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Histoire et épidémiologie historique de la noyade dans le Rhône XIXème-XXème sièclespar Charlotte Gouillon Université Lyon 2 - Master 2 2025 |
PARTIE 3LES AMÉNAGEMENTS ET LES OUTILS DE LUTTE CONTRE LES NOYADES MIS EN PLACE À PARTIR DU XIXÈME SIÈCLE EN FRANCE ET À LYON 110 Maintenant que nous avons pu étudier l'ensemble des morts recensées dans le département du Rhône et plus particulièrement à Lyon durant le XIXème siècle et la première moitié du XXème siècle, et que nous avons développé le cas spécifique des noyades, nous allons désormais nous intéresser aux aménagements, structures, et outils qui sont mis en place par les autorités publiques en France et à Lyon afin de lutter et de prévenir les noyades. Dans un premier chapitre, nous nous attarderons sur la politique de prévention et d'intervention qui est mise en place par le gouvernement français et les autorités publiques à partir du XIXème siècle et dans un second chapitre, nous nous intéresserons à l'émergence de la presse locale comme d'un outil de prévention et d'éducation aux XIXème et XXème siècles dans le département du Rhône et à Lyon. 111 CHAPITRE 1UNE POLITIQUE DE LUTTE CONTRE LES NOYADES QUI S'INTENSIFIE
AU Dans notre premier chapitre, nous allons traiter des politiques de lutte contre les noyades qui sont mises en place par le gouvernement français à partir du XIXème siècle et les évolutions qu'elles connaissent tout au long de ce dernier et au début du XXème siècle. Cette politique de lutte contre les noyades passe par une politique de contrôle des baignades, qui demeurent la première cause des noyades accidentelles avant le XIXème siècle mais également la première cause des noyades accidentelles de 1800 à 1950. Nous nous intéresserons dans une première partie à la politique de prévention et d'intervention mise en place par les autorités publiques ainsi que les techniques de sauvetage qui sont élaborées, puis nous verrons dans une deuxième partie l'influence que la presse locale possède au XIXème siècle et au début du XXème siècle concernant la prévention des noyades. I- Une politique de prévention et d'intervention qui émerge au XIXème siècle en France et à Lyon Avant le XIXème siècle, la prévention des noyades est inexistante, tout comme le sauvetage. Les risques encourus par les « travailleurs de l'eau » ainsi que par les baigneurs n'intéressent guère les autorités de l'Ancien Régime232. La priorité des sociétés d'Ancien Régime est la « préservation et l'affirmation de leurs pouvoirs et de l'ordre social233 ». C'est seulement à la fin du XVIIIème siècle que l'on voit apparaître les premières formes officielles à l'entraide collective en faveur de son semblable dans le péril. Par ailleurs, avant 1816, le mot « sauveteur » n'existe pas, il ne sera admis par l'Académie française qu'en 1835. Quant au terme « sauvetage », il apparaît pour la première fois en France en 1773, avant d'être accepté comme néologisme par l'Académie française en 1835234. Cette arrivée tardive dans le langage français de ces termes montre bien à quel point le gouvernement français avant le XVIIIème siècle n'accordait pas d'importance à la prévention et au 232 FABIEN CAMPORELLI, Maitres-nageurs sauveteurs, Dynamiques d'un groupe professionnel dominé (1927-2022), Thèse de sociologie, Lille : faculté des sciences sociales, économiques et des territoires, 2002. 233 Benoit GARNOT, « Justice et société dans la France du 18ème siècle ». Dix-Huitième Siècle n°37, p. 88. 