C/ Le bien être des résidents passe aussi
par le bien être de l'équipe.
Nous avons principalement abordé la vie en institution
sous l'angle de la personne âgée. Il ne faut cependant pas oublier
que si cette vie en institution est possible c'est grâce au travail des
professionnels. Il convient de s'intéresser aux difficultés
qu'ils peuvent rencontrer dans leur travail.
1/ L'équipe de soin peut rencontrer des
difficultés
a)- Le contexte de soin au sein d'un EHPAD est
particulier
Les "soignants" entendus ici comme étant l'ensemble des
aides-soignants(es), des A.M.P., des A.S.H., mais aussi toutes celles et tous
ceux qui sont amenés à soigner ou à servir en E.H.P.A.D.,
ont pour tâche de faire au mieux, pour assurer le bien-être des
résidents(es).
Pour les infirmières, les aides soignantes ou
auxiliaires de vie, être confrontées chaque jour à la
dépendance, à la vieillesse et à la mort est un vrai
défi. Cela nécessite des ressources personnelles importantes, une
énergie de chaque instant. Le travail est éprouvant physiquement,
par des allées et venues continuelles d'une chambre à l'autre, du
salon à la salle à manger, par de nombreux transferts de
résidents aussi, du lit au fauteuil et du fauteuil au lit, plusieurs
fois pas jour, même si ces manoeuvres sont le plus souvent
facilitées par des lits médicalisés ou l'utilisation de
lève malade. La moindre absence d'un salarié perturbe cette
organisation minutée et demande chaque fois au personnel un effort
supplémentaire pour satisfaire à l'ensemble des soins
exigés.
Le manque de temps, cette course contre la montre, sont
souvent évoqués dans les transmissions d'équipe, surtout
lors de certaines périodes, ou du fait de l'aggravation de la
dépendance de certains résidents, la charge de travail
s'accroît considérablement. Au delà d'un travail
physiquement pénible, le personnel doit faire face à un travail
éprouvant sur le plan psychologique.
b)- Les soignants peuvent souffrir d'un manque de
reconnaissance
Dans son quotidien, le personnel est confronté à la
dépendance, à la déchéance physique, à la
démence, à l'agressivité de certains résidents.
Les soignants absorbent comme des éponges, les
angoisses, les souffrances, les moments de déprime, l'agressivité
et les délires...ils essaient d'y répondre par de l'attention, de
l'écoute de la réassurance. . Ils doivent faire preuve de
patience : négocier, discuter, pour un soin, un repas, une prise de
médicament. (comme nous avons pu le voir lors de la prise en charge
d'Anna).
A ces difficultés s'ajoute le contact quotidien avec les
familles parfois exigeantes, agressives, ou angoissées, ce qui demande
du temps et de la patience.
Par ailleurs, le décès d'un résident est
bien souvent vécu comme une épreuve, après une
période de soin ou chacun s'est beaucoup investi, car accompagner la vie
jusqu'à son terme ne laisse jamais indifférent.
Le travail en maison de retraite est différent d'un
autre service de soin car c'est un lieu de vie où la sortie se solde par
le décès. Ce côtoiement avec la mort et la vie
retirée avec les résidents entraîne un isolement
professionnel qui contraste avec les autres soignants. Pour ces derniers,
l'objectif du soin est le retour à l'autonomie alors que l'infirmier de
maison de retraite par exemple doit se fixer d'autres buts pour lui permettre
de trouver une motivation dans son travail.
Ajoutez à cela les facteurs personnels, ainsi que les
facteurs institutionnels (manque de soutien, de reconnaissance, mauvaise
communication au sein de l'équipe, rapports hiérarchiques) mais
aussi facteurs liés à la spécialité ( charge de
travail, répétition des deuils). De plus, les équipes ont
à appréhender tout un éventail de profils psychologiques
et donc de comportements devenant parfois difficiles à maitriser,
à comprendre et à partir desquels il faut s'adapter, et les
savoirs construits chaque jours par les soignants ne sont malheureusement pas
toujours considérés
c)- La souffrance des soignants peut avoir un impact sur les
résidents.
Les personnes âgées transfèrent toutes
leurs charges affectives et leurs angoisses sur le personnel qui devient leur
seul interlocuteur et on peut déjà mesurer le poids qui incombe
aux soignants.
Les soins quotidiens, notamment la toilette ou l'aide aux
repas vont créer une sorte de relation parents/enfants. Le risque
étant de créer une situation infantile provoquant une situation
de régression chez le résident.
Ce rapport de force inversé donne au personnel un pouvoir
qui, lorsqu'il n'est pas contrôlé peut conduire à des
situations de maltraitance.
2/ Proposons une hypothèse de prise en charge des
soignants.
a)- L'équipe soignante est une équipe
multiculturelle
Ces derniers temps ont vu se rencontrer dans les équipes,
des membres plus anciens et non qualifiés et des effectifs nouvellement
diplômés ou nouvellement arrivés.
