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Exclu-e-s du livret de famille : les parents sans statut, se raconter au sein d'une pluriparentalité

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par Elodie Regnoult
Université de Bretagne Occidentale - Master 2 2011
  

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Résidence alternée

Du côté d'Eva et Martine, c'est différent. Martine me précise dans son récit qu'elles partagent le temps d'Esteban. Aujourd'hui, il serait 60% du temps chez elles et 40% du temps chez son père qui le récupère parfois à l'école. Pour les vacances, Georges vient chercher Esteban chez elles, Martine le ramène chez son père. Tous deux correspondent par mail sur tous les points de santé, liés à l'école et autres. Il et elle se téléphonent régulièrement aussi quand il y a nécessité. Pour Martine, le lien personnel qu'elle entretenait avec Georges étant complètement rompu, les deux parents seraient comme des parents divorcés et gèreraient le côté pratique avec cordialité.

Dans la soirée, Eva m'explique que lorsqu'Esteban était bébé, il n'était que chez elles, le père le voyait trois fois par semaine pour lui faire prendre son bain et petit-à-petit, il l'a eu plus souvent chez lui.

A la différence de Vanessa, elles ont choisi d'arriver à terme à une résidence alternée à cinquante-cinquante. Par ailleurs, toujours dans ce même temps informel, Eva m'explique qu'Esteban a une chambre chez chacun de ses parents. Dans chaque chambre, il y aurait des affaires, des vêtements, des jouets différents achetés par chacun de ses parents parce qu'ils/elles n'ont pas les mêmes goûts et qu'ils/elles ne veulent pas créer plus de conflits qu'il n'y en a déjà. Et de cette manière, pas de valises à transporter.

Eva et Martine ne considèrent donc pas que la maison d'Esteban soit leur appartement. Esteban a deux maisons, deux chambres, deux univers. François de Singly et Benoîte DecupPannier rappellent que certain-e-s chercheur-e-s expriment l'idée que la multiplicité des espaces est nécessaire pour ne pas être réduit à une seule identité. D'autres craignent que dans le cas des enfants, cette multiplicité des espaces créent un « éclatement identitaire »74. La

74 DECUP-PANNIER Benoîte, SINGLY François de (2000), « Avoir une chambre chez chacun de ses parents séparés », in Singly François de, Libres ensemble, Paris, Nathan, p.353-382.

multiplicité des identités passe alors du choix, de la construction individuelle, à un danger relevant presque des troubles de la personnalité multiple. Pourtant, même résidant dans un seul foyer, l'enfant connait d'autres espaces, d'autres lieux de référence, d'autres identités par l'école et par les activités sportives et culturelles.

Durant l'entretien, Martine m'explique qu'elle trouve la coparentalité « géniale » et très difficile parce qu'elle a un enfant de quatre ans, et depuis qu'il a six mois, elle est régulièrement séparée de lui. Ce serait pour elle, vraiment difficile à gérer. Quand Esteban est disponible, quand il est chez elles, elles arrêteraient tout pour être avec lui sans jamais chercher à compenser. Elles seraient dans la disponibilité pour avoir une histoire en continu et non pas en pointillés. Puis, de manière informelle, après l'entretien, elle m'explique que c'est un confort d'être en coparentalité parce que quand Esteban est chez son père, elle a du temps pour sa profession, pour elle, elle peut « bosser à fond » et quand il est là, elle peut être « mère à fond ».