234Frédéric CAILLE, La figure du sauveteur. Naissance du citoyen-secoureur en France, 1780-1914. Presses universitaires de Rennes, 2006, 320p. 112 sauvetage de la population lors de situation dangereuse. À partir des XVIIIème et XIXème siècles, un basculement a lieu dans la perception sociale de la noyade. L'intérêt des pouvoirs publics ainsi que celui de la population est désormais de repenser le monde en partant des dangers qui le menacent235. a) Des lois promulguées pour contrôler les baignades Le XIXème siècle en France est marqué par une multitude de régimes politiques et une incertitude quant à l'avenir politique du pays qui met de côté des questions considérées comme de « second plan ». Marqué par la Révolution française de 1789, le commencement du nouveau siècle se fait presque dans le sang et la mort et va voir se substituer pas moins de 6 régimes politiques, de l'Empire aux Républiques en passant par une Restauration de la monarchie ce qui rend l'étude des politiques de ce siècle particulièrement complexe. Cependant, la prévention et le sauvetage des noyades, et particulièrement des noyades maritimes vont peu à peu préoccuper les différents gouvernements et permettre l'émergence de différentes lois, tout d'abord destinées à contrôler les baignades qui se développent massivement au XIXème siècle en raison notamment de l'intérêt croissant de la population pour l'hygiène. Si de prime abord, l'intérêt des politiciens montre une volonté d'améliorer les techniques de sauvetage ou de réduire le nombre de noyade ayant lieu à la suite de baignades dans les cours d'eau français, leur politique cache en réalité derrière cela un désir de contrôler des comportements qui sont considérés comme irrespectueux et impudiques, la plupart des baigneurs se baignant nus et étant issus majoritairement des classes populaires. L'exhibition sexuelle, mais aussi les postures prises par certains baigneurs ainsi que la promiscuité entre les sexes choquent et outragent l'opinion publique ce qui provoquent l'intervention du gouvernement avec une augmentation de la publication d'ordonnances concernant les bains de rivières au cours du XVIIIème siècle. En 1740, une ordonnance du Prévôt des marchands236 interdit par exemple de se baigner nu sous peine d'une amende de 150 livres237. Le 2 juin 1811, la police de Lyon publie quant à elle une ordonnance stipulant qu'il « est expressément défendu à toute personne de se baigner en pleine eau, dans le Rhône et la Saône, à l'intérieur de la ville et ailleurs que dans les bains 235 FABIEN CAMPORELLI, Maitres-nageurs sauveteurs, Dynamiques d'un groupe professionnel dominé (1927-2022), Thèse de sociologie, Lille : faculté des sciences sociales, économiques et des territoires, 2002. 236 Coll. MUSÉE GADAGNE, ville de Lyon, Inv. N24821 : Ordonnance du Prévôt des Marchands Perrichon, 1740. 237 = Environ 1700 euros. 113 couverts238 ». D'autres lois seront publiées au cours du XIXème et du XXème siècle pour le contrôle de ces bains de rivière, on note notamment la publication d'un arrêté préfectoral qui interdit la baignade à Lyon dans les fossés d'enceinte des fortifications et ainsi que sur les rives du Rhône et de la Saône ou l'arrêté préfectoral du 6 août 1936 qui réglemente principalement les baignades dans le but d'assurer le bon ordre, la sureté et la salubrité des baignades dans les rivières, canaux239. b) La création de lieux de baignade surveillés et encadrés Devant une pratique toujours plus importante de la baignade en pleine eau, les autorités publiques mettent en place petit à petit des lieux destinés à la baignade, contrôlés et surveillés, espérant ainsi réduire les baignades en dehors de ces bains réglementés représentant une véritable source de danger pour la population et causant un nombre conséquent de noyades. À travers cette action, les autorités publiques souhaitent également régler le problème que posent l'exhibition et l'immoralité des baigneurs nus en pleine eau. C'est ainsi qu'émergent les établissements de « bains flottants » au sein de la capitale