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Dépénalisation des délits de presse en République Démocratique du Congo : analyse de l'action de journaliste en danger (JED). Approche sociologique du droit de l'information.

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par Innocent OLENGA LUMBAHEE
IFASIC - Licence 2010
  

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SECTION III : ENJEUX ET DEFIS DE L'ACTION DE JED

III.1. Enjeux de l'action de JED

Les sociologues nous apprennent que la réaction pénale est un réflexe de défense de l'organisation sociale contre les actes qui la perturbent. Et la réaction émotionnelle ne peut se produire, selon Durkheim, que si une atteinte est portée aux « états forts et définis de la conscience collective41(*) ». Ainsi, dans cette partie, nous essayons de voir si les infractions d'imputations dommageables, de propagation des faux bruits, d'offense au chef de l'Etat et d'outrage aux autorités ainsi que d'atteinte à la sûreté de l'Etat constituent des faits qui heurtent les états forts et définis de la conscience collective au point de légitimer les peines privatives de liberté dont elles sont assorties.

En effet, dans une société démocratique, l'exercice d'une liberté, fut-elle le pilier de la défense des droits fondamentaux, ne peut se justifier par la commission d'infractions, à peine de contester la légitimité des règles d'ordre public, et par là même, du système tout entier42(*). Dans cette optique, remarque Koovy Yete, il n'appartient pas à la presse ni de salir injustement l'honneur d'un homme, ni de publier par exemple des informations de nature à mettre en péril la défense nationale43(*). Tout en reconnaissant que la presse comme quatrième pouvoir est un atout nécessaire dans l'édification d'un Etat démocratique, Montesquieu44(*) prévient que ce pouvoir à l'instar de tout pouvoir devient dangereux et peut même ruiner le processus démocratique par l'inconscience de certains de ses membres.

Cette crainte d'un débordement de la liberté de presse a été aussi suffisamment manifestée à l'atelier de JED à Bondeko en janvier 2004. Tout en étant d'accord pour la dépénalisation des délits de presse, beaucoup d'intervenants ont exprimé des réticences fondées sur les faiblesses de la presse congolaise de manière générale. « Oui à la dépénalisation...mais pour quel type de journalistes : des mercenaires ? Des loups affamés parmi les journalistes ? Des parachutés dans le métier aux fins d'échapper aux dures règles du chômage ? »

Ces faiblesses surtout d'ordre déontologique et d'éthique sont reconnues explicitement par JED dans son manuel intitulé « Comprendre les textes juridiques et déontologiques régissant la presse en RDC », publié en février 2006. En effet, de tous les cas pris en échantillon dans ce manuel, l'organisation relève des fautes professionnelles et des manquements graves : non respect de l'obligation de vérité et de l'obligation de responsabilité, atteinte intentionnelle à la dignité humaine caractérisée par des injures faciles, des menaces et chantages, des calomnies et des règlements des comptes.

Dans son rapport de 2000, parlant de Freddy Loseke, JED mentionne que « La Libre Afrique est un journal dont le ton va souvent au-delà du tolérable et qui ne fait pas souvent de différence entre l'injure et la critique45(*) ».

Evoquant le cas de Patrice Booto, JED note qu'au cours d'une audience, ce dernier avait fait un revirement spectaculaire en affirmant que l'information qu'il avait donnée était fausse et qu'il le savait au moment où il la publiait. L'organisation ajoute que devant sa délégation et celle de Reporters sans frontières (RSF), le président de la république Joseph Kabila, parlant du cas de Booto, n'avait pas caché sa colère et avait estimé que cet article, publié au moment où le front social grondait au pays, n'était ni plus, ni moins « une tentative de coup d'Etat ».

Critiquant toujours le travail de la presse, JED ne cache pas son indignation dans l'affaire Vital Kamerhe lorsqu'il note que « pendant quatre mois, la bataille pour déboulonner le président de l'Assemblée Nationale va se dérouler dans les médias. Par conviction ou par instinct de survie, les journalistes vont se livrer à un lynchage médiatique d'une extrême violence contre celui qui était jusque là leur icône. Des tonnes de pages et de temps d'antennes vont être achetées pour cette besogne au point où seul le point de vue de ceux qui en voulaient à Vital Kamerhe, avaient droit de citer dans la quasi majorité des médias46(*) ».

