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Histoire et épidémiologie historique de la noyade dans le Rhône XIXème-XXème sièclespar Charlotte Gouillon Université Lyon 2 - Master 2 2025 |
CHAPITRE 3LES DIFFÉRENTS TYPES DE NOYADES RECENSÉES DANS LE
RHÔNE AU Dans un troisième et dernier chapitre, nous allons nous attarder sur les différentes circonstances de noyade que l'on recense dans le département du Rhône de 1800 à 1950. Nous classifions les noyades selon trois circonstances distinctes : les homicides parmi lesquels on retrouve également les infanticides, les suicides et les noyades accidentelles que nous allons dès lors étudier dans notre première partie. Il faut noter que pour certains cas, les circonstances de la noyade sont inconnues, ou ne sont pas fixées dans le PV mais plutôt supposées. La noyade peut alors être causée par un accident ou un suicide, comme elle peut être le résultat d'un accident ou d'un homicide comme nous pouvons l'observer dans le graphique ci-dessous qui propose une représentation des circonstances des noyades dans le département du Rhône de 1800 à 1950.
90 I- Les noyades accidentelles dans le département du Rhône entre 1800 et 1950Dans une première partie, nous allons nous intéresser aux noyades accidentelles. Sur les 1064 cas de noyades que nous recensons dans le département du Rhône entre 1800 et 1950, 483 sont considérées comme accidentelles représentant alors 45,39% du total des noyades. Il faut préciser que dans 197 autres cas de noyades, la conclusion de la mort n'est pas certaine et l'on suppose qu'elles sont le résultat soit d'un accident soit d'un suicide. Pour cette partie, nous traiterons uniquement les cas qui sont avérés accidentels. Les conclusions réalisées au sein des PV et des registres d'entrée des corps à la morgue sont diverses et variées et alternent entre noyade, chute, accident de bateau, accident de voiture, crise, saut, baignade, ivresse et tentative de sauvetage, comme nous pouvons l'observer dans le graphique représenté ci-dessous.
Nous développerons pour cette partie diverses circonstances de noyades accidentelles retranscrites dans les archives, à savoir les chutes mortelles, les accidents liés à la navigation, les accidents liés à la réalisation de tâches ou d'activités quotidiennes et enfin les noyades liées à l'ivresse. Concernant les noyades provoquées à l'issue de baignades, qui représentent la majorité des noyades accidentelles, nous aurons l'occasion de les étudier au sein de la deuxième partie de notre chapitre. Si l'on s'intéresse désormais au sexe des victimes de noyade accidentelle, nous pouvons observer qu'une majorité d'entre elles sont des hommes. Ces victimes de sexe masculin représentent 387 cas sur les 493 recensés.
a) Les chutes mortelles Tout d'abord, nous allons nous intéresser aux noyades provoquées par des chutes, qui représentent au total 16,36% des noyades accidentelles. Nous qualifions de chutes toutes précipitations involontaires dans une étendue d'eau qui entrainent ensuite la mort de la victime par noyade. Les chutes provoquant la noyade d'une victime représentent 79 cas, parmi lesquels on retrouve 70 victimes de sexe masculin, et 9 victimes de sexe féminin. La proportion d'hommes est donc de 88,61% ce qui représente une large majorité des cas. Cette surreprésentation des hommes peut s'expliquer de plusieurs manières. Tout d'abord, au XIXème et XXème siècle, la navigation est un domaine réservé aux hommes, ainsi que la majorité des activités que l'on retrouve sur l'eau telles que la pêche, l'aviron ou la joute nautique. Les professions en lien avec les cours d'eau sont également exclusivement masculines. Les femmes quant à elles restent davantage à la maison, à s'occuper des tâches quotidiennes et ménagères ainsi que de l'éducation des enfants. Une autre cause est à souligner également concernant cette forte représentation des victimes masculines au sein des chutes accidentelles, il s'agit de la consommation d'alcool. Nous aurons l'occasion de développer ce point plus tardivement. Nous pouvons évoquer différents cas de noyades provoquées après la chute d'une victime dans l'eau afin d'illustrer nos propos. 91 92 Par exemple en 1818, François Brunet s'est noyé accidentellement dans le Rhône après être tombé du radeau sur lequel il travaillait197. Durant l'année 1835, Nicolas Boulon, garçon de peine âgé de 17 ans se noie dans le Rhône après avoir chuté d'un cheval sur lequel il se trouvait pour faire remonter un batelet le long des berges198. Nous pouvons noter que la majorité des chutes ayant provoquées la noyade d'une personne ont lieu dans le fleuve du Rhône à Lyon (29 cas), suivi de la Saône (23 cas) puis du canal de Givors (5 cas) et de réservoirs d'eau (4 cas). b) Les accidents liés à la navigation Les noyades provoquées par des accidents liées à la navigation sont également l'une des circonstances que l'on rencontre le plus fréquemment dans le département du Rhône entre 1800 et 1950 et qui représentent 92 noyades accidentelles sur les 483 recensées. Parmi ces 92 accidents de bateau, seulement 6 concernent des femmes. La majorité de victimes de sexe masculin est ici écrasante et s'explique en partie par le fait que la majorité des mariniers, ou des propriétaires de bateau était des hommes. L'intégralité des noyades provoquées par un accident de la navigation que nous recensons a lieu soit sur le Rhône soit sur la Saône.