parisienne tout d'abord, puis dans d'autre grandes villes françaises comme Lyon240. Installés de manière provisoire, ils sont effectifs uniquement durant l'été, et plus particulièrement de juin à septembre. Le premier objectif avec la création de ces bains surveillés et encadrés est d'éviter les noyades. Cependant, à la fin du XIXème siècle, on observe une baisse des bains à Lyon, que Thierry Terret explique dans son étude241 par le fait de nombreuses destructions de ces établissements dus aux catastrophes naturelles comme les crues, mais également par le fait des travaux engendrés par la mairie pour la construction de quais, de digues insubmersibles formées de bas-ports et de murs de quai luttant notamment contre les innondations, ces dernières ayant traumatisé les habitants de 1856 et 1889. 238 Pauline DELON, « Sais-tu nager? Pardi, je suis Lyonnais! » : La politique municipale de la ville de Lyon en matière d'établissements de bains au 19ème siècle. Mémoire de recherche IEP, séminaire Ville et pouvoir urbain, mémoire sous la direction de Renaud Payre, 2007. 239 Rym HAOUARI, Baignades dans le Rhône et la Saône au XXème siècle, Rapport de stage sous la direction de Magali Delavenne, 2023. 240FABIEN CAMPORELLI, Maitres-nageurs sauveteurs, Dynamiques d'un groupe professionnel dominé (1927-2022), Thèse de sociologie, Lille : faculté des sciences sociales, économiques et des territoires, 2002. 241 Thierry TERRET, Les défis du bain : formes de pratiques, modèles et résistances dans les processus de diffusion de la natation sportive. Thèse STAPS, sous la direction de P. Arnaud, Lyon 1, 1992. Afin de contrer cette diminution des bains flottants, le Préfet du Rhône demande le 4 août 1873 à l'ingénieur en chef de la mairie, de réaliser un projet proposant d' « établir des bains publics et gratuits sur le Rhône242». Malgré l'ouverture de ces lieux de baignades encadrés et gratuits, le nombre de baigneurs en pleine eau ne diminue pas, et aucune réduction des accidents liés à ces baignades n'a été observée243. c) La création des écoles de natation Les nombreuses catastrophes et noyades liées à l'incompétence de la population à savoir nager conduit peu à peu le gouvernement et les villes à s'engager dans la transmission de l'art de nager, de la surveillance des rivières ainsi que dans l'assistance aux noyés. L'apogée des établissements de bains flottants durant la période du Second Empire voit apparaître également l'émergence dans certains de ces établissements de cours de natation le long des rivières françaises. La première école de natation est créée en 1785 sur la Seine par Barthélémy Turquin à l'île Saint Louis244. Destinés à des classes aisées, ces cours sont dispensés par des « maîtres de nage » dont le travail demeure exclusivement saisonnier. Ces maîtres de nage au sein des bains froids de rivière sont alors la plupart du temps des « mariniers nageurs surveillants » ou des « bateliers nageurs » qui en plus d'enseigner la natation veille au respect des normes de sécurité ainsi qu'au respect des comportements des nageurs. Ils contrôlent les baignades dans les bains de rivière tout en intervenant lorsque des baigneurs se montrent imprudents. À la différence des surveillants-sauveteurs que nous aurons l'occasion d'évoquer ultérieurement et qui assurent la sécurité des baignades publiques dans les cours d'eau, les maîtres-nageurs des écoles de natation sont soit salariés soit propriétaires de l'école245. 242 AML, Ville de Lyon, Avant projet d'établissement de bains publics et gratuits sur le Rhône, 8 août 1873, Côte 1146 WP 0097. 243 Pauline DELON, « Sais-tu nager? Pardi, je suis Lyonnais! » : La politique municipale de la ville de Lyon en matière d'établissements de bains au 19ème siècle. Mémoire de recherche IEP, séminaire Ville et pouvoir urbain, mémoire sous la direction de Renaud Payre, 2007. 