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La question de la décroissance chez les verts français

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par Damien ZAVRSNIK
Université Aix- Marseille  - Diplôme d'études politiques 2012
  

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Titre Premier : La Décroissance, le retour d'une écologie radicale

La décroissance est un mouvement composite au contenu idéologique encore flou. Avant d'étudier l'influence de cette pensée nouvelle, du moins formalisée ainsi, dans le parti Vert français il est donc nécessaire d'en éclaircir les grandes lignes. Cet inventaire est d'autant plus important que la décroissance est un courant de pensée relativement singulier dans le paysage politique français. Avec un ton souvent corrosif il s'attaque aux structures économiques, sociales et psychologiques des sociétés modernes.

La décroissance a ceci d'intéressant qu'elle se retrouve dans le cadre plus large de la contestation antiproductiviste dont sont également issus les Verts. A travers une étude croisée des sources de la décroissance et de l'écologie politique il s'agira de montrer que l'antiproductivisme constitue un invariant politique du parti écologiste français

Chapitre 1 : La décroissance, un objet politique propre ?

La décroissance a fait une entrée détonante sur la place publique ces dernières années. Sous le double effet de la prise de conscience écologique et de la crise économique, la décroissance attire des regards sans cesse plus curieux d'intellectuels, de politiques et surtout de citoyens en recherche d'un nouveau « modèle » alternatif21(*). Pour autant ce nouvel objet politique apparaît encore peu ou mal identifié.

Notre ambition sera ici de mieux saisir les contours de ce mouvement radical en distinguant ses spécificités. La décroissance se veut essentiellement une pensée critique. C'est ainsi que nous verrons en quoi la décroissance est une critique de la croissance et de la société de consommation, de la notion même de progrès, et enfin de l'« économisme ».

1. Une critique de la croissance et de la société de consommation

La décroissance trouve sa genèse dans la critique d'un mode de développement basé sur l'augmentation perpétuelle du Produit Intérieur Brut (P.I.B). Ce mode de développement véhicule une société de consommation, seule capable d'écouler les produits de la production de masse.

La contestation du modèle keyneso-fordiste

Le mouvement de la décroissance est issu de la prise de conscience écologique du début des années soixante-dix. Tout au long du XIXème siècle le débat sur le rôle de l'Homme dans la nature s'articule autour de trois notions majeures dégagées par Patrick Matagne22(*), chacune déterminant une posture écologique différente. La première conception « naturaliste » postule une nature autonome, dont l'homme est exclu. La deuxième est dite « impérialiste » : A l'inverse du naturalisme, l'homme est considéré comme mauvais et destructeur, d'où la nécessité de protéger la nature. La dernière hypothèse est celle de la recherche de l'harmonie entre les êtres humains et la nature qui forme l'Arcadie. Ces trois conceptions se retrouvent également au XXème siècle dans les manières d'appréhender la question écologique. Jusqu'à la seconde moitié du XXème siècle, l'écologie est essentiellement scientifique et se place en réaction à la logique de la conception impérialiste dominante. Les associations de protection de la flore et de la faune fleurissent. L'écologie ne prend son sens arcadien qu'à partir de la fin des années soixante. De la protection de la nature elle passe à la contestation de ce que Serge Latouche appellera plus tard « la société de croissance ». Cette dernière est alors à son apogée. Le progrès économique amène le progrès social selon un couple vertueux production de masse-consommation de masse. Le chômage est résiduel, la productivité augmente et le taux d'équipement des ménages monte en flèche. Le triomphe du compromis keyneso-fordiste fonde une foi imperturbable en la permanence de la croissance. Daniel Cohen remarque cet aveuglement collectif, y compris des élites et des économistes, à propos de la croissance : « Le plus troublant quand on se penche sur cette période est d'y trouver toujours la conviction des contemporains qu'elle durerait toujours »23(*).

C'est dans cet âge d'or de la croissance (5,05 % en moyenne en France entre 1950 et 1973) consacré selon l'expression de Jean Fourastié comme les « Trente Glorieuses », que naît une nouvelle critique antisystémique24(*). Cette critique s'incarne dans la philosophie des événements de Mai 1968 en France qui préfigura largement la pensée de la décroissance. Jusque-là cantonnée à quelques scientifiques inquiets de l'état du monde ou à des associations de protection de la nature, l'écologie franchit une étape. Selon Roger Cans, ancien journaliste du journal Le Monde et spécialiste des questions d'environnement, Mai 1968 est le « grand accoucheur »25(*) de l'écologie politique. La conjonction des courants critiques à l'égard de la société des Trente Glorieuses et de l'ordre gaulliste produit une véritable contre-culture, une vision du monde alternative qui met la joie de vivre au centre. La « génération 68 », première à être passée en masse par les universités, s'ennuie et cherche de nouveaux espaces de libertés dans cette société segmentée et sans saveurs. Le productivisme et la société de consommation sont au coeur de cette critique radicale.

