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Exclu-e-s du livret de famille : les parents sans statut, se raconter au sein d'une pluriparentalité

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par Elodie Regnoult
Université de Bretagne Occidentale - Master 2 2011
  

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2.4 Milieu social et regard sociétal

La question homosexuelle et homoparentale dans un milieu intellectuel

Lisa explique qu'il est remarquable qu'à la crèche comme à l'école, cela n'a pas posé le moindre problème qu'elle soit une coparente. Lisa croit qu'ils/elles sont habitué-e-s à des anomalies plus graves, comme des parents maltraitants, des parents dépendants de substances, des parents qui oublient d'aller rechercher les enfants. Au moins là, ils/elles pouvaient compter sur un petit lot d'adultes tout à fait identifiés.

De la même manière, Martine explique qu'elle et Eva n'ont jamais eu de problème avec le regard des autres parce qu'elles vivent à Paris, qu'Esteban va à la crèche dans le quartier

140 AUSTIN John Langshaw (1970), Quand dire, c'est faire, Paris, Editions du Seuil, p.49 (1ère édition 1962, How to do things with words)

« homosexuel », qu'il est à l'école dans ce même quartier. A l'école et à la crèche, c'est la seule famille homoparentale selon Martine et il y a assez peu d'enfants dans ce quartier. Mais elle considère tout de même ce lieu comme un lieu privilégié pour l'ouverture d'esprit. Cependant, même ailleurs, elles auraient toujours été la première famille homoparentale à entrer dans les institutions. Pour Esteban, ce serait « génial » d'avoir deux mamans, deux papas, ce serait facile. Ses amis lui demanderaient pourquoi eux, ils n'ont qu'une seule maman, pourquoi ils n'ont qu'un seul papa et pas deux comme Esteban. Pour Esteban, tout ça serait évident. Il aurait la conscience d'un nombre de configurations familiales très diverses. Il y a ceux qui n'ont pas de papa, ceux qui n'ont pas de maman, ceux qui ont deux mamans, deux papas et puis tous les autres. Martine pense que tout est parfait à partir du moment où on est heureux. Pour elle, c'est ce qui compte.

Dans le même temps, Esteban aurait conscience de la marginalité de la configuration. Elles lui auraient toujours dit, avant même la naissance qu'il allait naître dans une famille particulière. Elle préfère d'ailleurs les mots de particulière et d'atypique à marginale car elle ne se sent pas marginalisée pour le moment même quand les gens n'ont jamais rencontré ce type de configuration. Souvent, les personnes auraient un petit moment de surprise puis tous et toutes trouveraient cela « génial ». Pour Martine, n'importe qui ayant eu l'expérience d'être parent peut savoir qu'une « maman de rechange, ce n'est pas plus mal, parce que quand l'une est fatiguée, il y en a une autre ».

Eva pense qu'elle n'a jamais été confrontée à des résistances du point de vue de la société, excepté de la part de sa famille à elle. Elles n'auraient jamais eu, dans la vie de tous les jours, dans leur immeuble, à l'école, à la crèche, à la mairie de résistance. Même dans leur vie de couple, elles n'ont jamais été confrontées à l'homophobie. Elles vivraient donc les choses très facilement de ce point de vue là. Ce qui n'empêcherait pas les gens d'avoir leurs propres opinions, leurs propres questionnements. Mais elles n'auraient jamais vécu d'hostilité.

Le milieu social n'est pas sans impact sur le sentiment qu'elles ont de ne pas être marginalisées. Tout comme il est plus facile de se dire homosexuel dans un milieu artistique que dans un milieu militaire, il est plus facile de parler de sa famille atypique quand on est d'un milieu aisé, intellectuel, artistique qu'on possède les mots, les discours socialement reconnus, les références pour en parler (la littérature psychologique et/ou sociologique par exemple). Martine fait beaucoup référence aux psychologues notamment à Winnicott, reconnu pour sa psychologie de l'enfant. Elle prouve par là qu'elle est renseignée tout comme Vanessa expliquait qu'elle avait rencontré et lu des psychologues. Elles ont des arguments d'autorité que ne possèderait peut-être pas quelqu'un d'un milieu moins intellectuel (sauf

autodidactie). Il est aussi plus facile d'en parler quand les moyens économiques permettent d'assurer la vie matérielle de la famille. Martine emploie la majorité du temps de l'entretien à démontrer que tout va bien, qu'ils et elles sont heureuses. En effet, parler avant tout des problèmes et des doutes reviendrait à faire peser les soupçons sur soi, sur ses choix. En cas de séparation, si la mère statutaire peut assurer la vie économique de l'enfant, sa configuration sera moins remise en cause que si elle rencontre des problèmes financiers du fait d'être passée à un seul salaire et de ne pouvoir réclamer de pension alimentaire à une femme sans aucun statut reconnu pour l'enfant. Rencontrer des problèmes ordinaires devient un argument à la stigmatisation quand on a choisi une manière de faire ou de vivre atypique voire à la marge.

