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Les Etats face aux Drogues


par Eric Farges
Université Pierre Mendès France - IEP Grenoble 2002
  

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1. Un nouveau modèle d'action publique

La réduction des risques est actuellement une expression fréquemment utilisée en matière de toxicomanie. De telle sorte qu'elle dispose aujourd'hui d'une pluralité de significations. Pour revenir au sens originel du terme il est nécessaire de se reporter au contexte qui l'a vu naître : la réduction des risques constitue la réponse à une situation d'urgence sanitaire et social. Pat O'Hare souligne les deux urgences auxquelles il s'agissait d'apporter une solution : « la diffusion de l'infection à VIH parmi les consommateurs d'héroïne par voie veineuse et le soupçon que les stratégies [...] adoptées alors pour faire face à la consommation de drogues avaient aggravé le problème plutôt que de le connaître »272(*).

Ce double constat a contraint la plupart des pays européens à adopter entre le milieu des années quatre-vingt et le début des années quatre-vingt-dix un nouveau type de politique publique en matière de toxicomanie appelée «réduction des risques». Le terme de « réduction des risques» est une traduction approximative de l'expression anglaise  «harm reduction»273(*). Il est cependant nécessaire de distinguer, comme le précise Monika Steffen, deux conceptions apparues au Royaume-Uni274(*). D'une part, la harm reduction, ou « réduction des dommages », développée par les acteurs des sociétés bénévoles intéressés par la réduction des conséquences sociales néfastes de la drogue. C'est de l'application de cette notion à la prévention du Sida qu'est né, d'autre part, le concept de risk reduction dont le sens littéral serait «réduction des effets nuisibles sur la santé, sous-entendu «causés par l'usage de drogues» »275(*). La même distinction est présente dans la littérature italienne par l'expression riduzione dei danni (réduction des dommages) et  riduzione dei rischi. La première est cependant beaucoup plus fréquente, contrairement aux cas anglais et français276(*).

Le terme de réduction des risques, apparu initialement comme la réponse pragmatique à un problème sanitaire, est aujourd'hui doté d'une forte charge idéologique en raison des débats qui ont lieu. L'analyse du concept réclame de procéder dans un premier temps à un retour historique sur la naissance et le développement de ce nouveau paradigme des politiques publiques, puis, dans un second temps, de discerner les moyens, les résultats et les limites qui caractérisent la réduction des risques.

1.1 L'émergence d'un nouveau paradigme

Les politiques publiques en matière de toxicomanie reposaient auparavant essentiellement sur le principe du prohibitionnisme. Elles visaient davantage à éradiquer la toxicomanie, perçue comme un fléau et une menace sociale, qu'à proposer un véritable traitement des personnes considérées comme malades. Ces politiques enfin se désintéressaient des conditions de santé et de vie des toxicomanes. La pandémie de VIH/Sida apparue aux Etats-Unis puis rapidement présente en Europe va considérablement modifier l'état des choses277(*). Elle va amener à reconsidérer les précédents objectifs (éradication de la toxicomanie) et à la reconnaissance d'enjeux plus pragmatiques (la limitation des dommages sanitaires). Le Sida ne va pas seulement provoquer la contestation des politiques publiques qui étaient alors mises en place, elle va surtout mettre à mal le paradigme prohibitionniste qui avait régné jusque là.

1.1.1 L'ébranlement du modèle prohibitionniste

1.1.1.1 Répondre à une urgence sanitaire: la pandémie de Sida

Les politiques publiques en matière de toxicomanie ont été fortement bouleversées au début des années quatre-vingt lors de l'apparition du virus de l'immunodéficience (VIH). Les toxicomanes par voie intraveineuse et notamment les consommateurs d'héroïne furent extrêmement touchés par la contamination. A la différence des autres drogues, l'héroïne est le plus souvent injectée par voie intraveineuse, favorisant ainsi la transmission directe de tout agent pathogène transmissible par le sang. Les consommateurs d'héroïne avaient l'habitude de s'échanger les seringues. Le virus provoqua alors un renversement des modes de consommation des substances en exposant les toxicomanes à de nombreux risques.

