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L'acte anormal de gestion et l'abus de bien social

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par DEGDEG Sana
 -  2008
  

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A. L'intérêt de groupe : les raisons de l'incompréhension

1) L'approche strictement économique de l'intérêt social en droit fiscal

a) L'aide financière aux sociétés soeurs constitue un acte anormal de gestion

Le droit fiscal se montre particulièrement exigeant et se situe à contre-courant de la position pénaliste : l'aide financière entre sociétés est par principe et jusqu'à preuve du contraire, un acte anormal de gestion. Autrement dit, lorsqu'une entreprise en aide une autre qui appartient à un même groupe, elle commet un acte contraire à son intérêt social2 sauf si elle démontre un intérêt commercial. Il était déjà admis que l'aide apportée à une autre société, sans aucun lien juridique,

1 DEBOISSY (F.), Obs. sous CE, 8ème et 9ème sous-sect., 7 janvier 2000, Société entreprise Jean-François, RTDCom.2000, p. 758

2 Pour une application récente ; CE, 1er mars 2004, req. n° 237013, SA Représentation, Dr. Fisc. 2004, n° 37, comm. 669, concl. GOULARD

ne pouvait que s'apparenter à une gestion anormale1. Cette solution apparait logique au regard de la conception strictement économique de l'administration fiscale. Comme le faisait remarquer Maurice Cozian : « une entreprise n'est pas une oeuvre de bienfaisance ; sa mission est de réaliser des profits non de faire la charité »2. En revanche, lorsque les sociétés font parti d'un même groupe, cette même position semble excessive pour ne pas dire inappropriée au regard des réalités économiques.

En effet, si l'on s'en tient à l'habituelle approche strictement économique propre au droit fiscal, les désagréments rencontrés par une société se répercuteront nécessairement, à moyen ou long terme sur sa société-soeur. De plus et comme le fait remarquer un auteur, l'intérêt social d'une filiale ne peut se concevoir pleinement sans tenir compte de l'intérêt du groupe dans lequel elle est intégrée3. Le réalisme du droit fiscal montre ici ses limites puisque cette réalité économique n'est pas prise en compte4.

Un début de changement s'est néanmoins fait sentir à l'initiative de la Cour administrative d'appel de Paris dans un arrêt en date du 10 décembre 20045 : « c'est au regard de l'intérêt du groupe intégré [...] que doit être apprécié le caractère normal de l'acte de gestion en cause ». Cette solution n'a pas été reprise par le Conseil d'État qui étend même cette jurisprudence à l'aide apportée par une filiale à sa société-mère. A l'inverse, l'aide apportée par une société-mère à une filiale n'est pas considérée comme anormale.

b) L'aide financière d'une société mère à sa filiale ne constitue pas un acte anormal de gestion

L'aide financière d'une société à sa filiale en difficulté constitue une réalité économique que le droit fiscal a décidé de prendre en considération. Au-delà de la théorie de l'acte anormal de gestion, le code général des impôts prévoit à son article 223 A, la possibilité pour une sociétémère d'intégrer les déclarations fiscales de ses filiales dans sa propre imposition. Autrement dit, la société-mère peut acquitter le paiement de l'impôt de sa filiale. Cette faculté accordée aux sociétés-mères explique en partie la bienveillance de l'administration fiscale. Pour autant, il ne

1 Sauf à prouver un acte conforme à l'intérêt social

2 COZIAN (M.), Précis de fiscalité des entreprises, LITEC, 2008, 31ème éd., p. 243

3 LEGENDRE (A.), Plaidoyer pour la reconnaissance en droit fiscal de l'existence d'une part, non détachable de l'intérêt du groupe auquel elle appartient, de l'intérêt propre d'une société, Dr. Fisc. 2006, n° 11, p. 606

4 A noter toutefois que malgré le refus des tribunaux, les entreprises invoquent souvent deux types de justification pour obtenir la déductibilité d'une aide à une autre société du même groupe : la sauvegarde de leur propre pérennité juridique (souvent rejeté) et la sauvegarde leur propre pérennité économique (parfois admise).

5 CAA Paris, 10 décembre 2004, n° 00-36

faut pas s'y tromper : le juge fiscal n'admet aucunement l'existence d'un intérêt de groupe mais tient uniquement compte de l'intérêt propre de la société-mère. L'intérêt financier de telles opérations motive la solution apportée par le Conseil d'État.

