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La gouvernance de l'ingérable: Quelle politique de santé publique en milieu carcéral ?


par Eric Farges
Université Lumière Lyon 2 -   2003
  

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2.2 Une coopération hospitalière difficile

Les rapports entre l'institution carcérale et le dispositif hospitalier ont été depuis les années soixante de plus en plus distants, à mesure que se creusait l'écart entre une médecine de pointe très prestigieuse et une médecine pour personnes détenues jugée dévalorisante. L'un des enjeux de la loi du 18 janvier 1994 était dès lors d'arriver à réconcilier les deux institutions, dont les dissemblances, davantage culturelles qu'organisationnelles, pouvaient conduire à un échec de la réforme. La coopération du système hospitalier apparaît en effet décisive du processus de décloisonnement de la médecine pénitentiaire.

2.2.a La signature des protocoles : des « mariages » institutionnels délicats

Le nouveau dispositif de prise en charge des détenus, représenté par la circulaire du 8 décembre 1994, fait l'objet de protocoles tripartites engageant les autorités sectorielles : préfets de région et de département, directions régionales des services pénitentiaires et directions des établissements hospitaliers. La ministre des Affaires sociales, Simone Veil, s'était engagée lors du vote de la réforme à ce que tous les établissements pénitentiaires publics aient signé un protocole avant le 1er juillet 1995. En fait, cela ne sera fait que pour 20% d'entre eux à cette date338(*). Ce retard s'explique par les réticences des structures hospitalières à s'engager dans ce processus de contractualisation avec les établissements pénitentiaires. Ces « mariages » entre l'administration pénitentiaire et les services médicaux, comme le souligne Dominique Lhulier, ont été précédés par de longs travaux d'approche et d'âpres négociations 339(*). L'étape la plus difficile de l'élaboration de ces protocoles fut la désignation d'un chef de service acceptant de prendre en charge l'UCSA. Peu de praticiens hospitaliers furent volontaires, tel que le rappelle un cadre de l'administration pénitentiaire, et l'attribution de cette charge fut fréquemment imposée à un chef de service, compromettant ainsi son articulation avec le reste de l'établissement hospitalier :

« La loi de 1994 a été imposée aux hôpitaux. Ça, il faut le savoir et donc les chefs de service n'étaient pas du tout volontaires pour prendre en charge cette mission [...] Ça a été imposé à un chef de service. Ce qui était une très mauvaise chose puisque après il y a eu des conséquences. »340(*)

En outre, comme le souligne Bruno Milly, les motivations de ceux qui ont accepté de travailler en milieu carcéral étaient parfois éloignées des préoccupations de santé publique341(*). La prise en charge d'une UCSA permit à certains patriciens hospitaliers de tenir une fonction de chef de services qu'ils avaient peu de chance d'obtenir en restant à l'hôpital. Par conséquent, le choix du rattachement entre les établissements publics hospitaliers et les prisons ne correspond pas toujours à la double condition de proximité et de niveau technique imposée par le législateur. Les politiques d'établissement et les logiques professionnelles des praticiens hospitaliers ont beaucoup conditionné la signature des protocoles. La région lyonnaise en donne un exemple. En 2001, lorsque le service de soin psychiatrique de la maison d'arrêt de Villefranche fut rattaché au service public hospitalier, deux établissements rentrèrent en concurrence pour être signataire du protocole342(*). D'une part, le SMPR de Lyon, dirigé par le professeur Lamothe, et rattaché à l'hôpital du Vinatier et, d'autre part, l'hôpital psychiatrique de Saint-Cyr, plus proche géographiquement de la maison d'arrêt. La décision final de l'attribution relevait de la compétence de l'Agence régionale d'hospitalisation (ARH). Le médecin-inspecteur à la DDASS du Rhône indique qu'elle était favorable au choix de Saint-Cyr et qu'elle a soutenu cette solution, par l'intermédiaire de son chef de direction, au sein de l'ARH qui l'a finalement adoptée. Outre des motifs de proximité géographique, ce choix s'explique, selon elle, en réaction à la volonté du professeur Lamothe d'étendre son champ de compétence à un nouvel établissement. L'«annexion » du service de psychiatrie de la maison d'arrêt de Villefranche représentait pour lui l'opportunité d'engranger de nouvelles responsabilités qui se seraient ajoutées à son capital social et professionnel déjà élevé. La logique qui animait le chef de service de Saint-Cyr était similaire à celle du responsable du SMPR. Il s'agissait d'obtenir l'attribution de lits d'hospitalisation nécessaire à sa reconnaissance professionnelle. Cet exemple illustre les intérêts professionnels qui peuvent parfois motiver les praticiens hospitaliers à s'intéresser à la médecine pénitentiaire. Mis à part un intérêt pour la discipline, souvent réel, les enjeux professionnels propres à l'organisation hospitalière, mais aussi les logiques politiques343(*), déterminent parfois certains choix :

« Pour un certain nombre de raisons on était plutôt favorable à ce que ce soit Saint-Cyr [...] M.Lamothe -qui est chef de service du SMPR - est un personnage haut en couleurs, qu'on voit à la télé, qu'on voit dans les journaux, qui est au ministère, et il voulait que ce soit le SMPR de Lyon qui ait la compétence. Plus on étend son jardin et plus on a de pouvoir [...] On ne voyait pas bien l'intérêt qu'il ait quelque chose de plus. Je pense qu'il a la plus-value de son expérience mais qu'il a la moins-value de son manque de disponibilité et c'est pour ça qu'on a préféré jouer local. Il a vraiment fait du forcing mais finalement ça n'a pas marché [...]