197 ADR, Lyon, Série 4M « Police », 1800-1939, Côte 4M489. 198 ADR, Lyon, Série 4M « Police », 1800-1939, Côte 4M493. 93 Dans la plupart de ces accidents de bateaux, on recense une multiplicité de victimes et des accidents d'une grande ampleur. Par exemple le 19 juillet 1818, un accident terrible a eu lieu sur le Rhône à Vernaison le jour de la fête patronale de la commune qui a coûté la vie à 7 personnes199. Nous pouvons également citer un accident de bateau qui fut le plus meurtrier parmi tous les cas que nous avons pu rencontrer au sein de nos recherches et qui a coûté la vie à un nombre important de victimes. Le 10 juillet 1864, le bateau mouche n°4 « a heurté un banc de sable en aval du pont Vemours » à Lyon sur la Saône, ce qui a provoqué la noyade et la mort de 29 victimes200. Comme nous l'avons évoqué, l'intégralité des noyades provoquées par un accident de la navigation a lieu soit sur le Rhône soit sur la Saône. On observe néanmoins une majorité de victimes ayant péri dans la Saône. Les causes de ces accidents de la navigation sont divers et variés, dans certains cas l'accident est provoqué par le fait que le bateau heurte un obstacle provoquant la chute des passagers comme on peut l'observer le 16 novembre 1815 sur le Rhône lorsque le « bateau de pierre monté d'onze personnes (É) a touché contre un des moulins placés à Saint-Clair, s'est brisé » et a provoqué la chute de huit personnes, dont 3 seulement ont pu être sauvées201. Dans d'autres cas, l'accident est provoqué par le chavirement du bateau tel que ce fut le cas pour Jacques Rolland, marinier âgé de 27 ans qui en 1851 « s'est noyé accidentellement le 24 mars par l'effet d'un bateau qui a chaviré202 ». Il n'est pas possible d'effectuer des statistiques concernant l'évolution dans le temps de ces accidents de la navigation étant donné qu'il n'en ait plus de répertorié à partir de l'année 1866, ce qui est d'ailleurs regrettable car il aurait été intéressant de voir si le développement de la navigation à vapeur dans les années 1820 sur le Rhône et la Saône impacte et augmente le nombre d'accidents et de noyades liées à la navigation. Avec « seulement » 28 accidents de bateau recensés entre 1820 et 1860 sur les 92 que nous recensons au total à partir de 1812, il est compliqué d'observer si une réelle augmentation des accidents de bateaux a eu lieu avec l'émergence des techniques liées à la vapeur.
202ADR, Lyon, Série 4M « Police », 1800-1939, Côte 4M493. c) Les noyades liées aux activités quotidiennes Il est intéressant d'étudier les noyades qui sont dû à l'exercice des activités et tâches quotidiennes car cela met en lumière un fait intéressant : les femmes se trouvent pour la première fois majoritaires, à savoir dans les cas des noyades liées à la pratique de la lessive. Nous estimons à environ 37 cas le nombre de noyades liées à l'exécution d'une activité quotidienne. Par tâches quotidiennes, nous entendons par exemple les noyades provoquées par l'utilisation d'une étendue d'eau afin d'abreuver des chevaux, de puiser de l'eau, de laver du linge, ou de jouer près d'un cours d'eau, ce qui concerne en l'occurrence surtout des enfants. Nous relevons même le cas un peu particulier du nommé Antoine qui en « satisfaisant ses besoins naturels » s'est noyé dans le Rhône à Lyon le 22 septembre 1835203. L'activité qui provoque le plus de victimes concerne les jeux pratiqués par des enfants et qui par inadvertance se noient. En effet, l'enfance représente un âge particulièrement vulnérable face à ce genre de péril, l'eau devenant alors propice au jeu et à l'amusement. On totalise au total 9 cas d'enfants qui généralement après avoir chuté dans l'eau en jouant se noient. Nous avons par exemple le cas d'un enfant nommé Étienne Derbiat qui, le 29 juillet 1836 s'est noyé dans le Rhône près du pont Morand alors qu'il jouait sur le quai qui borde le fleuve. Nous rencontrons également une victime adulte qui se noya dans ces conditions, il s'agit du cas