L'accord de Cotonou et la lutte contre la pauvreté( Télécharger le fichier original )par Yaya MORA BROUTANI Institut d'études politiques de Toulouse - Master géopolitique et relations internationales 2006 |
2.4 L'éducation : un aspect essentiel de lutte contre la pauvretéL'éducation est également un facteur clé pour la lutte contre la pauvreté. En effet, « les politiques d'éducation et de formation pragmatiques et efficaces jouent évidemment un rôle essentiel dans le processus de développement. Une main-d'oeuvre convenablement formée et suffisamment qualifiée contribue directement à augmenter la productivité générale, à favoriser la croissance économique, à éradiquer la pauvreté et, en dernière analyse, à améliorer le niveau de vie des populations des pays ACP. »73(*). Le Partenariat consiste donc à promouvoir l'éducation dite de base et à « [...] renforcer les capacités et compétences techniques »74(*). L'éducation permettrait ainsi de réduire la pauvreté en permettant aux populations de disposer d'acquis techniques et, par conséquent, de modifier le paysage économique en diversifiant les activités et les emplois. En outre, elle garantirait une réduction voire la disparition du travail des enfants. De plus, l'éducation a également une influence sur la santé puisqu'elle permet une prévention et une information efficaces, utiles notamment pour les cas de maladies transmissibles, grossesses et pour les problèmes liés à l'hygiène. La tâche est importante pour parvenir à une éducation massive : en effet, « en Afrique au Sud du Sahara, en 1998, 54 % des filles en âge de scolarisation étaient inscrites à l'école primaire, comparé à 66 % des garçons. »75(*) II- Une prise en compte des différents degrés de la pauvreté Parallèlement l'élaboration d'une stratégie globale de lutte contre la pauvreté, les parties à la Convention ont dû se pencher sur le problème de la diversité des situations dans les États ACP : en effet, ces États, bien que tous confrontés au problème de la pauvreté, sont toutefois concernés à des échelles différentes. La pauvreté est donc un concept divisé en degrés. Pour rendre compte de cet état de fait, les instances internationales ont procédé, dans les années 70, à une classification des pays en fonction de leur niveau de pauvreté. Ainsi, parmi les « pays en voie de développement », coexistent différentes catégories mettant en évidence l'importance de la précarité des États concernés. Il convient donc, dans un premier temps, d'étudier les éléments de « classification » opérée au niveau international, pour dans un second temps, envisager comment la Convention de Cotonou a pris en compte les difficultés de chaque groupe d'États et a mis en oeuvre une approche différenciée. A- Les composantes de classification internationale Le sous-développement est l' « état d'une société dont les caractéristiques économiques, sociales, politiques et culturelles l'empêchent d'assurer à l'ensemble des individus qui la composent la satisfaction des besoins fondamentaux de la personne humaine. Le sous-développement est donc un phénomène complexe tant dans ses caractéristiques que dans ses facteurs.»76(*) Si la pauvreté n'est pas automatiquement liée au sous-développement, l'inverse n'est en revanche pas vrai : un pays sous-développé (ou en voie de développement) reflète incontestablement la pauvreté de sa population ou tout du moins d'une partie de celle-ci. L'expression couramment utilisée de « tiers monde » regroupe les pays en voie de développement. Il s'agit d'une catégorie très générale à l'intérieur de laquelle il existe divers degrés de pauvreté et de précarité. Les États touchés par une extrême pauvreté sont réunis sous l'appellation de « pays les moins avancés »77(*), au sein desquels les « pays pauvres très endettés »78(*) forment une sous-catégorie. Il convient donc d'aborder successivement ce que sont d'une part, les PMA et d'autre part, les PPTE. Malgré leurs nombreuses différences79(*), les PMA ont comme point commun de ne pouvoir garantir à leur population un revenu et un niveau de vie décent en raison de difficultés économiques intérieures. Les instances internationales ainsi que la Communauté européenne s'accordent pour qualifier les États de PMA au regard de six critères principaux : le « produit national brut par habitant, la part de la production dans le produit national brut total et le taux d'alphabétisation des adultes [...], de l'indice de la qualité de la vie, de l'indice de diversification économique et de l'importance de la population »80(*). Le contexte économique des PMA est également marqué par une faible industrialisation et par une forte dépendance à l'agriculture dite de subsistance. Les aléas