Le chef de service de ce secteur psychiatrique était demandeur [...] De même que Lamothe, c'est un peu pour agrandir son rayon d'action. Je pense que pour le médecin de Saint-Cyr [...] c'était assez intéressant [...] Je pense qu'il devait être en recherche d'une assise puisqu'il était un peu dans une situation particulière pour un chef de service. C'est assez particulier pour un chef de service psychiatrique de ne pas avoir de lits d'hospitalisation et maintenant il a des lits d'hospitalisation. Peut-être que la médecine pénitentiaire l'intéressait aussi mais en tout cas il voyait bien ce que ça pouvait apporter à son secteur.»344(*)

Le choix du service hospitalier de rattachement de l'UCSA n'est pourtant pas insignifiant car il peut avoir des répercussions sur le fonctionnement de l'unité. Chaque service hospitalier dispose en effet d'un mode de fonctionnement propre et d`une conception particulière du soin. De nombreuses UCSA de la Région Rhône-Alpes ont par exemple été intégrées, suite aux recommandations formulées dans le guide méthodologique de la loi du 18 janvier 1994, à des services d'urgence345(*). Ce choix qui pouvait sembler logique traduit néanmoins une perception du soin très spécifique, probablement différente d'une UCSA rattachée à un service d'infectiologie : un praticien hospitalier travaillant en service d'urgence évalue par exemple moins les aspects de réinsertion du soin et considère davantage la médecine pénitentiaire comme étant une « médecine d'urgence » se limitant à l'acte soignant346(*). Certains rattachements semblent parfois saugrenus347(*) et d'autres présentent des incompatibilités de fonctionnement348(*). Les différences de fonctionnement entre les UCSA ne sont cependant peut-être pas tant le fait, comme le suggère un médecin-inspecteur de la DRASS Rhône-Alpes, de la discipline de rattachement que de l'implication du chef de service349(*). En effet, seul ce dernier est en mesure d'assurer l'intégration de l'unité de soin au sein du tissu hospitalier.

* 338 Monceau Madeleine, Jaeger Marcel, « Médicaments et réforme de la santé en prison », in Veil Claude, Lhuilier Dominique, La prison en changement, p.225. Actuellement, 206 établissements de santé sont signataires (131 centres hospitaliers dont 31 Centres hospitaliers régionaux et 75 centres hospitaliers psychiatriques).

* 339 Lhuilier Dominique, Aldona Lemiszewka, Le choc carcéral, Bayard, Paris, 2001, p.119.

* 340 Entretien n°9, Mme Demichelle, responsable du bureau d'action sanitaire de la DRSP Rhône-Alpes.

* 341 Milly Bruno, Soigner en prison, op.cit., p.102.

* 342 En 2001, l'ensemble des établissements à gestion privé, ou « 13 000 », comme celui de la maison d'arrêt de Villefranche intégrèrent le régime prévu par la réforme de 1994. La prise en charge somatique et le soin psychiatrique furent alors confiés à des établissements hospitaliers distincts.

* 343 Le médecin-inspecteur DDASS souligne également les facteurs politiques qui ont présidé au choix de l'hôpital de rattachement: « Et puis il y a eu aussi des gens qui l'ont appuyé sur le plan politique car si j'ai bien compris... les gens qui sont au conseil d'administration sont des politiques, ce sont des maires par exemple, et eux aussi ça les intéressait que ce soit Villefranche. Je pense que de plusieurs côtés il y avait des gens intéressés, pas forcément pour les mêmes raisons, mais il y a eu convergence ». Entretien n°13, Claire Cellier, médecin inspecteur de santé publique à la DDASS du Rhône.

* 344 Entretien n°13, Claire Cellier, médecin inspecteur de santé publique à la DDASS du Rhône.

* 345 Entretien n°9, Mme Demichelle, responsable du bureau d'action sanitaire de la DRSP Rhône-Alpes.

* 346 Entretien n°9, Mme Demichelle, responsable du bureau d'action sanitaire de la DRSP Rhône-Alpes.

* 347 On pense à un établissement pénitentiaire dont l'UCSA a été rattaché au service d'ophtalmologie d'un centre hospitalier qui semble peu adéquat avec la pratique de la médecine pénitentiaire.

* 348 On pourrait penser que le service de médecine légale est bien adapté pour le rattachement d'une UCSA à un établissement hospitalier. Pourtant, un rapport de l'IGAS établit l'incompatibilité entre les deux fonctionnements. D'une part, la médecine légale occupe une place « à part » au sein de l'hôpital pouvant compromettre l'intégration de l'UCSA. D'autre part, « la mission expertale assignée au service de médecine légale est difficilement compatible tant sur le plan juridique que dans la pratique avec la mission de soins confiée à l'UCSA. C'est particulièrement vrai lorsque le service de médecine légale assure les autopsies des personnes décédées en prison ». IGAS-IGSJ, L'organisation des soins aux détenus. Rapport d'évaluation, op.cit., p.136.

* 349 Entretien n°15, Marie-José Communal, médecin à la DRASS Rhône-Alpes chargée de la médecine en prison.

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"Entre deux mots il faut choisir le moindre"   Paul Valery