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Exclu-e-s du livret de famille : les parents sans statut, se raconter au sein d'une pluriparentalité

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par Elodie Regnoult
Université de Bretagne Occidentale - Master 2 2011
  

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1.2 Eva et Martine (mère statutaire)

Ensuite, c'est en face à face, en me déplaçant sur Paris, que j'ai rencontré un couple de femmes, Eva et Martine (35 et 46 ans), parents d'Esteban, un enfant de quatre ans, issu d'un projet de parentalité avec George et Jim, un couple d'hommes (45 et 48 ans). J'ai rencontré ces femmes via une connaissance commune, Alain, que je connais suffisamment pour ne pas douter du fait que je leur ai été présentée par avance et de manière très étendue, selon la perception qu'il a de moi. Il me les a longuement présentées tout comme il m'a présenté un homme que je rencontrerai plus tard, dans la suite de mon mémoire. Je ne vois pas pourquoi il n'aurait pas fait la même chose dans l'autre sens - ne serait-ce que pour présenter ma

démarche et rassurer mes futures interlocutrices. Mais j'ignore ce qui leur a été dit de moi, je lui ai posé directement la question mais celle-ci est restée sans réponse.

Ma rencontre avec Eva et Martine s'est effectuée en présence d'Alain, dans un quartier bourgeois de la capitale. Alain m'explique qu'il s'agit du quartier « homosexuel » de la ville. Le café dans lequel elles m'ont donné rendez-vous n'est pas ordinaire pour moi. Les sièges de la terrasse sont tournés, alignés vers l'extérieur, tous dans le même sens comme dans une salle de cinéma, et non pas les uns en face des autres. Alain m'explique que c'est un lieu pour être vu, se montrer. Ce quartier permet un entre-soi social au sein duquel l'homosexualité peut être ouvertement dite.

Eva et Martine appartiennent à la classe dominante et se présenteront elles-mêmes comme
bourgeoises au moment des entretiens. Je peux le noter dès la conversation qu'elles
entretiennent avec Alain autour de leur passion artistique commune. Art qui n'est pas un
simple loisir mais qui est devenu leurs métiers. Dès ce moment-là, et pas seulement parce que
je ne comprends pas grand-chose aux aspects techniques énoncés, je ressens ma différence de
registre et je sens que mon langage pourrait être perçu comme très familier. Alain nous laisse,
Eva va chercher Esteban à l'école. Je fais un premier entretien individuel avec Martine dans le
café. Puis, nous rejoignons Eva et Esteban. A l'école, on ne croise personne. L'école est dans
le même quartier que le café, ce même quartier où l'homosexualité peut être ouvertement dite.
Nous allons chez elles. Esteban appelle Martine « maman » et Eva par un diminutif.
Eva me dit qu'elle a lu Martine Gross mais qu'elle ne s'est pas reconnue dans son ouvrage. Je
mens en lui expliquant que je ne connais pas très bien l'auteure, que je ne connais que
rapidement son nom par rapport à l'Association des Parents Gays et Lesbiens69. Mais que je
n'ai pas eu le temps de la lire. Je souhaitais qu'Eva me donne son avis sans que le mien ne
renforce ni ne fragilise sa position. Ce que peut provoquer un accord ou un désaccord.
Apparemment Martine Gross aurait fait une enquête par questionnaire, certaines questions
porteraient sur la religion qu'Eva ne reconnaissait pas sa réalité. Elle a eu l'impression qu'elle
voulait défendre la coparentalité mais que par conséquent, ce n'était plus leur réalité. Elle
m'explique aussi, qu'elle et Martine ont déjà rencontré une étudiante pour un mémoire de
master en psychologie. Elles connaissent donc bien le processus et les disciplines en question.
Martine porte Esteban presque tout le long de la route, Eva sur une cinquantaine de
mètres et Esteban redemande Martine. Je ne conclus pas pour autant que cela se passe de cette
manière tous les jours. Je n'ai pas observé leur vie quotidienne des semaines durant mais

69 APGL dans la suite du texte.

seulement deux heures dans le cadre de mes entretiens. Une pratique d'un jour n'est pas forcément une pratique quotidienne. Néanmoins, cette pratique a été confirmée dans le discours de Martine durant l'entretien.

Esteban est trop fatigué par sa journée d'école pour me parler. Je fais l'entretien avec Eva dans un café près de chez elles. Le café, un peu jazzy, est d'apparence moins destiné aux classes supérieures. Les prix restent élevés mais sans doute faut-il prendre en compte le fait que nous nous trouvons à Paris.