climatiques auxquels sont soumis ces États entraînent une instabilité des récoltes agricoles et peuvent conduire à des vagues de famine. De plus, les PMA sont généralement touchés par des conflits armés et des épidémies qui déciment les populations. Il en résulte que le revenu par habitant est faible. En effet, environ 50 % de la population africaine vit avec moins d'un dollar par jour. De plus, pour être considéré comme un PMA, les revenus nationaux doivent être inférieurs à 900 dollars par an81(*). À ces différents facteurs, il faut ajouter depuis 2000, un seuil de population en deçà duquel l'État peut être considéré comme PMA82(*) : les Nations Unies ont considéré que seuls les États dont la population est inférieure à 75 millions d'habitants peuvent être admis dans cette catégorie. Depuis 1971, date de création des PMA la Communauté internationale porte une attention particulière aux problèmes de ces États. Ainsi, les États développés ont consenti, au sein des Nations Unies, à accorder 0,7% de leur produit national brut à l'aide au développement afin de compenser la baisse substantielle du montant de leur aide depuis les années 90. Cependant, peu d'États sont parvenus à cet objectif : au sein de la Communauté européenne, seuls le Luxembourg et le Danemark octroient individuellement un tel montant. De plus, régulièrement, sont organisées des conférences sous l'égide des Nations Unies afin d'aborder la situation des PMA et de rechercher des solutions mondiales à leurs problèmes. En 1981, la première Conférence de Paris sur les PMA a dégagé la nécessité de réformes structurelles. Cependant, le contexte international ainsi que l'absence de résultats probants dans la voie du développement ont conduit les États à adopter la « Déclaration de Paris » lors de la deuxième conférence en 1990 : les États ont proposé toute une série de mesures ciblées portant notamment sur la réforme du cadre institutionnel et permettant une croissance soutenue. Cependant, les propositions de la Déclaration de Paris, bien qu'ambitieuses et innovatrices, ont connu un succès en demi-teinte : les PMA se sont engagés dans la voie de la réforme, avec l'intention de mettre en oeuvre effectivement ces mesures, mais n'ont pas pu concrètement parvenir à ces objectifs. En effet, les années 90 ont été le théâtre d'une stagnation voire d'une régression de la situation économique des PMA. Créée dans un souci de régler le problème de la pauvreté en adaptant les efforts internationaux aux spécificités et à la fragilité des États concernés, la catégorie des PMA est passée de temporaire à permanente et a été même renforcée par une recrudescence d'États remplissant ces conditions. En effet, au lieu de traduire une réduction significative de la pauvreté elles ont vu le nombre d'États doubler : ainsi, en 2001, étaient répertoriés comme PMA 49 États alors qu'il n'y en avait que 24 en 197183(*). Seul le Botswana a obtenu des résultats satisfaisants qui lui ont permis de sortir de cette catégorie. Du 14 au 20mai 2001, à Bruxelles, a lieu la troisième conférence relative aux PMA. Les États se sont engagés à s'attacher à sept points principaux qui consistent notamment à « favoriser un développement axé sur les citoyens, [...], doter les PMA de capacités humaines et institutionnelles, équiper les PMA de capacités de production, rendre les avantages de la mondialisation accessibles aux PMA [...], financer le développement des PMA et lutter contre la pauvreté [...] »84(*). De plus, la Communauté européenne a récemment mis en place l'initiative « Tout sauf les armes »85(*) qui vise à libéraliser l'ensemble des exportations des PMA vers l'Union européenne : elle concerne tous les produits à l'exception des armes et munitions, avec un délai particulier pour des produits de base. « Quant aux États ACP, l'initiative `tout sauf les armes' constitue un volet important de la mise en oeuvre de l'Accord de Cotonou. »86(*) Par ce biais, les instances communautaires accordent des préférences aux États partenaires en les affranchissant des droits de douane. Cette libéralisation des échanges unilatérale constitue la première phase de la création d'une zone de libre échange ACP-UE.87(*) Cette « faveur » est justifiée par la prééminence des États ACP au sein des PMA : sur 49 États qualifiés officiellement de PMA par les Nations Unies, 34 sont africains et 5 de la région Pacifique et Caraïbes88(*). Ainsi, 39 des 49 PMA relèvent du partenariat ACP-UE. 2- Les pays pauvres très endettés89(*) Les pays pauvres très endettés sont une sous-catégorie des pays en voie de développement. Ces États en difficulté économique ont dû demander une aide financière extérieure, ce qui conduit à un endettement