Martine représente bien l'idéal des femmes des classes moyennes d'aujourd'hui. Depuis un peu plus d'un siècle, l'objectif de fonder une famille n'est plus seulement économique. La famille est devenue un réseau de liens affectifs. La nouvelle idéologie du couple est l'amour. Les membres de la famille deviennent des individu-e-s que la famille doit servir. En 1925, en se confiant à son amie Ede, Luella, le personnage de roman de Fitzgerald énonçait déjà cet idéal75 :

« Je n'ai pas bougé de la maison pendant un an. Tant que j'attendais Chuck, puis je l'ai nourri, cela ne me faisait rien. Mais cette année, j'ai dit franchement à Charles que j'étais encore assez jeune pour avoir envie de m'amuser. Et depuis, nous sortons, que cela lui plaise ou non. (Elle médita un instant.) Il me fait tant pitié que je me mets à hésiter, Ede, mais si nous restions à la maison, c'est de moi que j'aurais pitié. Et pour t'avouer une vérité de plus, je préfère qu'il soit malheureux, plutôt que moi. »

Francis Scott Fitzgerald, L'accordeur

A l'époque de Luella, les féministes réclament le droit au divorce et à l'amour libre. Le/la partenaire doit être choisi-e à condition que ce soit dans l'intérêt de tous et de toutes, y

75 FITZGERALD Francis Scott (2005), Une vie parfaite suivi de L'accordeur, Paris, Gallimard (1ère édition : 1925)

compris de l'enfant. Dans les années soixante-dix, avec la fin de la puissance paternelle, les femmes obtiennent une nouvelle place dans la famille qui se veut plus égalitaire et elles pourront accéder à la sphère publique. Un idéal d'accomplissement de soi dans tous les espaces : couple, famille, profession et soi individuellement. 1968 a également marqué une redéfinition des relations intergénérationnelles. Les parents doivent accompagner l'enfant dans la construction de son individualité propre. Cette démocratisation des relations hommesfemmes d'une part et intergénérationnelle d'autre part implique des intérêts contraires. Ce nouvel idéal noircit les pages des magazines dont j'ai choisi un extrait76 qui me paraissait éloquent :

« Le défi des parents n'est plus seulement de former une famille harmonieuse. A l'éducation des enfants, s'ajoute désormais la volonté de préserver le désir dans le couple et de satisfaire ses aspirations personnelles. Trois exigences légitimes, mais pas facilement compatibles. »

« S'épanouir... ensemble »,

Psychologie magazine, Hors-série n°10

Le couple cherche à laisser place à l'individualité mais l'individualité et le couple ne doivent pas léser l'enfant. L'enfant, comme individu-e dépendant-e, a des intérêts plus souvent supposés que connus réellement. Il est attendu de ses parents - surtout de la mère - qu'ils et/ou elles lui permettent d'avoir à sa disposition ce que la société suppose être des atouts pour sa propre construction.

Par conséquent, les femmes ont le droit - voire l'injonction dans certains milieux être mère au foyer n'est pas socialement valorisé - de ne pas être que parent, mais elles doivent l'être prioritairement.

Dans sa configuration, Martine semble avoir trouvé un consensus. Qu'elle n'admet pourtant pas tout de suite en entretien, puisqu'elle me parle d'abord de la difficulté d'être séparée de son enfant. Sans doute oscille-t-elle entre assignation féminine à la parentalité et aspiration féministe à se détacher de ce modèle.

Pour Eva, qui n'a pas de statut, cette liberté est plus simple à revendiquer. Elle ajoute qu'aujourd'hui, elle qui est en démarche pour faire un enfant, trouve qu'une coparentalité a énormément d'avantages. Ce serait une vie différente des autres parents. A terme, elles sont

76 MAZELIN SALVI Flavia (2007), « S'épanouir... ensemble », Psychologies magazine, Hors-série n°10, octobre-novembre 2007, p.10.

libres de leurs mouvements la moitié du temps. Elle explique qu'elle et Martine apprécient beaucoup de pouvoir vivre en tant que femmes et de ne pas être dans une vie tournée exclusivement vers l'enfant.

