I-1-2-2 les médecines traditionnelles
Considérées pendant longtemps par les
rationalistes comme un système de soins ne reposant sur aucune base
scientifique à cause d'une part de ses limites explicatives de
l'étiologie de la maladie et d'autre part à cause de son mode
d'administration de soin2. Toutefois, depuis la conférence de
Alma Ata (1978), cette médecine « informelle » est
considérée comme
2 Les scientifiques affirment que les
tradithérapeutes
complémentaire à la médecine moderne pour
pallier la faible couverture des zones rurales et de leur accessibilité
difficiles aux centres de santé modernes ; mais aussi du fait des
savoirs botaniques avérés des tradipraticiens. Ainsi l'OMS (2002)
la définit comme « l'ensemble de toutes les connaissances et
pratiques, explicables ou non pour diagnostiquer, prévenir ou
éliminer un déséquilibre physique, mental ou social en
s'appuyant exclusivement sur l'expérience vécue et l'observation
transmise de génération en génération, oralement ou
par écrit ».
I-1-2-3 la médecine moderne
La médecine moderne est un système de soin
fondé sur une pratique universellement reconnue et acceptée par
la communauté scientifique. Elle se caractérise dans sa
démarche par la consultation du malade, les analyses cliniques au
laboratoire et la prescription des médicaments. Plusieurs facteurs sont
susceptibles d'expliquer le recours à ce système de soin en
Afrique : son accessibilité géographique dans les grands centre
urbains et surtout son efficacité dans le traitement de maladie
endémique particulièrement (BANGRE, 2005).
I-1-3 : aperçu de la littérature sur la prise
en charge médicale du paludisme en Afrique
Les travaux portant sur la prise en charge médicale des
enfants malades sont nombreux ; de même que les approches explicatives
des recours thérapeutiques.
I-1-3-1 : standards thérapeutiques du paludisme
Selon l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS, 1990), les
six principes de gestion d'un paludisme sont :
- si, très tôt, on suspecte un cas de paludisme
grave, il faut transférer le patient là où le niveau de
soins est le meilleur disponible. Etablir le bilan initial de l'état
clinique.
- Donner le plus tôt possible une chimiothérapie
antipaludique, en utilisant un médicament approprié, dosé
de façon optimale et administré par voie parentérale
- Eviter les complications : convulsion, hypoglycémie,
forte fièvre, ou tout au moins assurer une détection et un
traitement précoce possible
- Vérifier que les équilibres des fluides, des
électrolyses et acido basiques sont maintenus - Dispenser des bons soins
médicaux
- Eviter les traitements avec des effets secondaires
Malgré ces recommandations, des études portant sur
la gestion du paludisme en Afrique présentent de nombreux
manquements.
Une de ces études descriptives et transversales sur la
prise en charge du paludisme grave chez les enfants de moins de cinq ans dans
les formations sanitaires de Bafoussam a été effectuée par
l'O.C.E.A.C. Cette étude visait trois objectifs : mesurer les effets
néfastes du Paludisme à Bafoussam ; évaluer les
connaissances, les attitudes et les pratiques en matière de prise en
charge du paludisme de moins de cinq ans dans les formations sanitaires de
ladite ville ; avoir une information sur le coût des différentes
pratiques des soignants. Pour ce faire sept formations sanitaires publiques et
privées sur 37 recensées ont été retenues. Ceci a
conduit à examiner 101 carnets d'enfants et à interroger 10
médecins, 3 infirmiers et 101 parents accompagnateurs.
De nombreux problèmes résultent de cette
enquête. Chaque formation sanitaire dispose de son propre protocole
thérapeutique et seulement 15,38% de prescripteurs suivent les
recommandations de l'OMS. Il n'y a donc pas de standardisation de traitement ni
une bonne connaissance de doses et durées. Par exemple un médecin
pédiatre conseille la chloroquine pour ses malades qui sortent de
l'hôpital à la dose de 5 mg/kg/semaine pendant un mois en cas
d'accès pernicieux et pendant trois mois en cas d'accès grave.
Du coté des parents, on constate que 98% d'entre eux
ont consulté 48 heures après le début de la fièvre.
Les motifs de consultation sont à 94% pour une fièvre. Seulement
17% des parents affirment que le paludisme est du aux piqûres des
moustiques, 43% des parents ont consulté les cases de santé, les
tradipraticiens et les cliniques privées avant de rejoindre les
hôpitaux enquêtés.
Tableau 1-1 : Illustration des attitudes
thérapeutiques adoptées par les parents d'enfants fébriles
à domicile.
