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Récit lovecraftien et cinéma - de la transposition à l'enrichissement du mythe

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par Fabien Legeron
Université Paris est - Master 1 2007
  

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APPRIVOISER UNE MENACE HORS DU TEMPS : PRINCE OF DARKNESS (1986)

Cette menace cachée, occulte, est l'enjeu lovecraftien au centre de Prince des ténèbres. Le film tourne autour d'une église contenant dans une crypte au sous-sol un mystérieux container ou tournoie un fluide vert. A la mort de son gardien, un prêtre convoque le scientifique iconoclaste Birack et ses étudiants pour investiguer sur l'objet et un grimoire ancien. Il s'avère que le fût a sept millions d'années et contient rien moins que le fils d'un principe maléfique primordial, sorte d'antiDieu résidant dans l'antimatière et cherchant à infiltrer notre monde via les miroirs !

Un mal ancien qui cherche à prendre le contrôle du monde, des écrits occultes, des sectes millénaires (à l'instar des cultistes de Cthulhu, les clochards de la ville sont organisés en sorte de secte. Ils assiègent l'église, y maintenant les chercheurs coûte que coûte, dès que l'activité reprend dans la crypte), un supra-univers inconcevable autrement qu'en pure théorie, et la convocation de la science1, voilà un film qui reprend à son compte les thèmes récurrents de la mythologie lovecraftienne pour les acclimater au cinématographe dans un récit par ailleurs peu chiche en action. L'argument de base, ainsi, reprend le début de L'appel de Cthulhu : à la mort d'un vieil homme, le savoir qu'il détenait ouvre des perspectives effrayantes. Et c'est par la convocation des faits, et l'accolement du folklore et de la science, que la prise de conscience devient inévitable.

En effet, les étudiants convoqués par Birack opèrent dans des domaines hétérocites : biologie moléculaire, physique quantique, mathématiques, radiologie (discipline qui permet de se rendre compte que le fût est fermé de l'intérieur) mais aussi traduction de langues anciennes et théologie. Ainsi, le mal est ici un fait réel, tangible, et même vérifiable de manière expérimentale, une entité appréhensible par plusieurs prismes de la connaissance ou de la prospective. Il est toutefois encore envisagé comme profondément indicible : la première phrase traduite du grimoire le désigne par le terme de "chose", et l'on n'en verra au final pas plus qu'une main, griffue et massive. « L'indicible, ici encore, se montre via ses effets sur les humains, puisque le liquide, après s'être écoulé du container pour se répandre au plafond, va investir les chercheurs les uns après les autres, commençant par la radiologue, avant que le mal se transmette d'individu en individu selon un schéma de contamination. Certains se zombifient, quand d'autres sont instrumentalisés de manière plus graphique (l'un deux met en garde les protagonistes avant de se désintégrer sous forme d'une nuée de scarabées, un autre s'égorge en chantant un cantique), une chercheuse se voyant l'hôte du

1 Liste à laquelle on pourra ajouter le motif de la projection mentale à travers le temps (l'humanité future envoie un message vidéo via des tachions dans les rêves des protagonistes), qui est au centre de la nouvelle The shadow out of time, puisque les Yithiens, civilisation préhumaine, projettent leurs esprits dans les diverses époques du monde dans un but d'archivage. Lovecraft, Howard Philips, Dans l'abîme du temps, in Les montagnes hallucinées, J'ai lu, 1996

démon lui-même via un étrange hématome qui s'avère être une marque cabalistique utilisée dans des rites magiques médiévaux.

En fait, les implications du récit sont étonnamment globales en termes universels : le réveil de l'entité coïncide ainsi avec l'observation d'une supernova précambrienne, et la prophétie écrite, une fois traduite, révèle que le Diable lui-même est une création de cette entité qu'on pourrait qualifier de Grand Ancien. L'intégration mythologique est lieu d'une phagocytose pure et simple de traditions extérieures au mythe, ici le christianisme envisagé comme guère plus qu'un jeu de l'esprit destiné à détourner l'attention du véritable Mal, mais aussi des éléments comme les équations différentielles, trouvées dans des écrits datant d'une époque bien antérieure à la démonstration de ces dernières.