Afin d'avoir une représentation de l'ampleur du phénomène, il est possible de comparer la prévalence des cas de Sida déclarés au sein de la population des usagers de drogues par voie intraveineuse (UDVI)278(*). On peut distinguer deux types de trajectoires nationales distinctes. D'une part, les pays où le nombre de cas de Sida chez les toxicomanes intraveineux a augmenté de façon exponentielle entre 1986 et 1993, en passant pour l'Italie de 4,8 à 53 par million d'habitants et pour la France de 2,7 à 25,1. D'autre part, les pays comme l'Allemagne et le Royaume-Uni pour lesquels le nombre de cas de Sida chez les toxicomanes intraveineux est resté stable jusqu'à aujourd'hui. On peut, en outre, observer une très forte disparité entre l'Italie, qui fut le pays le plus touché d'Europe, et les autres pays (inférieur à 5 par million d'habitants). L'Italie a connu une importante contamination de sa population toxicomane en raison, comme le rappelle Umberto Nizzoli, d'une importante prévalence de consommateurs de drogues par voie intraveineuse279(*). Bien que le Sida constituait la principale menace, l'épidémie de VIH a joué le rôle de révélateur d'autres contaminations qui étaient jusqu'alors ignorées par les services de santé. Il s'agit de l'hépatite B et C. Ainsi comme le rappelle Monika Steffen, c'est grâce « au suivi médical étroit des toxicomanes, introduit pour le Sida, que le ravage épidémiologique des hépatites est devenu visible »280(*).

Certains services de traitement de la toxicomanie mirent en place dès le début des années quatre-vingt des mesures afin de répondre à l'épidémie de VIH qui initiait. Ce fut le cas par exemple des villes de Liverpool et de Manchester en Grande-Bretagne281(*). Ces premières expériences, sans qu'elles puisent être qualifiées de politique de réduction des risques, ont largement inspiré les politiques publiques qui vont être mises en place à la fin des années quatre-vingt. Les politiques qui étaient menées alors par l'Italie, la France et d'autres pays d'Europe étaient encore radicalement prohibitionnistes. Le passage à un nouveau paradigme de politique sanitaire nécessitait l'élaboration et la diffusion du principe de réduction des risques mais surtout la reconnaissance des toxicomanes comme population à risques.

Les toxicomanes furent particulièrement touchés par l'épidémie de VIH/Sida. Ils n'ont cependant pas bénéficié du statut de population à risques. Ce phénomène est à mettre en lien avec l'origine de la maladie282(*)282(*). Le Sida est apparu initialement comme un problème « spécifique » à l'homosexualité. Certains évoquaient alors l'idée d'un « gay cancer » comme origine du mal. Les organisations homosexuelles, notamment américaines, se sont fortement mobilisées. Il s'agissait dans un premier temps d'obtenir une reconnaissance des pouvoirs publics comme groupe à risques. C'est le cas de l'ARCIGAY en Italie qui développa ses activités dès 1985 ou encore de l'association anglaise Terrence Higgins Trust (THT) dès 1982. Le mouvement s'inverse cependant rapidement. Les associations militent alors pour une universalisation du problème, l'objectif étant de « déhomosexualiser » le Sida. L'association française AIDES milite dès 1985 pour que la notion de « groupes à risques » soit remplacée par celle de « comportements à risques ». En Allemagne, les homosexuels participent fortement aux réseaux où s'élaborent la politique de lutte contre le Sida, selon une stratégie qui vise à « investit les institutions ». Ils sont à l'origine de la Deutche Aids Hilfe (DAH), association d'aide aux victimes du Sida, qui devient un partenaire des pouvoirs publics et représente les victimes de l'épidémie, de façon non catégorielle.

