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La gouvernance de l'ingérable: Quelle politique de santé publique en milieu carcéral ?


par Eric Farges
Université Lumière Lyon 2 -   2003
  

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2 Les ambiguïtés d'une démarche d'éducation pour la santé en prison

L'éducation pour la santé recouvre une pluralité de significations. Elle peut s'entendre en tant que la transmission d'une information médicale destinée à éviter une maladie (prévention secondaire) ou de façon plus large en tant que réflexion personnelle permettant la diffusion de comportements sains afin de renforcer l'état de santé (prévention primaire)1051(*). Il s'agit d'une démarche qui associe un aspect sanitaire à une logique éducative. Celle-ci peut cependant dépasser la sphère médicale et interroger l'individu sur ses choix personnels de façon plus générale. C'est pourquoi la portée de l'éducation pour la santé en milieu carcéral doit être interrogée non seulement par son incidence au sein de la détention mais aussi, sur le long terme, au regard de la réinsertion du détenu.

2.1 Quel renouveau du fonctionnement de la vie en détention ?

L'institution pénitentiaire constituerait un monde minéral sans vie propre. Seuls des modifications externes seraient en mesure de faire évoluer le fonctionnement de la détention. L'éducation pour la santé est perçue comme le moyen d'apporter, au moins, deux modifications au sein de la prison. Elle permettrait de revaloriser la fonction de surveillant en réconciliant sa mission de veille avec celle de garde, d'une part, et représenterait une amélioration marginale des conditions de vie en détention, d'autre part. Ces ambitions se heurtent néanmoins aux contraintes du milieu carcéral qui en soulignent les contradictions et les ambiguïtés.

2.1.b Vers l'affirmation d'un nouveau rôle de veille ?

L'éducation pour la santé est perçue comme un moyen afin d'impliquer davantage les surveillants dans le suivi des détenus et de réconcilier ainsi leur mission de garde et celle de veille, davantage orientée vers la réinsertion. Les premières formations adressées aux personnels de surveillance sont apparues au cours des années quatre-vingt-dix dans le cadre de la lutte contre le Sida. Les maladies infectieuses ont cependant été considérées comme un thème trop restrictif pour aborder les questions relatives à la santé, d'autant plus qu'il semble mobiliser assez peu les surveillants1052(*). Certains établissement ont alors développé, comme c'est le cas des prisons de Lyon, des formations répondant spécifiquement aux problématiques qui intéressent le personnel de garde afin d'éviter le rapport de rivalité qui existe parfois avec les détenus. Il s'agit d'arriver à concerner les personnes les moins prédisposées à se mobiliser sur la santé des détenus à partir de leurs préoccupations quotidiennes :

« On leur a parlé plutôt de leurs problèmes de sommeil à eux, on leur a parlé plutôt de leurs souffrances psychologiques à eux... Je pense que s'ils sont venus d'abord, c'était pour parler d'eux. L'astuce, c'est qu'on s'était dit : on essayait de les prendre par ce biais-là, et peut-être que petit à petit, au fur et à mesure de la formation, on réussira à introduire la problématique des détenus, et le rapport qu'ils peuvent avoir avec eux.»1053(*)

Il est possible de distinguer plusieurs objectifs à travers cette formation. Le premier de cette formation était de familiariser les personnels de surveillance à la culture de l'éducation pour la santé en soulignant l'interdépendance entre l'état de santé des détenus et les conditions de travail en détention par lesquelles ils sont directement affectés : « Il s'agit de sensibiliser les surveillants en leur disant que les soucis de santé des détenus peuvent être générés par les conditions d'hygiène et que ce sont aussi les conditions d'hygiène et les conditions de travail du personnel »1054(*). Le second aspect de la formation était d'organiser des ateliers thématiques au cours desquels les surveillants devaient élaborer collectivement des solutions répondant à des problèmes rencontrés couramment au sein de la vie en détention et face auxquels les personnels sont souvent désemparés (refus d'un détenu de se doucher ou de nettoyer sa cellule). Il s'agissait, ainsi, d'apporter « des outils complémentaires par rapport à la compréhension de certaines problématiques de santé en prison »1055(*). Un troisième objectif plus ambitieux était de mobiliser directement les personnels ayant bénéficié de la formation, en leur proposant de participer ultérieurement à des groupes de prévention, afin qu'ils puissent dans un second temps « devenir eux-mêmes animateurs en prévention pour la santé auprès des détenus »1056(*).

