B- SOCIOLOGIE DES
TRANSACTIONS COLLUSIVES INHERENTES A LA COOPERATION DECENTRALISEE
Le concept de « transactions collusives »
est utilisé par Michel Dobry pour traduire des systèmes sociaux
« complexes » qui se caractérisent par la
multiplicité et l'enchevêtrement en leur sein, de sphères
sociales, secteurs ou « champs » différenciés
les uns des autres, plus ou moins autonomes, fortement
institutionnalisés et dotés de logiques sociales
spécifiques à chacun d'entre eux (Dobry, 2002 : 103-120).
Dans la présente articulation, nous proposons
de faire une sociologie fine et détaillée des transactions
collusives inhérentes aux relations transnationales des
collectivités locales c'est-à-dire, dans le cadre de la
présente étude, d'identifier l'apport concret des
collectivités locales camerounaises (1) à leurs homologues
français, mutatis mutandis (2).
1) L'apport des
collectivités locales camerounaises
Marcel Rudloff, alors président du conseil
régional d'Alsace affirmait péremptoirement que la région
d'Alsace n'a pas vocation à devenir un organisme charitable d'aide au
tiers-monde. Elle s'ouvre aux pays en développement pour des raisons
sociales et économiques (Nach Mback, 1994 : 180-185). Sans aucun
doute, en raison de la difficulté à identifier ces
intérêts sociaux et économiques des collectivités
françaises à partir des accords et conventions, certains
africains (populations, associations, employés et élus
municipaux) sont enthousiasmés par l'intérêt que leur
portent leurs homologues Français. Ils y voient des marques de
confiance, d'amitié, d'engagement humain et moral ; une
démarche généreuse d'ouverture à leur mode de vie
et à leur culture ; des préoccupations réconfortantes
quant à leurs perspectives de développement, une volonté
qu'ils jugent rare, de prise en compte de leurs besoins à la base
(Petiteville, 1995 : 261).
Pourtant, suivant le conseil de Georges Washington (1732 -
1799) selon lequel « aucune nation ne doit être crue au
delà de ses intérêts », on remarquera que les
flux de la coopération décentralisée que reçoivent
les collectivités locales camerounaises de la part de leurs homologues
de l'hexagone seraient empreints d'une logique de rentabilité que nous
nommerons volontiers ici « contrepartie ». Cette
contrepartie peut être appréhendée en terme d'ouverture
d'espaces de commerce pour les entreprises locales en France, de lutte
contre le chômage en France, d'organisation d'un cadre d'exploitation
des essences des forêts Camerounaises dont la démarche pourrait
être initiée par la collectivité locale camerounaise en vue
de constituer un appât à la formalisation des liens de
coopération décentralisée (Mvondo, 2006).
- La coopération décentralisée comme
nouvelle technologie de conquête des débouchés au Cameroun
est d'une importance significative pour les collectivités
françaises. A en croire Charles Nach Mback, les missions alsaciennes de
prospection et d'évaluation de Juin et Septembre 1986 à Douala et
à Nyée ont permis de mettre en évidence des
opportunités commerciales dans des secteurs tels que
l'électricité, l'électronique, le téléphone,
la mécanique et l'agro-alimentaire. Le projet d'électrification
de Nyée a ainsi été réalisé par un organisme
alsacien, l'association L. Baldner. D'autres entreprises ont déjà
étudié leur implantation compte tenu des
« marchés ciblés » selon l'expression de
Marcel Rudloff (Nach Mback, 1994 : 183 - 184). On se souvient
également à juste titre que le président Rudloff demandait
un crédit de 75.000 FF pour favoriser une meilleure
pénétration dans les marchés locaux des produits alsaciens
présents au Cameroun. Partant de l'hypothèse selon laquelle
« la ville de Douala avait bénéficié d'un
financement de près d'un million de francs pour réaliser des
infrastructures et souhaitait bénéficier d'une assistance
technique, Marcel Rudloff suggérait qu'une mission soit menée
pour estimer les besoins et voir de quelle manière une telle assistance
qui ne peut qu'avoir des retombées favorables à l'économie
régionale, serait réalisable » (Nach Mback, 1994 :
184). Sous cet angle, les collectivités locales camerounaises offrent
à leurs partenaires de l'hexagone des possibilités de trouver de
nouveaux marchés ou débouchés sur le plan
international : la coopération décentralisée peut
être un puissant levier à terme pour développer le commerce
extérieur.
- De même, la tendance croissante de certaines
municipalités françaises à affecter aux chantiers des
populations des jeunes français en difficulté d'insertion sociale
peut donner l'image d'une coopération utilisant l'Afrique en
général et le Cameroun en particulier comme banc d'essai,
palliatif ou exutoire aux problèmes d'intégration sociale en
France (Petiteville, 1995 : 265). C'est le cas de la coopération
décentralisée entre la région d'Alsace et la
communauté urbaine de Douala (C.U.D) où certains responsables
locaux se plaignent de ce que leurs homologues français leur font
parvenir des jeunes coopérants à la bonne volonté
indiscutable mais qu'ils doivent eux-mêmes former.
- Dans le même ordre d'idées, ce n'est un secret
pour personne, les forêts camerounaises présentent un
intérêt particulièrement saisissant aux yeux des
collectivités françaises. Dans le cadre de la coopération
rurale, ces forêts sont généralement mises en valeur par
l'élu local et sa collectivité pour s'assurer de
l'établissement des liens de coopération avec son homologue de
l'hexagone.
Au regard de ce qui précède, l'on est
tenté de conclure que la collectivité locale camerounaise apporte
bel et bien quelque chose de concret à la collectivité locale
française même si cet apport peut être
considéré comme "relatif"si l'on se situait dans une perspective
essentiellement économiciste. On ne peut donc conclure de façon
péremptoire à la « misère du
partenariat » (Nach Mback, 1995 : 177) car l'engagement des
différentes collectivités locales serait empreint de logiques de
rentabilité fussent-elles économique ou sociologique. D'ailleurs,
ne dit-on pas souvent que le Maire de la commune urbaine de Tigeaux
(France), reçu deux fois entre 2001 et 2004 à Akoeman dans
le cadre du partenariat qui lie sa collectivité à celle d'Akoeman
(Cameroun), aurait laissé découvrir son entreprise
proxénitiste à travers le prétexte d'un projet de
réinsertion scolaire et professionnelle des jeunes filles issues de la
localité d'Akoeman qu'il faisait recruter lors de ses différents
voyages (Mvondo, 2006 : 111) ?
L'essentiel pour le politiste ici c'est de reconnaître
la valeur, le poids de la contrepartie fut-elle imparfaite. Curieusement, les
intérêts des collectivités locales françaises en
relation de partenariat au Cameroun à partir des différents
accords de coopération décentralisée sont moins
évidents sans être moins importants. Qu'en est-il des
collectivités locales camerounaises ?
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