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Une difficulté majeure en psychologie de la santé : comment appréhender des refus de soins chez des malades atteints d'une maladie grave et d'un syndrome dépressif ?

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par Veronique DI MERCURIO
Université Paris 8 - Master 2 psychologie clinique 2008
  

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B.2.2 Anamnèse psychologique

C'est en avril que l'équipe de psychiatrie de liaison est appelée auprès de Mme D. à la demande du médecin du service d'oncologie en charge du suivi de Mme D, pour un état dépressif.

Lors de la première consultation, le psychiatre diagnostique une dépression s'accompagnant d'une humeur triste et d'idées noires, ainsi que d'un sentiment d'inutilité. Il prescrit des antidépresseurs et suggère des consultations psychiatriques régulières, une fois par semaine. Elle ne sera vue dans un premier temps qu'en consultation psychiatrique, qui sera interrompue lors d'une permission de sortie de 3 semaines à son domicile.

Au mois de mai, la patiente est à nouveau hospitalisée pour aggravation de son état général. Lors de la consultation psychiatrique, elle présente des troubles du comportement avec des difficultés d'acceptation des soins. Elle a arrêté son traitement antidépresseur ainsi que tout autre traitement par voie orale. Son état dépressif s'est aggravé avec présence d'un ralentissement psychomoteur, aboulie, amimie. Elle présente même un état de quasi-sidération en présence du psychiatre et du psychologue.

Ses propos expriment un grand pessimisme quant à ses espoirs d'amélioration. « Je ne peux pas guérir de cette maladie, c'est fichu, alors tout «a ne sert à rien. «, « Je ne veux plus qu'on m'embete, qu'on me laisse tranquille. «, « On me fait trop mal avec toutes ces piqiires. « D'autre part, elle a perdu confiance en ses médecins. « Ils m'avaient dit qu'on pouvait me guérir, mais ils m'ont menti. «, « Ils me disent que je vais mieux, mais ce n'est pas vrai. «

Pendant cette période d'aggravation de l'état général., psychologique et somatique, les consultations sont breves et interrompue par la patiente elle-même qui se recroqueville contre le mur sur son lit, et refuse de continuer à communiquer. Elle est souvent agitée et s'est amaigrie de plus de 20 kilos. Son état physiologique s'aggrave rapidement avec déshydratation et dénutrition ainsi jusqu'au mois de juin. Peu à peu, elle évoque elle -même le sentiment de perte de contrôle de son état de conscience par moment. « Je vois bien que vous pensez que je suis folle. Je sais bien que par moment, je perds la tete. «, « j'ai des idées dans la tête, tout le temps... «, « Je ne peux pas vous dire... «. Pourtant, elle ne présente pas de troubles de l'orientation spatio-temporelle et des examens neurologiques montreront qu'il n'y a aucune atteinte neurologique.

Le refus de soins et d'alimentation se manifeste : par des paroles véhémentes, une lutte physique pour retirer les perfusions et un rejet les piqfires. Bien que l'attitude générale de la patiente évoque une décompensation psychotique, elle ne présente ni production délirante, ni d'hallucination. Néanmoins, son discours s'enferme dans une production interprétative pour rationaliser son sentiment d'incurabilité. « On m'a montré des examens ce matin, pour me faire croire que j'allais mieux, mais ce n'étaient pas les miens. Moi, je sais que je vais mourir. »

Apres plusieurs jours de tentatives de soins, l'équipe de psychiatrie de liaison doit orienter la patiente alors en danger vital vers une hospitalisation à la demande d'un tiers (HDT) en milieu psychiatrique afin de pouvoir administrer un traitement psychiatrique tout en procédant à une réalimentation.

Nous avons vu la patiente peu de temps avant son admission en établissement psychiatrique et tenté de lui expliquer la raison de ce transfert. Puis, nous nous

sommes entretenus avec son époux, pendant les formalités de l'HDT. Celui-ci a demandé l'adresse d'un soutien psychologique car il vit trts mal le fait de voir son épouse se degrader ainsi, surtout sur le plan psychologique. «Je ne la reconnais plus, ce n'est plus elle. Avant elle aimait la vie, elle faisait des tas de choses de ses mains, elle était trés active et on avait des projets de voyage pour notre retraite. Maintenant, elle ne s'intéresse plus à rien. «, « On s'est connu trés jeune, elle avait des problémes avec sa famille, et on ne s'est plus quittés. Maintenant, elle ne s'intéresse même plus à moi. « D'aprés l'époux, cette patiente présente un repli affectif et social inhabituel, ainsi qu'un trouble de sa personnalité qu'il qualifie de « changement de personnalité «, « ce n'est pas elle, je ne la reconnais pas. «.