Cette solution est étendue aux sous-filiales en difficulté (les filiales des filiales) pour les mêmes raisons. Il a été ainsi jugé qu'une telle aide ne constituait pas un acte anormal de gestion puisque cette opération visait à sauvegarder l'intérêt de la sous-filiale1.

Face à cette rigueur fiscaliste, le droit pénal se montre particulièrement bienveillant et tranche encore une fois avec une solution paradoxalement basée sur l'intérêt économique.

2) L'approche fortement subjective de l'intérêt social en droit pénal des affaires

a) L'admission d'un intérêt de groupe

Le droit pénal se montre paradoxalement beaucoup plus réaliste que le droit fiscal lorsque les abus ont lieu au sein d'un groupe de sociétés. Les juges de la chambre criminelle reconnaissent en effet un fait justificatif tiré de l'intérêt de groupe. Il convient de rappeler à titre liminaire que l'abus de bien social a pour mission de sanctionner les comportements des dirigeants sociaux, pillant des biens de la société à leur profit. Cet éclairage permet de resserrer le questionnement sur l'hypothèse d'un dirigeant utilisant les biens de la société pour aider une seconde société qu'il possède ou dont il est actionnaire. Contrairement au droit fiscal qui n'y voit qu'un acte anormal de gestion, sauf exceptions, le droit pénal fait preuve de beaucoup plus de subtilités.

Tout comme pour l'acte anormal de gestion, le premier pas vers l'admission d'un intérêt de groupe a très tôt été franchi par des juges du fond, en l'occurrence le tribunal correctionnel de Paris. Dans cette affaire « Willot »2, les juges ont admis que l'existence d'un intérêt de groupe puisse assouplir le régime de l'abus de biens social. Cette souplesse est néanmoins limitée à la réunion de trois conditions : d'une part les sociétés doivent faire partie d'un groupement économique ; d'autre part, les sacrifices de la société doivent avoir été réalisés dans l'intérêt du groupe ; enfin, ces sacrifices ne doivent pas avoir fait peser des risques trop lourds sur la société.

1 CE, 10 mars 2006 : Dr. Fisc. 2006, n° 21-22, comm. 414, concl. SENERS

2 Trib. Corr. Paris 16 mai 1974, Rev. Soc. 1975, 665, note B.O. ; D. 1975, 37

Contrairement à son homologue fiscaliste, les juges de la Cour de cassation décidèrent de poursuivre dans cette voie et officialisèrent l'existence de la notion d'intérêt de groupe en 1985, dans un arrêt « Rozenblum »1.

b) Les conséquences de l'admission d'un intérêt de groupe

L'arrêt « Rozenblum » est la décision de principe qui admet donc l'existence d'un intérêt de groupe dans l'intérêt social, susceptible d'assouplir les règles d'application du délit d'abus de bien social. La chambre criminelle considère donc que l'intérêt d'une société donnée est lui-même constitué -en partie- de l'intérêt du groupe dans lequel il est intégré. Cette conception repose sur des considérations économiques mais pas exclusivement puisque se dessine en filigrane l'admission d'une solidarité de groupe, là où le droit fiscal est régi par un « égoïsme sacré »2. Ce solidarisme est empreint de considérations morales : pourquoi poursuivre un dirigeant qui aide financièrement une filiale ou une société soeur sur le point de s'écrouler ?

Pour autant, l'utilisation des biens de la société au profit d'une société du même groupe n'immunise pas automatiquement le dirigeant qui en est l'auteur. On peut le comprendre aisément puisque qu'il suffirait pour un dirigeant indélicat d'intégrer au sein du groupe sa propre société (fictive ou non), arguer de difficultés financières et détourner l'argent de la société en toute impunité. Pour ces raisons, la jurisprudence pénale a tenu à entourer cette justification de conditions cumulatives inspirées de l'arrêt « Willot ». Les sociétés concernées doivent appartenir au même groupement économique et le flux financier doit être interne au groupe ; ensuite, il doit effectivement exister un intérêt de groupe commun ; par ailleurs, le concours financier doit apporter une contrepartie à la société et ne doit pas excéder ses capacités.

Tous ces éléments aboutissent donc à limiter cette justification mais l'existence de cette distorsion conduit à des situations asymétriques entre le juge fiscal et le juge pénal. L'illustration de cas jurisprudentiels permet de mettre en lumière cette incompréhension.