Dans l'affaire William Damseaux contre Berge Nanikian, le journal Fair Play47(*), loin d'accomplir sa tâche de n'informer que le public sur le différend foncier opposant les deux hommes d'affaires, non seulement s'est érigé en avocat en prenant fait et cause pour M. Berge Nianikian, mais surtout s'est versé dans les injures et dénigrement du genre : « l'indigent William Damseaux n'est pas le genre d'investisseurs dont le pays a besoin...maffieux... ».

Aussi, pour régler des comptes au ministre des mines Diomi Ndongala, le journal satirique Pili-pili48(*) avait consacré une série d'articles dans plusieurs éditions pour seulement le salir. Animé visiblement de l'intention de nuire, le journal n'a, en aucune fois, accordé la parole à l'incriminé, mais il s'est évertué à l'enfoncer dans une affaire des présumés détournements en commentant négativement avec des affirmations gratuites.

Ces quelques exemples et bien d'autres, nombreux d'ailleurs, démontrent que la culture de l'irrespect de la loi semble beaucoup caractériser le monde de la presse en RDC. D'où la nécessité de la sauvegarde de la sécurité nationale, de l'ordre public et de la moralité publique. Cette exigence est une limite qu'impose le droit international à l'exercice de la presse dans tout pays (article 19 du Pacte International relatif aux droits civils et politiques).

La dépénalisation des délits de presse telle que voulue par JED risque de conduire à de nombreux abus, craint Théodore Ngoy49(*), du fait qu'il y a dans le milieu de la presse congolaise une culture profondément incrustée de non-respect de la liberté d'autrui et un grand nombre des personnes improvisées journalistes et autres professionnels des médias. Cette improvisation dangereuse est reconnue par JED. L'ONG constate que « toute personne sachant parler Français et aligner des mots aussi inintelligibles soient-ils peut, au travers de plusieurs subterfuges, se retrouver dans un journal, une radio ou une télévision. Aucun cursus scolaire n'est exigé dans un pays où le taux d'analphabétisme n'est pas négligeable ».

Toutes ces lacunes et insuffisances de la presse congolaise donnent l'argument aux adversaires de la dépénalisation des délits de presse qui se fondent sur la théorie de la toute puissance des médias. En effet, considérant cette idéologie qui confère aux médias le pouvoir de modifier les esprits et les structures, Ferdinand Tönnies50(*) écrit dans son livre « L'esprit des temps modernes », que « la presse est le moyen réel, l'orage de l'organe de l'opinion publique, comparable et supérieure, à bien des points de vue, à la puissance matériel que possèdent les Etats pour l'armée, les finances et l'administration bureaucratisée ». Cette perception est aussi de Serge Tchakhotine51(*) qui avoue que les techniques de diffusion collective sont toutes puissantes. D'après ce sociologue allemand, « les mass media ne s'adressent pas à la raison mais à l'instinct. Les slogans qu'ils véhiculent excitent les pulsions agressives, sexuelles, alimentaires etc. de l'homme archaïque qui sommeillent en chacun de nous. Dès que cet homme archaïque est atteint et réveillé par des slogans, le conditionnement et la manipulation s'ensuivent ».

Fonctionnant dans le contexte de la linéarité, les médias s'inscrivent généralement dans la théorie du seau. Ils visent la transmission intégrale du contenu de l'émetteur au récepteur. C'est cela, renchérit Ekambo Duasenge, qui est dit ordinairement « recevoir une information 5/5 »52(*). Le journaliste ne cherche dans cette communication linéaire qu'à imposer un imperium sur le consommateur. Et cette linéarité dans les médias apparaît comme une religion qui ne souffre d'aucune déviation ; l'objectif visé étant d'inculquer au consommateur (lecteur, auditeur ou téléspectateur) la totalité du message concocté à son intention par le producteur (journaliste).

Redoutant cette force des médias, JED lui-même ne les a-t-il pas mis sur le banc des accusés après les affrontements sanglants à Kinshasa, en août 2006, après les résultats du premier tour de l'élection présidentielle lorsqu'il note : « tout le monde s'accorde, écrit-il, que ce déferlement de violence dans la capitale Kinshasa, a été précédé pendant plusieurs semaines par une véritables guerre des nerfs, au travers des médias, surtout audiovisuels, entre les partisans de ces deux plus grands candidats qui ont usé et abusé des médias qui leur sont entièrement acquis pour faire de la propagande haineuse et se diaboliser mutuellement, souvent sous l'oeil complice ou grâce à la complaisance des journalistes présentateurs ou animateurs53(*) ».

