II- Les noyades liées aux baignades
Dans une deuxième partie, nous allons nous
intéresser à l'une des causes principales des noyades
accidentelles ayant lieu dans le département du Rhône de 1800
à 1950 : les baignades. Comme nous avons pu l'évoquer dans notre
première partie, la baignade fait partie intégrante de la vie des
Lyonnais et ce depuis longtemps. Cependant, par un manque accru de pratique, ou
par la dangerosité que peut révéler parfois les eaux des
fleuves, la fréquence des noyades engendrées après une
baignade est considérable. Nous allons étudier de plus
près ce phénomène qui touche la population rhodanienne au
XIXème siècle et au début du XXème siècle et
tenter d'établir le profil de ces baigneurs ainsi que les circonstances
de ces noyades. Représentant 158 cas au sein des 483 noyades
accidentelles recensées, les noyades liées aux baignades
représentent alors 32,71% des noyades accidentelles soit 14,85% du total
des noyades.
a) Le profil des baigneurs
Il est intéressant de tenter de produire le profil de
ces baigneurs qui enfreignent parfois les lois et les interdictions
imposées par les autorités publiques pour se baigner à
certains endroits. Tout d'abord, nous supposons que le nombre de noyades ayant
eu lieu à la suite d'une baignade est dans les faits plus important que
ce que révèlent les archives, en raison notamment d'une
non-connaissance dans certains cas des circonstances de la noyade d'une
personne. On suppose ceci en raison de l'observation faite selon laquelle il y
a une majorité de noyade qui ont lieu durant la période de
l'été et plus précisément durant le mois de juin au
mois de septembre. Nous aurons l'occasion de revenir sur les périodes de
prédilection des baigneurs dans la sous-partie suivante.
212 ADR, Lyon, Série 4M « Police », 1800-1939,
Côte 4M494.
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Dans son étude, Françoise Bayard estimait
qu'à Lyon aux XVIIème et XVIIIème siècles se
baigner dans les fleuves n'avait rien d'étonnant et déclarait que
: « La baignade est pratiquée par les deux sexes, à tout
âge, dans tous les milieux sociaux, à tout moment, dans des lieux
variés et selon des modalités différentes ».
Néanmoins, elle poursuit ses propos en déclarant qu'en examinant
la levée des cadavres des noyés, on pourrait croire que la
natation est réservée aux personnes de sexe masculin, deux
victimes de sexe féminin seulement ayant été
recensées de 1624 à 1789. En étudiant les baignades aux
XIXème et dans la première moitié du XXème
siècle, on observe que ces conclusions sont toujours
d'actualités. En effet, l'intégralité des baigneurs qui se
sont noyés sont des hommes, on ne recense aucune victime féminine
entre 1800 et 1950. Dans 44 cas, l'âge de la victime est inconnue,
cependant on constate que pour les victimes dont on connaît
l'identité, tous les âges sont représentés. La
victime la plus jeune que nous rencontrons a 8 ans tandis que la plus
âgée a 69 ans. Cependant, dans l'ensemble les victimes sont
relativement jeunes, la moyenne d'âge de ces baigneurs étant
d'environ 20 ans. L'un des moyens d'identifier le cadavre d'un baigneur est la
présence de la nudité chez la victime. En effet, un nombre
important de baigneurs se baignent nus durant cette période ou parfois
avec un slip de bain. Les descriptions des cadavres par ailleurs
évoquent assez régulièrement la présence de cette
nudité chez la victime même lorsque son identité demeure
inconnue ce qui nous permet de reconnaître les baigneurs parmi l'ensemble
des noyés. Nous avons par exemple le cas d'un cadavre retrouvé le
20 juillet 1865 dans le Rhône à Lyon et dont la description
retranscrite dans le PV est la suivante : « on présume que la
victime s'est noyée en se baignant (É) complètement nu sur
le bord du Rhône près du parc de la tête
d'Or212 ».
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b) Les périodes de prédilection des
baigneurs
Désormais, nous allons nous intéresser aux
périodes durant lesquelles le plus de baigneurs se noient. C'est
très logiquement que la période de l'année durant laquelle
on recense le plus de victimes de noyade lors des baignades est
l'été. En effet, l'intégralité des disparitions des
baigneurs a lieu entre le mois d'avril et le mois de septembre, périodes
propices aux baignades notamment en raison du climat et de la chaleur estivale
qui poussent les hommes à se rafraîchir dans une étendue
d'eau.

Concernant les périodes de découverte des
cadavres de baigneurs, il est difficile d'avérer que les statistiques
que nous avons construit sont fiables notamment dû au fait que nous ne
pouvons pas faire le rapprochement entre les victimes ayant disparu et les
cadavres qui sont retrouvés lorsque l'identité de l'un ou de
l'autre n'est pas connue ou qu'il est difficile d'identifier le corps.
Cependant, les résultats que nous trouvons nous permettent d'admettre
que les cadavres de baigneurs qui sont retrouvés le sont tous durant la
période estivale également, même si pour 118 des cas de
noyades après une baignade nous ne connaissons pas la période de
découverte du cadavre ayant disparu dans l'eau. Le graphique suivant
n'est donc pas représentatif de la réalité, et bien plus
de cadavres ont été retrouvés mais il nous permet
cependant d'avoir une idée des périodes durant lesquelles il est
fréquent de retrouver les cadavres de baigneurs.

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c) Les lieux de prédilection des baigneurs
Enfin, nous allons nous intéresser aux lieux de
disparition des baigneurs dans le département du Rhône au
XIXème siècle et au début du XXème siècle en
nous appuyant sur les archives des PV des ADR. Nous observons une
majorité de disparition et de noyade de baigneurs dans le Rhône
dans lequel on recense 70 cas plus deux cas dans ses lônes, qui sont des
bras du fleuve. Dans la Saône, nous recensons au total 55 cas de
disparitions ayant eu lieu après une baignade.

100
Concernant les communes, on observe une majorité de
disparitions qui ont lieu dans la ville de Lyon, cette ville
représentant à elle seule 87 cas. Nous pouvons également
observer que les communes frontalières de la ville de Lyon sont les plus
touchées après celle-ci, avec notamment un nombre important de
disparitions recensées dans la commune de La Guillotière par
exemple213. Il faut également noter qu'un certain nombre de
ces noyades de baigneurs ont lieu dans les fossés et notamment au sein
du fossé du fort de Villeurbanne. Construit à partir de 1831, ce
fort, également appelé « fort Montluc » était
situé sur la rive gauche du Rhône214 et accueillait
régulièrement des baigneurs qui venaient s'y rafraîchir
l'été ou même des personnes qui y chutaient
accidentellement. Nous pouvons notamment évoquer le cas de Jean-Claude
Four, âgé de 15 ans qui s'est noyé accidentellement le 5
juillet 1866 alors qu'il se baignait dans le fossé du fort de
Villeurbanne215. Les baigneurs se donnent également
rendez-vous sur des plages non encadrées, on en recense notamment
à Collonges-au-Mont-d'Or, à Rochetaillée, à
Neuville-sur-Saône mais également à Caluire-et-Cuire avec
la plage de Saint-Clair, ou la plage du Rhône à Lyon située
près du parc de la Tête d'or216.
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