I.2.c Facteurs traumatogènes de la réanimation
médicale
Les études présentées en I.1
suggèrent que les malades subissent un risque traumatique
renforcé par des facteurs environnementaux lors de leur hospitalisation
en réanimation.
Facteurs
environnementaux
Nous avons constaté par l'observation et les premiers
entretiens dont nous avons extrait certaines paroles reprises ci-après
entre guillemets, les facteurs suivants :
· la mortalité élevée de plus de 30
% et le temps moyen de séjour de 12 jours nous font déduire qu'un
patient survivant qui reste environ une semaine verra un de ses voisins de
chambre « sortir les pieds devant ».
· la surveillance permanente (24h sur 24) pendant toute
la durée du séjour montre que le danger de mort n'est pas
éliminé tant que dure l'hospitalisation (métaphore de
« l'épée de Damoclès » souvent
exprimée par les soignants et les malades). Les contraintes de
sécurité liées aux assurances accentuent cette
surveillance car tout accident est attribué au personnel
médical.
· l'air soucieux des soignants et des médecins,
leurs gestes rapides et précis, leur concentration à suivre
scrupuleusement les procédures sont remarquées par les malades
qui en déduisent la gravité de leur état, même s'ils
sont en partie rassurés par les paroles de réassurance et la
réalité du secours, « ils me disent que tout va bien
mais moi je vois bien que ce n'est pas vrai ».
· le bruit est permanent : les machines de
surveillance émettent des signaux sonores, les discussions des soignants
dont le poste de travail n'est pas vitré sont parfaitement audibles,
ainsi que les passages dans l'unité de machines de soins, d'examen, des
lits, et les plaintes des malades voisins.
· la lumière : bien que la lumière des
chambres puissent être réduite la nuit, les voyants lumineux des
appareils de surveillance et les lumières de poste de travail des
soignants sont maintenus la nuit.
· En plus d'être en permanence séparé
de son cadre habituel de vie, le malade est privé des moyens de
maintenir un lien avec l'extérieur. Il ne dispose pas de la
télévision, ni du téléphone et la réception
de la radio par antenne est de très mauvaise qualité. La plupart
des malades s'en plaignent.
· Les appels sont reçus par les soignants qui
transmettent les messages et les familles sont contactées par les
soignants en cas d'aggravation de l'état du malade. Les visites sont
alors acceptées en dehors des heures réglementaires, mais bien
souvent, la famille n'a pas le temps d'arriver au chevet du malade avant son
décès et nous avons alors été témoins de
leur profonde déception s'exprimant souvent par une grande
détresse. Il est alors légitime de se demander si le travail de
deuil n'en sera pas perturbé.
· L'isolement physique: les chambres se trouvent
dans un local inaccessible à toute personne étrangère au
service et les familles ne sont pas admises pendant les soins et hors des
heures de visite de 18 heures à 22 heures. Ces horaires ont
été choisis pour permettre aux proches actifs de rendre visite au
malade en fin de journée. Néanmoins, ils ne conviennent pas aux
personnes âgées. La possibilité de visite est une
amélioration récente car jusque dans les années 80-90, la
réanimation était un lieu totalement fermé aux familles.
Toutefois, des malades ressentent l'enfermement comparable à
l'emprisonnement.
· L'impossibilité d'intimité : les
chambres sont vitrées et les portes restent ouvertes pour permettre la
surveillance et l'intervention en urgence. Les malades sont donc exposés
en permanence aux regards. Pour les malades qui pourraient procéder
eux-mêmes à leur toilette ou soins intimes, il n'y a pas de
cabinet de toilettes dans les chambres et la situation peut être
humiliante, voire inhumaine (« On vit comme des sauvages
ici », « On n'est pas des animaux »). Les
soignants, conscients de la gêne occasionnée chez les malades
autonomes proposent, quand ils en ont le temps accompagnent un malade valide
aux douches ou aux toilettes des parties communes du service.
· Le rythme de repos et de repas est
perturbé : les examens et les soins peuvent avoir lieu la nuit, les
visites de médecins très tôt le matin, des soins pendant
des moments de visite, les repas à des heures inhabituelles par rapport
à la vie courante. Le sommeil, la digestion et la faim sont
perturbés et les malades se plaignent souvent de manquer de repos.
Récemment, des prescriptions sur la prise en compte de
l'environnement familial et psychologique du malade en service de
réanimation ont été introduites par la Loi, mais ces
améliorations s'avèrent minimes car les contraintes de
sécurité tendent à rigidifier les règles :
a. Décret n° 2002-465 : salle s'attente pour
la famille et les visiteurs, salle réservée aux entretiens
particuliers avec les familles, sas d'accès à la zone
d'hospitalisation, chambre à un seul lit.
b. Décret n° 2002-466 : « Art. D.
712-110. - L'établissement de santé doit être en mesure de
faire intervenir en permanence un masseur kinésithérapeute
justifiant d'une expérience attestée en réanimation et
doit disposer, en tant que de besoin, d'un psychologue ou d'un psychiatre et de
personnel à compétence biomédicale. » (Loi,
2002)
c. Désignation d'une personne de confiance
(« surrogate ») comme représentant du
malade et interlocuteur des médecins quand le malade n'est pas en
état d'exprimer lui-même ses choix. La consultation de la personne
de confiance n'étant pas possible en situations d'urgence, celles-ci
font exception.
Les accès ne peuvent effectivement être libres
car les soignants sont peu disponibles pour guider et orienter les visiteurs
toutes la journée, doivent avoir l'accès aux chambres libres et
limiter les apports extérieurs de microbes.
Toute mesure en faveur du confort environnemental perturbe des
règles de travail extrêmement rigoureuses pour des raisons de
sécurité, d'efficacité et d'hygiène.
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