La reconnaissance de l'état d'urgence du VIH parmi les consommateurs de stupéfiants par la communauté internationale constitua un facteur décisif. Elle remonte, comme le rappelle Vittorio Agnoletto, à 1986, date à laquelle le Groupe de consultation sur le Sida et la toxicomanie de l'OMS publie un document qui reconnaît la priorité accordée à l'endiguement du VIH. Il affirme ainsi que « dans chaque pays la plus forte priorité est donnée à la prévention du VIH parmi les personnes abusant de stupéfiants [...] Les politiques finalisées à l'usage de drogue ne peuvent pas se permettre d'ignorer les mesures à prendre contre ces risques »283(*). L'Advisory Council on the Misure of Drugs du gouvernement britannique adopte une position similaire dans un rapport «Sida et drogues» de 1988 284(*) en faisant de la prévention du VIH une priorité de santé publique. Ces décisions reposent alors davantage sur la volonté de protéger le reste de la population de l'infection à VIH que sur une préoccupation véritable pour l'état de santé des toxicomanes. A cette époque, des études mettent en évidence qu'une population fréquemment exposée au risque de contamination à VIH peut devenir un « vecteur » d'infection pour le reste de la population, en particulier pour le cas de Sida par le biais des relations sexuelles. La reconnaissance des risques encourus par les toxicomanes est désormais effective.

Un renouvellement des débats sur les stratégies à adopter a lieu à la fin des années quatre-vingt285(*)285(*). Les promoteurs de ce changement construisent leur argumentaire à partir d'un triple constat : l'inefficacité des dispositifs d'intervention fondés sur le prohibitionnisme, l'effet contraire sur le trafic et l'accroissement des maladies sexuellement transmissibles. Leur principale critique à l'ancien système était le fait que toutes les substances soient assimilées les unes aux autres, sans qu'il existe une distinction de dangerosité entre elles. La réduction des risques apparut alors comme une alternative nécessaire aux politiques de répression des drogues.

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272 O'Hare P., «Note sul concetto di riduzione del danno», in La riduzione del danno, op.cit., p.

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273 L'expression de réduction des risques est apparue dans les régions les plus sensibles aux problèmes de toxicomanie. Elle fut utilisée pour la première fois à la fin des années quatre-vingt à Liverpool et dans la province du Merseyside, en Angleterre par des responsables de centres de soins. La région du Merseyside accueillait alors, de même que la région d'Edimbourg en Ecosse, une forte proportion de toxicomanes

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274 Steffen M., Les Etats face au Sida en Europe, op.cit., p.110O

* 275 Sylvie Wievorka, «La réduction des risques», Toxibase, n°3, 3ème trimestre 1996, p.

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276 Cette dernière remarque peut laisser entendre une approche de la réduction des risque italienne d'origine « sociale », dans le sens de la préservation du corps social, que véritablement sanitaire, c'est-à-dire en raison d'une véritable préoccupation de l'état de santé des toxicomanes. Cette observation sera confirmée par la suite.

* 277 Le premier cas de Sida, inconnu comme tel alors, fut indiqué aux Etats-Unis dans le numéro du 5 juin 1981 du Morbidity and Mortality Weekly Report (MMWR). A la même date, un premier cas européen fut identifié dans un hôpital parisien. La maladie fut définie en 1983 comme le Syndrome d'une immunodéficience acquise, le Sida, causé par le Virus de l'immunodéficience humaine (VIH). Cf., Steffen M., Les Etats face au Sida en Europe, op.cit., p.7.

* 278 Steffen M., Les Etats face au Sida en Europe, op.cit., p.97

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279 Nizzoli Umberto, «Assistere persone con Aids, tossicodipendenti e no», La cura delle persone con Aids. Interventi e contesti culturali , op.cit., pp.1

* 4

280 Steffen M., ibid

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281 Piccone Stella S., Droghe e tossicodipendenza, op.cit., p.105

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* 282 Pour une analyse détaillée des processus nationaux de mise à l'agenda de l'épidèmie de VIH/Sida on peut se reporter avec profit à l'ouvrage suivant : Steffen Monika, Les Etats face au Sida en Europe, op.cit., pp.36-57.

* 283 Agnoletto V., La società dell'Aids, op.cit, p.17

* 9

284 Ce rapport affirme : «Nous n'avons aucune hésitation à conclure que la diffusion du VIH constitue pour la santé individuelle et collective un danger supérieur à celui de l'abus de drogue. Par conséquent, les services qui utilisent tous les moyens disponibles pour combattre les comportements qui comportent des risques d'infection à VIH devront être privilégiés ». Cité in Agnoletto V., La società dell'Aids, ibid

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* 285 Steffen M., Les Etats face au Sida en Europe, op.cit., p.102

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"Ceux qui vivent sont ceux qui luttent"   Victor Hugo