244FABIEN CAMPORELLI, Maitres-nageurs sauveteurs, Dynamiques d'un groupe professionnel dominé (1927-2022), Thèse de sociologie, Lille : faculté des sciences sociales, économiques et des territoires, 2002, Chapitre 1 - Genèse du problème public de la noyade. 245 FABIEN CAMPORELLI, Maitres-nageurs sauveteurs, Dynamiques d'un groupe professionnel dominé (1927-2022), Thèse de sociologie, Lille : faculté des sciences sociales, économiques et des territoires, 2002, Chapitre 1 - Genèse du problème public de la noyade. 114 On retrouve notamment une école de natation sur la Saône au pont du Change à Lyon qui accueille des élèves durant la première moitié du XIXème siècle et jusqu'en 1843246. II- Un intérêt croissant de l'État et de la population pour le sauvetage et l'assistance aux noyés tout au long du XIXème siècle Durant le XIXème siècle, une autre préoccupation intrigue les autorités publiques : le sauvetage. Le sauvetage qui arrive tardivement dans le vocabulaire français comme nous avons pu le faire remarquer lors de notre introduction est une pratique peu courante durant l'époque moderne. Peu à peu avec l'intervention des autorités ainsi que l'image héroïque attribuée à ses adhérents, le développement des méthodes de sauvetage et des sauveteurs dans la sphère publique comme dans la sphère privée va émerger. a) La création des surveillants-sauveteurs par l'État L'intérêt de l'État pour le sauvetage débute avec le sauvetage en mer au début du XIXème siècle, le sauvetage en eau douce n'intéressant pas immédiatement les autorités publiques. C'est ainsi que sont créées les sociétés de sauvetage au début du siècle, et notamment la Compagnie de Boulogne-sur-mer en 1825, première société de sauvetage en France. Leur but est de « prévenir les accidents, porter assistance à toutes les personnes en danger de se noyer et à procurer aux individus retirés de l'eau tous les secours propres à les rappeler à la vie247 ». De multiples inventions sont ensuite crées pour porter secours aux noyés telles que la chaloupe insubmersible ou la ceinture de sauvetage en 1842. En 1865, une Société centrale de sauvetage des naufrages est instituée et reconnue d'utilité publique le 17 novembre 1865. En 1889, le premier Congrès international de sauvetage se réunit à la suite duquel une brochure sera publiée en France dans laquelle sont donnés des conseils pratiques ainsi que les gestes à avoir lorsque l'on sauve une victime de la noyade comme la technique du bouche-à-bouche. L'émergence de tous ces événements et la création de ces structures montrent l'intérêt désormais des autorités françaises 246 Pauline Delon, « Sais-tu nager? Pardi, je suis Lyonnais! » : La politique municipale de la ville de Lyon en matière d'établissements de bains au 19ème siècle. Mémoire de recherche IEP, séminaire Ville et pouvoir urbain, mémoire sous la direction de Renaud Payre, 2007. 247 Frédéric CHAUVAUD, « Submersions et catastrophes : les figures du noyé au XIXè siècle », Corps submergés, corps engloutis. Une histoire des noyés et de la noyade de l'Antiquité à nos jours, sous la direction de Frédéric Chauvaud, Créaphis, 2007, pp 82-83. 