B. L'illustration de la conception morale 1) Le cas des abandons de créance3

a) La vision stricte du droit fiscal

1 Crim.4 février 1985, Bull. Crim. n° 54 ; D. 1985, 478, note OHL; JCP 1986.II.20585, note JEANDIDIER

2 TUROT (J.), Avantages consentis entre sociétés d'un groupe multinational, RJF 1989, chron. p. 263

3 L'abandon de créance est la situation dans laquelle une société va renoncer à une créance qu'elle détient au profit d'une autre société. Cette situation n'est a priori pas conforme à l'intérêt social lorsqu'elle est réalisée sans contrepartie.

Sauf lorsqu'elle est réalisée par une société-mère au profit de sa filiale en difficulté ou lorsqu'elle est justifiée par l'intérêt social, l'abandon de créance est un acte anormal de gestion. Maurice Cozian rangeait ces deux exceptions en deux catégories1. La première qu'il qualifiait d'abandon de créance présentant un caractère commercial renvoyait à l'hypothèse d'aide financière entre deux partenaires commerciaux2 que la jurisprudence fiscale admet aisément même s'ils sont indépendants juridiquement l'un de l'autre. La seconde catégorie est celle des abandons de créance présentant un caractère financier qui renvoie aux groupes de sociétés. Les aides financières entre sociétés soeurs sont des actes anormaux de gestion comme un arrêt Leclerc a pu le rappeler3.

Les magasins Leclerc avait mis en place une règle de solidarité entre les différents magasins. Ainsi, lorsqu'un nouveau commerçant intégrait le réseau Leclerc, il était parrainé par un autre commerçant Leclerc. En l'espèce, ce nouvel adhérent Leclerc rencontrait quelques difficultés financières qui furent résolues par l'apport financier du « parrain ». Ce dernier souhaitait déduire fiscalement ces sommes qu'il a « données » au nouvel adhérent, mais le Fisc le lui refusa arguant de l'absence de relations commerciales. Il s'agissait ici de savoir si le Conseil d'État allait reconnaitre cette solidarité contractuellement prévue. Elle confirma la décision de la Cour d'appel, écartant ici encore l'idée d'intérêt de groupe ou de solidarité intra-groupe.

b) La vision souple du droit pénal

La vision pénaliste est résolument plus souple en ce qu'elle prend en considération l'intérêt du groupe dans son ensemble, intérêt de groupe qu'elle estime nécessairement rattaché à l'intérêt social propre de la société. Pour autant, les conditions imposées par la jurisprudence limitent les cas admissibles d'abandons de créances réalisés par des dirigeants.

Tout d'abord, les abandons de créances réalisées par les dirigeants sociaux doivent bénéficier à des sociétés intégrées dans le groupe. Dans le cas contraire, l'abus de bien social est constitué si ces sommes bénéficient à des sociétés au sein desquelles les dirigeants ont des intérêts4. D'autre part, ces abandons de créances, ces aides financières doivent fournir des contreparties à la société débitrice. Les abandons de créance faisant peser plus de risques sur la société débitrice que sur la société bénéficiaire peuvent être constitutifs d'abus de bien social s'ils sont commis par

1 COZIAN (M.), Précis de fiscalité des entreprises, LITEC, 2008, 31ème éd., p. 241

2 CE, 8ème et 9ème sous-sect., 9 octobre 1991, Laboratoires Goupil : laboratoire qui avait aidé financièrement une filiale étrangère.

3 CE, 26 septembre 2001 : Dr. Fisc. 2002, n° 24, comm. 490, concl. BACHELIER

4 Crim. 25 octobre 2006

un dirigeant à des fins personnelles1. Autre cas : celui d'une société intégrée au sein d'un groupe mais de façon fictive, sans intégration dans la politique commune du groupe. Tel est le cas lorsque « aucune politique n'est décidée en conseil d'administration ou en assemblée générale »2.

Ces limitations jurisprudentielles constituent un rempart contre l'utilisation de cet intérêt de groupe pour commettre des abus de biens sociaux et permet de conserver une éthique. Cette éthique se retrouve également au sujet de la question épineuse des rémunérations excessives mêmes si le sujet ne s'inscrit pas toujours dans le cadre d'un groupe.

2) Le cas des rémunérations excessives versées aux dirigeants a) Un cas particulier

Le thème des rémunérations et avantages excessifs est récurrent et nourrit de nombreux contentieux. S'il apparait normal qu'un dirigeant social soit rétribué pour le travail accompli, certaines rémunérations ou certains avantages excèdent ce que la société peut financièrement offrir aux dirigeants. La particularité du sujet réside d'une part dans le fait qu'il s'agisse d'un problème d'actualité et d'autre part que ces sommes ou avantages sont à la fois constitutifs d'un acte anormal de gestion et d'un abus de bien social.

