IV- La noyade comme moyen de commettre un homicide
Dans une quatrième et dernière partie de ce
chapitre, nous allons nous attarder sur la dernière circonstance des
noyades que l'on a identifié au cours de nos recherches, à savoir
l'homicide. La noyade utilisée comme arme meurtrière concerne ici
27 noyés parmi les 1064 recensée, dont 14 sont des adultes et 13
des enfants. Comme évoqué dans notre première partie, nous
ne ferons pas la distinction entre les assassinats, qui sont des meurtres avec
préméditation, les homicides volontaires et les homicides
involontaires, nous prendrons en compte l'intégralité des cas.
Nous ne prendrons également qu'en compte les homicides qui sont
avérés au sein des conclusions, et non pas les cas qui pourraient
être des homicides, n'ayant aucune certitude à leur
égard.
a) Le profil des victimes et des meurtriers
Tout d'abord nous allons nous intéresser au profil des
victimes ayant été tuées à l'âge adulte. Au
sein des 14 cas d'homicides que nous relevons, 9 concernent des hommes, et 5
des femmes. Dans l'ensemble des cas, nous connaissons le sexe de la victime,
à la différence de l'âge qui n'est cité que dans 10
cas et du nom de famille et du prénom de la victime que l'on connait
pour 11 cas. L'ensemble des victimes qui ont été tuées et
que nous recensons ont la nationalité française. En ne prenant
toujours pas en compte les infanticides, la moyenne d'âge des victimes
est assez élevée puisqu'elle est de 40 ans. Si nous la calculons
désormais en prenant en compte l'intégralité des victimes,
elle descend à environ 20 ans, tout en sachant qu'entre 1 an et 18 ans,
nous ne recensons aucune victime. Concernant 12 cas sur les 27 que nous
recensons, des traces de violence ont été observées et ont
permis de constater que la victime avait été assassinée.
Ces différentes marques peuvent être des ecchymoses, des traces de
strangulation ou de coup, des contusions, des mutilations ou des traces de
pression et de maintien. Nous avons par exemple le cas de Claudine Vercelice,
50 ans, dont le cadavre fut retrouvé près du pont Pasteur dans le
Rhône à Lyon le 8 avril 1946 et portait « de multiples
traces de violence sur la tête et sur les membres et des tentatives de
strangulations225 ». Si l'on s'intéresse
désormais au profil des meurtriers, il est très difficile
à définir, ces derniers n'étant identifiés que dans
3 cas. Nous pouvons cependant constater que dans ces 3 cas, le coupable est un
proche de la victime, par exemple Marie Vagnon, âgée de 36 ans a
été
225 AML, Lyon, Archives de l'IML, Morgue, dépôt des
morts, 1946, Côte 2764W2.
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jetée dans le Rhône à Lyon le 15 mars 1864
par le nommé Claude Guillet, âgé de 38 ans avec lequel elle
entretenait des relations adultérines226. Dans le dernier cas
que nous avons recensé, la victime a été tuée par
son frère et concernant le troisième cas il fut tué par
son neveu.
b) Les infanticides
Comme nous venons de l'évoquer, presque la
moitié des victimes sont des enfants en bas-âge. Concernant ces 13
victimes de noyade, nous ne connaissons pas leur identité, à
savoir leur âge, leur prénom, leur nom ou leur nationalité.
Nous connaissons en revanche pour 10 de ces 13 cas l'âge approximatif de
la victime et notamment s'il s'agit d'un foetus, qui n'a pas achevé son
développement et qui est donc victime soit d'une mort
prématurée lors d'une grossesse qui n'a pas abouti ou alors soit
une victime d'avortement clandestin. Nous recensons sept victimes qui sont
décrites comme étant des foetus parmi lesquelles 6 sont de sexe
masculin, 3 de sexe féminin, et un de sexe inconnu. Nous avons
rencontré par exemple le cas sordide d'un nouveau-né dont des
morceaux ont été retirés de la Saône le 21 novembre
1823 à Lyon et dont la description dans le PV était la suivante :
« main d'un enfant nouveau-né a été
retirée de la Saône (É) cadavre qui a été
retiré en plusieurs morceaux (É) comme on le suppose, l'enfant
n'aurait pas été exposé et dévoré ensuite
par des chiens227 ». À propos des cas de
nouveau-né qui ont été noyés alors qu'ils
étaient nés viables, nous recensons trois cas, dont un
bébé de sexe masculin âgé de 2 mois dont le cadavre
a été repêché le 3 décembre 1864 dans le
Rhône à Lyon228. Les deux cas de bébés
nés viables et qui furent tués alors qu'ils étaient
âgés d'au moins plusieurs mois sont deux bébés de
sexe féminin. Ces deux cas sont similaires sur plusieurs points. Tout
d'abord, ces deux bébés ont été retrouvés
dans le Rhône à Givors, à seulement un jour d'intervalle.