115 116 pour lutter contre les noyades. C'est dans ce contexte que « les pouvoirs publics accordent des concessions aux exploitants de « bains froids » de rivière à la condition que ces « maîtres de bains » contrôlent par l'emploi de « bateliers nageurs » ou de « mariniers nageurs surveillants » plus que la sécurité, le respect des comportements adéquats à la pudeur ambiante248 ». Cette nouvelle profession dans le domaine de la baignade instituée par l'État est celle des surveillants-sauveteurs. Ils sont gendarmes, garde-champêtres ou militaires de profession et leur mission est d'assurer la sécurité des baignades publiques. Ils sont rémunérés soit par l'exploitant des bains de rivière, soit par les autorités locales. b) L'émergence de sauveteurs anonymes Pendant longtemps, l'assistance aux victimes de noyades est inexistance chez les particuliers. Cette non-assistance de la population s'explique tout d'abord par une peur de l'eau qui paralyse la population. Peu d'individus sont alors en capacité d'intervenir auprès d'une victime en milieu aquatique, même lorsque la profondeur de l'eau le permet. Lorsqu'un noyé réapparaît à la surface de l'eau ou est rejeté sur une plage ou une berge, sa vision fait peur à la population, et ce dernier est généralement laissé sur place. Lorsqu'il est hissé hors de la rivière, le cadavre est ensuite déposé sur la terre ferme et abandonné sur place avant l'arrivée des autorités. Parfois observé par les habitants de passage, cet abandon des corps produit cependant des réactions d'indignation telles qu'on peut le voir chez un journaliste qui déclara au sujet d'un cadavre de noyé : « il est donc resté pendant quatre heures exposé à la curiosité malsaine des passants249 ». Cette répulsion à l'égard des noyés s'explique par « une peur d'entrer en contact avec le corps du noyé, de le frôler ou de le toucher. Le noyé porte malheur, chuchote-on250 ». De plus, cette répulsion face aux cadavres des noyés s'accompagne par une peur des représailles que pourrait effectuer la justice. La plupart des témoins préfèrent donc s'abstenir. On observe notamment cette répulsion au sein d'un des PV datant du 10 juillet 1812 et dans lequel est déclaré : « qu'un cadavre de femme arrêté, dans ces derniers temps sur les bords du Rhône, territoire de Millery, y est resté exposé pendant plus de huit jours (É) quelques habitants incommodés par l'odeur infecte de ce cadavre l'ont poussé au milieu 248 FABIEN CAMPORELLI, Maitres-nageurs sauveteurs, Dynamiques d'un groupe professionnel dominé (1927-2022), Thèse de sociologie, Lille : faculté des sciences sociales, économiques et des territoires, 2002. 249 Le Journal de la Vienne, 8 décembre 1873. 250Frédéric CAILLE, La figure du sauveteur. Naissance du citoyen-secoureur en France, 1780-1914. Presses universitaires de Rennes, 2006, 320p. du fleuve dont le courant l'a entrainé251 ». C'est pour cette raison que les autorités publiques interviennent afin de débloquer la situation et d'inciter les gens à se manifester pour porter secours aux noyés. Par exemple à Paris, la municipalité rappelle aux habitants qu'ils sont aptes à secourir les noyés et également à retirer leur corps de l'eau avant d'avertir le garde-corps le plus proche où se trouve une boîte de secouriste permettant d'effectuer les premiers soins. Des récompenses sont également mis en place, par exemple les Parisiens peuvent recevoir 6 livres s'ils avertissent le premier le garde-corps ou 24 livres s'ils retirent et administrent les secours au noyé252. À Lyon, on observe ces secours aux noyés dans les corps de garde fonctionnent dès 1780253. Cet intérêt pécuniaire permet alors une augmentation de l'assistance aux noyés et est renforcé par la diffusion de la presse et de l'image héroïque qu'elle fait des sauveteurs comme nous aurons l'occasion de le voir plus tard. c) Les tentatives de sauvetage au sein des archives des procès-verbaux de 1800 à 1939 dans le département du Rhône Enfin, nous allons nous attarder un instant sur ces tentatives de sauvetage qui sont effectuées par des personnes qui sont majoritairement « non-qualifiées ». Au cours de nos recherches, nous avons eu l'occasion de rencontrer plusieurs cas de noyade retranscrits au sein des archives des procès-verbaux dans lesquels sont mentionnés qu'une tentative de sauvetage avait été effectuée auprès de la