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La théorie du patrimoine à l'épreuve de la fiducie

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par Thomas Naudin
Université de Caen - Master 2 Recherche en Droit Privé 2007
  

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TABLE DES MATIÈRES

Introduction 1

Section 1. - L'infléchissement de l'unité du patrimoine 5

I. - L'affectation patrimoniale du fiduciaire 5

A. - La théorie classique du patrimoine et le principe d'unicité 5

1. - Les origines de la conception classique 5

2. - Les critiques et les théories concurrentes 7

3. - La conception contemporaine du patrimoine 8

B. - La fiducie et le principe d'unicité 9

1. - La réalité de l'affectation patrimoniale dans la loi du 19 février 2007 10

2. - L'impact pratique 13

II. - Un dédoublement de propriété 16

A. - Le transfert opéré par la fiducie 17

1. - Les caractères du transfert de propriété 17

2. - Les effets du transfert de propriété 20

B. - Le dédoublement conventionnel du droit de propriété 21

1. - L'absence d'obstacle légal 22

2. - Les droits des différents acteurs de la fiducie 24

Section 2. - Un infléchissement à relativiser 29

I. - Le maintien du droit de gage général des créanciers 30

A. - La remise en cause du contrat de fiducie 30

1. - La remise en cause de la fiducie en période normale 30

2. - La remise en cause de la fiducie par le droit des entreprises en difficultés 34

B. - La fragilité du cloisonnement patrimonial 36

1. - La persistance de liens patrimoniaux 36

2. - La quasi-impossibilité pratique d'un cloisonnement hermétique 40

II. - La difficile coordination des droits spéciaux 41

A. - La mise à mal de l'affectation patrimoniale par les droits spéciaux 42

1. - L'autonomie variable du patrimoine fiduciaire 42

2. - La titularité du patrimoine fiduciaire 44

B. - Les difficultés soulevées par la transmissibilité du patrimoine fiduciaire 46

1. - La prohibition des fiducies-libéralités 46

2. - La cessibilité des droits du constituant 48

Conclusion 51

Bibliographie

Introduction

1. - La fiducie trouve ses origines les plus lointaines dans le droit romain, où il était le plus ancien des contrats réels. Cette opération peut se définir comme le contrat par lequel une personne, le fiduciant (ou constituant) transfert une chose à un fiduciaire qui la détient dans un patrimoine d'affectation distinct du sien dans un but déterminé au profit d'un bénéficiaire.

2. - Etymologiquement, la fiducie est une relation de confiance (fides en latin) entre le fiduciant et le fiduciaire. On trouvait chez les romains deux applications essentielles de cette institution, la fiducia cum creditore (la fiducie-sûreté) et la fiducia cum amico (la fiducie-gestion)1(*). Tombée en désuétude vers la fin du moyen-âge, le code civil l'ignora totalement en 1804.

3. - De leur côté, les pays de common law développèrent le trust2(*), un mécanisme aux fondements différents, mais aux effets comparables. Il permet de considérer qu'un bien ait pour propriétaire une personne détenant ce bien pour le bénéfice d'une autre3(*). Initié au XVIème siècle, le trust a connu un essor considérable au point d'occuper une place centrale dans de nombreux domaines du droit anglo-saxon. On y a aujourd'hui recours tant dans la vie privée (les trusts successoraux sont une forme fréquente de trust, utilisés pour organiser les successions4(*)) que dans le monde des affaires.

4. - C'est principalement dans ce dernier domaine que s'est fait ressentir dans les pays de tradition civiliste le besoin d'instaurer une institution comparable au trust. En Allemagne, c'est la jurisprudence qui développe le Treuhand, mécanisme d'influence fiduciaire5(*). Dans les années 1980, un mouvement international favorable au trust a abouti à la conclusion d'une convention à La Haye le 1er juillet 1985, « relative à la loi applicable au trust et à sa reconnaissance ». La France, pourtant état signataire, ne l'a jamais ratifiée, ne disposant pas dans sa législation interne de dispositions reconnaissant le trust ou une institution comparable. Parallèlement, de nombreux pays tels que le Luxembourg ou la Suisse ont instauré la fiducie, afin d'offrir des instruments juridiques comparables au trust.

5. - En France, quelques projets de lois eurent l'ambition de ressusciter la fiducie dans le droit français, mais aucun ne put aboutir. L'une des raisons affichées était l'incompatibilité entre la fiducie et la théorie du patrimoine. Cependant la raison réelle est probablement la grande méfiance qui existe envers la fiducie (comme envers le trust), soupçonnée de favoriser le blanchiment d'argent, la fraude fiscale ou le financement d'organisations terroristes.

