B.2.2 Anamnèse psychologique
C'est en avril que l'équipe de psychiatrie de liaison
est appelée auprès de Mme D. à la demande du
médecin du service d'oncologie en charge du suivi de Mme D, pour un
état dépressif.
Lors de la première consultation, le psychiatre
diagnostique une dépression s'accompagnant d'une humeur triste et
d'idées noires, ainsi que d'un sentiment d'inutilité. Il prescrit
des antidépresseurs et suggère des consultations psychiatriques
régulières, une fois par semaine. Elle ne sera vue dans un
premier temps qu'en consultation psychiatrique, qui sera interrompue lors d'une
permission de sortie de 3 semaines à son domicile.
Au mois de mai, la patiente est à nouveau
hospitalisée pour aggravation de son état général.
Lors de la consultation psychiatrique, elle présente des troubles du
comportement avec des difficultés d'acceptation des soins. Elle a
arrêté son traitement antidépresseur ainsi que tout autre
traitement par voie orale. Son état dépressif s'est
aggravé avec présence d'un ralentissement psychomoteur, aboulie,
amimie. Elle présente même un état de
quasi-sidération en présence du psychiatre et du psychologue.
Ses propos expriment un grand pessimisme quant à ses
espoirs d'amélioration. « Je ne peux pas guérir de cette
maladie, c'est fichu, alors tout «a ne sert à rien. «, «
Je ne veux plus qu'on m'embete, qu'on me laisse tranquille. «, « On
me fait trop mal avec toutes ces piqiires. « D'autre part, elle a
perdu confiance en ses médecins. « Ils m'avaient dit qu'on
pouvait me guérir, mais ils m'ont menti. «, « Ils me disent
que je vais mieux, mais ce n'est pas vrai. «
Pendant cette période d'aggravation de l'état
général., psychologique et somatique, les consultations sont
breves et interrompue par la patiente elle-même qui se recroqueville
contre le mur sur son lit, et refuse de continuer à communiquer. Elle
est souvent agitée et s'est amaigrie de plus de 20 kilos. Son
état physiologique s'aggrave rapidement avec déshydratation et
dénutrition ainsi jusqu'au mois de juin. Peu à peu, elle
évoque elle -même le sentiment de perte de contrôle de son
état de conscience par moment. « Je vois bien que vous pensez
que je suis folle. Je sais bien que par moment, je perds la tete. «,
« j'ai des idées dans la tête, tout le temps... «,
« Je ne peux pas vous dire... «. Pourtant, elle ne
présente pas de troubles de l'orientation spatio-temporelle et des
examens neurologiques montreront qu'il n'y a aucune atteinte neurologique.
Le refus de soins et d'alimentation se manifeste : par des
paroles véhémentes, une lutte physique pour retirer les
perfusions et un rejet les piqfires. Bien que l'attitude générale
de la patiente évoque une décompensation psychotique, elle ne
présente ni production délirante, ni d'hallucination.
Néanmoins, son discours s'enferme dans une production
interprétative pour rationaliser son sentiment d'incurabilité.
« On m'a montré des examens ce matin, pour me faire croire que
j'allais mieux, mais ce n'étaient pas les miens. Moi, je sais que je
vais mourir. »
Apres plusieurs jours de tentatives de soins, l'équipe
de psychiatrie de liaison doit orienter la patiente alors en danger vital vers
une hospitalisation à la demande d'un tiers (HDT) en milieu
psychiatrique afin de pouvoir administrer un traitement psychiatrique tout en
procédant à une réalimentation.
Nous avons vu la patiente peu de temps avant son admission en
établissement psychiatrique et tenté de lui expliquer la raison
de ce transfert. Puis, nous nous
sommes entretenus avec son époux, pendant les
formalités de l'HDT. Celui-ci a demandé l'adresse d'un soutien
psychologique car il vit trts mal le fait de voir son épouse se degrader
ainsi, surtout sur le plan psychologique. «Je ne la reconnais plus, ce
n'est plus elle. Avant elle aimait la vie, elle faisait des tas de choses de
ses mains, elle était trés active et on avait des projets de
voyage pour notre retraite. Maintenant, elle ne s'intéresse plus
à rien. «, « On s'est connu trés jeune, elle avait des
problémes avec sa famille, et on ne s'est plus quittés.
Maintenant, elle ne s'intéresse même plus à moi.