victime avant la noyade de cette dernière. Nous avons également pu voir des tentatives de sauvetage qui se sont avérées efficaces. Concernant les tentatives de sauvetage vaines tout d'abord, on en recense un nombre important. En effet, dans bon nombre de cas de noyade, il est stipulé dans la description du PV que tout a été mis en oeuvre pour tenter de sauver la victime. Par exemple, nous pouvons lire au sein d'un PV rédigé par le maire de Caluire-et-Cuire le 21 août 1817 au sujet d'une noyade ayant eu lieu à la suite d'une baignade dans cette commune le 15 août 1817 dans la Saône que « diverses personnes qui se trouvaient présentes ont essayé mais inutilement de lui porter secours254 ». 251 ADR, Lyon, Série 4M « Police », 1800-1939, Côte 4M488. 252 Françoise BAYARD, « Nager à Lyon à l'époque moderne, 17ème-18ème siècle » dans Jeux et Sports dans l'Histoire. Actes du 116ème Congrès national des sociétés savantes. Section histoire moderne et contemporaine, Chambéry, 1991. Paris, éditions CTHS, 1992, pp. 229-242. 253 ADR, 10 G 3811, 2 août 1780 ; 26 juin 1782. 254 ADR, Lyon, Série 4M « Police », 1800-1939, Côte 4M489. 117 118 Ces tentatives de secours peuvent être identifiées tout d'abord par une tentative de retirer la personne de l'eau comme on l'observe pour le cas de Laurent Louis Mazé, jeune homme de 25 ans qui s'est noyé accidentellement le 14 juin 1836 dans la Saône à Vaise et qui « a disparu sous un radeau, les personnes qui étaient présentes ne sachant point nager n'ont pu lui porter secours255 ». Les autres tentatives de sauvetage effectuées se définissent par le fait de prodiguer des soins à une victime sortie de l'eau afin de tenter de la réanimer comme on peut l'observer notamment pour le cas d'Eugène Louis, 17 ans, ouvrier français qui s'est noyé le 6 juin 1819 dans la Saône à Vaise et dont le procès-verbal mentionnait que « le cadavre a été retiré vingt minutes après presque au même instant se sont présentés quatre élèves de l'école (É) ils ont administré à l'asphyxié tous les secours convenables après deux heures de travail ils n'ont pas pu le rappeler à la vie256 ». Les sauvetages qui ont permis de sauver des victimes de la noyade sont quant à eux peu présents ou peu recensés dans les archives des PV. Ils concernent soit des sauvetages de victimes de noyade accidentelle, soit des interventions auprès d'une personne tentant de mettre fin à ses jours en se noyant, et sont la plupart du temps réalisés par des personnes travaillant près de cours d'eau comme des mariniers ou des pêcheurs, ou des proches de la victime. Nous pouvons citer par exemple le cas de Simon Bajard, marinier qui a sauvé des eaux de la Saône le dimanche 8 avril 1822 le nommé Flichet, âgé de 13 ans alors que ce dernier était en train de se noyer257. Nous pouvons également évoquer le cas d'une tentative de suicide, celle de la nommée Benoite Vérial qui dans un « excès de folie » s'est précipitée dans la Saône à Lyon près du quai des Célestins d'où elle a été retirée saine et sauve puis « conduite à l'hospice de l'antiquaille pour y recevoir les soins qu'exige son état258 ». III- L'émergence de la médecine légale à Lyon au XIXème siècleDurant le XIXème siècle, l'assistance et la prise en charge des noyés s'accompagne du développement de la médecine légale à Lyon. Véritable pionnière en la matière, la ville de Lyon voit apparaître un nombre non négligeable d'avancées dans ce domaine, menées par de grands médecins à l'instar des médecins Alexandre Lacassagne ou Edmond Locard. 255 ADR, Lyon, Série 4M « Police », 1800-1939, Côte 4M493. 256 ADR, Lyon, Série 4M « Police », 1800-1939, Côte 4M490. 257 ADR, Lyon, Série 4M « Police », 1800-1939, Côte 4M491. 