La première victime a été retrouvée le 11 septembre
1865 tandis que la deuxième fut retrouvée le 12 septembre de la
même année. De plus, ces deux bébés étaient
âgés de respectivement 6 et 10 mois. Enfin, leur cadavre a
été retrouvés mutilé d'une manière horrible,
leur description met l'accent sur ces mutilations atroces, dans le premier cas
il est retranscrit qu'un « cadavre d'un enfant appartenant au sexe
féminin (É) enveloppé dans un torchon de toile
grossière (portait) d'horribles mutilations229 »
alors qu'il est
226 ADR, Lyon, Série 4M « Police », 1800-1939,
Côte 4M494.
227 ADR, Lyon, Série 4M « Police », 1800-1939,
Côte 4M492.
228 ADR, Lyon, Série 4M « Police », 1800-1939,
Côte 4M494.
229 ADR, Lyon, Série 4M « Police », 1800-1939,
Côte 4M494.
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retranscrit pour le deuxième cas qu'il s'agit du
« cadavre d'une petite fille, âgée d'environ dix mois et
qui avait quand on l'a découvert les quatre membres coupés et
portait sur le corps des traces de mutilations230 ». Ces
similitudes nous font présumer que ces victimes ont été
tuées par le même meurtrier.
c) Une sous-représentation des noyades dans les
procès-verbaux et les registres?
Même si la noyade ne demeure pas le premier moyen
employé par les meurtriers pour tuer leur victime, elle a cependant
certaines particularités qui pourraient présenter un
intérêt quant à son utilisation par les meurtriers. Tout
d'abord, l'avantage de la noyade qui peut être recherché par les
meurtriers est le fait qu'elle ne laisse pas ou rarement des traces et des
indices lorsque le cadavre est retrouvé, comme le déclare
Sébastien Jahan : « L'eau est le déversoir du crime.
Elle engloutit le forfait de l'assassin avec le cadavre, et souvent le nom de
sa victime. Livré au fil de l'eau, le corps finit par s'échouer,
stoppé par des branchages, ou bien remonter des profondeurs,
ramassé par quelque passeur ou pêcheur de rivière. Mais
lorsqu'il ressurgit, des jours voire des semaines plus tard, le temps et la
mort ont fait leur oeuvre : la dépouille n'est plus « lisible
». La décomposition a maquillé les coups et les blessures,
corrompu les chairs et les vêtements au point de rendre parfois le
cadavre inidentifiable231 ». La deuxième
particularité est le fait qu'il y a de fortes probabilités pour
que le corps ne soit pas retrouvé par les autorités ou du moins
qu'il soit retrouvé dans un tel état de décomposition ou
de dégradation que celle-ci ne permette pas l'identification de la
victime. De plus, il est relativement complexe pour la police de
déterminer réellement les circonstances de la noyade et de savoir
si cette dernière est le fruit d'un accident, d'un suicide ou d'un
meurtre. C'est pour cette raison que dans un nombre important de noyade, la
conclusion n'est pas certaine, on observe par exemple que pour 197 cas, la
conclusion de la mort oscille entre une noyade provoquée à la
suite d'un accident ou d'un suicide, que dans un cas la conclusion de la noyade
est celle d'un homicide ou d'un suicide, et que dans 212 cas, nous ne
connaissons pas la conclusion et les circonstances de la noyade. De plus,
même lorsque la conclusion est établie au sein des PV ou des
registres de la morgue, la fiabilité de celle-ci peut facilement
être remise en cause, dû notamment au fait que les conclusions se
font très rapidement, généralement dans le jour qui suit
la découverte du
230 ADR, Lyon, Série 4M « Police », 1800-1939,
Côte 4M494.
231 Sébastien JAHANB, « Le corps englouti : les
noyés aux Temps modernes », Corps submergés, corps
engloutis : une histoire des noyés et de la noyade dans
l'Antiquité à nos jours, sous la direction de
Frédéric Chauvaud, Créaphis, 2007, pp. 60-61.
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cadavre, et qu'aucune enquête préliminaire n'est
réalisée avant. Enfin, la dernière raison pour laquelle il
nous faut remettre en cause le nombre d'homicides au sein de nos bases de
données est tout simplement le fait que les policiers déclarent
qu'une victime est décédée à la suite d'un homicide
uniquement dans les cas où il y a une présence visible de traces
violentes, la présence d'un témoin ou lorsque la victime n'a pu
se noyer volontairement comme c'est le cas concernant les infanticides. Nous
estimons donc que le nombre d'homicides par noyade est bien plus important dans
les faits que dans les archives, même s'il est très
compliqué de le déterminer.
En conclusion de ce chapitre nous pouvons estimer que les
homicides identifiés au sein des archives des PV et des registres ne
reflètent pas la réalité des noyades qui eurent lieu dans
le département du Rhône entre 1800 et 1950. Concernant les cas que
nous avons pu étudier, il est important de rappeler que la moitié
des cas sont des enfants de moins d'un an, et que globalement on retrouve
autant de victimes de sexe masculin que de victimes de sexe féminin. Il
est également probable que pour une majorité des cas le meurtrier
soit connu par la victime, étant donné que concernant les
meurtres dont on connait le coupable, ce dernier est à chaque fois un
proche de la victime.
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