WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

Les Etats face aux Drogues


par Eric Farges
Université Pierre Mendès France - IEP Grenoble 2002
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

2.3.2.1 La reconnaissance du rôle de la famille

Le concept de famille, comme le rappelle Sylvie Angel, s'est pendant très longtemps réduit en matière de toxicomanie au couple parental1075(*). La mère était assimilée de façon réductionniste à l'image de la castratrice, tandis que le père était perçu comme un être passif et détaché de la famille. Ces conclusions s'appuyaient sur un ensemble de points communs aux familles des toxicomanes (absence de la figure du père, forte possessivité de la mère), qui ne sont pas par ailleurs dénués de véracité1076(*). L'attitude des intervenants était alors durant les années soixante-dix celle de la stigmatisation de la famille. L'idée de travailler avec la famille était « quelque chose qui avait une fonction normative, socialement péjorative »1077(*). Deux types de courant de pensée refusent de considérer la famille comme une ressource potentielle dans la prévention et la thérapie du toxicomane. D'une part le modèle permissif qui considère l'usage de substances comme étant un choix individuel et qui établit que seul l'usager lui-même peut mettre fin à sa consommation. La famille n'a dès lors pas de rôle à jouer dans ce choix1078(*). D'autre part les politiques répressives refusent également un rôle à la famille.

L'image de la famille s'est progressivement transformée au cours des années quatre-vingt par l'étude du schéma familial et du rôle de la famille joué dans la toxicomanie1079(*). Des études ont mis en évidence l'importance des troubles d'ordre familiaux dans les conduites déviantes. Donati évoque à ce propos la présence de « difficultés relationnelles qui provoquent un vide lors de la construction de l'adolescent1080(*). Khanzian envisage alors l'usage de substances stupéfiantes comme une « automédication » pour compenser les mécanismes de défense du soi1081(*). Dans un autre registre, les modèles parentaux de comportement influencent les consommations de substances psychoactives en déterminant l'acquisition des habitus1082(*)1082(*). Le rapport à l'alcool (principalement pour le père) ou aux médicaments psychotropes (essentiellement chez la mère) semblent avoir une valeur prédictive sur la consommation de substances psychoactives chez l'adolescent. Les opinions des parents, plus ou moins laxistes ou restrictifs, semblent également participer aux facteurs prédictifs. Il est toutefois nécessaire de rappeler qu'il s'agit là de phénomènes complexes qui ne s'apparentent pas à des causes unilatérales mais plutôt à des facteurs à risque1083(*).

Ces analyses ont toutefois permis de réévaluer la place de la famille dans les processus de prévention et de soin de la toxicomanie. La conception qui analyse l'état de toxicomanie comme un conflit non résolu permet en effet de comprendre que le dépassement de la dépendance ne peut pas se limiter à un état d'abstinence. Le rôle accordé à la famille en matière de toxicomanie est triple1084(*) : tout d'abord en terme de prévention de l'usage de substance (prévention primaire), puis dans la thérapie elle-même c'est-à-dire le dépassement de l'état de dépendance, et enfin dans la réinsertion sociale. La famille exerce une fonction essentielle dans la prévention primaire. De nombreux projets prennent dorénavant en compte ce protagoniste indispensable. Il existe toutefois différentes façons d'impliquer la famille1085(*). La prévention peut se réduire à la transmission d'un message plus ou moins alarmiste qui vise à renforcer le rôle coercitif joué par la famille. Les parents sont d'ailleurs très perméables à ce type d'information car ils y trouvent la légitimation de leurs propres peurs. Ces messages de prévention sont très fréquents aux Etats-Unis. Leur objectif est avant tout de sensibiliser les familles aux problèmes de l'adolescence afin d'améliorer le contrôle parental exercé sur les adolescents. Cette idée d'un contrôle social comme prévention de la toxicomanie est très forte aux Etats-Unis1086(*).

Une autre démarche, plus constructive, est celle de réintroduire les parents dans les démarches de prévention. La médiation est l'une de ces nouvelles formes de prévention qui vise à retisser du lien social au sein de la famille et qui implique la légitimation de nouvelles figures professionnelles. Les actions menées depuis une dizaine d'années en Europe en terme de prévention participent, selon Faugeron et Kokoreff, à l'élaboration de nouveaux référentiels, comme la famille1087(*)1087(*). Il s'agit, comme le résume Maria Pia Lai Guaita, d'établir un rapport non plus d'opposition mais de référence par la modification de la relation fils/parent1088(*). On peut remarquer que la brochure éditée récemment en France par la MILDT reconnaît l'importance d'établir d'un dialogue entre les jeunes et la famille1089(*).