« D'aprés l'époux, cette patiente présente un
repli affectif et social inhabituel, ainsi qu'un trouble de sa
personnalité qu'il qualifie de « changement de
personnalité «, « ce n'est pas elle, je ne la
reconnais pas. «.
Extrait d'entretien avec la patiente avant
l'hospitalisation en psychiatrie
Stagiaire Psychologue : « Aujourd'hui les médecins
ont pris la decision de vous transférer en établissement
psychiatrique et votre mari est d'accord. Cela est nécessaire car votre
vie est en danger et que nous ne pouvons pas vous laiss er ainsi en danger. Il
me semble important que vous le sachiez.»
Mme D. : « Je ne veux pas aller à Sainte Anne, chez
les fous. »
Stagiaire Psychologue : « Vous n'irez pas à Sainte
Anne mais dans un établissement spécialisé pour la
depression grave. On va vous donner des antidépresseurs et vous
réalimenter. «
Mme D. : « Je n'ai pas le choix alors. Je ne peux pas faire
ce que je veux.» Stagiaire Psychologue : « Je crois que vous ne nous
laissez pas d'autre choix. « Mme D.: « Bon, alors, je me laisserai
faire. Mon mari sera avec moi dans l'ambulance pour là-bas ?»
Stagiaire Psychologue : « Oui, bien sir. Il signe les
papiers, et vous savez, c'est trts dur pour lui de faire cela. Il fait cela
pour vous. «
Mme D.: « Oui, il se fait du souci pour moi, mais je ne suis
même plus triste moi. »
Stagiaire Psychologue : « Vous avez été plus
triste par moments ? «
Mme D. : « Oui, mais là, je ne peux même plus
pleurer, ou même parler. « Stagiaire Psychologue : « Vous avez
des pensées ? »
Mme D.: « Oui, tout le temps. « (à mon air
interrogateur) « Je ne veux pas en parler. «
Stagiaire Psychologue : « Bien. Mais est-ce que parfois vous
voyez des images, ou entendez des bruits ? »
Mme D. : << Tous les bruits d'ici me font mal aux
oreilles.>>
Stagiaire Psychologue : << Vous entendez d'autres bruits
que ceux d'ici ? >>
Mme D.: << Non, je ne suis pas folle !! >> (silence,
et elle regarde la porte d'un air méfiant car on entend une
infirmi»re passer.)
Stagiaire Psychologue : <<Pourquoi refusez-vous les soins?
>>
Mme D.: << Je ne peux pas l'expliquer. C'est comme
«a. Je ne veux pas c'est tout. Je dis Non, Non. a me fait mal. Elles sont
méchantes, elles me font mal. >> (elle a alors un mimique et un
ton de voix enfantins, les jambes repliées et serrées entre ses
bras)
Mme D. : << Je suis fatiguée maintenant>>
Stagiaire Psychologue : <<Alors je vous laisse, mais je
vous dis au revoir et je reviendrai vous voir à votre retour de
l'hôpital spécialisé.>>
<< Au revoir. >> (elle accepte de me serrer la main
et se retourne contre le mur.)
Lors de cet entretien, nous nous sommes clairement
positionnés dans une attitude autoritaire en cohérence avec
l'attitude des médecins. Quand la patiente exprime <<Je ne
peux pas faire ce que je veux. «, nous évoquons alors notre
devoir d'assistance à personne en danger. Bien que cette patiente ne
parle pas d'euthanasie, nous pouvons nous poser la question suivante: Si cette
patiente avait été mise en contact avec des personnes
sensibilisées, voire favorables à l'euthanasie, si elle -
méme vivait dans une société oü l'euthanasie
était admise, n'aurait-elle pas eu l'idée d'en faire la demande
lors de son état délirant ?