Médicaments utilisés
|
posologie
|
Nombre (n=101)
|
Antipaludiques
|
|
|
Camoquines ® sirop
|
1 cuillères à café
|
1
|
Flavoquine ® sirop
|
3 cuillères à café
|
1
|
Nivaquine ® sirop
|
1 à 2 cueilleres à café
|
25
|
Nivaquine ® comprimés
|
1/4à 3 comprimés
|
35
|
Quinimax ® comprimés
|
1/4 à 3 comprimés
|
2
|
résochine ® sirop
|
3 cuillères à café
|
1
|
Autres médicaments
|
|
|
Paracetamol comprimés 500mg
|
1/2 comprimés
|
1
|
Cafénol ® comprimés
|
2 * / jour
|
|
Aspirine®comprimés500mg
|
1/2 comprimés
|
2
|
Produits traditionnels
|
2 comprimés
|
2
|
|
1 lavement
|
1
|
Source : OCEAC, 1995
Aussi, constate t- on, dans cette même enquête,
les effets néfastes de l'automédication sur la santé des
enfants, dû certainement aux doses insuffisantes, inappropriées ou
sur dosées et de la mauvaise qualité des médicaments qui
exige en outre un accent particulier à porter sur l'éducation
pour la santé des populations (O.C.E.A.C, 1998).
Une autre enquête du même réseau paludisme
de l'O.C.E.A.C à Malabo, Brazzaville, Libreville et Yaoundé
montre que les points suivants doivent encore être
améliorés dans la conduite de l'entretien avec les mères
des enfants fébrile :
- la standardisation des prescriptions des antimalariques de
première et de deuxième ligne ainsi que la chimioprophylaxie
à la norme des programmes nationaux de lutte contre le paludisme (PNLP)
;
- l'amélioration de la gestion des stocks des
antimalariques dans les formations sanitaires ;
- l'opérationnalisation de la surveillance
épidémiologique et de la supervision des formations sanitaire par
le PNLP (LEMARDELEY et al, 1996).
Une autre étude de la même OCEAC(1998) visait
à l'évaluation de la prise en charge du paludisme au Cameroun par
les paramédicaux ayant suivi auparavant un recyclage à la prise
en charge des fièvres et paludisme .
Il ressort de cette enquête que si l'interrogatoire des
malades est bien dans l'ensemble l'examen clinique reste incomplet, le
diagnostic le plus souvent asymptomatique, les conseils aux malades restent
rares.
Ce dernier constat, limité par une faible
représentativité dans les provinces du littoral et du Sud ouest,
confirme que les directives nationales pour le traitement des cas de paludisme
(chloroquine ou amodiaquinine en 1ère intention, sulfadoxine
pyriméthanine en 2ème intention, quinine en
3ème intention) sont loin d'être suivi dans les autres
provinces.
S'agissant spécialement des parents, deux études
furent menées au Sénégal, dans le site de Niakhar, par des
paludologues, des démographes et des anthropologues qui ont abouti
à la conclusion que l'accès des enfants aux soins n'était
pas uniquement lié à la disponibilité des
médicaments. La première, réalisé à partir
des entretiens avec l'entourage après chaque décès
d'enfant, a révélé que la moitié d'entre eux
n'avaient pas été conduits au dispensaire. La seconde a
montré qu'en cas de fièvre, près de 40% des parents
envoyaient leurs enfants chez le guérisseur, de plus, en cas de
symptômes persistants, ils n'hésitaient pas à changer de
système de soins, passant du guérisseur au dispensaire ou vice
versa. L'approfondissement des connaissances sur le comportement des parents
apparaît aujourd'hui particulièrement crucial pour mieux adapter
les protocoles thérapeutiques et les messages d'éducation
sanitaire et, ainsi, augmenter l'efficacité des traitements (LEHESRAN,
2001).
En 1996, une étude d'évaluation de la prise en
charge à domicile du paludisme dans un quartier
périphérique de Cotonou au Bénin a montré que 98,5%
des mères d'enfants de moins de cinq ans ont toujours pris l'initiative
de traiter leurs enfants à Domicile avec des associations
médicamenteuse aberrantes (GUEDEME et al. 1996).
Enfin, une étude effectuée dans un village
(Njinikom) du Nord Ouest du Cameroun en 1995 par des sociologues a
montré que les représentations et les croyances qu'une population
entretient au sujet d'une maladie donnée sont susceptibles de modeler
ses choix thérapeutiques. Les populations distinguent un paludisme
naturel causé par les moustiques, l'insalubrité de
l'environnement, le changement climatique et un paludisme causé par les
esprits comme sanction. Pour se soigner les populations recourent à la
médication moderne (nivaquine...) en associant les extraits d'essences
naturelles (muyanga= huile de palmiste ...). Aussi se dégage t-il un
itinéraire marqué par l'auto administration de quelques
comprimés dès les premières attaques, le recours a un
centre hospitalier moderne en cas de persistance des symptômes, et la
consultation des tradithérapeutes dans les cas rebelles. Les raisons
pour lesquelles on sollicite la médecine moderne sont
l'efficacité de la médication, le coût et la
proximité des services ; la tradithérapie recevant surtout des
cas désespérés, pour lesquelles on soupçonne une
connexion avec des réalités mystiques ( KIAWI et al, 1997).
Ces travaux mettent en évidence l'importance d'une
approche qui allie la médecine à d'autres disciplines en sciences
humaines pour une meilleure compréhension de la prise en charge du
paludisme de l'enfant en particulier. Qu'en est il donc des théories et
modèles qui sous tendent cette nécessité ? Telle est la
question qui va être examinée dans la suite.
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