258 ADR, Lyon, Série 4M « Police », 1800-1939, Côte 4M491. Nous allons nous attarder sur l'impact que la médecine légale opère quant aux progrès des techniques de sauvetage au XIXème siècle et au début du XXème siècle à Lyon. a) Lyon : berceau de la médecine légale La médecine légale se divise en deux branches distinctes : l'une est consacrée à la médecine du vivant, et l'autre à la thanatologie soit l'étude des signes, des conditions, des causes et de la nature de la mort259. Nous nous intéresserons ici à cette deuxième branche de la médecine légale. Nous pouvons considérer que Lyon est le véritable berceau mondial de la médecine légale par son aptitude à avoir vu émerger en son centre de nombreux médecins légistes et de nombreuses avancées en la matière. L'un des précurseurs de la médecine légale à Lyon est le médecin et criminologue Lyonnais Henry Coutagne né en 1846. Après avoir fait ses études médicales à Lyon dans les années 1860, il se spécialise dans la médecine légale et la criminologie dans les années 1870 et devient chef de travaux de médecine légale à la faculté de médecine de Lyon et expert auprès des tribunaux260. En 1879, il devient membre du comité de rédaction du Lyon Médical, puis publie en 1881 la traduction annotée du Traité de médecine légale d'Alfred Swaise. Sa vie sera également marquée par la rencontre avec une autre figure majeure de la médecine légale en 1879, le médecin Alexandre Lacassagne261. Né en 1843, ce Lyonnais d'adoption et professeur titulaire de la chaire de médecine légale a réussi à s'imposer grâce à ses expertises et ses écrits et avec la création d'archives d'anthropologie criminelle. Il demeure aujourd'hui l'un des figures incontournables de la médecine légale avec son apport à la fondation de l'anthropologie criminelle. Élu en 1896 membre à la section science de l'Académie des Sciences, Belles-Lettres et Arts de Lyon, il est également le fondateur de la première revue française de criminologie en 1895 avec Gabriel Tarde nommée Les archives d'anthropologie criminelle, de criminologie, psychologie normale et pathologique. 259 SOCIÉTÉ FRANÇAISE DE MÉDECINE LÉGALE, « Le métier de médecin légiste », 2021. Consulté le 23 juin 2024. Disponible sur : < https://medecinelegale.com/index.php/la-profession-de-medecin-legiste/> 260 Jean BURDY et Dominique SAINT-PIERRE (dir.), « Coutagne, Henry (1846-1895) », dans Dictionnaire historique des Académiciens de Lyon : 1700-2016, éd. ASBLA de Lyon, mars 2017, 1369p. Disponible sur : < https://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb45273860r> 261 EMBAUMEMENTS-COM, Histoire de l'embaumement et des embaumeurs, Biographie, « Henry Coutagne ». Consulté le 24 juin 2024. Disponible sur : < https://www.embaumements.com/bio/henry-coutagne.html> 119 120 Le docteur Lacassagne a joué un rôle majeur dans le cas des noyades tout d'abord en aidant au développement des techniques permettant d'identifier des suspects et d'améliorer les enquêtes permettant d'identifier les circonstances et les conclusions de la mort d'une victime mais également en intervenant régulièrement au sein de la morgue-flottante à Lyon afin d'enseigner la médecine légale à ses élèves. Il se battra des années contre les pouvoirs publics afin que ces derniers trouvent une alternative au bateau-morgue. Il aurait déclaré lors d'un conseil municipal en 1880 : « On peut le dire sans crainte de blesser aucune susceptibilité, l'aménagement de la morgue actuelle est une tâche dans l'organisation administrative de notre cité. C'est un bateau-lavoir grossièrement adapté à cet usage262 ». b) La fondation du premier laboratoire de police scientifique par Edmond Locard en 1910 à Lyon Au début du XXème siècle, la ville de Lyon voit émerger une autre grande figure de la médecine légale : Edmond Locard. Pour l'historien Amos Frappa « Edmond Locard a été visionnaire en matière de