6. - L'arsenal juridique français devint donc moins attrayant ce qui entraina des délocalisations de montages financiers, occasionnant un manque à gagner non négligeable pour la France. Les grandes entreprises françaises n'ont pas hésité à traverser la Manche pour profiter des instruments qui y étaient disponibles. En 1987, Peugeot SA alla créer un trust de defeasance aux Etats-Unis6(*), mettant ainsi en lumière les carences de notre système. Si la pratique avait alors pleinement conscience des enjeux que représentait une loi dans ce domaine, le législateur enterra un nouveau projet au début des années quatre-vingt dix.

7. - Des lois furent cependant adoptées dans des domaines très spécifiques, instaurant des mécanismes inspirés directement de la fiducie, mais sans pour autant la consacrer. Ainsi peut-on citer la « loi Dailly » qui a permis dès 1981 la cession de créances professionnelles à titre de garantie. Reposant sur un transfert de propriété temporaire, ce mécanisme juridique est pour beaucoup une application de la fiducie-sûreté7(*).

8. - Le législateur, en s'obstinant à ne pas généraliser la fiducie mais en s'en inspirant pour légiférer a minima, menaçait la cohérence du droit français tout en ne répondant pas aux attentes des praticiens. Sur le plan international, la France ne pouvait toujours pas ratifier la Convention de La Haye. Au niveau européen, Bruxelles manifestait l'intention d'uniformiser les règles communautaires dans ce domaine. Pour toutes ces raisons, une grande loi sur la fiducie, ou sur un trust à la française, paraissait autant souhaitable qu'inéluctable. Finalement ce fut le 19 février 2007 que l'Assemblée Nationale adopta sans aucun amendement et dans une indifférence médiatique assez notable la proposition du sénateur Philippe Marini, telle que votée par le Sénat le 17 octobre 2006.

9. - Cette fiducie à la française a la particularité d'être réservée aux personnes morales assujetties à l'impôt sur les sociétés, excluant ainsi du bénéfice de cette loi toutes les personnes physiques et bon nombre de personnes morales8(*) (on pense notamment à beaucoup de sociétés civiles ainsi qu'à certaines SARL familiales, lesquelles devront opter pour l'impôt sur les sociétés si elles veulent profiter de la loi sur la fiducie). Cette restriction rationae personae fut imposée par le gouvernement lors des débats au sénat, alors que la proposition de loi ouvrait initialement la fiducie à toutes les personnes, sans aucune distinction. Selon le Garde des Sceaux, il n'était pas nécessaire de généraliser l'opération à toutes les personnes, étant donnés les récentes réformes du droit des successions et du droit des sûretés9(*).

10. - En juin 2006 furent institués en droit français des mécanismes de libéralités résiduelles et graduelles, ainsi que le mandat posthume, mécanismes sur lesquels il convient de s'attarder. La libéralité graduelle permet à une personne de céder (à titre gratuit) un bien, à charge pour le donataire de céder ce bien à une tierce personne désignée par le cédant. La libéralité résiduelle en est proche, la seule différence résidant dans le fait que le donataire peut disposer des biens transmis, la charge pesant sur lui étant de céder ce qu'il en reste. Ces mécanismes à trois personnes, impliquant un transfert de propriété nécessairement temporaire et accompagné d'obligations pour le donataire (l'obligation de conserver le bien, de le céder à telle ou telle personne), peuvent facilement être rapprochés de la fiducie. De fait, un résultat similaire aurait parfaitement pu être obtenu par le biais d'une fiducie-gestion. Le mandat posthume permet au de cujus de désigner un mandataire ayant pour mission de gérer un certain bien ou un ensemble de biens au profit d'un ou plusieurs héritiers désignés. Le but recherché est de protéger un héritier du fait de son jeune âge ou d'un éventuel handicap ou encore de faire en sorte qu'un héritier ne puisse pas dilapider le patrimoine transmis. Grace à ce mécanisme il devient possible d'envisager la transmission d'une entreprise individuelle à un mineur, et de la faire gérer par un tiers compétent en attendant sa majorité.

