A - Centralisation des contentieux pour en faciliter le
règlement
51. L'arbitrabilité des procédures collectives
trouve un autre obstacle d'origine légale1. En effet, selon
l'article L620-1 du Code de commerce concernant la procédure de
sauvegarde et l'article L631-1 visant le redressement judiciaire, ces deux
procédures collectives ont pour objectif Ç de permettre la
poursuite de l'activité économique, le maintien de l'emploi et
l'apurement du passif È. Elles ont également pour but, tout comme
la liquidation judiciaire, d'assurer l'égalité des
créanciers. Pour satisfaire à ses objectifs et rendre ainsi les
procédures collectives efficaces, il est nécessaire de Ç
centraliser2 È ces procédures aux mains des seuls
juges étatiques.
52. Les procédures collectives sont
indépendantes afin d'assurer leur objectif de protection. En effet, pour
éviter toute rupture d'égalité des créanciers,
l'arbitre n'a pas le pouvoir de contraindre un débiteur à payer
un certain créancier. Le juge étatique est le plus à
même à se prononcer sur tout litige concernant une
procédure collective car il est le seul à avoir une réelle
connaissance de la situation du débiteur. L'inarbitrabilité des
procédures collectives semble justifiée car le risque est grand
que l'arbitre anéantisse les objectifs de la procédure
collective, en ruinant les chances de redressement du débiteur ou en
rompant l'égalité des créanciers.
53. Cette centralisation de tous les contentieux touchant
à la procédure collective permet une meilleure prise en compte de
la situation du débiteur car le juge a des pouvoirs larges qui lui
permettent d'aller au delà de la résolution d'un litige ou d'une
difficulté. Il peut se renseigner sur la
1 Autre obstacle que l'article 2060 du Code Civil, vu
précédemment.
2 En ce sens, D. Mouralis, L'arbitrage face aux procédures
conduites en parallèle, thèse Aix, 2008. J-B. Racine, L'arbitrage
commercial international et l'ordre public, LGDJ, 1999.
situation économique et financière de
l'entreprise concernée par la procédure collective, il a un rTMle
de surveillance de la mission de l'administrateur... C'est pourquoi, le
Professeur Charles Jarrosson qualifie le juge << d'expert
économique1 >>. Et en tant que tel, il est le seul
habilité à résoudre un litige portant sur une
procédure collective. Ainsi, il n'y a pas de dispersion du contentieux,
ce qui a pour effet de faciliter et d'accélérer le
règlement des litiges.
B - Volonté de protéger l'intérêt
public et l'intérêt des tiers
54. L'interdiction de l'arbitrage en matière de
procédures collectives s'explique également par la volonté
de protéger les tiers lorsque leurs intérêts sont en jeu,
ce qui explique que << seul un juge étatique peut ouvrir,
surveiller ou clore une telle procédure, décider de l'admission
des créances, du sort des biens du débiteur...2
>>.
Le Professeur Dominique Vidal compare les entreprises en
difficulté faisant l'objet d'une procédure collective à un
jeu de Mikado®, oü << chaque touche d'un
élément risque d'avoir une ou plusieurs répercussions sur
les autres3 >>. Cela souligne la nécessité de
conférer aux juridictions étatiques une compétence
exclusive.
55. En outre, l'objectif des procédures collectives
est de permettre, autant que possible, la survie des entreprises ou le cas
échéant le rebond de l'entrepreneur. Elles doivent donc
défendre les intérêts généraux qui
<<transcendent les intérêts des parties à la
convention d'arbitrage et des créanciers4 >>. Les
contentieux des procédures collectives présentent donc <<
un caractère objectif5 >>, leur résolution passe
en premier lieu par la prise en compte de l'intérêt de la
société. Or on peut considérer que l'intérêt
général est de sauvegarder une entreprise, moteur de
l'économie d'une société. Et si on permettait aux parties
de s'adresser à d'autres juridictions, cet objectif risquerait
d'être méconnu6.
Cependant, la doctrine et la jurisprudence ont
évolué. Elles considèrent désormais que
l'attribution exclusive de compétence au profit d'une juridiction
étatique, afin de satisfaire aux objectifs d'efficacité des
procédures collectives et de protection de l'intérêt
général, ne suffit pas à exclure l'arbitrage.
1 Ch. Jarrosson, << La notion d'arbitrage >>,
thèse, LGDJ, 1987, p. 89, << Le droit des procédures
collectives est sans conteste un domaine dans lequel le juge appara»t
aussi très souvent comme un expert économique >>.
2 << Le droit des procédures collectives
intéressant également les tiers, seul un juge étatique
peut ouvrir, surveiller ou clore une telle procédure, décider de
l'admission des créances, du sort des biens du débiteur...
>>, P. Fouchard, E. Gaillard, B. Goldman, Traité de l'arbitrage
commercial international, Litec, 1996, p. 359.
3 D.Vidal, Procédures collectives et procédures
d'arbitrage : quelle rencontre ?, Gaz. Pal. 31 octobre 2009, n° 304, p.
3.
4 D. Mouralis, L'arbitrage face aux procédures conduites
en parallèle, thèse Aix, 2008.
5 J-B. Racine, L'arbitrage commercial international et l'ordre
public, LGDJ 1999, p. 111.
6 En ce sens, D. Cohen, <<Arbitrage et
société >>, 1993, LGDJ, p. 112.
Sous-section 2 : L'encadrement de l'arbitrabilité
des procédures collectives
56. La doctrine est aujourd'hui unanime pour affirmer que
l'attribution d'une compétence exclusive ne fait pas ipso facto
obstacle à l'arbitrage. Ainsi le champ d'arbitrabilité des
litiges s'étend (1) même s'il conna»t des limites strictes
(2).
§ 1 L'extension de l'arbitrabilité des
procédures collectives
57. La jurisprudence consacre désormais, sous le
respect de certaines limites, le principe d'arbitrabilité d'un litige
même en présence d'ordre public (A). En outre, les litiges
purement contractuels, du fait d'un traitement conventionnel des
difficultés des entreprises, sont eux aussi arbitrables (B).
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