C'est sans doute dans Prince of darkness que la concordance scientifique (qu'on a déjà évoquée entres autres avec Dreams in the witchhouse) est poussée le plus loin, et la notion d'épouvante matérialiste chère à Francis Lacassin trouve ici une sorte de quintessence : le religieux oppose une croyance basée sur la tradition (le christianisme donc) aux faits scientifiques qui s'accumulent pour corroborer l'avènement du mal primordial dans la crypte de l'église : utilisation des mathématiques, physique des fluides, théorie des quanta (les équations qui s'affichent sur les divers écrans d'ordinateurs ont été rédigées par un chercheur en physique, et font référence à la mécanique des fluides, à l'électromagnétisme et à la physique quantique), mais aussi des théories plus exotiques, comme le message vidéo envoyé du futur par le principe des tachions, qui conditionne la gnose effroyable des dernières minutes du métrage (en sautant dans le miroir pour sauver le monde, Catherine a en fait déclenché l'apocalypse en 1998, année du message qui la montre sortant de l'église théâtre des évènements du film, et prouvant par là qu'elle sert d'hôte, dans le futur, au fameux "père du Diable"), ou ce principe dérivé de la relativité et énoncé dans les années 1930 de la réalité créée par l'observateur1... Le mal est envisagé scientifiquement, ce qui rend sa nature et ses manifestations d'autant plus inquiétantes : l'utilisation des insectes s'explique ainsi par le rayonnement électromagnétique de la force qui se met en branle, et leurs apparitions marquent une gradation de la répulsion et de l'étrangeté, avec d'abord des fourmis qui grouillent à l'extérieur, sur le campus, puis dans la télévision qui parle de la supernova, avant d'assiéger littéralement l'église (les vitres se couvrent de vers) et finalement les êtres humains (les clochards couverts de fourmis ou d'asticots, mais aussi le chercheur occis qui sert de porte-voix à l'entité). Cet électromagnétisme est

1 Carpenter évoque à ce titre ses recherches préparatoires pour Prince of darkness dans l'interview du Mad movies horssérie, collection réalisateurs n°1 - John Carpenter, p.18. Il semblerait qu'il ait utilisé ce principe vertigineux (et contemporain de Lovecraft !) pour son film le plus lovecraftien, qui évoque en outre l'irruption du fictionnel dans le réel, In the mouth of madness.

d'ailleurs réel, puisque les relevés d'une des machines savantes de l'église montrent des fluctuations de l'activité qui prouvent que le liquide est conscient et s'organise organiquement à très grande vitesse. Plus tôt, à l'approche du fût, le père Loomis dit explicitement << Il y a quelque chose dans l'air >>.

Cependant, si la science permet de corroborer les faits inquiétants, elle ne permet en rien de les arrêter. Les messages du futur montrent que les tentatives de circonscrire le Mal dans le monde de l'antimatière ont échoué, et surtout le Mal se manifeste comme une entité dont la nature peut être à la rigueur définie mais non circonscrite, en ce sens que ces manifestations vont à l'encontre des lois naturelles les plus élémentaires : le container est fermé de l'intérieur, le liquide vivant (et télépathe, si on en croit le message tapé à l'infini sur son ordinateur par la théologienne1) s'écoule vers le haut, la mort ne semble pas un état spécialement gênant (le chercheur qui s'est égorgé plus tôt se relève pour protéger l'hôte du Prince des ténèbres, et lorsque le prêtre décapite cette dernière, elle replace tout simplement sa tête sur ses épaules comme si de rien n'était), une éclipse étrange semble conditionner le réveil d'une entité pourtant enfermée dans un sous-sol sans vue sur le ciel, et les miroirs se traversent littéralement.