Je suis invitée à manger chez elle. Pendant le repas, Eva décide qu'Esteban ne doit pas manger de chocolat avant de dormir, Martine accepte bien qu'elle soit prête à lui en donner. Elles alternent pour s'occuper de lui, mais ce jour-là, Eva semble intervenir principalement quand Martine est fatiguée. Cette impression a été confirmée par le discours de Martine quand elle m'expliquait que la « deuxième maman » était là quand la « première » faisait défaut. Martine descend Esteban dans sa chambre pour le mettre en pyjama et pour qu'il joue. J'enregistre un dernier entretien, cette fois-ci conjointement avec Martine et Eva. Esteban se trouve à l'étage en dessous et apprécie peu que je lui fasse concurrence. Alors il demande de temps en temps la présence d'une de mes interlocutrices.

Martine me raccompagne à la station de métro.

Il est sans doute nécessaire de rappeler que la perception qu'elles ont pu avoir de moi n'est pas indépendante de notre connaissance commune. En effet, Alain, notre intermédiaire est un membre de ma famille, et outre le fait que j'ai certainement dû leur être présentée, elles ont pu à travers lui, s'attendre à rencontrer un certain type de jeune femme.

Alain est connu comme hétérosexuel, se revendique comme attaché au couple et à la famille tout en étant « nomade » professionnellement (mais c'est un homme et la décohabitation est davantage légitimée pour les hommes70). L'héritage a une dimension importante dans sa famille où le patrimoine est conséquent. Martine et Eva l'ont connu marié et père d'une fille unique. Elles pouvaient donc s'attendre à voir une femme appartenant à un modèle plutôt dominant, mais sans les contraintes familiales (étant donné mon âge et mon statut d'étudiante, elles ne me supposent pas mère) et donc mobile, afin de construire mes études et ma vie professionnelle. Toutefois, je pourrais également être supposée distanciée de ce modèle car étudiant l'homoparentalité en sociologie (d'autant plus que l'approche sociologique qu'elles ont eue de l'homoparentalité est celle de Martine Gross, militante dans ce domaine). Cette tension a dû se confirmer dans mon apparence physique à la fois se

70 CHARRIER Gilda (2008), « La mobilité comme aspiration à l'utopie conjugale », in Dervin Fred, Ljalikova Aleksandra, Regards sur les mondes hypermobiles : mythes et réalités, Paris, l'Harmattan, p.37-71

voulant conforme et donc féminine mais distanciée de cette féminité convenue (talons mais usés, cheveux longs mais pas vraiment coiffés, manteau noir, cintré mais usé également, un sac à main « féminin71 » mais aussi un sac à dos rouge sportif, posture à la fois réservée et maniérée). Ensuite, je les ai perçues d'emblée comme appartenant à une classe bourgeoise. Et à mes yeux d'individue pensante et pleine de préjugés que je suis, j'ai associé ce milieu-là à un certain type de codes sociaux concernant les femmes en particulier et j'ai adapté mes manières de dire et de faire. J'ai donc dû être perçue comme telle, c'est-à-dire se voulant dans la conformité et donc « féminine » (même si toujours distante vis-à-vis de ce modèle).

Etant à ce moment-là une étudiante de 21 ans en France, je ne suis pas supposée connaître la parentalité du point de vue des parents. Mon expérience quant à la parentalité se limiterait en fait à celle de la filiation, c'est-à-dire, en tant que fille de mes parents. Le fait que je sois une fille, signifierait tout de même, que, selon elles, j'ai joué à la poupée, et donc appris un peu plus qu'un garçon n'est supposé le faire. Même si Esteban a lui-même une poupée, et qu'elles n'adhèrent pas forcément au stéréotype qui féminise ce jeu, le fait d'avoir été une enfant, il y a un peu plus de douze-treize ans, dans une société où cette représentation est majoritaire, pourrait permettre cette supposition. De plus, je pourrais également être supposée avoir fait du baby-sitting, autre forme d'apprentissage dans la construction sociosexuée d'une femme.

J'aurais donc à leurs yeux, une moins bonne connaissance de la parentalité qu'une femme de 35-40 ans mais une meilleure connaissance que celle d'un homme de 21 ans. En revanche, je suis une étudiante s'intéressant à l'objet « famille » et j'ai donc, à leurs yeux, une autre forme de savoir.

Mes interlocutrices pourraient se positionner comme celles qui savent, qui peuvent m'apprendre quelque chose d'une expérience que je ne suis pas supposée avoir, tout en me voyant comme celle qui a reçu un autre savoir « légitime » qui peut alors légitimer et rendre objective leur expérience.

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