSM: 31 janvier 1973, Vallet c/ Ramgoolam, cité
note 303. Le juge Garrioch indique que lors d?un contrôle de
constitutionnalité et «where the form of redress applied for is an
order of mandamus, the court should and will, as far as possible, follow the
English principles applicable to that order (but) it is obvious that, having
regard to its special powers and duties under the Constitution, the Court may
find it necessary to evolve principles of its own, in certain circumstances,
which may not always accord with those applicable in England», ibid., p.
34.
754 CSM: 9 novembre 1973, Lincoln c/ The Governor of
Mauritius, MR, 1973, pp. 290 à 291, le juge Rault rédacteur de
l'arrêt. Dans cette affaire, le juge, statuant en
référé, rejette la requête d?injonction à
l?Assemblée Législative et au Gouverneur-Général de
ne pas continuer l?examen d?un projet de loi constitutionnelle visant à
supprimer les élections législatives partielles. Le juge a
indiqué que: «If a Court of law sought to prevent or even delay the
introduction of a bill, it would not be exercising a judicial power, but
usurping a legislative function», ibid., p. 291. L?effet de cette
jurisprudence mérite d?être relativisé en ce sens que la
décision de la Cour a été
pour la plupart formés en Angleterre, sont encore,
semble-t-il, assujettis à un certain dogme même fictif de la
souveraineté de la Loi. A l?inverse, le Comité Judiciaire,
statuant sur un litige en provenance de Hongkong s?est montré moins
réticent au développement d?un véritable contrôle a
priori755. Sa jurisprudence n?a pas été suivie par le
juge local d?autant que les justiciables mauriciens ne l?ont pas
invoquée.
Il convient de faire ressortir néanmoins, que la Cour
Suprême de Maurice a utilisé libéralement ses pouvoirs pour
développer le contrôle a posteriori. La politique de la Cour a
été de simplifier l?exercice des recours en suivant certains
développements opérés au sein de la justice administrative
britannique et surtout la jurisprudence libérale et audacieuse du
Comité Judiciaire756. Ainsi, par exemple, la notion
d?intérêt à agir (locus standi)757
n?est plus appliquée strictement aux simples individus. Le
contrôle constitutionnel est considéré comme un litige
d?intérêt public (public interest litigation) et le droit
d?agir est étendu aux demandeurs simplement
idéologiques758. La Cour Suprême exige un
intérêt à agir d?autant plus réduit que la violation
de la Loi Fondamentale apparaît importante.
Il ne faut pourtant pas céder à la tentation de
conclure que cette ouverture du prétoire a permis la création
d?une sorte de recours populaire (actio popularis) comme il avait
été le cas en Angleterre dans les années soixante-dix
à propos du contrôle de la légalité des actes
administratifs (judicial
rendue pendant une période d?état d?urgence et
à propos d?une loi constitutionnelle quelques années seulement
après l?indépendance. Le Parlement siégeait comme une
assemblée constituante.
Le juge mauricien n?a pas retenu la solution française
du contrôle juridictionnel de la Loi. Cette solution pourait, selon nous,
être transposée à Maurice. La saisine de la Cour pourrait
avoir lieu après adoption de la Loi par l?Assemblée et le Chef de
l?Etat donnerait éventuellement son accord après décision
de la Cour.
755 CJCP: 15 avril 1970, Rediffusion (Hong-Kong) Ltd. c/ the
Attorney-General, AC, 1970, pp. 1136 à 1170, affaire de Hongkong, Lord
Diplock rédacteur de l'arrêt.
756 CJCP: 30 avril 1985, Herbert Bell c/ The Director of
Public Prosecutions, WLR, 1985, vol. 3, pp. 73 à 84, affaire de la
Jamaïque, Lord Templeman rédacteur de l'arrêt. Le juge
londonien écrit que: «The Solicitor-General... submits that the
application to the Supreme Court should have been made by writ and not by
notice of motion. Without entering into a consideration of the rules of
procedure which apply in Jamaica and are best determined by the Courts in
Jamaica, their Lordships reject this submission. The applicant fairly raised
before the appropriate court his complaint that his fundamental right
guaranteed by the Constitution had been infringed», ibid., p. 77.
757 SCHIEMANN Konrad, Sir: «Locus standi», PL, 1990,
pp. 342 à 353.
758 CSM: 31 janvier 1973, Vallet c/ Ramgoolam, cité
note 303. Le juge Garrioch souligne que: «We think that in a matter of
such great public interest, as in the present case is in our view, no useful
purpose will be gained by insistence of form which would have consequence only
to postpone a decision on its merits», ibid., p 35. Le juge applique dans
cette affaire une jurisprudence du Conseil Privé. V. CJCP: 25 juillet
1967, Mohamed Samsudeen Kariapper c/ S. S. Wijensinha, cité note 718.