De plus, il est des différences interculturelles au sein
des équipes qu'il est indispensable de prendre en compte
b)- L'art-thérapie peut permettre aux soignants de
retrouver un plaisir dans l'activité ainsi qu'une reconnaissance.
Cette hypothèse est principalement axée autour de
l'idée de fédérer une équipe et créer du
lien par une démarche participative autour d'un projet.
Mettre en place des séances d'art-thérapie de
groupe, avec des personnes de diverses qualifications et provenant
d'équipe différentes, peut permettre à ces groupes de
travailler de façon transversale dans une approche différente,
offrant une approche culturelle diversifiée. Cela permettrait au
personnel de mieux se connaître et de faire émerger une
communication et des relations entre les différentes personnes
constituantes du groupe.
Au cours de ces séances, les difficultés
rencontrées par le personnel peuvent être mises à
l'écart ou abordées librement.
Proposer de l'art-thérapie au personnel peut permettre de
décloisonner l'organisation du travail pour créer du lien.
Souvent, une affectation des salariés en binôme
par étage est donnée. Mais cette situation peut aussi donner lieu
à un manque de communication et de relation avec les autres membres de
l'équipe. A travers les séances d'art -thérapie,
l'objectif pourrait être de recréer du lien afin de rendre
l'équipe plus dynamique et solidaire, et de fait, plus disponible et
plus efficace pour les résidents.
L'intérêt de ces groupes étant de
rencontrer l'autre, d'apprendre à le connaître hors du contexte de
soin. Le personnel devient le temps d'une séance le centre
d'intérêt. En leur permettant de partager des expériences
autres que les expériences professionnelles, de mettre en commun leur
savoir, savoir faire et savoir être.
Puisque mieux connaître l'autre, c'est aussi avoir la
possibilité de créer des liens et de développer ainsi une
certaine cohésion dans l'équipe.
c)- La mise en place d'un atelier collectif de soignants peut
poser quelques difficultés.
Concevoir et mettre en oeuvre ce type de projet
nécessite de trouver du temps disponible pour sa mise en oeuvre. Les
personnes principalement concernées, à savoir le personnel comme
nous l'avons vu plus haut, sont déjà très prises par le
temps.
Compte tenu de l'organisation du travail, il serait
inenvisageable d'imaginer réduire le temps consacré aux soins en
projetant ces séances sur leur temps de travail, ainsi le seul levier
d'action serait que le personnel participe à ces séances hors de
leur temps de travail. Mais comme nous pouvons le comprendre, ils quittent leur
lieu de travail une fois leurs journées terminées. Ainsi, on peut
se demander si le personnel accepterait de rester une heure
supplémentaire, au sein de l'établissement pour participer aux
séances. On pourrait peut être imaginer qu'un lieu
extérieur a l'établissement serait plus propice à ce type
de projet.
De plus, accepter de participer à ces séances
pourrait sembler paradoxal à l'équipe puisqu'ils passeraient du
statut de soignant à celui de soignés. Avouant ainsi le passage
de la plainte à une demande d'aide et les difficultés qu'il
implique.
3/ Proposons l'hypothèse d'un atelier
d'art-thérapies de groupe soignants/soignés.
a)- La difficulté des relations humaines au sein de
l'institution est une souffrance commune.
Les résidents ont besoins de soin, mais surtout que
l'on prenne soin d'eux. Et prendre soin ne s'arrête pas à offrir
une prestation de soin, social, hôtelière mais à
reconnaître le résident comme sujet dans toute sa
singularité. Ainsi, les besoins des résidents ne se portent pas
simplement sur des besoins physiologiques, mais aussi relationnels et
sociaux.
Les interventions des salariés auprès des
résidents leur renvoient une image de leur exercice professionnel
souvent dévalorisante et insatisfaisante. Ils enchaînent des
toilettes, des changes, des aides alimentaires dans des temps très
courts avec des gestes très techniques mais où l'espace
relationnel est mis de coté.
Ces deux observations nous permettent de cibler une
difficulté inhérente aux deux parties. En effet le manque de
relation semble être une souffrance commune.
b)- L'établissement est un lieu de travail pour l'un et
un lieu de vie pour l'autre
Il faut noter que le personnel est sur son lieu de travail alors
que le résident est dans son lieu de vie.
Bien qu'indissociable, le temps des résidents et celui
des personnels ne sont pas de la même nature. Lorsque les uns sont
pressés par le temps (pour finir avant 11h les toilettes par exemple)
les autres attendent. Les deux parties souffrent de la situation. D'un
coté ceux qui patientent et réclament, et ceux qui s'irritent de
voir tant d'impatience. La charge de travail du personnel ne peut être
augmentée sans affecter le bien être des résidents.
