Le travail du clinicien consiste aussi à tenter
d'expliquer les attitudes problématiques observées chez le
patient et nous proposons, dans une démarche éclectique,
différentes pistes théoriques de réflexion
particuliérement adaptées à notre cas clinique.
Tout d'abord, nous devons définir de quoi nous parlons
sur le plan psychologique quand nous employons le terme de deuil. En
francais, le terme de deuil est polysémique, car il englobe au moins 3
sens du terme qui sont bien différenciés en anglais (Prigerson,
Bierhals, Kasl et al., 1996)
· l'état d'endeuillé (the
bereaved)
· l'état affectif qui suit la perte ou chagrin
(grief)
· l'état d'endeuillé au sens social (the
mourner)
C'est donc au sens de chagrin que nous parlons de
deuil lorsqu'on décrit l'état affectif des malades que nous avons
vus. Le processus psychologique qui suit la perte est qualifié de
processus de deuil ou travail de deuil.
Pour les malades atteints de maladies graves et chroniques,
ces deuils compliqués et l'usure psychologique de la maladie peuvent
entraîner une dépression durable Cet état affectif doit
pourtant toujours être différencié de la tristesse
pathologique rencontrée dans un état dépressif
psychiatrique. Le chagrin, état affectif qui n'est pas
psychiatrique, est lié à un processus de deuil, tandis que la
tristesse
pathologique est liée à un processus de
dépression pathologique. Celle-ci peut être réactionnelle,
survenant à la suite de la perte d'un être cher ou d'un objet
symbolique. Dans le contexte de la maladie grave, des deuils multiples sont
vécus à la suite des pertes multiples: deuil de la
guérison, deuil d'un organe, deuil d'une fonction (capacité
cognitive, capacités à travailler), deuil de soi en cas de mort
précoce et annoncée.
Le deuil est aussi un processus dont la dynamique constitue
un facteur de développement: rupture du lien d'investissement
consacré à l'objet perdu, renoncement aux éléments
positifs découlant de cette relation, intégration d'un nouvel
état privé de l'objet mais dans une nouvelle possibilité
de lien, affectif ou sublimé.
Cette vision positive du travail de deuil permet alors de le
considérer comme:
· une protection contre le traumatisme de la menace de mort
et de handicap du cancer,
· et une libération d'une partie du moi du sujet
qui peut alors se consacrer à d'autres personnes ou à des
activités. Quand le patient réussit son deuil, il peut accepter
de nouvelles contraintes de la maladie en des objectifs de vie modifiés,
une nouvelle philosophie de vie et une histoire à transmettre.
Dans le cas de Mme D., nous avons pu observer qu'elle se
protégeait de la peur de la maladie à travers un e attitude de
repli et de régression, et qu'une fois l'angoisse ma»trisée,
elle pouvait envisager des projets nouveaux pour son futur proche. Nous n'avons
malheureusement pas eu le temps de continuer son suivi, mais elle
commen»ait dans les dernières séances à parler de sa
famille, et de sa région d'origine, alors que les contacts semblaient
rares avant la maladie. Un travail de deuil semblait donc bien avoir abouti sur
une nouvelle forme de vision de la vie.
Les ajustements du deuil dans le temps sont de 2 ordres:
· La soudaineté: lors de l'annonce du diagnostic
même si celle-ci se fait avec beaucoup de précaution,
· La progressivité : peu à peu le malade se
voit perdre ses aptitudes au cours du traitement.
Concernant Mme D. nous avons bien constaté qu'elle
avait vécu l'annonce de sa maladie comme un choc émotionnel
important, avec une rupture dans le temps de sa représentation
personnelle. Peu de temps après le début des soins de nombreuses
effets indésirables ont surgis peu à peu, notamment celui de ne
plus pouvoir se servir de ses mains pour des activités manuelles de
précision comme la broderie ou le crochet, la cuisine et la
décoration d'intérieur, activités favorites de cette
patiente.
Comment protéger le patient de l'effondrement
dépressif et favoriser la mentalisation?
· la relation avec le médecin doit être
authentique, afin de partager le problème à résoudre, la
décision à prendre. L'objectif doit être commun afin de
favoriser le sentiment de participation ou d'activité du patient.
· Avec les infirmières, la communication peut
favoriser la mentalisation en bénéficiant de plusieurs
d'interlocuteurs.
· Le temps: il faut accorder du temps au malade pour
accepter une nouvelle avant de commencer un traitement qui va imposer un rythme
avec des moments de vides .
· Il est important de demander son avis au malade,
d'échanger avec lui sur les informations régulièrement.
· Le psychologue doit pouvoir favoriser le deuil du
passé et permettre l'élaborer sur les pertes par des groupes de
parole de malades.
En fin de parcours de soin, le travail de deuil va jusqu'au
deuil de soi (De M'Uzan, 1976). C'est un processus d'ajustement qui est un fort
mouvement d'expansion libidinale qui permet au mourant d'accéder
à un mode de relation global et symbolique avec ses proches. Cet
état peut apparaitre ponctuellement et requiert un accompagnement plus
attentif. La tristesse gagne alors le malade et il faut savoir distinguer entre
une humeur dysphorique, un pessimisme, une culpabilité et une
dévalorisation de soi disproportionné qui peuvent conduire
à la dépression majeur puis à une demande d'euthanasie par
fort désir de mourir.
Une tristesse normale conduirait à une acceptation de
l'agonie et une tristesse pathologique à un blocage du travail de deuil
et à une demande d'euthanasie.
Pour rappel, la tristesse pathologique consiste en un
désespoir, avec un sentiment d'inutilité personnelle, une
impression d'insignifiance de la vie, une déception, des remords et des
perturbations de l'identité. (Block, 2000)