L'historien Timothée Duverger relève deux courants majeurs de la contestation soixante-huitarde, le situationnisme et la sociologie critique26(*). Le premier remet radicalement en cause le système économique et la société de consommation autour notamment des écrits de Guy Debord27(*) et de Raoul Vaneigem28(*). Pour eux, changer le monde est un impératif. L'individu doit s'émanciper de la marchandise aliénante. Debord met en exergue le rôle du spectacle dans la société consumériste comme mode de reproduction basé sur une marchandise uniformisée et toujours plus omniprésente. C'est une idéologie économique qui vise à annihiler la diversité de la société en imposant une vision unique du monde, l'être cédant le pas au paraître. Les rapports sociaux sont définis par la relation à la marchandise, au capital, dans ce qu'il appelle la « société spectaculaire-marchande ». La pensée de Raoul Vaneigem pourrait quant à elle se résumer par ce célèbre slogan de la faculté de Nanterre « Jouissez sans entraves. Vivez sans temps mort ». Dans une logique hédoniste, R.Vaneigem préfère la qualité à la quantité et vilipende la perte d'autonomie engendrée par la société de consommation. Dans un entretien au journal La Décroissance, il expliquait récemment que « le statut de consommateur avait prorogé l'aliénation du producteur en propageant l'illusion que la possession de biens pallie l'absence de vie, que l'avoir peut se substituer à l'être »29(*). Véritable approche anthropologique, la pensée situationniste prône un renversement total de perspective face à la « société de croissance ».

L'école de Francfort partage cette remise en cause de la société. Herbert Marcuse notamment, ancien élève d'Heidegger, publie en 1968 (édition française) L'Homme unidimensionnel30(*). La théorie freudo-marxiste de Marcuse dénonce la régression à laquelle conduisent les « sociétés industrielles avancées ». Elles créent en effet de faux besoins (false needs) imposés à l'individu par les mass-médias. L'individu aliéné n'a plus que l'illusion de la liberté. La critique de Marcuse s'adresse d'ailleurs tant au monde capitaliste occidental qu'au régime soviétique, la liberté y étant aussi factice dans l'un que dans l'autre.

C'est dans cette ébullition sociale et intellectuelle que germent les premières graines écologistes. Un ancrage que revendiquent, comme nous le verrons plus tard, tant les tenants de la décroissance que les écologistes politiques. Claude Lefort, Cornélius Castoriadis et Edgar Morin publient dès 1968, La Brèche31(*). Dans cet ouvrage à chaud, ils démontrent que la révolte de la jeunesse a ouvert une « brèche » dans le paternalisme du mode de régulation keyneso-fordiste. Elle crée une ouverture historique vers une société émancipée de ce contrôle social et politique et qui se réapproprie la démocratie par elle-même. La pensée de la décroissance est donc héritière du gauchisme libertaire de Mai 1968. Cette volonté de changer le monde contre l'ordre établi s'incarne dans toute la philosophie alternative des objecteurs de croissance. La société de consommation est la structure sociale aliénant la liberté de l'individu et obérant sa capacité à prendre conscience de son conditionnement total par le système capitaliste.

Toutefois la pensée critique de la décroissance s'appuie également sur un autre pilier, celui de la responsabilité face aux limites physiques de la planète.

* 21 DUPIN, Eric, « La décroissance, une idée qui chemine sous la récession », Le Monde Diplomatique, Août 2009, p.20-21

* 22 MATAGNE, Patrick, Comprendre l'écologie et son histoire, Delachaux et Niestlé, 2002

* 23 COHEN, Daniel, La Prospérité du Vice. Une introduction (inquiète) à l'économie, Paris, Albin Michel, 2009, p.136

* 24 Concept inventé par Immanuel Wallerstein pour décrire un mouvement voulant s'attaquer aux logique économiques systémiques produites par le capitalisme avec une volonté commune

* 25 CANS, Roger, Petite histoire du mouvement écolo en France, Paris, Delauchaux et Niestlé, 2006, p.108

* 26 DUVERGER, Timothée, La Décroissance, une idée pour demain, op.cit., p. 30

* 27 DEBORD, Guy, La société du spectacle (1967), Paris, Gallimard, 1992, 209 p.

* 28 VANEIGEM, Raoul, Traité du savoir-vivre à l'usage des jeunes générations, Paris, Gallimard, 287 p.

* 29 DIVRY, Sophie, Entretien : L'an 01 et Raoul Vaneigem, avec Raoul Vaneigem, dans La Décroissance, numéro 60, Juin 2009

* 30 MARCUSE, Herbert, L'Homme unidimensionnel. Essai sur l'idéologie de la société industrielle avancée, Paris, Editions de Minuit, 1968, 281 p.

* 31 MORIN, Edgar, LEFORT, Claude, CASTORIADIS, Cornélius, Mai 1968, La Brèche (1968), Paris, Fayard, 2008

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