Mais la coparentalité, selon Eva est également une situation très contraignante émotionnellement. Parce que l'enfant est en perpétuelle séparation avec l'un de ses parents. Eva pense que d'un point de vue psychologique, ce n'est pas forcément évident à gérer pour lui et que c'est aussi un apprentissage. Elle et Martine ne souhaitent pas qu'il se construise sur un manque mais elles pensent qu'il faut qu'elles l'accompagnent de manière très attentive par rapport à cela, qu'elles soient à l'écoute. Selon Eva, à chaque fois qu'Esteban revient chez elles, il faudrait un temps d'adaptation. Temps d'adaptation qui se traduirait par une crise de larmes ou une suractivité de la part de l'enfant. Quelques fois, il faudrait plusieurs heures voire une journée, pour qu'elles reviennent avec lui à un rythme de croisière parce qu'il change de système éducatif77. Il y aurait donc beaucoup de travail pour les parents car la relation ne serait pas linéaire, mais toujours interrompue, ce qui impliquerait de trouver ses marques à chaque fois.

Dans son projet de coparentalité, Eva aimerait refaire la même chose qu'avec Esteban, c'est-à-dire chercher un père qui s'investirait vraiment dans l'éducation. En mettant en place une résidence alternée pour arriver à six ans à cinquante-cinquante. Elle précise que quand elle dit six ans, c'est un repère à négocier au jour le jour.

Martine et Eva expriment à peu près les mêmes idées même si leurs mots sont différents. Seulement elles ne mettent pas en avant les mêmes choses. Martine précise tout d'abord qu'il est difficile d'être séparée de son fils avant d'expliquer le confort de la résidence alternée. Alors qu'Eva procède dans l'autre sens, valorisant le confort de la coparentalité avant d'en préciser les contraintes. Cette division du temps pour soi, pour son couple et du temps parental semble alors être un enjeu assez fort pour la reconnaissance de soi comme parent d'une part, et pour l'affirmation des libertés individuelles d'autre part.

Dans Elle78, la question du rôle de la mère et de sa vie en dehors de la famille est

posée :

77 Elle en parle davantage dans « Négocier la différence » p.43.

78BROUCARET Fabienne (2008), « Les mères parfaites n'existent pas ! », Elle, [en ligne], URL : http://www.elle.fr/elle/societe/les-enquetes/les-meres-parfaites-n-existent-pas/les-meres-parfaites-n-existentpas/(gid)/781292, Consulté le 10 avril 2009.

« Qu'est-ce qu'une « mauvaise » mère à vos yeux ? Il y a de multiples aspects. Concrètement, ce sont, par exemple, les mamans qui prennent un jour de RTT, déposent leur enfant à la crèche, filent aux soldes ou en profitent pour ne rien faire de la journée, et reviennent à la crèche à 18h avec un air épuisé ! Plus sérieusement, ce sont des femmes qui ont envie de concilier leur rôle de mère avec leur boulot, leur vie sociale, leur couple... »

« Les mères parfaites n'existent pas ! »

Elle

François de Singly et Benoite Decup-Pannier rappellent que l'un « des intérêts du travail salarié est de permettre à l'un des conjoints d'avoir un endroit qui échappe au contrôle de son partenaire. »79 Mais hommes et femmes ne sont pas égaux en termes d'espaces effectivement investis. La profession est un mode d'émancipation féminine - soumis tout de même aux horaires des sorties d'école, des mercredis et des enfants malades (ce qui reste un souci majoritairement féminin) - alors que les hommes ont également l'espace des loisirs (qu'une femme ne peut investir qu'à condition qu'il n'empiète pas sur le temps parental). Pour les hommes, il est au contraire valorisé de multiplier les espaces et les temps d'appartenance sociale (et surtout professionnelle) dans l'espace public - dans son intérêt personnel - et au nom de l'intérêt de la famille80. Si le temps maternel se fait exclusivement auprès des enfants, le temps paternel se fait également sur le lieu de travail. Cela permet aux hommes de faire des heures supplémentaires pour assurer leur rôle de père - c'est-à-dire permettre à la famille d'avoir des revenus plus élevés - tout en cultivant une logique de valorisation individuelle dans l'espace public81.

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"Un démenti, si pauvre qu'il soit, rassure les sots et déroute les incrédules"   Talleyrand