B- LA VILLE DU
CAMEROUN : NOUVEL ENJEU DE LA COOPERATION INTERNATIONALE ?
Jusqu'à la décennie 1980, l'urbanisation du
tiers monde n'était pas un thème prioritaire de la
coopération internationale (ACTconsultants-GRET, 1992). Elle
était plutôt perçue comme un symptôme de mal
développement qu'il fallait endiguer. Pour ne pas être totalement
inexistante, la coopération urbaine demeurait marginale, qu'il s'agisse
de la coopération bilatérale française en Afrique ou de
l'action du PNUD dans l'ensemble des pays en développement (Petiteville,
1995: 56). La France a été l'un des premiers pays à
traduire sur le plan institutionnel de nouvelles priorités en
matière de coopération urbaine, avec la création d'un
bureau du développement urbain au Ministère de la
coopération (Petiteville, 1995).
La coopération décentralisée entre
villes françaises et grandes métropoles du Sud constitue l'aspect
le plus spectaculaire et le plus innovant de la coopération Nord-Sud,
tant il est vrai que les villes françaises se présentent comme
détentrices d'une véritable expertise de l'ingénierie
urbaine dont elles prétendent capitaliser les acquis auprès de
leurs homologues du Sud aux prises avec des problèmes
d'aménagement, de gestion et de planification qui sont à la
mesure d'une croissance urbaine incontrôlée . Il ne s'agit en
aucun cas d'une coopération délestée de tout enjeu
politico-idéologique, celle-ci étant d'ailleurs conçue
comme une politique de faire-valoir et de rayonnement international. On ne
manquera pas alors de retrouver à l'échelle de la
coopération entre villes françaises et Camerounaises, le syndrome
du rapport narcissique que la France entretient avec le Sud où la
générosité du verbe dissimule la parcimonie des moyens
(Adda et Smouts, 1989) : il s'agit d'un enjeu de puissance. La notion
de puissance est à nouveau au coeur des débats car toute
réflexion soucieuse de bien cerner les relations internationales fait
intervenir le concept de puissance.
Classiquement, la puissance d'un Etat se mesurait à sa
capacité à contrôler un espace donné, à
dégager les ressources matérielles ou symboliques indispensables
à l'exercice d'une stratégie d'influence durable, à
dessiner un projet politique mobilisateur de soutien. Cette
problématique de la puissance reste dans bien de cas pertinente
(Efangon, 2000 : 199) mais, elle commence à être
relativisée dans le cadre des théories de
l'interdépendance dont Norbert Elias semble faire figure de
précurseur dans les années 1970. Ces théories, dans le
cadre de la compétition mondiale, mettaient beaucoup plus l'accent sur
les plans économique et financier (Keohane ; Nye, 1977) que sur le
plan militaire. Finalement, les théoriciens de l'interdépendance
en arrivent à la conclusion selon laquelle il n'existe plus de puissance
hégémonique au sens Gramscien du terme, ni de puissance purement
politico-stratégique.
Bertrand Badie et Marie-Claude Smouts quant à eux
pensent que la puissance se définit à présent comme la
capacité de contrôler les règles du jeu dans un domaine
clé de la compétition internationale (Badie ; Smouts, 1995).
Ce qui compte, c'est la capacité d'un pays à structurer une
situation de telle sorte que les autres pays fassent des choix ou
définissent des intérêts qui s'accordent avec les siens
propres (Nye, 1990 :173) : c'est le pouvoir de cooptation (Soft
power) qui s'oppose ici au pouvoir de commandement "Hard power" (Nye, 1992).
Le grand apport des interdépendantistes fût de
montrer les faiblesses des analyses antérieurs en terme de puissance
globale, d'hégémonie totale en y substituant ce que Pierre
Hassner a appelé une théorie de l'interdépendance
inégale comme réciprocité imparfaite (Hassner, 1974). Dans
un système d'interdépendance inégale, la relation est
logiquement asymétrique (réciprocité imparfaite) mais nul
ne peut complètement imposer sa volonté (domination
incomplète). D'où la question de savoir comment utiliser les
atouts dont dispose une collectivité locale A dans un domaine
donné pour en tirer bénéfice dans une collectivité
B (Efangon, 2000 : 201). C'est tout le problème de la
transférabilité de la puissance d'un domaine dans un autre
"fungibility". La puissance se compose aujourd'hui de phénomènes
réels comme l'économie, les stratégies culturelles ou les
communications mais aussi, et c'est beaucoup plus neuf d'une capacité de
jouer sur une toile de fond multilatérale et de s'adapter
continuellement à la nouvelle géométrie mondiale
(Boniface, 1998 :41-42). Dans cette perspective, c'est au fond moins le
rang que l'on peut tenir qui importe que le rôle que l'on peut
concrètement jouer qui devient décisif. Il s'agit donc ni plus ni
moins d'une politique de commercialisation de l'image de la France.
L'importance de l`image est d'ailleurs ce qui est certainement le plus nouveau
dans la détermination de la puissance - non les images de la
télévision - mais la perception que l'on a d'un pays (Boniface,
1998).
La coopération urbaine entre les villes
françaises et leurs homologues Camerounais offre finalement, à
n'en point douter, un cadre d'exhibition, de monumentalisation de la puissance.
Il semble ici que le syndrome narcissique de la coopération Nord-Sud que
Jacques Adda et Marie-Claude Smouts ont mis en valeur dans la politique de la
France face au Sud soit également inhérent à la
coopération décentralisée France - Cameroun.
|