Le diagnostic psychiatrique posé pour le dossier de
demande d'hospitalisation en psychiatrie est celui <<d'état
dépressifgrave avec idées délirantes d'incurabilité
et d'autoaccusation, sentiment de persécution et agitation, discours
monoidé ·que, aggravé par une maladie somatique chronique
et un refus de soins et d'alimentation mettant la vie en
danger.>>
La patiente ne restera que quelques jours en psychiatrie car
elle contractera en hôpital psychiatrique une infection pulmonaire. Elle
revient dans son service d'oncologie, à moitié somnolente, encore
plus amaigrie, mais sous perfusion. Celleci permet alors de maintenir
l'alimentation et le traitement antidépresseur pendant une semaine, au
bout de laquelle, les idées délirantes auront disparues. Pendant
cette période, nous allons lui rendons visite. Elle nous reconna»t
et nous salue, sans pouvoir toutefois maintenir une conversation. L'expression
de son visage est plus
sereine, présente et communicative. De faibles sourires
apparaissent. La patiente est plus détendue, accepte les soins, et
rép»te souvent <<Je ne veux plus qu'on m'emm»ne chez
les fous. ))
Son état psychologique et somatique s'étant vite
amélioré, nous reprenons des entretiens réguliers. La
patiente est très coopérante, et dit méme attendre la
visite des << psy )) avec plaisir. <<Vous êtes
tous très gentils ici, mais je ne veux plus qu'on m'envoie
là-bas. C'était terrible, on m'a attachée et mis des
piqIires de force. ))
Extrait de l'entretien de retour de
psychiatrie
Stagiaire psychologue: << Nous ne pouvions pas faire
autrement car vous refusiez toute aide.))
Mme D. : << Ah bon ? Je refusais l'aide?))
Stagiaire psychologue: << Oui, vous aviez
arraché vos perfusions, nous refusiez de manger, de boire, tout le monde
essayait de vous convaincre en vain. ))
Mme D. : << J'ai fait cela moi ? J'étais
devenuefolle? ))
Stagiaire psychologue: << Je n'ai pas dit cela, mais ce
que vous avez vécu peu s'expliquer et peut arriver à tout le
monde.))
Mme D.: << Je me souviens que j'avais très peur,
de tout. Et j'avais mal partout. C'était trop difficile. ))
Stagiaire psychologue : << Peut-être que
lorsque qu'une situation est trop difficile, on finit par tout refuser, sans
distinction? Qu'en pensez-vous ? Ou peut-être que vous aviez trop peur de
la maladie et des soins? ))
Mme D.: << Oui, j'ai eu très peur de la
maladie et même maintenant, regardez, je tremble rien qu'à y
penser. Cela me fait peurÉ C'est une maladie très grave. Les
docteurs pensent pouvoir me guérir, mais moi, je n'y crois
pas.))
Stagiaire psychologue : << Vous ne croyez pas que vous
pourrez aller mieux? ))
Mme D.: << Non, c'est grave ce que j'ai, ils me l'ont
dit. C'est un cancer. Je vais mourir.))
Stagiaire psychologue: << C'est certes grave, mais
il y a des traitements pour aller mieux et d'ailleurs, vous allez
déjà bien mieux juste en une semaine de réalimentation et
de soins. ))
Mme D. : << Vous croyez ?))
Stagiaire psychologue : << Je ne dis que ce que je
vois. ))
Mme D.: (elle prend son miroir et se regarde) « Mais
j'ai beaucoup maigri, regardez, j'ai perdu beaucoup de cheveux. »
Stagiaire psychologue : « Moi, je compare à la
semaine derniére seulement et vous allez mieux. C'est un progrés
par rapport à la semaine derniére et vous verrez encore des
progrés la semaine prochaine.»
Mme D. : « Ah ! Si vous le dites. »
Stagiaire psychologue : « Voulez-vous faire confiance en
vos médecins ? Ils ne vous disent que la vérité.
»
Mme D. : « Ils disent que je vais mieux mais je ne les
crois pas.»
Stagiaire psychologue : « Pourquoi vous mentiraient-ils
? »
Mme D. : « Je ne sais pas... Je suis
fatiguéeÉ Vous me faites trop parlerÉ »
Stagiaire psychologue : « Je vais vous laisser vous reposer ?
»
Mme D.: « Oh non, pas tout de suite. J'aime bien vos
visites et puis celles de la dame aux cheveux longs, et du monsieur
aussiÉ »
Stagiaire psychologue : « Nous passerons un peu chaque
jour, et moi, un jour
sur
deux. »
Mme D. : « D'accord, à demain alorsÉ
» (avec un sourire)
Lors des semaines qui vont suivre, l'état psychologique de
la patiente s'améliore et l'équipe soignante mesure de poursuivre
soins, de préparer un 2 e
sera en les et
protocole de chimiothérapie. Au cours des entretiens
que nous avons menés, la malade est passée par des état
psychologiques différents qui pourrait correspondre à un travail
psychique d'acceptation de sa maladie chronique, de réappropriation de
son image corporelle et de récupération d'un sentiment d'espoir
de remission, allant jusqu'à des projets de vacances aprés
l'été.
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