massif. Si la nécessité de la dette n'est pas contestable car elle permet d'injecter des capitaux dans les circuits économiques internes et donc de réaliser bon nombre de projets étatiques ou privés, en revanche, c'est son poids qui pose problème. En effet, il est logique que la dette devienne un handicap difficile à surmonter dès lors qu'elle est supérieure aux revenus. Au-delà de la difficulté de remboursement, les États sont également confrontés à des problèmes connexes : en effet, un pays endetté éprouve des difficultés relatives à la monnaie, les investissements étrangers sont découragés et des ressources qui pourraient être attribuées aux domaines sociaux, environnementaux ou de la santé sont exclusivement réservés au service de la dette. Depuis quelques années, la Communauté internationale a pris conscience des difficultés croissantes des PPTE et depuis 1996 a mis en place des programmes en faveur de ces États. Les institutions internationales, en collaboration avec la Communauté, ont créé l' « initiative pour les pays pauvres lourdement endettés » Dès lors, les pays concernés doivent réformer leur économie par le biais d'ajustements structurels90(*) afin de diminuer substantiellement leurs dettes B- Approche différenciée du partenariat UE - ACP Pour faire face aux diverses manifestations et conséquences de la pauvreté dans un groupe de pays aussi hétérogène, l'accord de Cotonou a entendu tenir compte de leurs spécificités : ainsi, en ayant d'une part pris en compte les difficultés économiques et géographiques des États les plus pauvres et en renforçant les outils d'évaluation, les parties ont donc, par une approche diversifiée, pour objectif unique de réduire la pauvreté. 1- L'approche de la convention de Cotonou La Convention de Cotonou insiste sur la nécessité d'une différenciation dans sa mise en oeuvre : « [...] les modalités et les priorités de la coopération varient en fonction du niveau de développement du partenaire, de ses besoins, de ses performances et de sa stratégie de développement à long terme. »91(*) L'approche des Conventions de Lomé a largement montré ses faiblesses : en effet, la coopération entre les ACP et la Communauté était détaillée dans les textes et posait un cadre unique pour le développement de tous les partenaires. Du fait des résultats mitigés, l'approche au cas par cas s'est avérée nécessaire. Le livre vert préconisait déjà en 1996 la nécessité d'une approche différenciée : les États ACP reflètent tous une réalité différente et d'une diversité importante. En effet, « le rôle, le contenu et les modalités de la coopération ne peuvent être identiques dans un pays en proie à un processus de désintégration économique et sociale ou dans un pays engagé dans un programme de réformes économiques et institutionnelles. » Il proposait l'instauration de catégories telles que « les pays qui ont commencé à engager des réformes » et « les pays en émergence ». si cette distinction a rapidement montré ses limites, notamment en raison du fait que ces catégories sont instables et aléatoires, il n'en reste pas moins que cette approche différenciée a été retenue par les rédacteurs de la Convention de Cotonou avec des modalités d'application différentes. La différenciation, telle que l'entendent les institutions communautaires, tient compte de deux dimensions, étatique et locale. Étatique, d'une part, car la Convention de Cotonou prend en considération des facteurs structurels : ainsi, la Communauté tient compte des données économiques globales, donc d'un point de vue macroéconomique, individuelles, c'est-à-dire pour chacun des États partenaires. Locale, d'autre part, du fait que les solutions aux problèmes « micro économique « ne peuvent être trouvées qu'avec l'appui des populations concernées : dès lors, un dialogue avec les populations touchées par la pauvreté est indispensable à la réalisation du principal objectif du Partenariat. L'évaluation des besoins est désormais plus réaliste et concrète. En effet, des instruments d'appréciation des besoins et d'évaluation des mesures effectivement prises doivent permettre une appréciation réaliste des progrès et des points négatifs ou en demi-teinte qu'il convient de résoudre. Ce principe de la différenciation n'est pas resté simplement théorique dans la Convention de Cotonou : en effet, les partenaires y ont inséré des dispositions permettant de réglementer de manière formelle la prise en compte des difficultés des États partenaires, notamment celles géographiques et économiques. 