du nommé Joseph Bruyau, âgé de 33 ans, qui s'est noyé à Lyon dans le Rhône le 8 mai 1821 alors qu'il « s'amusait à faire tomber dans le fleuve, en frappant du talon des parties de terre que le Rhône avait miné à quelques distances en aval du pont de la Guillotière204 ». La deuxième activité quotidienne qui comptabilise le plus de noyade est l'abreuvage de chevaux. On recense au total 9 victimes qui ont péri alors qu'elles faisaient boire leur(s) cheval(aux) comme le cas de Mathieu Reynard, qui en 1822 se noya en « faisant boire son cheval dans le torrent205 ». Concernant le cas des victimes noyées alors qu'elles lavaient du linge, nous en rencontrons au total 6, un homme et 5 femmes. Ces noyades peuvent avoir lieu dans un cours d'eau, dans un lavoir comme dans un réservoir ou une pièce d'eau située au domicile de la victime. 203 ADR, Lyon, Série 4M « Police », 1800-1939, Côte 4M493. 204 ADR, Lyon, Série 4M « Police », 1800-1939, Côte 4M491. 205 ADR, Lyon, Série 4M « Police », 1800-1939, Côte 4M491. 94 95 Nous pouvons citer le cas de Claudine Lavarel, domestique âgée de 31 ans qui s'est noyée le 28 novembre 1849 en lavant du linge, ou celui de Victoire Lecomte, 18 ans, qui est tombée dans la Saône à Lyon le 8 mai 1835 en lavant également du linge206. d) Les noyades accidentelles liées à l'ivresse : une surreprésentation de victimes de sexe masculin L'ivresse est « l'état d'intoxication produite par l'alcool et causant des perturbations dans l'adaptation nerveuse et la coordination motrice207 ». Au cours de nos dépouillements, nous avons rencontré un nombre important d'accidents mortels qui avaient été provoqués par une trop grande ingurgitation d'alcool provoquant alors chez les victimes un état de somnolence et une certaine inconscience face aux dangers. Nous estimons le nombre de noyades accidentelles influencées si ce n'est produites par un état d'ébriété à 19. Au sein de ces 19 cas, 18 sont des hommes et 1 seul concerne une femme. Nous pouvons évoquer pour illustrer cette tendance masculine le cas tout d'abord d'Antoine Joubert, 24 ans, apprenti tailleur qui le 11 février 1819 à 20 heures « traversa la Saône avec un de ses camarades nommé Benoît Tiveaux » avec lequel il s'amusa à à boire ce qui provoqua sa chute et sa noyade dans un endroit de la Saône à Villefranche où « il y avait environ 10 pieds208 d'eau209 ». Nous pouvons également évoquer le cas de Jean-Pierre Richard, âgé de 28 ans qui le 30 juin 1828 s'est noyé accidentellement dans le Rhône à Vienne étant dans « état complet d'ivresse, il voulut se baigner et fut entrainé par le courant et disparu immédiatement sous les eaux210 ». Le seul cas féminin que nous rencontrons est quant à lui associé à la nommée Louise Lisseur qui se noya accidentellement dans la Saône à Lyon le 9 janvier 1823 cette femme étant « ivre de vin et de liqueurs211 ». 206 ADR, Lyon, Série 4M « Police », 1800-1939, Côte 4M493. 207 LE ROBERT, « Ivresse ». Dans Dictionnaire en ligne. Consulté le 15 juin 2024. Disponible sur : < https://dictionnaire.lerobert.com/definition/ivresse> 208 Unité de mesure correspondant à 30,48 centimètres. 209 ADR, Lyon, Série 4M « Police », 1800-1939, Côte 4M490. 210 ADR, Lyon, Série 4M « Police », 1800-1939, Côte 4M492. 211 ADR, Lyon, Série 4M « Police », 1800-1939, Côte 4M492. 96 En conclusion de cette partie, nous pouvons dire que les noyades accidentelles, qui ont lieu principalement dans les eaux de la Saône et du Rhône au XIXème siècle et au début du XXème siècle touchent tous les profils de victimes, que ce soit la petite fille qui joue sur les bords du Rhône ou un homme plus âgé qui chute alors qu'il est épris de vin. Représentant près de la moitié des noyades, elles sont attribuées pour la plupart à des chutes ou à des accidents de la navigation. Une autre circonstance provoquant des noyades accidentelles reste cependant à développer et pas des moindres : le cas des baignades. |
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