V.3
HYPOTHÈSE 3 : LA POSITION DE PATIENT-EXPERT PERMETTRAIT DE TERMINER
LE PROCESSUS DE TRANSFORMATION PSYCHIQUE PAR UNE RESTRUCTURATION PSYCHIQUE.
Les entretiens des sujets qui montrent un processus de
transformation psychique et qui ont eu lieu lors de la phase de restructuration
montrent bien une activation de la part narrative de l'identité avec
l'affirmation de sa propre identité et une temporalité à
la fois dans le récit des événements et dans
l'évocation des éléments biographiques. L'évocation
de projets futurs aussi bien que la réactivation des souvenirs
d'événements traumatiques passés, peuvent
s'interpréter comme les réponses à des questionnements
personnels qui aboutissent à des décisions importantes sur
l'orientation du mode de vie futur. L'événement de
défaillance vitale a donc eu une influence profonde sur
l'identité des personnes.
Il a été observé des améliorations
des troubles anxieux au cours des entretiens. Les sujets ont fait souvent des
remarques positives sur le fait de pouvoir transmettre à la
manière d'un expert leur expérience. On peut donc soutenir qu'un
entretien qui place le sujet en position d'expert possède un pouvoir
thérapeutique inhérent à la méthode, car il
favorise le travail de l'identité narrative, aidant le malade à
réactiver des ressources personnelles et relationnelles pour surmonter
son épreuve.
Concernant l'équipe soignante, au cours de
l'année de stage et des interventions successives un changement s'est
produit : les premières attitudes semblaient sceptiques quant
à la présence d'un psychologie stagiaire et d'une étude
sur la psychologie des malades, puis, des demandes d'interventions ont
été exprimées, pour enfin entendre différents
soignants soulever des réflexions sur l'influence psychologique
causées par leurs pratiques. Un groupe de réflexion sur les
pratiques a été débuté, ainsi que l'acceptation
d'une équipe de bénévole d'une association de soins
palliatifs pour un accompagnement des familles.
La méthode d'entretien mise en oeuvre correspond
à une approche « centrée sur la personne »
classiquement enseignée à toute intervenant en relation d'aide
dans le domaine social (MUCHIELLI, 2004).
De nombreux membres de l'équipe soignante font preuve
d'une réelle compassion, mais se retrouvent souvent démunis face
à la détresse des malades, qu'ils ne savent pas toujours comment
aborder autrement que de façon maternante pour les infirmières,
autoritaire pour les médecins, ou filiale pour certains jeunes
médecins. Cette forme d'empathie spontanée a pour
inconvénient d'engager fortement les émotions des équipes
soignantes, menant à un épuisement et parfois à des
réactions de défenses contre-productives.
La méthode d'entretien employée demande une
formation assez courte, de la réflexion personnelle et de la pratique
régulière. Elle permet de concilier empathie et distance avec
cohérence et authenticité. Il serait intéressant de
réfléchir à une mise en oeuvre de ce type relation lors
des échanges informels entre soignants et malades. Ainsi les
équipes soignantes, véritable « gardiennes du
rites » seraient en mesure de répondre elles-mêmes aux
besoins psychiques des malades et le risque de perpétuer le clivage
corps-esprit en intégrant des intervenants extérieurs,
psychologues ou bénévoles, serait diminué.
CONCLUSION
La réhabilitation de l'aspect psychique dans les
pratiques de soins est actuellement discutée par certains
médecins réanimateurs qui prennent conscience des ressemblances
entre leur population de malades et celle des soins palliatifs, que seul le
caractère d'urgence différencie. Ce caractère d'urgence
qui oriente le soin sur la préservation de la vie entraîne une
négligence du soulagement de la douleur. Une proposition consiste
à organiser des réflexions éthiques sur la mort en service
de réanimation, tout comme cela se fait en soins palliatifs (KERGUEN
& RICHARD, 1999).
La famille est également concernée par le
traumatisme psychique. Bien que cette étude n'ait pas mis en avant le
vécu des familles, elle a donné des pistes de réflexions
sur les causes traumatiques chez les familles, notamment dans les cas de
décès. Sachant que les mourants de réanimation subissent
les mêmes soins agressifs que les survivants, car c'est ainsi qu'ils
seront tout d'abord considérés, on peut comprendre en quoi des
deuils peuvent devenir pathologiques car les familles se retrouvent aussi
confrontées à une situation paradoxale : se conformer
à l'usage social qui isole le mourant et culpabilise la famille ou se
conformer à l'ancien usage qui consiste à accompagner le mourant
et renoncer à toute faire pour le sauver ?
Le développement des pratiques de soins de
réanimation s'intègre dans une période de mutation sociale
qui est dominée par le déni de la mort (ARIES, 1975) et un mode
de vie qui favorise une logique de consommation amenant les comportements
de soins à ressembler à des techniques de torture.
« Aucune violence humaine, sauf celle de la torture, n'est
comparable à la force de contrainte de la
nécessité. » (ARENDT, 1958, p. 179). Le soin est
ainsi devenu un produit de consommation accessible à tous mais aussi une
contrainte qui change les rapports à la mort.
Le paradoxe serait donc relié à cette attitude
de déni social de la mort qui produit un clivage vie et mort, similaire
au clivage entre corps et esprit (THOMAS, 1978). Réintégrer le
psychisme dans la logique médical consisterait donc bien aussi à
réintroduire la mort dans la réflexion sur la vie plutôt
que de les opposer. « Vivre pleinement, c'est s'offrir le luxe de
donner sa vie pour quelque chose ou pour quelqu'un sans jamais perdre de vue la
mort, et justement parce que je vais mourir. » (THOMAS, 1978,
page 203)
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