Comme dans la définition que donne Stuart Gordon des aspects humains de la mythologie lovecraftienne et dans les premiers mots de Call of Cthulhu2, la connaissance est ici non seulement effrayante, mais dangereuse, puisque ce sont des scientifiques venus étudier le container qui s'avèrent les instruments de la libération ultime du Mal. Mal qui, lui-même, rend sa sentence quant à l'utilité ultime et de la religion, et de la science, dans une sentence lapidaire tapée par une de ses marionnettes humaines : << Vous ne serez pas sauvés par le Saint-Esprit. Vous ne serez pas sauvés par le Dieu Plutonium. En fait vous ne serez pas sauvés du tout. >> 3 On le voit, les deux "traditions" s'avèrent inopérantes, face à quelque chose de foncièrement autre, qui constitue même l'envers de notre monde. A la fin du film, l'espoir parait bien illusoire, puisqu'à l'instar des Grands Anciens (rien ne prouve d'ailleurs que ce mal absolu n'en soit pas un - ou plusieurs), l'avènement de l'entité, ou des entités, SERA, tôt ou tard, lorsque les étoiles seront dans une configuration favorable : ici c'est le motif de la supernova lointaine et l'écipse de soleil reprennent ce rôle cycique. Et le motif de la main approchant de la surface d'un miroir reprend

1 << I live ! I live ! I live ! >>

2 << Un jour, cependant, la coordination des connaissances éparses nous ouvrira des perspectives si terrifiantes sur le réel et l'effroyable position que nous y occupons qu'il ne nous restera plus qu'à sombrer dans la folie >> Lovecraft, Howard Philips, L'appel de Cthlhu, in LOVECRAFT tome 1, p.60, collection Bouquins, ed. Robert Laffont, sous la direction de Francis Lacassin

3 << You will not be saved by the Holy Ghost. You will not be saved by the god Plutonium. In fact, YOU WILL NOT BE SAVED ! >> L'appellation de Dieu Plutonium fait bien entendu référence à la dialectique pro-nucléaire américaine des années 1950 et à la Fée Electricité de notre fin de XIXème siècle marquée par le positivisme. Détail amusant, les traductions françaises (sous-titres et doublages) opèrent un contresens étrange en traduisant Plutonium par Pluton, Dieu romain des Enfers (Pluton se traduit en anglais par Pluto).

symboliquement cette dynamique cycique, lorsque Brian Marsh, réalisant l'erreur faite par Catherine qui s'est jetée dans le miroir de l'église pour enrayer la venue de ce qui se trouvait de l'autre côté, approche sa main, lentement, du sien. Un plan qui reprend de manière inversée celui de la main du Mal s'approchant, dans le monde de l'antimatière, de la ligne de démarcation entre les mondes. La coupure au noir du générique intervient juste avant le contact. Un final basé entièrement sur la suggestion. Or, comme le remarque Arnaud Bordas, « Carpenter (...) maîtrise parfaitement l'art de la suggestion (...) Mieux encore, de même que chez Lovecraft, dans Prince des ténèbres, ce qui est dans le noir n'est pas horrible mais innommable (au sens littéral). » 1 En effet ce qui est horrible, au sens fort, n'est qu'une manifestation de ce qui se cache (chairs corrompues, meurtres, violences), alors que ce qui cause ces effets est foncièrement autre, ce qui le confine dans un hors-champ physique (ce qui n'est pas dans le champ de la caméra) et thématique (l'antimatière, l'autre côté du miroir). Tout ce qu'on sait avec certitude, c'est que ce qui est de l'autre côté ne doit pas être beau à voir. Loin s'en faut.

1 In Mad movies hors-série, collection réalisateurs n°1 - John Carpenter, p.75

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"La première panacée d'une nation mal gouvernée est l'inflation monétaire, la seconde, c'est la guerre. Tous deux apportent une prospérité temporaire, tous deux apportent une ruine permanente. Mais tous deux sont le refuge des opportunistes politiques et économiques"   Hemingway