criminalistique, de police scientifique263 ». Ce professeur de médecine légale né en 1877 s'installe à Lyon avec sa famille lorsqu'il est encore enfant. Après avoir soutenu sa thèse de doctorat en médecine La Médecine légale au XVIIème siècle264, il rejoint le laboratoire du professeur Lacassagne avec lequel il travaille et collabore notamment à la revue des Archives de l'Anthropologie criminelle jusqu'en 1910, année durant laquelle il installe le laboratoire de police technique de Lyon dans les combles du Palais de Justice, 35 rue Saint Jean265. De ces années de travail au sein de ce laboratoire, Edmond Locard laisse derrière lui un nombre conséquent d'archives, dont 28 000 plaques iconographiques exploitables réalisées entre 1910 et les années 50. 262 EMBAUMEMENTS-COM, Histoire de l'embaumement et des embaumeurs, Culture « La morgue flottante de Lyon ». Consulté le 24 juin 2024. Disponible sur : < https://www.embaumements.com/culture/la-morgue-flottante-de-lyon.html> 263 Sandrine CABUT, Nathaniel HERZBERG, « Amos Frappa, historien « Edmond Locard a été visionnaire en matière de criminalistique, de police scientifique », Le Monde, publié le 11 mai 2024. Consulté le 23 juin 2024. Disponible sur : < https://www.lemonde.fr/sciences/article/2024/05/11/amos-frappa-historien-edmond-locard-a-ete-visionnaire-en-matiere-de-criminalistique-de-police-scientifique_6232665_1650684.html> 264Edmond LOCARD, La Médecine judiciaire en France au XVIIè siècle, T.M. Lyon, 1902. 265 ARCHIVES MUNICIPALES DE LYON, « Edmond Locard en quelques dates ». Consulté le 24 juin 2024. Disponible sur : < https://www.archives-lyon.fr/expos/les-traces-diverses> Ces plaques représentent aussi bien des photos personnelles que des photos d'enquêtes judiciaires, ou des cadavres de noyés retrouvés à Lyon entre 1910 et 1950 ce qui nous permet de visualiser les différents stades de décomposition de ces cadavres, mais également de comprendre la difficulté que pouvait représenter l'identification d'un cadavre ayant séjourné plusieurs jours dans l'eau durant le XIXème et le début du XXème siècle tel qu'on peut le constater sur la photo de ce cadavre masculin (collection Edmond Locard).
L'état de décomposition de la victime est tel qu'il est presque impossible de l'identifier. Comme dans beaucoup de cas semblables, les autorités s'aident alors des vêtements de la victime, sur lesquels les initiales du propriétaire peuvent être cousues comme on peut le voir dans la description d'un cadavre retrouvé le 16 novembre 1815 dans le Rhône à Irigny, vêtu « d'une chemise marquée FB, d'un gilet bleu, d'un pantalon gris tirant sur la noisette et d'un mouchoir rayé marqué FB266 ». 266 ADR, Lyon, Série 4M « Police », 1800-1939, Côte 4M488. 121 122 Pour conclure ce premier chapitre, nous pouvons dire qu'à partir du XIXème siècle émerge en France et à Lyon une volonté de contrôler et de limiter les noyades, toujours première cause des morts accidentelles en France. L'intervention de l'État, des autorités publiques ainsi que des particuliers permet petit à petit à la population de prendre conscience du danger représenté par les cours d'eau français, et plus particulièrement du Rhône et de la Saône à Lyon et de l'intérêt représenté par l'apprentissage de la natation. Les cadavres de noyés connaissent également des évolutions dans les techniques d'identification à travers l'émergence de la médecine légale à Lyon, influencée par la présence de grands médecins comme Alexandre Lacassagne ou Edmond Locard et leurs recherches consacrées aux cadavres. Cette prise de conscience et cet intérêt pour la prévention et l'intervention auprès des noyés sont également relayés par un autre acteur très influent durant cette même période : la presse. |
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