Extrait d'entretien avec la patiente avant l'hospitalisation en psychiatrie

Stagiaire Psychologue : « Aujourd'hui les médecins ont pris la decision de vous transférer en établissement psychiatrique et votre mari est d'accord. Cela est nécessaire car votre vie est en danger et que nous ne pouvons pas vous laiss er ainsi en danger. Il me semble important que vous le sachiez.»

Mme D. : « Je ne veux pas aller à Sainte Anne, chez les fous. »

Stagiaire Psychologue : « Vous n'irez pas à Sainte Anne mais dans un établissement spécialisé pour la depression grave. On va vous donner des antidépresseurs et vous réalimenter. «

Mme D. : « Je n'ai pas le choix alors. Je ne peux pas faire ce que je veux.» Stagiaire Psychologue : « Je crois que vous ne nous laissez pas d'autre choix. « Mme D.: « Bon, alors, je me laisserai faire. Mon mari sera avec moi dans l'ambulance pour là-bas ?»

Stagiaire Psychologue : « Oui, bien sir. Il signe les papiers, et vous savez, c'est trts dur pour lui de faire cela. Il fait cela pour vous. «

Mme D.: « Oui, il se fait du souci pour moi, mais je ne suis même plus triste moi. »

Stagiaire Psychologue : « Vous avez été plus triste par moments ? «

Mme D. : « Oui, mais là, je ne peux même plus pleurer, ou même parler. « Stagiaire Psychologue : « Vous avez des pensées ? »

Mme D.: « Oui, tout le temps. « (à mon air interrogateur) « Je ne veux pas en parler. «

Stagiaire Psychologue : « Bien. Mais est-ce que parfois vous voyez des images, ou entendez des bruits ? »

Mme D. : << Tous les bruits d'ici me font mal aux oreilles.>>

Stagiaire Psychologue : << Vous entendez d'autres bruits que ceux d'ici ? >>

Mme D.: << Non, je ne suis pas folle !! >> (silence, et elle regarde la porte d'un air méfiant car on entend une infirmi»re passer.)

Stagiaire Psychologue : <<Pourquoi refusez-vous les soins? >>

Mme D.: << Je ne peux pas l'expliquer. C'est comme «a. Je ne veux pas c'est tout. Je dis Non, Non. a me fait mal. Elles sont méchantes, elles me font mal. >> (elle a alors un mimique et un ton de voix enfantins, les jambes repliées et serrées entre ses bras)

Mme D. : << Je suis fatiguée maintenant>>

Stagiaire Psychologue : <<Alors je vous laisse, mais je vous dis au revoir et je reviendrai vous voir à votre retour de l'hôpital spécialisé.>>

<< Au revoir. >> (elle accepte de me serrer la main et se retourne contre le mur.)

Lors de cet entretien, nous nous sommes clairement positionnés dans une attitude autoritaire en cohérence avec l'attitude des médecins. Quand la patiente exprime <<Je ne peux pas faire ce que je veux. «, nous évoquons alors notre devoir d'assistance à personne en danger. Bien que cette patiente ne parle pas d'euthanasie, nous pouvons nous poser la question suivante: Si cette patiente avait été mise en contact avec des personnes sensibilisées, voire favorables à l'euthanasie, si elle - méme vivait dans une société oü l'euthanasie était admise, n'aurait-elle pas eu l'idée d'en faire la demande lors de son état délirant ?

Le diagnostic psychiatrique posé pour le dossier de demande d'hospitalisation en psychiatrie est celui <<d'état dépressifgrave avec idées délirantes d'incurabilité et d'autoaccusation, sentiment de persécution et agitation, discours monoidé
·que, aggravé par une maladie somatique chronique et un refus de soins et d'alimentation mettant la vie en danger.
>>