La formation organisée par les prisons de Lyon apporte également un bon exemple des limites de l'impact que l'éducation pour la santé peut avoir sur la revalorisation du rôle de surveillant. La participation du personnel de garde à la formation a tout d'abord été très instable en raison des problèmes d'emploi du temps1057(*). La présence des surveillants aux ateliers n'était pas reconnue en tant que formation professionnelle, obligeant les personnes à s'y rendre pendant leur temps libre. Une éducatrice rappelle au sujet d'une autre formation que le personnel de surveillance est celui qui rencontre le plus de difficultés pour pouvoir assister aux séances en raison de l'important sous-effectif. Leur faible participation, ajoute t-elle, « ne traduit pas vraiment un manque de demande mais un manque de disponibilité »1058(*). Le second objectif, apporter des acquis théoriques pouvant servir aux surveillants dans leur travail quotidien, semble également difficilement réalisable en raison du manque de moyens auxquels ils sont confrontés. Les outils essentiels à une démarche de prévention ne seraient pas disponibles en détention rendant vain la mise en oeuvre des conseils qui sont apportés  :

« Je crois surtout qu'ils n'ont pas beaucoup de moyens pour mettre en application ce qu'ils savent [...] Ils n'ont aucun moyen de se laver les mains. Ils doivent fouiller les gens et ils ne peuvent pas se laver les mains [...] Alors après on nous parle de prévention, d'avoir des préservatifs en cellule mais la moindre des choses, c'est quand même de pouvoir se laver les mains car ça semble prioritaire. »1059(*)

Il semblerait que la formation se soit heurtée à certaines difficultés du fait de l'absence de réponse de la part de l'administration pénitentiaire aux suggestions formulées par les personnels de garde. Ceux-ci étaient invités à la fin de chaque activité à émettre des propositions qui étaient par la suite transmises auprès de la direction de l'établissement. Une formatrice remarque que les surveillants ont manifesté une déception face à l'absence de suivi qui décrédibilisait en partie le sens de la formation : « Le personnel de surveillance attendait beaucoup de ces propositions là, de leur construction, de leur travail en groupe et ils n'ont pas du tout eu l'impression d'être entendu »1060(*). La plupart des suggestions qui ont été faites (mettre en place des douches individuelles, modifier le dispositif des horaires de travail, proposer un matériel désinfectant pour les fouilles) se sont heurtées au silence de l'institution carcérale et sont restées inappliquées. Il semblerait, comme le constate un responsable associatif, qu'en l'absence d'une véritable politique d'établissement, la portée de la formation demeure limitée1061(*). En outre, le fait de confronter les surveillants avec des exigences qui demeurent inaccessibles peut s'avérer contre-productif et il apparaît préférable, selon une psychologue, d'axer la formation sur des changements secondaires mais réalisables : « Pendant cette formation pour la santé, [on ne doit] pas faire des choses qui ne vont pas pouvoir s'adapter ici parce que c'est trop violent. C'est montrer ce qu'on devrait faire et ce qu'on ne peut pas faire [...] Sinon, ça ne fait que les mettre dans l'impuissance et ils y sont déjà bien »1062(*). L'amélioration des pratiques des surveillants est d'autant plus difficile à attester qu'aucune évaluation n'est réalisable et que la portée de la formation demeure inconnue : « Est-ce que ça a amélioré les choses? Comment ? Ou est-ce que les choses sont restées complètement en l'état ? On n'en sait rien du tout »1063(*). Enfin, le troisième objectif (impliquer de façon plus directe les surveillants dans une démarche de prévention auprès des détenus) constitue un semi-échec. Près d'un an après la formation, seuls deux surveillants sur les dix-sept qui avaient participé étaient encore en poste auprès des prisons de Lyon. Le roulement très rapide du personnel pénitentiaire rend difficile l'élaboration d'un projet de prévention à long terme, comme le regrette une formatrice : « La difficulté c'est qu'il y a un fort turn-over chez le personnel de surveillance. C'est un métier qui n'est pas facile il y a beaucoup d'arrêts maladies, beaucoup de transferts, etc. donc ce n'est pas dit que ceux qui ont suivi la formation cet été soient encore en poste [...] Donc je pense qu'on va avoir du mal à trouver des gens pour se mobiliser là-dessus »1064(*).