L'article 39-1-1° CGI dispose « Les rémunérations ne sont pas admises en déduction des résultats que dans la mesure où elles correspondent à un travail effectif et ne sont pas excessives eu égard à l'importance du service rendu ». Cette disposition du code général des impôts condamne directement le versement excessif de rémunérations. De son côté, le code pénal ne fait pas clairement référence aux rémunérations excessives, ni aux avantages en nature.

La vision du droit fiscal et du droit pénal est la même et permet de constater qu'en dépit d'une approche différente de l'intérêt social, certaines situations reçoivent une compréhension strictement identiques. Cette particularité tranche avec les dissensions rencontrées tant concernant l'illicéité des actes ou les groupes de sociétés et s'explique par le caractère à la fois économique et moral de l'atteinte causée par les rémunérations excessives.

1 Crim. 20 mars 2007 : un dirigeant social a fait régler les factures de la société dans laquelle il était intéressé par la société débitrice

2 Crim. 8 aout 1995

b) Les regards croisés du droit fiscal et du droit pénal

Les rémunérations excessives concernent principalement les dirigeants sociaux (d'où cette symétrie parfaite entre le droit fiscal et le droit pénal). Dès lors, sont considérées comme excessives par le droit fiscal, toutes les dépenses qui excèdent les capacités financières de la société1. Ces dépenses ne seront pas déductibles et seront réintégrées dans le bénéfice de la société. Le droit pénal quant à lui, considère que ces dépenses « manifestement excessives »2 sont constitutives d'un abus de bien social. La preuve est aisée à apporter puisque par définition, ces rémunérations sont directement versées aux dirigeants à des fins personnelles (dol spécial).

Le droit pénal distingue deux cas : le premier est l'hypothèse dans laquelle un dirigeant s'est octroyé des rémunérations excessives sans l'accord du conseil d'administration. Dans ce cas, l'abus de bien social ne fait aucun doute3. En revanche, lorsque les rémunérations ont été décidées par le conseil d'administration, le problème est plus délicat puisque le dirigeant ne s'est pas lui-même octroyé les biens de la société. En dépit des critiques de la doctrine4, la chambre criminelle ajoute une seconde condition empruntée au droit fiscal : il ne faut pas que ces rémunérations décidées par le conseil d'administration soit excessives par rapport aux possibilités financières de la société5, ni dénuées de contreparties.

Les solutions apportées aux actes anormaux de gestion et aux abus de biens sociaux sont divergentes et aboutissent parfois à des situations contradictoires qui nuisent à la cohérence d'ensemble du droit.

1 COZIAN (M.), Précis de fiscalité des entreprises, LITEC, 2008, 31ème éd., p. 247

2 Crim. 22 septembre 2004 : Rev. Soc. 2005, p. 45, note BARBIERI

3 Crim. 26 juin 1978, Bull. Crim. N° 212

4 Notamment : BOULOC (B.), Abus de biens sociaux, Rép. Pén., DALLOZ, janv. 2009, p. 12

5 Crim. 9 mai 1973, Bull. Crim. n° 216

Section 2 : Une divergence de solution devant l'atteinte à l'intérêt social : l'approche financière du droit fiscal face à l'approche punitive du droit pénal

Les solutions apportées à l'atteinte sont nombreuses et diverses. Cette diversité s'explique par les buts respectivement différents suivis par les juges fiscaux et pénaux. La recherche de l'atteinte se traduit pour les services fiscaux par une souplesse étonnante alors qu'elle apparait très stricte pour les juridictions pénales (I.). Par ailleurs, les sanctions infligées ont une dimension presque exclusivement punitives pour l'abus de bien social et ne sont que rectificatives en droit fiscal (II.)

I. La recherche de l'atteinte à l'intérêt social

Tant en ce qui concerne l'acte anormal de gestion que pour l'abus de bien social, l'auteur de l'acte litigieux bénéficie d'une présomption de bonne foi. Celle-ci peut être brisée si sont découverts des éléments de nature à remettre en cause la sincérité ou la légalité de l'acte (A.), auquel cas, il appartient à l'administration fiscale et aux services judiciaires de prouver leurs allégations (B.).

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"En amour, en art, en politique, il faut nous arranger pour que notre légèreté pèse lourd dans la balance."   Sacha Guitry