Etre lesbienne, parent non statutaire et féministe : tension entre miitantisme et famile

Lisa emploie le mot « parent » à dessein. Il lui arrive d'employer aussi le mot de « mère » en société, pour ne pas aller systématiquement contre les représentations sexuées de la parentalité et surtout de la parenté. Mais « parent » raisonne plus justement pour Lisa. D'abord, elle se sent lesbienne plus que femme et donc elle préfère ce mot plus neutre de « parent ». Elle ne lui associe pas le contenu particulier et injonctif de la « mère », accomplissement ultime de la « féminité ». Lisa peut donc être mère à sa façon, indiscutablement parent. Ensuite, elle n'a pas accouché de Thibault et elle pense qu'il est plus difficile d'imaginer une seconde mère que deux pères. Les expériences de maternité, sont selon elle, radicalement différentes entre l'accouchante et « l'autre mère » et auraient été d'ailleurs perçues comme radicalement différentes par l'entourage qui aurait plus qu'investit le lien dit « biologique » entre la mère et l'enfant. Enfin, en ne différenciant pas les hommes et les femmes à travers les mots de père et de mère, on rétablit selon elle, le lien parent-enfant indépendamment de la représentation du couple hétérosexuel. Elle pense que ce serait un progrès si on désinstitutionnalisait les couples (abolition du mariage, « privatisation » de la conjugalité, au sens d'un lien privé). Inversement, elle pense que le lien parent/enfant regarde l'Etat, il mériterait selon elle d'être ouvert à l'institutionnalisation. Ce qui permettrait la reconnaissance de la coparentalité et de toutes les autres formes de parentalité et de parenté. Ce qui permettrait aussi de sortir de tous les interdits et de toutes les prescriptions qui pèseraient sur la vie des transexuel-le-s par exemple. Car ils et elles devraient parfois choisir entre changer de sexe et être parent. Il deviendrait de droit, inutile de réassigner les intersexué-e-s à un sexe et un seul. La réflexion intellectuelle que mène Lisa se transforme en action politique par des propositions de changement. Elle peut alors associer militantisme et

parentalité, quand bien même ces deux domaines semblaient entrer en tension quand le premier relevait de l'ordre du féminisme. Elle est alors non seulement parent dans l'espace privé mais aussi dans l'espace publique et politique. Se faire reconnaître comme parent devient de fait, un enjeu politique.

Cependant, pour elle, faire des enfants est bien délirant si on y réfléchit. D'un point de vue psychologique, ce serait se lancer de façon inconditionnelle dans un lien qui au départ n'est pas tout à fait une relation. Avant et avec l'infant, celui qui ne parle pas, la relation serait d'abord surtout projetée et donc imaginaire. Ce qui nous amène à repenser au fait qu'il y a en fait deux relations : la parentalité et la filiation. Dans la première, on peut investir le rôle de parent et se construire comme tel, quel que soit le point de vue de l'enfant (même s'il/elle n'est pas né-e). Dans le second, on investit le rôle « d'enfant de », (ou plus largement d'affilié-e-s), quel que soit le point de vue du parent (ou plus largement du/de la référent-e).

Ensuite, de son point de vue philosophique, ce serait donner vie à un être destiné à mourir, et le savoir, ou le dénier. Pour elle, on ressentirait parfois soi-même l'absurdité de l'existence, alors y entraîner d'autres, dans cette condition de finitude, elle trouve que ce n'est pas très raisonnable. A moins que ce soit l'ultime ruse de la raison : l'illusion de ne pas mourir et de survivre dans l'enfant.

Elle pense aussi aux conditions de vie, démographiques, économiques et sociales, écologiques aussi. Offrir ou garantir quelle vie aux enfants qu'on met au monde ? Quel avenir ? Quel bonheur ?

Et puis, pour Lisa, quand on est lesbienne, et qu'on a un peu lu les auteures plus radicales, on peut aussi se dire qu'on échappe à la relation hétérosexuelle qui nous « prend pour femme » et qu'on menace peut-être notre propre émancipation en assumant la relation qui nous « prend pour mère ». D'où peut-être la nécessité de se désigner et de se revendiquer plutôt comme « parent ». Mais l'argument pourrait s'universaliser. Chacun pourrait se demander : Pourquoi perdre sa liberté en se liant ? Pour elle, ce sont des questions qui se posent dans nos sociétés d'individu-e-s.

Tout le long de son récit, Lisa vacille entre deux injonctions : l'injonction féministe d'émancipation (elle me suppose comme telle également) et les injonctions liées à la parentalité, permettant - puisqu'elle n'est pas reconnue comme telle - de se faire valoir comme parent. Se faire reconnaître comme parent tout en se faisant reconnaître comme féministe pose une difficulté d'intérêts contraires. Comme Martine qui faisait valoir le confort de la résidence alternée tout en disant la difficulté que représentait d'être séparée de son enfant. Elle se trouve entre d'une part des idées féministes à revendiquer dans l'espace

publique et politique et d'autre part, une sphère privée dans laquelle elle ne tient à être ni femme, ni mère. Se dire lesbienne et parent permet alors de se placer dans l'espace militant, publique, politique et permet de faire revendiquer des droits gérés par l'Etat en dehors de la sphère privée.

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"Ceux qui rêvent de jour ont conscience de bien des choses qui échappent à ceux qui rêvent de nuit"   Edgar Allan Poe