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La question de la décroissance chez les verts français

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par Damien ZAVRSNIK
Université Aix- Marseille  - Diplôme d'études politiques 2012
  

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2. Une critique de la science et de la technique

Dans son entreprise de « décoloniser l'imaginaire collectif », la décroissance s'attaque à un aspect structurant de nos sociétés modernes : la croyance en le progrès. Cette remise en cause vise en particulier la vision téléologique de l'histoire véhiculée par l'idée de progrès. Dans une perspective hégélienne, l'histoire serait linéaire et nous amènerait inéluctablement vers le bonheur. Or le moteur du progrès réside dans l'alliance heureuse de la science et de la technique. Dans la lignée de Jacques Ellul, les théoriciens de la décroissance mettent alors à nu le « système technicien » dépossédant l'homme de ses capacités d'action et créant l'illusion d'un progrès sans cesse renouvelable.

La remise en cause du système technicien

Le philosophe allemand Hans Jonas n'est pas le premier auteur à remettre en cause le bien fondé de la technique, toutefois il est peut être celui qui en posa le mieux les termes philosophique. Dans l'ouvrage qui le rendit célèbre, Le Principe Responsabilité43(*) (1979), Hans Jonas postule que la puissance technologique moderne pose une nouvelle question éthique (« la transformation de l'essence de l'agir humain»). Jusqu'à présent les effets de l'activité humaine n'avaient pas un impact déterminant sur la biosphère. Or la maîtrise technologique acquise par l'homme aujourd'hui a des conséquences beaucoup plus importantes et irréversibles sur la nature. Hans Jonas explique ce phénomène par la « une logique cumulative » qui caractérise la technique. Elle impliquerait l'homme dans une fuite en avant qu'il ne saurait maîtriser. La technique consommant de l'énergie, son effet boule de neige conduit nécessairement à des dégâts croissants sur l'environnement. Or pour tenter de réparer ces dégâts causés par la technologie, l'homme utilise de nouvelles technologies qui produisent à leurs tours les mêmes effets. La logique cumulative de la technique entraine l'humanité dans un cercle vicieux et fatidique. Pour H. Jonas la technique est devenue en quelque sorte « sauvage » et nécessite d'être re-domestiquer par l'Homme. C'est pour lui une idée centrale puisque cette remise en cause de la technique est à la base du raisonnement sur le principe de responsabilité : si l'homme a le pouvoir de détruire l'humanité il a aussi le devoir d'établir des prescriptions communes pour la préserver.

Cette philosophie pose les bases de la critique de la science et de la technique : le progrès technique suppose non seulement une consommation croissante d'énergie et de ressources, il est aussi une logique auto-cumulative aliénant les capacités de l'homme à agir et à penser ses besoins réels. En outre la technique se justifie plus par ses effets que par les progrès qu'elle apporte. La conclusion de Jonas tient en une solution simple, il est nécessaire d'interdire toute technologie qui menacerait l'existence des générations futures.

Les auteurs de la décroissance reprennent en filigrane les principes développés par H. Jonas. Parmi d'autres, Paul Ariès reprend cette critique de la science à travers sa forme la plus évoluée, la techno-science. Dans les premières pages de son « livre-manifeste », La simplicité volontaire contre le mythe de l'abondance44(*), il détaille l'idée selon laquelle faute de pouvoir adapter complètement l'homme aux besoins croissants du productivisme, il faut changer la nature humaine pour parvenir à cette fin. Le politologue met en lumière un certain courant techniciste, « les transhumanistes », qui viserait grâce aux progrès de la science, à créer des Humains Génétiquement Modifiés (HGM). Adapter l'humain serait selon eux la seule manière de répondre à moyen et long terme au désir de perfection de l'homme tout en lui permettant de survivre dans un environnement dégradé. L'auteur concède la marginalité de ce courant mais l'utilise néanmoins pour démontrer que la science accompagne ce fantasme de toute puissance de l'humanité, transcender les limites physiques de l'Homme et de la nature. D'une manière générale la pensée de la décroissance remet en cause la philosophie cartésienne de la domination de l'Homme sur la nature. La dérive scientiste pousse en effet à envisager sans cesse la perfection quitte à oublier la part, pourtant essentielle, de l'humain.