L'éducation pour la santé constitue t-il un moyen pour réconcilier la mission de garde et la mission de veille des surveillants et modifier ainsi le rapport qu'ils entretiennent avec les détenus? Rien n'est moins sûr. En effet, même si l'éducation pour la santé est une démarche pouvant favoriser un changement culturel, elle se heurte au sein du milieu carcéral à ne nombreuses contraintes qui la rendent peu crédible. Certains considèrent néanmoins que même si cette réconciliation demeure « utopique », et est de plus en plus difficile en raison de l'évolution actuelle des conditions de détention, cela ne rend pas pour autant vain tout effort visant à inscrire le travail quotidien du personnel de surveillance dans une démarche de prévention1065(*). L'éducation pour la santé permettrait ainsi des modifications marginales pouvant aboutir à une amélioration de la vie quotidienne des détenus.

* 1051 Moquet-Anger M.L, "Rapport introductif", in Moquet-Anger M.L. (sous la direction de), L'éducation santé : enjeux, obstacles, moyens, op.cit, pp.15-23.

* 1052 Une étude signale que les personnels pénitentiaires participent beaucoup moins aux formations ciblées exclusivement sur les maladies transmissibles. Ils sont en effet seulement 9 % à en avoir suivi une. Cf., Amélie Chantraine et Anne-Marie Palicot. Les besoins en formation sur le Sida du personnel pénitentiaire, CODESS de Rennes, 1996-1997.

* 1053 Entretien n°1, G. Leponer, chargée de mission au Collège Rhône-Alpes d'Education pour la Santé (CRAES).

* 1054 Entretien n°3, Mme Marié, directrice adjointe des prisons de Lyon depuis 1999.

* 1055 Entretien n°5, Claude Boucher, directeur du Collège Rhône-Alpes d'Education pour la Santé (CRAES).

* 1056 Entretien n°1, G. Leponer, chargée de mission au Collège Rhône-Alpes d'Education pour la Santé (CRAES).

* 1057 Entretien n°5, Claude Boucher, directeur du Collège Rhône-Alpes d'Education pour la Santé (CRAES).

* 1058 Entretien n°11, S. Combe et C. Misto, agents d'insertion et de probation (SPIP) des prisons de Lyon.

* 1059 Entretien n°2, Pascal Sourty, médecin à l'UCSA de la maison d'arrêt de St Paul - St Joseph depuis 1995.

* 1060 Entretien n°1, G. Leponer, chargée de mission au Collège Rhône-Alpes d'Education pour la Santé (CRAES).

* 1061 Entretien n°5, Claude Boucher, directeur du CRAES Rhône-Alpes. C'est également le constat que dresse Christine Cellier dans son rapport d'évaluation des actions d'éducation pour la santé en prison. Elle souligne un phénomène d'essoufflement et de découragement chez tous les participants en l'absence ressentie d'un soutien institutionnel de la part de la direction de l'établissement. Quellier Christine, Rapport d'évaluation de la formation action en éducation pour la santé en milieu pénitentiaire sur dix sites pilotes, op.cit, p.44.

* 1062 Entretien n°14, Chantal Escoffié, psychologue auprès du personnel pénitentiaire des prisons de Lyon.

* 1063 De façon plus générale, l'évaluation des actions d'éducation pour la santé semble poser problème. Cette étape très importante en méthodologie d'éducation pour la santé demeure pour l'instant inappliquée en milieu carcéral.

* 1064 L'enquêtée tenait ces propos avant le suivi des surveillants, elle prévoyait cependant déjà les difficultés à venir. Entretien n°1, G. Leponer, chargée de mission au Collège Rhône-Alpes d'Education pour la Santé (CRAES).

* 1065 Entretien n°9, Mme Demichelle, responsable du bureau d'action sanitaire de la DRSP Rhône-Alpes.

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"L'ignorant affirme, le savant doute, le sage réfléchit"   Aristote