11. - Le choix d'exclure les personnes physiques du champ d'application de la loi a été fait également à des fins de protection. Selon le Garde des Sceaux, la constitution de sûretés fiduciaires aurait pu permettre de contourner certaines dispositions du droit des sûretés destinées à protéger certaines catégories de personnes, notamment les personnes physiques non-professionnelles. De même l'autorisation du pacte commissoire10(*) (la clause d'un contrat de gage permettant au créancier gagiste de s'attribuer la propriété du bien engagé en cas de défaillance du débiteur) par la réforme du 23 mars 2006 limitait, toujours selon le Ministre de la Justice, l'intérêt qu'aurait pu représenter la fiducie-sûreté pour ces personnes.

12. - La véritable raison doit néanmoins être recherchée du côté des craintes suscitées par la fiducie, principalement d'un point de vue fiscal. L'opération est en effet un formidable outil d'optimisation fiscale dans certains pays (Québec par exemple) et poussée à son extrême, elle peut favoriser une importante évasion fiscale. En limitant la qualité de constituant aux seules personnes morales soumises à l'impôt sur les sociétés, cette loi est ouvertement destinée à une partie du monde des affaires.

13. - L'un des obstacles majeurs soulevés par la doctrine était constitué par la théorie du patrimoine et deux de ses principes fondamentaux, l'unicité du patrimoine et l'indivisibilité du patrimoine. Cette théorie fut développée au cours du XVIIIème siècle par deux grands juristes, Aubry et Rau. Basée sur une conception subjective de la notion de patrimoine, elle fut dégagée à partir du droit de gage général des créanciers disposé par les anciens articles 2092 et 2093 du Code civil (les articles 2284 et 2285 du Code civil depuis la réforme du droit des sûretés du 23 mars 2006). Les trois axiomes sur lesquels s'appuie cette théorie sont :

- chaque personne ne peut avoir qu'un patrimoine,

- seules les personnes peuvent avoir un patrimoine,

- toute personne a nécessairement un patrimoine.

14. - La fiducie au contraire suppose que les éléments transférés constituent un patrimoine d'affectation distinct du patrimoine personnel du fiduciaire. Ainsi, le fiduciaire se trouve à la tête de plusieurs patrimoines distincts, ce qui représente une entorse aux principes d'unicité et d'indivisibilité du patrimoine. Il semble y avoir une incompatibilité de principe entre la théorie classique du patrimoine et la théorie du patrimoine d'affectation. Mais des pays voisins de la France partageant pourtant une même influence romaniste ont su adapter leur droit et adopter la fiducie sans pour autant remettre en cause l'ensemble de leur système juridique. L'adoption en droit français d'une institution comparable peut s'analyser à première vue en un abandon de la théorie classique du patrimoine. Mais la réponse se doit d'être plus nuancée. Quelques éléments peuvent indiquer que la loi du 19 février 2007 va dans le sens d'un infléchissement de la théorie classique du patrimoine (Section 1). Toutefois, cet infléchissement se doit d'être relativisé (Section 2), notamment du fait que le législateur a organisé le maintien du droit de gage général, « socle » de la théorie subjective du patrimoine.

* 1 Lamy Patrimoine, Mai 2006.

* 2 On constate que le trust et la fiducie trouvent leurs origines dans une relation de confiance : en anglais, to trust = faire confiance.

* 3 John Anthony Jolowicz, Droit anglais, Dalloz : Gareth H. Jones, Principaux domaines du droit anglais, p. 277.

* 4 Lucy S. McGough, Successions et Trusts, p. 255.

* 5 Il n'existe en réalité pas une seule forme de Treuhand, mais plusieurs. V. à ce sujet Cl. Witz, rapport introductif, in Les opérations fiduciaires, colloque de Luxembourg des 20 et 21 septembre 1984, FEDUCI, LGDJ, Paris 1985 ; également H. Coing, Die Treuhand kraft privaten Rechtsgeschäfts, Munich 1973.

* 6 A. Gobin, Fiducies sans la fiducie, JCP éd. Not., n° 44-45, p. 315.

* 7 L. Aynès et P. Crocq, Les sûretés - la publicité foncière, Defrénois, 2è éd., p. 334. Sur les fiducies innommées en droit français, v. Cl. Witz, La fiducie en droit français, thèse, Economica, 1981.

* 8 P. Bouteiller, Loi n°2007-211 du 19 février 2007 instituant la fiducie, JCP 29 mars 2007, p. 15.

* 9 Séance du mardi 17 octobre 2006 au Sénat.

* 10 L. Aynès et P. Crocq, Les sûretés - la publicité foncière, Defrènois, 2è éd., p. 222.

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