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La question de la décroissance chez les verts français

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par Damien ZAVRSNIK
Université Aix- Marseille  - Diplôme d'études politiques 2012
  

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La croissance : un aveuglement au désastre écologique

Dans la foulée de Mai 1968, Serge Moscovici pose la nature comme la nouvelle grande interrogation du siècle. Après que le XVIIIème siècle eut été mû intégralement par la « question politique » et que le XIXème siècle l'eut été de la même manière par la « question sociale », le XXème siècle serait donc celui de la « question naturelle »32(*). Son intuition se révéla juste au regard de la succession de catastrophes écologiques dès les années 1970. Partout les dégâts de la société industrielle se font jour suscitant parfois l'intense émotion de l'opinion publique face à des drames environnementaux tels que le naufrage de l'Amoco Cadiz en 1978 ou l'explosion de l'usine de pesticides de Bhopal en Inde en 1984. Une tendance confirmée seulement deux ans plus tard avec la fusion du coeur du réacteur nucléaire numéro 4 de la centrale de Tchernobyl.

Mais plus encore c'est la publication d'un rapport controversé sur l'antinomie entre croissance économique et gestion durable du stock de matières premières qui place pour la première fois l'écologie au centre du débat public. Le rapport du Club de Rome33(*), réalisé par plusieurs chercheurs du MIT (Massachusetts Institute of Technology), met en exergue l'insoutenabilité du mode de production et de consommation occidental. Pointant l'accroissement exponentiel de la population mondiale, l'augmentation des inégalités entre le Nord et le Sud, et le risque de pénurie de matières premières, ils préviennent que l'on « atteindra les limites de la croissance sur cette planète avant cent ans »34(*). Le rapport se conclue sur un appel à la croissance zéro, reprenant la théorie de John Stuart Mill de « l'état stationnaire »35(*), et au découplage entre croissance et développement. Bien que la solution prônée par le rapport Meadows ne soit pas celle reprise par les théoriciens de la décroissance, ces derniers partagent largement le constat que la croissance économique est synonyme d'une empreinte écologique incompatible avec les limites physiques de la planète. Publié en 1972, le rapport du club de Rome est un premier coup de canif dans la croyance tranquille en une croissance éternelle et génératrice de bien-être. Le premier choc pétrolier de 1974 et l'effondrement du mode de régulation keyneso-fordiste finissent de semer le trouble.

Les effets du rapport du Club de Rome sont retentissants y compris dans les hautes sphères. La « révélation » de Sicco Mansholt, socialiste hollandais et ancien Président de la Commission européenne, est particulièrement éloquente. Dès 1972, Mansholt (alors vice-président de la Commission) écrit au Président de la Commission européenne, Franco-Maria Malfatti, une lettre dans laquelle il envisage une politique économique fondée sur « une forte réduction de la consommation des biens matériels par habitant [...], la prolongation de la durée de vie de tous les biens d'équipement [...], la lutte contre les pollutions et l'épuisement des matières premières »36(*). Pour cet ancien grand propriétaire terrien, auteur d'une réforme de la Politique Agricole Commune visant à accroître les gains de productivité au nom d'un productivisme technocratique à tout crin, les propos ont de quoi surprendre. Alors Président de la Commission européenne, Sicco Mansholt précise sa pensée dans un entretien au Nouvel Observateur : « Il ne s'agit même plus d'une croissance zéro mais d'une croissance en dessous de zéro. Disons le carrément : il faut réduire notre croissance économique, notre croissance purement matérielle, pour y substituer la notion d'une autre croissance celle de la culture, du bonheur, du bien-être »37(*). Sous la pression de Valéry Giscard d'Estaing et de Raymond Barre, les positions iconoclastes de Mansholt finirent par être étouffées avec en échange la promesse d'une croissance plus soucieuse de l'homme et de l'environnement. Dans cette même année 1972, la question de la finitude de la planète rebondit aussi au niveau international avec la Conférence des Nations Unies sur l'Environnement Humain. La conférence de Stockholm prend acte du rapport de causalité entre développement et raréfaction des ressources et met en place un Programme spécial pour les questions d'environnement (PNUE).