La remise en cause du mythe prométhéen, selon lequel le dieu grec Prométhée aurait amené le feu (allégorie de la technique et du savoir) aux hommes, est une constante chez les objecteurs de croissance. D'aucuns reprennent le concept de « honte prométhéenne » forgé par le philosophe allemand, époux d'Hannah Arendt, Günther Anders. Paul Ariès le définit comme « ce sentiment qui s'empare de l'homme devant l'humiliante perfection des choses qu'il a lui-même fabriquées »45(*). L'homme ne saurait apprécier l'imparfait de sa condition humaine, il place son désir de perfection dans les objets qu'il fabrique tout en étant « honteux » devant son résultat. L'homme ne pouvant assumer son infériorité à l'égard de la machine, Anders décrit un processus de réaction à la honte prométhéenne qui aboutit à la production de human engineering (androïdes). L'être humain intègre lui-même la technique à son corps, loin de l'émancipation qu'elle est censée permettre. Bien qu'Anders soit un adepte de la technique de l'exagération, sa thèse met en avant l'idée que les machines sont toujours plus performantes, plus autonomes et que cette soumission tend à devenir totalitaire. La philosophie de Gunther Anders est très influencée par les horreurs de la Seconde Guerre Mondiale dont il est contemporain. Pour lui Auschwitz et Hiroshima marquent l'entrée dans une nouvelle ère, celle de L'Obsolescence de l'homme46(*). La bombe atomique tout comme les camps nazis sont une rupture dans l'Histoire. Pour la première fois, l'Homme a fait montre de sa capacité à s'autodétruire. Anders souligne la déshumanisation qui accompagne ces deux moments sombres de l'humanité, l'extermination des camps ou les deux bombes lancées sur le Japon sont le fruit de fonctionnaires qui ne faisaient « qu'obéir aux ordres ». C'est d'ailleurs la cause que plaida Eichmann à son procès et mena Anders à avoir une longue correspondance épistolaire avec son fils47(*).

Si Anders est abondamment repris par les objecteurs de croissance, c'est qu'il est un des premiers à poser les limites du progrès. Dans la rationalité cartésienne occidentale, le progrès est synonyme de mieux être. Pourtant c'est bien derrière cette notion de progrès libérateur qu'a germé la capacité autodestructrice de l'homme.

Les objecteurs de croissance s'appuient également sur une autre référence pour justifier leur opposition à la civilisation technicienne. En effet ils construisent une grande partie de leur critique sur celle du Système technicien48(*) faite par Jacques Ellul tout au long de sa vie. Ancien professeur à la faculté de droit de Bordeaux, Ellul est considéré par beaucoup comme un des inspirateurs phares du mouvement de la décroissance. La technique est analysée en tant que système, elle est un fait social déshumanisant. Dans La Technique ou l'enjeu du siècle, Ellul explique que la technique se caractérise par deux éléments : son unicité (la technique comprend un ensemble d'objets, de machines mais aussi de procédures, de modes d'usage, d'organisation du travail et de comportements d'utilisateurs) et son autonomie (l'homme en perd la maîtrise). La technique a donc tendance à s'auto-accroitre en imposant ses propres valeurs (utilité, progrès, rationalité,...) et investit tous les champs sociaux (fonctionnement de l'Etat, économie, vie quotidienne des individus). Mais si cette immixtion de la technique dans toutes les sphères de la société est rendue possible c'est grâce à la sacralisation dont elle fait l'objet. Le sacré est transféré de la nature à ce qui la détruit. Ce changement de statut induit une dépendance à l'égard de la technique, une addiction, y compris psychologique, des individus qui se voient dès lors dépossédés de leur libre arbitre. La notion de progrès est donc profondément ébranlée par les raisonnements, entre autres, d'Hans Jonas, Günther Anders ou Jacques Ellul.

Les penseurs de la décroissance se servent de ces bases théoriques pour appuyer leur critique contre la « société de croissance » dont le progrès de la science et de la technique est un élément moteur.

* 43 HANS, Jonas, Le Principe Responsabilité, Une éthique pour la civilisation technologique, (trad:J. GREISCH), Paris, Editions du Cerf, 1990

* 44 ARIES, Paul, La simplicité volontaire contre le mythe de l'abondance, Paris, Editions La Découverte, 2010

* 45 Ibid, p. 244

* 46 ANDERS, Günther, L'Obsolescence de l'homme, Paris, l'Encyclopédie des nuisances, 2002.

* 47 ANDERS, Günther, Nous fils d'Eichmann, Paris, Rivages Poche, 2003

* 48 ELLUL, Jacques, Le système technicien, Paris, Calmann-Lévy, 1977

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"Il faudrait pour le bonheur des états que les philosophes fussent roi ou que les rois fussent philosophes"   Platon