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La gouvernance de l'ingérable: Quelle politique de santé publique en milieu carcéral ?


par Eric Farges
Université Lumière Lyon 2 -   2003
  

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2.2.b L'intégration inégale des UCSA au sein du système hospitalier

L'un des objectifs de la loi du 18 janvier 1994 était de rompre l'isolement de la médecine pénitentiaire en établissant un lien avec l'ensemble du système sanitaire. L'intégration d'une « médecine pour détenus » au sein du dispositif hospitalier présente, comme cela a été établi, un certain nombre de difficultés. Le chef de service de l'UCSA a une place particulière dans ce processus. C'est lui qui assure le lien entre la direction de l'établissement et l'UCSA dont il est par exemple le porte-parole lors des différentes commissions hospitalières, contribuant ainsi à faire connaître la médecine en milieu pénitentiaire350(*). Le choix du chef de service auquel est confiée l'UCSA doit alors répondre à deux conditions. Il faut en premier lieu que ce chef de service soit volontaire et motivé à s'investir dans le fonctionnement de l'UCSA mais il faut également qu'il dispose lui-même d'une reconnaissance suffisante au sein de l'hôpital351(*). Si ces deux conditions sont réunies, le chef de service peut alors accomplir une fonction de jonction avec l'hôpital qui est cruciale pour le bon fonctionnement de l'UCSA. C'est par exemple le cas à Lyon, comme un médecin le constate, où l'implication du chef de service permet de compenser le désintérêt que manifeste la direction hospitalière à l'égard de l'UCSA :

« On a la chance que notre chef de service soit chef de services à l'hôpital et ça c'est une grande chance car ça facilite l'articulation [...] Je pense que les spécialistes comme le chef de cardiologie, pour lui la prison c'est vraiment rien. Je pense qu'on ne représente rien pour l'hôpital. Cette réforme ça a été imposé à l'hôpital. »352(*)

La désignation d'un chef de service qui soit motivé à promouvoir les unités de soin pour détenus (UCSA) est d'autant plus importante que les directeurs d'hôpitaux se désintéressent le plus souvent d'une médecine qu'ils n'estiment pas relever de leur champ de compétence. Plusieurs enquêtés témoignent du manque de considération dont souffre encore actuellement la médecine en milieu carcéral au sein du système hospitalier, où elle constitue la dernière priorité : « Pour beaucoup d'établissements hospitaliers c'est la dernière roue du chariot car les établissements hospitaliers n'ont pas été demandeurs et ça n'est pas un service qui fait une médecine qui est valorisée et personne ne se bat pour s'en occuper » 353(*). La difficulté à trouver un chef de service suffisamment motivé pour diriger les UCSA s'explique en partie par le manque de reconnaissance dont bénéficie la médecine pour détenus au sein de la « culture hospitalière », comme en témoigne le fait que plusieurs directeurs d'établissement ignorent encore la loi du 18 janvier 1994 :

«Il faut que cette position là soit reconnue, soit légitimée par la direction hospitalière. Des fois, j'ai affaire à des directeurs d'hôpitaux qui ne savent pas ce que c'est et je trouve ça un peu étonnant [...] Là aussi, encore, ce n'est pas dans la culture hospitalière, si vous voulez. La loi n'est pas encore très bien connue.»354(*)

Les services de soin pour détenus sont cependant très dépendants de la structure hospitalière à laquelle ils sont rattachés du fait de leur externalisation et de l'absence de liens directs. L'absence de considération de leur chef de service à l'UCSA conduit ainsi à des dysfonctionnements. Il est fréquent par exemple qu'un manque de dialogue existe entre les deux services ce qui est nuisible au bon déroulement des soins355(*). Outre les problèmes de communication, il arrive dans certains établissements que les créations de poste attribuées à l'UCSA ne se fassent pas ou que le personnel soit attribué à un autre service, comme le remarque un médecin-inspecteur DRASS sur un site de la Région Rhône-Alpes. Enfin, de façon plus générale, le manque d'implication de la structure hospitalière dans le fonctionnement de l'UCSA peut démoraliser le personnel qui y travaille. Le sentiment d'isolement qui en résulte contribue à reproduire la coupure entre la médecine pénitentiaire et le reste du système sanitaire à laquelle la loi du 18 janvier 1994 avait tenté de mettre fin :

« Il semblerait qu'il y ait des résistances très importantes à Grenoble [...] Le chef de service de Grenoble ne s'implique pas [...] Il peut y avoir des détournements d'attribution de financement [...] Les postes, par exemple, ont été attribués initialement à l'UCSA et le poste se retrouve créé dans un autre service. Et puis il y a les personnels de l'UCSA qui ne se sentent pas écoutés, qui ne se sentent pas soutenus car si le chef de service ne vient jamais à l'UCSA... »356(*)

La position des personnels sanitaires face à la réforme de la médecine pénitentiaire semble constituer un facteur explicatif important. En effet, les réticences d'une partie des soignants italiens intervenant en prison à être transférés au ministère de la Santé ont probablement limité l'impact de la réforme. En France, bien que le personnel soignant pénitentiaire semblait favorable, la portée du décloisonnement de l'organisation des soins semble restreinte par la faible intégration du nouveau dispositif pour détenus au sein de l'organisation hospitalière. C'est en considération de ces positions qu'il est maintenant possible de dresser un premier bilan de la mise en oeuvre de la réforme.

* 350 IGAS-IGSJ, L'organisation des soins aux détenus. Rapport d'évaluation, op.cit., p.32.

* 351 La mission d'inspection de l'IGAS estime ainsi que « d'une manière générale, il est souhaitable de confier la responsabilité de l'UCSA à un chef de service bien intégré dans l'hôpital, dont l'autorité morale et le poids aideront cette structure à prendre toute sa dimension ». Ibid., p.136.

* 352 Entretien n°2, Pascal Sourty, médecin à l'UCSA de la maison d'arrêt de St Paul - St Joseph depuis 1995.

* 353 Ce médecin-inspecteur établit également une comparaison entre la place occupée au sein de l'organisation hospitalière par l'UCSA et le service d'interruption volontaire de grossesse (IVG), dossier dont elle a également la charge au sein de la DRASS Rhône-Alpes. Cette remarque rend bien compte de la dévalorisation de la médecine pénitentiaire et des enjeux moraux qui lui sont rattachés. Entretien n°15, Marie-José Communal, médecin à la DRASS Rhône-Alpes chargée de la médecine en prison.

* 354 Entretien n°9, Mme Demichelle, responsable du bureau d'action sanitaire de la DRSP Rhône-Alpes.

* 355 « [Les personnels de l'UCSA] ont du mal à se faire reconnaître par leur propre direction hospitalière. Ils me le disent et puis je m'en rends compte si vous voulez lors des réunions, on voit bien que les directions hospitalières sont très loin de l'UCSA. Il y a des choses qui se disent en réunion annuelle des comités de coordination et qui pour moi devraient être dites avant, directement entre l'UCSA et la direction hospitalière et donc ça démontre bien qu' il n'y a pas de dialogue » Entretien n°9, Mme Demichelle, responsable du bureau d'action sanitaire de la DRSP Rhône-Alpes.

* 356 Entretien n°15, Marie-José Communal, médecin à la DRASS Rhône-Alpes chargée de la médecine en prison.

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"Il existe une chose plus puissante que toutes les armées du monde, c'est une idée dont l'heure est venue"   Victor Hugo