La même attitude est adoptée dans CSM: 29 octobre
1986, Noordally c/ Attorney-General, LRC, 1987, vol. constitutional, pp. 599
à 606, le juge Glover rédacteur de l'arrêt. V.
également CSM: 23 janvier 1995, Rama Valayden c/ The President of the
Republic, Le Mauricien, 24 janvier 1995, p. 9, les juges Rajsoomer Lallah, V.
Boolell et Y. K. J. Yeung Sik Yuen rédacteur de l'arrêt.
review of administrative action). Lord Denning,
Président de la Division Civile de la Cour d?Appel anglaise (Master
of the Rolls) avait affirmé que tout sujet de sa Majesté
avait qualité pour faire respecter le droit759. A Maurice, la
Cour Suprême a estimé qu?un simple intérêt au respect
de la Constitution ne suffit pas pour que la requête soit recevable. La
seule qualité d?électeur ne suffit pas pour contester
l?éventuelle discrimination opérée entre deux
députés démissionnaires760. Cette solution est
tout de même proche de celle appliquée actuellement en Angleterre
en matière de contrôle des actes administratifs. L?ouverture
opérée par Lord Denning a été relativisée
par le législateur britannique761.
Par ailleurs, les conditions de forme régissant le
contrôle par voie d?action ont été simplifiées et
unifiées depuis 1990762. Auparavant, l?article 17 de la
Constitution (concernant la protection des droits fondamentaux) devait
être invoqué par la voie d?assignation (writ of
summons)763 et l?article 83 (portant sur les articles
résiduels de la Constitution) sous la forme d?une pétition
(by way of petition)764. Désormais la
procédure classique d?assignation est étendue à
l?application de l?article 83765.
Le délai pour agir par la voie d?action était
limité à six mois à compter de l?entrée en vigueur
de l?acte766. La Cour, conformément à sa politique
d?ouverture n?avait accordé à ce délai aucun
caractère impératif et le distinguait de la forclusion. Le juge
pouvait ne pas prononcer une fin de non-recevoir même si ce délai
était expiré767. Ce délai de six mois
correspondait à celui retenu en Angleterre pour déclencher un
recours en annulation d?un acte administratif
759 CA: 14 avril 1976, Regina c/ Greater London Council, ex
parte Blackburn, All ER, 1976, vol. 3, pp. 184 à 200, Lord Denning
rédacteur de l'arrêt principal. Il écrit ceci: «Je
considère ceci comme un principe constitutionnel très important.
Lorsqu?un ministère ou une autorité publique est en train
d?enfreindre le droit ou presque d?une façon qui offense ou injurie des
milliers de sujets de Sa Majesté, toute personne qui a été
offensée ou injuriée peut porter le cas à l?attention des
cours», ibid., p. 192.
760 CSM: 14 mai 1974, Lincoln c/ Governor-General, MR, 1974, pp.
112 à 127, le juge Garrioch rédacteur de l'arrêt.
761 L?article 53 de la Loi anglaise sur la Cour Suprême
de 1981 (Order 53 of the Supreme Court Act 1981) exige que le
requérant justifie d?un intérêt suffisant. V. FLOGAITIS
Spyridon: «Administrative law et droit administratif», LGDJ, 1986,
256 p., v. p. 172 et s.
762 Colom Jacques, cité note 557, v. p. 92 et s.
763 L?assignation (writ of summons) constitue le mode
classique d?introduction d?une affaire en justice.
764 La saisine par la voie de pétition est indirecte. Le
requérant doit obtenir d?un juge (en chambre) l?autorisation de saisir
la Cour.
765 V. Les règles sur la protection des normes
constitutionnelles par la Cour Suprême (Supreme Court Constitutional
Relief Rules) de 1990.
766 Article 8 des Règles sur la protection des normes
constitutionnelles de 1967 (Constitutional Rights Application For Redress
or Relief Rules).
767 CSM: 5 juin 1981, Monty c/ Public Service Commission, MR,
1981, pp. 244 à 253, le juge Glover rédacteur de l'arrêt.
Selon la Cour: «We are not dealing with a Statute of limitation or a
period of extinctive prescription laid down in the Code Napoléon, but
with those procedural rules which govern application for judicial review»,
ibid., p. 246.
pour violation d?une Loi. Mais une réforme locale de
1990 a réduit, comme dans la nouvelle réglementation de la
procédure anglaise du contentieux administratif, le délai
à trois mois.
*
Au terme de cette présentation un constat s?impose. Le
modèle mauricien de la voie d?action est libéral et très
ouvert. Le droit de saisine est large. Tout citoyen justifiant d?un
intérêt peut saisir le juge constitutionnel en vue de censurer une
Loi. Ce droit constitue une garantie essentielle du maintien de l?Etat de
droit.
Cependant, la richesse et l?ingéniosité du
constitutionnalisme mauricien ne sont pas réduites aux seuls bienfaits
du système européen. Le contrôle constitutionnel peut aussi
être déclenché selon les modalités du modèle
américain.
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