La prévention implique également une meilleure information des parents afin d'aller à l'encontre des propos alarmistes. Une enquête qualitative réalisée au Canada sur la perception des parents à l'égard des usages de drogues révélait que ceux-ci ont le sentiment d'être mal informés sur les drogues1090(*). Il existe un large fossé entre la perception des parents et celles des enfants. Il s'agit de renforcer les capacités individuelles des parents afin de mieux affronter les problématiques liées aux substances. Ceux-ci ne savent souvent pas quelle réaction adopter face aux problèmes de substances1091(*). Il existe dans les dispositifs de prévention de la toxicomanie un manque de structures adaptées à de tels cas. Les parents n'osent pas en effet se tourner vers les structures de soin spécialisées qui sont orientées vers les consommations de drogues dures. C'est le cas par exemple du système italien où les Serts présentent une trop forte spécialisation vers ce type de drogue.

Le second niveau d'implication de la famille, tout aussi essentiel, est la thérapie du toxicomane. Ce rôle fut développé dès les années quatre-vingt en France à travers les « thérapies familiales » 1092(*) qui se sont imposées comme un instrument important de la chaîne thérapeutique. La famille peut occuper une pluralité de rôle dans le traitement, l'important est que ce rôle soit accepté et reconnu au sein de l'équipe thérapeutique.

« En réalité les familles peuvent aussi entrer dans le système de soin [...] Les familles entrent souvent parmi les facteurs qui ont favorisé ou au moins n'ont pas fait obstacle à l'installation de la pathologie [...] Toutefois, si l'on arrive à transformer la famille d'adversaire à patient et de patient à aide, les effets du traitement en seront favorisés. La famille peut être aidée et formée à comprendre quels sont les déterminants et les facteurs à risque pour les affronter et reconnaître les facteurs protecteurs [...] On peut ainsi prévoir différentes formes d'implication, comme la participation aux cycles de traitement ou des moments spécifiques de formation et la participation à des groupes d'entraide. La coopération entre les familles qui vivent des conditions similaires de souffrance et de malaise et entre les services peut donner vie à des ressources significatives  »1093(*)1093(*)

La famille était entendue jusque là comme la famille d'appartenance du toxicomane. Certains intervenants ont mis en place une modalité thérapeutique, plus spécifique à la France, fondée sur la famille au sens générique. Il s'agit de la famille d'accueil. Une famille se propose ainsi d'héberger un toxicomane afin de le faire bénéficier de l'harmonie d'une vie familiale et de le conduire vers la réinsertion. Ces familles sont en lien continu avec des centres de soins ambulatoires. Cette méthode représente environs 150 places en France1094(*).

Les parents ont également retrouvé un nouveau sens dans le secteur de la toxicomanie à travers les groupes d'entraide (auto-aiuto)1095(*). Il s'agit de groupes constitués de parents de toxicomanes qui visent à s'échanger des informations, expériences permettant ainsi d'adopter une pluralité d'approches et de points de vue sur les problèmes auxquels ils sont confrontés quotidiennement en temps que parent de toxicomane. Les groupes de parents promeuvent fréquemment des programmes de prévention adressés aux familles. Ce type de groupes existent toutefois très peu en Italie comme le note Riccardo Gatti1096(*). L'association «Genitori ed Amici «Insieme contro la Droga»» (Parents et amis «Ensemble contre la drogue») témoigne de ce nouveau rôle de la famille1097(*)1097(*). Cette association a été créée en 1987 auprès de la fondation Villa Maraini. Son motif premier était celui de se poser en groupe de pression auprès de l'administration communale de la ville de Rome face au refus de la municipalité de prendre en compte les difficultés financières de la Fondation. L'association a été également l'occasion pour les parents de confronter leurs expériences « personnelles » de la toxicomanie.

La famille constitue un acteur qui a pendant longtemps été marginalisé. Cela s'explique aussi bien par les réticences de la famille elle-même à reconnaître son implication que celles des intervenants de la toxicomanie à accepter qu'un acteur extérieur puisse contribuer au travail de prévention et de thérapie qui leur incombe. Les ressources familiales sont cependant cruciales et ne peuvent pas être négligées que ce soit en terme de prévention ou de soin de la toxicomanie. La famille a longtemps été écartée du dispositif avant tout parce qu'elle était considérée comme fautive du comportement toxicomaniaque. Les toxicomanes, considérés soi comme les principaux responsables de leur toxicomanie, soi à l'inverse comme totalement irresponsables, sont restés les objets du système de soin sans qu'on leur accorde un droit d'entrée dans le champ clos de la toxicomanie.