La patiente ne restera que quelques jours en psychiatrie car elle contractera en hôpital psychiatrique une infection pulmonaire. Elle revient dans son service d'oncologie, à moitié somnolente, encore plus amaigrie, mais sous perfusion. Celleci permet alors de maintenir l'alimentation et le traitement antidépresseur pendant une semaine, au bout de laquelle, les idées délirantes auront disparues. Pendant cette période, nous allons lui rendons visite. Elle nous reconna»t et nous salue, sans pouvoir toutefois maintenir une conversation. L'expression de son visage est plus

sereine, présente et communicative. De faibles sourires apparaissent. La patiente est plus détendue, accepte les soins, et rép»te souvent <<Je ne veux plus qu'on m'emm»ne chez les fous. ))

Son état psychologique et somatique s'étant vite amélioré, nous reprenons des entretiens réguliers. La patiente est très coopérante, et dit méme attendre la visite des << psy )) avec plaisir. <<Vous êtes tous très gentils ici, mais je ne veux plus qu'on m'envoie là-bas. C'était terrible, on m'a attachée et mis des piqIires de force. ))

Extrait de l'entretien de retour de psychiatrie

Stagiaire psychologue: << Nous ne pouvions pas faire autrement car vous refusiez toute aide.))

Mme D. : << Ah bon ? Je refusais l'aide?))

Stagiaire psychologue: << Oui, vous aviez arraché vos perfusions, nous refusiez de manger, de boire, tout le monde essayait de vous convaincre en vain. ))

Mme D. : << J'ai fait cela moi ? J'étais devenuefolle? ))

Stagiaire psychologue: << Je n'ai pas dit cela, mais ce que vous avez vécu peu s'expliquer et peut arriver à tout le monde.))

Mme D.: << Je me souviens que j'avais très peur, de tout. Et j'avais mal partout. C'était trop difficile. ))

Stagiaire psychologue : << Peut-être que lorsque qu'une situation est trop difficile, on finit par tout refuser, sans distinction? Qu'en pensez-vous ? Ou peut-être que vous aviez trop peur de la maladie et des soins? ))

Mme D.: << Oui, j'ai eu très peur de la maladie et même maintenant, regardez, je tremble rien qu'à y penser. Cela me fait peurÉ C'est une maladie très grave. Les docteurs pensent pouvoir me guérir, mais moi, je n'y crois pas.))

Stagiaire psychologue : << Vous ne croyez pas que vous pourrez aller mieux? ))

Mme D.: << Non, c'est grave ce que j'ai, ils me l'ont dit. C'est un cancer. Je vais mourir.))

Stagiaire psychologue: << C'est certes grave, mais il y a des traitements pour aller mieux et d'ailleurs, vous allez déjà bien mieux juste en une semaine de réalimentation et de soins. ))

Mme D. : << Vous croyez ?))

Stagiaire psychologue : << Je ne dis que ce que je vois. ))

Mme D.: (elle prend son miroir et se regarde) « Mais j'ai beaucoup maigri, regardez, j'ai perdu beaucoup de cheveux. »

Stagiaire psychologue : « Moi, je compare à la semaine derniére seulement et vous allez mieux. C'est un progrés par rapport à la semaine derniére et vous verrez encore des progrés la semaine prochaine.»

Mme D. : « Ah ! Si vous le dites. »

Stagiaire psychologue : « Voulez-vous faire confiance en vos médecins ? Ils ne vous disent que la vérité. »

Mme D. : « Ils disent que je vais mieux mais je ne les crois pas.»

Stagiaire psychologue : « Pourquoi vous mentiraient-ils ? »

Mme D. : « Je ne sais pas... Je suis fatiguéeÉ Vous me faites trop parlerÉ » Stagiaire psychologue : « Je vais vous laisser vous reposer ? »

Mme D.: « Oh non, pas tout de suite. J'aime bien vos visites et puis celles de la dame aux cheveux longs, et du monsieur aussiÉ »

Stagiaire psychologue : « Nous passerons un peu chaque jour, et moi, un jour

sur

deux. »

Mme D. : « D'accord, à demain alorsÉ » (avec un sourire)

Lors des semaines qui vont suivre, l'état psychologique de la patiente s'améliore et l'équipe soignante mesure de poursuivre soins, de préparer un 2 e

sera en les et

protocole de chimiothérapie. Au cours des entretiens que nous avons menés, la malade est passée par des état psychologiques différents qui pourrait correspondre à un travail psychique d'acceptation de sa maladie chronique, de réappropriation de son image corporelle et de récupération d'un sentiment d'espoir de remission, allant jusqu'à des projets de vacances aprés l'été.

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"Je voudrais vivre pour étudier, non pas étudier pour vivre"   Francis Bacon