C'est cette valeur accordée au travail du personnel qui
constitue souvent le point de rencontre entre le temps des résidents et
celui du personnel. Et souvent, leur congé, leur qualité de
travailleur, leurs horaires servent de sujet aux résidents (nous avons
pu l'observer dans l'étude de cas d'Anna).
Ainsi, le rythme de la vie en institution est plus souvent
centré sur l'activité soignante que sur la vie de ses
résidents. La journée des résidents est rythmée par
le travail soignant sur le déroulement duquel ils n'ont aucune prise.
L'optimisation de la prise en charge est contrainte par
l'optimisation du travail soignant.
c)- l'atelier d'art-thérapie offre un espace
relationnel
Face aux contraintes techniques, au manque de temps, l'atelier
d'art-thérapie offre l'occasion, de développer la relation
humaine soignant / soigné.
Parce qu'à l'occasion de ces ateliers, soignants et
soignés « travaillent » ensemble, ils construisent une
relation faite de complicité et de confiance.
La prise en charge en art-thérapie d'un groupe
soignant/soigné pourrait participer à la recherche d'un mieux
être, à une amélioration de la qualité de vie au
quotidien tant pour les résidents que pour les membres de
l'équipe.
En favorisant les échanges par le biais de l'expression
créatrice de chacun, l'objectif de ce type de prise en charge serait de
tenter de développer un état d'esprit porté par l'ensemble
des acteurs de l'établissement, à savoir les résidents et
le personnel.
En offrant à chacun la possibilité de se
rencontrer dans un autre contexte que celui du soin, en permettant à
chacun tout d'abord d'exprimer ou non son choix de participation, du type
d'activité, en favorisant l'expression de ses désirs, comme celui
de prendre du plaisir pour soi et avec les autres. En finalité, se
sentir exister, et, en favorisant des échanges et des transmissions
mutuelles fondées sur le plaisir de partager aide à lutter contre
le cloisonnement entre ces deux parties qui pourtant cohabitent.
Le contexte d'une prise en charge en commun en
art-thérapie apparaîtrait comme une raison, une motivation
à cette relation. Le lieu même de l'atelier jouant le rôle
de lieu de contact qui permettrait de créer un lien, comme un pont entre
les rives qu'ils représentent. .
Si l'acte de soin purement médical ne peut subir cette
transgression, le « prendre soin » à travers l'activité
et le plaisir partagé, lui, le peu.
L'atelier d'art-thérapie serait en mesure d'offrir un
contexte de communication à la fois verbale ou non verbale. L'art et
l'art thérapeute jouant le rôle de médiateur.
En effet, à mesure que la personne âgée
avance dans la dépendance, elle voit aussi la communication mise en
cause.
A travers cette hypothèse de prise en charge, la personne
âgée et le personnel se voient offrir la possibilité d'une
expressivité accessible .
Le personnel et les résidents n'ont souvent la
possibilité de créer une relation que lors des moments
clés de la vie du service, à savoir les toilettes, les repas, les
soins...
Nous pouvons donc supposer que leur prise en charge en
art-thérapie pourrait leur permettre de communiquer autrement, de
prendre du temps, de donner du sens autre que médical à leurs
actes, de façon à rompre les relations techniques qui lient le
personnel aux résidents.
d)- L'équipe de soin se doit de garder une distance
avec les patients.
On peut se questionner sur les risques que pourrait
présenter une telle prise en charge.
Nous comprenons que l'équipe se doit de garder une
distance avec les résidents, et inversement. Cette distance qui
correspond à une relation juste que deux individus doivent trouver pour
pouvoir se parler.
Les résidents étant déjà en
demande d'un rapprochement relationnel avec le personnel soignant, la mise en
place d'un atelier commun pourrait mettre le personnel dans une position encore
plus vulnérable.
Il se dessine dans ce questionnement une opposition entre une
attitude purement déontologique objective, et une attitude où le
soignant serait amené à agir au delà de son rôle en
tant que personne face à une autre personne et cela sans filet, et sans
distanciation mettant le patient et lui même en danger.
e)- La prise en charge d'un groupe soignant/soigné
pourrait permettre une meilleure qualité de soin.
Il est évident qu'il y a nécessité d'une
collaboration entre les résidents et les soignants, ne serait ce que
lors des soins.
La personne âgée doit pourvoir se mobiliser pour
aider le soignant, se tourner sur le coté par exemple.
Nous savons qu'une relation de confiance est un
élément moteur dans l'acceptation du soin. Hors, en EHPA la
communication se met essentiellement en place à travers un
échange d'ordre médical.
Ainsi, les résidents et les soignants voyant la
possibilité d'entrer en relation dans un autre contexte , verraient
en même temps la possibilité d'engager une forme de confiance
entre eux.
Et l'on peut imaginer que cette confiance acquise au sein de
l'atelier, serait bénéfique lors des soins.
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