* 1075 Angel S., Angel P., «Famille, fratrie et toxicomanie de l'adolescent«, in Toxicomanies, Angel P., Richar

* d D., Valleur M., pp.157-165.

1076 Scaglia A., « Le politiche famigliari », in Tossicodipendenza e politiche sociali

* in Italia, op.cit., pp.65-82.

1077 Angel S., « L'approche familiale des toxicomanes au centre Montceau », in Familles et toxicomanies, rapport de

* recherches FIRST/OFDT, 1997.

1078 Bühringer G., Drogenabhä

* ngig, Herder, Freiburg, 1992.

1079 Scaglia A., « Le politiche famigliari », in Tossicodipendenze e politiche sociali in Italia, Luca Fazzi, Antonio Scaglia, FrancoAngeli, Milan, 2001, pp.65-82

* 1080 Donati P., «Denormalizzazione della famiglia e tossicodipendenza», in Guidicini P., Pieretti G.,

* Droga, Angeli, Milano, 1990.

1081 Khantzian E., J., The Self-Medication Hypothesis of Addictive Disorders: Focus on Heroin and Cocaine Dependence, in «American Journa

* l of Psychiatry», 142, 1985.

* 1082 Morel A.(dir.), Prévenir les toxico

* manies, op.cit.

1083 Scaglia A., « Le politiche famigliari », in Tossicodipendenza e politiche soc

* iali in Italia, op.cit., p.74

1084 Ibid., p.77.

* 1085 Morel A.(dir.), Prévenir les

* toxicomanies, op.cit., p.239.

1086 Gatti R.C., Lavorare con i tossicodipendenti. Manuale per gli operatori del servizio pubblico, Franco Ang

* eli, Milan, 1996, pp.107-108.

* 1087 Faugeron Claude, Kokoreff Michel, « Il n'y a pas de société sans drogues » :Un processus de normalisation ?, in Faugeron C., Kokoreff M., Société avec drogues. Enj

* eux et limites, op.cit, p.27.

1088 Lai Guaita Maria Pia, «Prevenzione delle tossicodipendenze: un impegno per ciascuno di noi», in Lai Guaita Maria Pia (dir.), La prevenzione delle to

* ssicodipendenze, op.cit, p.42

1089 « Nous voulons également qu'il [guide de prévention « Savoir plus, risquer moins »] aide à ouvrir un dialogue utile entre les jeunes et toutes les personnes qui les entourent, plus particulièrement les parents. En effet, rien ne sert de conseiller aux parents de parler des drogues avec leurs enfants s'ils ne disposent pas d'arguments et d'éléments de connaissances nécessaires. C'est à partir de cette connaissance qu'ils pourront être mieux à l'écoute de leurs enfants, prendre conscience de leur vulnérabilité et de la gravité éventuelle des risques qu'ils prennent. Ils seront ainsi mieux à même de jouer leur rôle éducatif sans nécessairement avoir besoin de recourir à un spécialiste » Mission Interministérielle de Lutte contre la Drogue et la Toxicomanie (MILDT), Savoir plus pou

* r risquer moins, op.cit, p.8

1090 Cité in Minz., May., Action contre les dogues: Drogue, pas besoin!, 35e congrès international sur l'alcool et les toxicomanies

* , 5 aout 1988, Oslo, Norvège.

1091 Scaglia A., « Le politiche famigliari », in Tossicodipendenza e politiche soc

* iali in Italia, op.cit., p.77

1092 Angel S., Angel P., «Famille, fratrie et toxicomanie de l'adolescent«, in

* Toxicomanies, op.cit., p.157.

* 1093 Nizzoli Umberto, «Assistere persone con Aids, tossicodipendenti e no», La cura delle persone con Aids. Interventi e contes

* ti culturali , op.cit., p.30.

1094 Farges F., « Chaîne thérapeutique », in Angel P., Richard D., Valleur., Tox

* icomanies, op.cit, pp.175-178

1095 Scaglia A., « Le politiche famigliari », in Tossicodipendenza e politiche soci

* ali in Italia, op.cit., p.80.

1096 Gatti R.C., Lavorare con i tossicodipendenti. Manuale per gli operatori del servizio pubblico, Franco Ang

* eli, Milan, 1996, pp.107-108.

* 1097 Angeleri Marco e Dischetti Tiziano, «La famiglia... «in aiuto» L'esperienza dell'Associazione Genitori ed Amici «In

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Ceux qui rêvent de jour ont conscience de bien des choses qui échappent à ceux qui rêvent de nuit"   Edgar Allan Poe