Les turbulences économiques et sociales que connaît la société industrielle dans les années soixante-dix sont les prémisses de la décroissance. Alors que le Club de Rome appelle de ses voeux une croissance « zéro », l'économiste roumain Nicolas Georgescu-Roegen pose les bases du raisonnement décroissant. Il est le premier à utiliser publiquement le mot « décroissance » dans un recueil de ses écrits publié pour la première fois en français par Jacques Grinevald et Ivo Rens en 1979. Demain la décroissance. Entropie, écologie, économie38(*) reprend l'idée d'une « bioéconomie » dont la finalité serait essentiellement « la joie de vivre ». La théorie économique de Georgescu-Roegen s'appuie sur la seconde loi de la thermodynamique de Sadi Carnot pour définir la loi d'Entropie. Cette loi démontre que l'énergie ne peut être utilisée qu'une seule fois. Elle passe d'une forme concentrée utilisable à une forme dissipée inutilisable. Georgescu-Roegen applique cette loi à l'ensemble du système économique : le caractère limité des ressources de la planète est progressivement dégradé à mesure que l'homme y puise ses besoins. La dégradation est irrévocable et induit l'idée selon laquelle la croissance économique est antithétique à terme avec la finitude de la planète, nonobstant toute technique de recyclage. La remise en cause du productivisme est un trait saillant de la pensée décroissante qui se cristallise logiquement sur son indicateur maitre, le P.I.B. Les tenants de la décroissance ne s'arrêtent pas seulement aux critiques classiques du P.I.B (externalités, absence de prise en compte des travaux domestiques, ...). Ils s'attaquent surtout à sa logique cumulative qui le rend insoutenable. Serge Latouche remarque l'expansion géométrique que suppose la croissance du P.I.B car « avec une hausse du P.I.B de 3% par an, on multiplie le P.I.B par vingt en un siècle, par 400 en deux siècles »39(*). Ivan Illich reprenait cette idée sous la métaphore des spires de l'escargot : « L'escargot construit la délicate architecture de sa coquille en ajoutant l'une après l'autre des spires toujours plus larges, puis il cesse brusquement et commence des enroulements cette fois décroissants. C'est qu'une seule spire encore plus large donnerait à la coquille une dimension seize fois plus grande. Au lieu de contribuer au bien-être de l'animal, elle le surchargerait »40(*).

La décroissance s'oppose donc avant tout à la croissance. Non seulement celle-ci ne serait pas possible à long terme dans un monde fini mais elle ne serait pas plus « souhaitable »41(*). Pour cause, la croissance, en plus d'avoir des effets désastreux sur la biosphère, conduit à une irrésistible montée des inégalités et des injustices. Ainsi Serge Latouche note qu'en 2004 le P.I.B mondial avait atteint 40 000 milliards de dollars, soit sept fois plus qu'il y a quarante ans. Dans le même intervalle le rapport de richesse entre le cinquième le plus riche est passé de 1 à 30 en 1970 à de 1 à 74 en 200442(*).

La décroissance n'est donc pas synonyme de croissance négative. La plupart des auteurs insistent plutôt sur la remise en cause de la « société de croissance ». L'objectif n'est pas d'obtenir une croissance négative, même si le projet décroissant peut effectivement y conduire, mais d'abandonner l'objectif de croissance comme fin ultime de toute société. Il n'y aurait d'ailleurs rien de pire qu'une société de croissance sans croissance. La décroissance consiste donc à  « décoloniser l'imaginaire » collectif du mythe de la croissance pour fonder une société émancipée de cette addiction.

Issue de la contre-culture de Mai 1968, la décroissance s'attaque vigoureusement aux éléphants blancs de la modernité. La croissance, synonyme pour beaucoup de progrès économique et social, ne serait pas viable au regard des limites finies de la planète. Elle serait le pendant de la société de consommation qui créerait un bien être illusoire et réduirait l'autonomie des individus. Cet argumentaire va de paire avec un autre pilier du mouvement de la décroissance, la contestation de la science et de la technique.

* 32 MOSCOVICI, Serge, Essai sur l'histoire humaine de la nature, Paris, Flammarion, 1977 (1ere édition 1968)

* 33 MEADOWS, Denis, Halte à la croissance ? Enquête pour le Club de Rome. Rapport sur les limites de la croissance, Paris, Fayard, 1972, 314 p.

* 34 « Les limites de la croissance », dans Ecorev', n° 26, avril 2007, p. 7

* 35 MILL, John Stuart, Principes d'Economie Politique, Londres, 1848

* 36 Cité par VIVIEN, Frank-Dominique, Le Développement soutenable, Paris, La Découverte, 2005, p. 10

* 37 MANSHOLT, Sicco, « Le chemin du bonheur », entretien réalisé par Josette ALIA, Le Nouvel Observateur, 12-18 juin 1972, p. 71-88

* 38 GEORGESCU-ROEGEN, Nicholas, Demain la décroissance. Entropie, écologie, économie, Lausanne, Pierre Marcel Favre, 1979,157 p.

* 39 LATOUCHE, Serge, Petit traité de la décroissance sereine, op.cit., p. 40

* 40 ILLICH, Ivan, Le Genre vernaculaire, dans OEuvres complètes, tome 2, Fayard, Paris, 2005, p. 292

* 41 LATOUCHE, Serge, Le Pari de la décroissance, Fayard, Paris, 2006, p. 53

* 42 PNUD, Rapport mondial sur le développement humain 2004. La liberté culturelle dans un monde diversifié, Economica, Paris, 2004 in Le Pari de la décroissance, op.cit.

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"Entre deux mots il faut choisir le moindre"   Paul Valery