2- Prise en compte des réalités économiques et géographiques La cinquième partie92(*) de la Convention est entièrement dédiée aux « dispositions générales concernant les États ACP les moins avancés, enclavés ou insulaires ». Elle réserve aux États qui soit sont en difficulté économique soit qui ont des particularités géographiques un statut particulier qui leur permet « de profiter des possibilités offertes par le présent accord afin d'accélérer leur rythme de développement respectif, [...]»93(*) . Pour les pays considérés comme des PMA, « la coopération réserve un traitement particulier »94(*). Les partenaires entendent donc aider plus particulièrement ce groupe d'États qui souffre de très graves problèmes économiques et sociaux. Par conséquent, ils ont besoin d'un soutien et d'efforts accrus pour parvenir au développement économique et à l'éradication de la pauvreté. Ainsi, les quelques dispositions qui les concernent dans la Convention95(*) portent quasi-exclusivement sur les mesures permettant le développement économique, le but étant « d'accélérer leur rythme de développement »96(*). Ces pays, plus cruellement touchés par la pauvreté, pourront ainsi éradiquer progressivement la pauvreté en adaptant les aspects économiques mais également sociaux aux particularités de ces PMA. De même, les États insulaires ou enclavés sont entravés, du fait des particularités géographiques, dans a réalisation de l'objectif du développement. Parallèlement à ces « aménagements », la Convention porte une « attention particulière » à certains aspects du partenariat : la coopération régionale, les transports de la communication, les ressources et le commerce, l'ajustement structurel et le domaine alimentaire sont les aspects sur lesquels les partenaires entendent insister pour cet ensemble d'États ainsi que pour les « pays en situation post-conflit. » Cette différenciation en raison des particularités économiques ou géographiques concerne non seulement l'éradication de la pauvreté mais également l'intégration des ACP dans l'économie mondiale, ces deux objectifs étant deux branches d'un seul et même aspect : le développement de ces États. * 73 Compendium des stratégies de coopération. Accord de partenariat entre les membres du groupe des Etats ACP et la Communauté Européenne ainsi que ses membres, signé à Cotonou en juin 2000, novembre 2001, p. 33 * 74 Article 25 1. a) de la Convention * 75 Communication de la Commission au Parlement européen et au conseil sur « l'éducation et la formation dans le contexte de la réduction de la pauvreté dans les pays en développement », COM (2002) 116 final du 6 mars 2002 * 76 Dictionnaire d'économie et de Sciences sociales, sous la direction de Claude-Danièle Echaudemaison, éd. Nathan * 77 PMA * 78 PPTE * 79 Différence d'ordre géographique, sociologique, politique, ... * 80 « Coopération au développement des PMA : lutter contre la pauvreté », revue Développement, publication de la Commission européenne, DE 109, avril 2001 * 81 Dans les années 1990, les PMA avaient un PNB d'environ 300 dollars par habitant. Ce chiffre montre la tendance de l'accroissement de l'écart entre les revenus des pays industrialisés et ceux des pays en voie de développement les plus pauvres. * 82 Le choix d'une taille maximale pour les PMA s'explique par le manque de représentation dans les instances internationales et par leur grande frigilité apparente que les grands pays. Cependant, il convient de rappeler que les Etats très peuplés (par exemple le Nigeria) peuvent également souffrir d'une pauvreté importante et remplir toutes les conditions « économiques » et « sociales » exigées par les Nations Unis sans pour autant être admis au sein de la catégorie des PMA : leur population est alors un obstacle à leur admission. * 83 « Coopération au développement des PMA : lutter contre la pauvreté », p.6 * 84 Francisco Granell, « une troisième conférence des Nations Unies pour répondre aux problèmes des peuples les plus pauvres de la planète », Courrier ACP-UE mai - juin 2001, p.16 * 85 Voir l'article de Remco Vahl, « l'initiative « tout sauf les armes » : le libre accès au marché communautaire pour tous les PMA », Courrier ACP-UE mai - juin 2001, p. 30-31 * 86 Remco Valh, article précité * 87 Voir plus loin * 88 « Coopération au développement des PMA : lutter contre la pauvreté », précité * 89 La problématique de la dette elle-même sera traitée dans les développements ultérieurs. * 90 Dans les années 1990, ces pays ont été contraints par les institutions financières internationales à mettre en place un Programme d'Ajustement Structurel - PAS- * 91 Article 2 relatif aux « principes fondamentaux » * 92 Articles 84 à 90 * 93 Article 84 de la Convention de Cotonou * 94 Article 84, précité * 95 Voir l'article 86 de la Convention * 96 Selon les termes mêmes de la convention |
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