Du fait qu'il est clair que les effets des médias sont capables de conditionner et manipuler le public ; donc capables de nuire, les adversaires de la dépénalisation des délits de presse, jugent excessivement dangereux de penser que les amendes pécuniaires et autres dommages - intérêts peuvent réparer des délits hautement nuisibles commis parfois intentionnellement par les journalistes.

La liberté de la presse, comme toutes les libertés, n'est pas sans limites. D'ailleurs le droit à la vérité dont elle procède n'est jamais absolu, parce qu'il est toujours en conflit avec d'autres droits qui viennent fixer les bornes de son empire. Ces limites définissent la frontière au-delà de laquelle on pénètre dans l'espace du délit de la presse. On n'évoquera pas ainsi avec bonheur la dépénalisation des délits de presse lorsque l'intention de nuire est dirigée contre des personnes physiques et morales d'une manière flagrante et ostentatoire, remarque Modeste Mutinga54(*).

Pour ces raisons, il y a donc lieu, suggère François Budim'bani Yambu, de ne pas envisager ou de ne pas encourager la dépénalisation des délits de presse à court terme55(*). S'il faut dépénaliser, conseille Me Théodore Ngoy56(*), il importe de satisfaire aux préalables qui appellent à forger d'abord une culture de respect de la loi et des règles éthiques professionnelles par la formation des hommes membres de cette profession et à assainir le secteur en excluant les intrus, les journalistes du dimanche et les apprentis sorciers avant de discuter et d'envisager une dépénalisation responsable de délits de presse. Sinon, celle-ci enfermerait les abus de presse dans une sorte d'angélisme démocratique béat qui nous détruirait tous.

Dans la même lancée, Pierre Akele Adau57(*) préconise qu'il faut prendre conscience de ce que la définition d'un cadre normatif nouveau et dépénalisé pour l'exercice de la presse doit, pour donner satisfaction, s'appuyer sur un code d'éthique et de déontologie suffisamment fort. Celui-ci serait un instrument de régulation et de discipline à la disposition des professionnels de la pesse pour une autocensure sans complaisance.

Donc, de l'avis des uns et des autres, il n'est pas mauvais de penser dépénalisation des délits de presse. Seulement le moment n'est pas propice au débat tant qu'il y a encore de l'ordre à mettre ou à remettre dans la profession journalistique au Congo. Bref, il y a d'abord des préalables à remplir avant de parler effectivement de la dépénalisation. Ces préalables sont, à notre avis, les véritables défis à relever par JED dans sa mission, non seulement de défendre mais aussi de promouvoir la liberté de la presse.

* 41 DURKHEIM E., cité par MERLE R. et VITU A., in Traité de droit criminel.

* 42 FONTBRESSEN P. cité par LEGROS P., « Liberté de la presse, immunité pénale et hiérarchie des valeurs », in Mélanges offerts à Michel Hanotiau.

* 43 YETE K., op. cit.

* 44 MONTESQUIEU, De l'esprit des lois, Livre III, Chap. V, p.94.

* 45 Rapport annuel 2000 de JED.

* 46 Rapport annuel 2009 de JED, p8

* 47 Rapport annuel 2004 de JED. Cas de Lucien-Claude Ngongo.

* 48 Rapport annuel 2004 de JED. Cas de Jean-Denis Lompoto.

* 49 NGOY T., op. cit., p.38

* 50 Fernand Tonnies, sociologue allemand cité par OKOMBA WETSHISAMBI, cours de sociologie des médias, 2ème licence journalisme, Ifasic, 2008, inédit.

* 51 TCHAKHOTINE S., Le viol des foules par la propagande politique, Paris, Gallimard, Nouvelle édition revue et augmentée en 1952, 608p.

* 52 EKAMBO J.C., Paradigmes de communication, Ifasic éditions, Kinshasa, 2004, p.47

* 53 JED, La liberté de la presse en période électorale (assassinats, agressions, menaces, expulsions, destructions, propagandes, procès bidons et dérapages des médias), novembre 2006

* 54 Ancien président de la Haute Autorité des Médias, dans son allocution lors de l'atelier de Bondeko en 2004.

* 55 BUDIM'BANI F., « Débat sur la dépénalisation des délits de presse en RDC », in Plaidoyer pour la dépénalisation des délits de presse en RDC, Kinshasa, 2004

* 56 NGOY T., loc. cit.

* 57 AKELE P., loc. cit.

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