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L'assistance médicale au décès en Suisse

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par Garin Gbedegbegnon
Université de Fribourg - MA Politique sociale, analyse du social 2006
  

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2. La mort naturelle vs la mort autodélivrance

La recherche d'une alternative à l'acharnement thérapeutique et à l'abandon du mourant en structure hospitalière va conduire dans un premier temps à l'émergence concomitante de deux formes de morts légitimes radicalement opposées : la mort naturelle et la mort autodélivrance. La première étant portée par une vision chrétienne de la mort, la seconde par une vision athée, plus hermétique. De leur opposition va apparaître une première scission quant à la perception subjective qu'auront les médecins de leur rôle dans la prise en charge du mourant.

2.1. La mort naturelle

« C'est l'époque aussi où l'on mettait en avant les soins palliatifs. Pendant la même période où j'étais chef de clinique, il y avait le grand débat : est-ce qu'il faut ou non développer des structures de soins palliatifs. Il n'y en avait pas. Les mourants mouraient dans les services généraux, d'une manière que l'on considérerait aujourd'hui comme totalement inacceptable, il n'y avait pas d'accueil particulier pour les familles. Il n'y avait pas d'accompagnement psychologique, d'aucune sorte. On commençait à contrôler les douleurs, mais les médecins qui prescrivaient largement des antalgiques étaient encore assez suspects.218(*) » Cet extrait illustre parfaitement en quoi les soins palliatifs constituaient une alternative à la mort clinique. Il s'agissait de rétablir au sein du monde médical, la dimension humaine et relationnelle de l'accompagnement du mourant, comme « de ne plus avoir peur de la mort, d'éliminer toute résistance au dévoilement de la fin de vie et du mourir, de renverser 1' « interdit » qui entoure la mort et qui empêche de l'appréhender de manière sereine, « naturelle »...219(*) »

Cela signifie qu'il est nécessaire de reconsidérer le mourant dans sa souffrance, dans son angoisse existentielle pour mieux y remédier par un suivi psychologique. Rétablir la capacité d'agir du mourant, c'est lui permettre de rétablir son appartenance au monde domestique, en aménageant un espace où la famille peut participer à l'accompagnement du mourant, pour favoriser le processus de deuil. Le traitement institutionnel de la douleur se base sur « une évaluation médico-psycho-sociale et spirituelle220(*) » de la situation du mourant. Dans cette affirmation volontaire d'une approche désormais holiste du mourant, l'accompagnement médical est tributaire de l'intervention d'autres professionnels, il devient pluridisciplinaire. Aux côtés du médecin, se trouvent des psychologues, des physiothérapeutes, des religieux, dont il s'agit de coordonner l'action au chevet du mourant. Ainsi le médecin mène ses transactions sur le mode de la médiation, car il recherche avant tout la complémentarité entre les interventions et l'obtention d'un consensus par l'adhésion de tous à un projet commun, orienté d'après le bien-être du mourant.

Le fondement éthique de cette approche est le respect de la vie, selon l'acception chrétienne de la dignité. La « sollicitude » des professionnels d'unités mobiles de soins palliatifs, vis-à-vis des mourants et de leur entourage (les soignants et les proches), reflète, sous couvert d'une approche clinique et uniquement professionnalisée, la charité chrétienne dépourvue de sa dimension religieuse : « Elle répond à une logique « clinique », à savoir qu'on ne peut traiter avec efficacité la douleur physique et morale qu'en étant réceptif aux plaintes des patients. Ecouter systématiquement et croire toujours le malade, premières conditions d'une éthique de la sollicitude221(*) » Plus loin les auteurs ajoutent : « La sollicitude est à la fois une attention soucieuse et une manière de se comporter témoignant de ce souci de l'autre.222(*) » Comme le met en évidence Michel Castra, le mouvement des soins palliatifs, tout en le niant, est profondément ancré dans une acception chrétienne de la mort, du moins dans le contexte français qui est au centre de son étude223(*). Il note également que l'engagement des médecins dans leur promotion des soins palliatifs dépasse de loin la seule revendication professionnelle. Leur implication vise la diffusion de nouvelles valeurs morales, ancrées dans une vision chrétienne modernisée de la gestion sociale la douleur, de la souffrance et de la mort.

Il n'est donc pas fortuit que les soins palliatifs sont d'ores et déjà cités et prônés dans l' « Evangelium Vitae224(*) » écrit par Jean-Paul II en 1995, pour contrer un autre courant qui est soutenu par les tenants d'une vision athéiste de la fin de vie, qui prônent quant à eux une mort autodélivrance.

Le paradoxe des soins palliatifs est d'opposer une mort naturelle (ne devrait-on d'ailleurs pas dire naturalisée) à la mort clinique. Ceci laisse à penser qu'il est laissé libre cours au processus de mort, sans aucune intervention extérieure, alors que la prise en charge du mourant, son traitement antalgique, supposent toujours un environnement fortement professionnalisé et médicalisé. La définition de la mort naturelle repose sur celle de la qualité de vie, qui présuppose l'existence d'un « potentiel de santé » individuel. La mort est dite naturelle lorsque celui-ci s'épuise naturellement, indépendamment de toute intervention humaine liée au style de vie (mort impromptue par accident, mort prématurée par maladie, mort annoncée par suicide ou euthanasie). Dans ce respect de la vie humaine, les soins palliatifs, en tant qu'alternative à l'acharnement thérapeutique, ne sont pas en contradiction avec le retrait thérapeutique, la renonciation aux moyens auxiliaires de survie, ainsi qu'avec la pratique de l'euthanasie active indirecte. Cette dernière concerne le recours au traitement antalgique même si celui-ci est susceptible d'entraîner la mort du patient.

Un témoignage met en évidence la complexité de cette approche au quotidien : «  En fait tu décides de la façon suivante. Il y a des médicaments qui sont absolument obligatoire pour le coeur, l'estomac ou pour d'autres trucs. Car souvent il s'agit de personnes polymorbides. Là, tu laisses en tout cas les médicaments qui sont là pour le premier, le deuxième problème et les suivants. Et puis tu essaies de régler au mieux le problème principal, la raison pour laquelle elle est là. Et puis la raison pour laquelle elle va mourir, tu essaies de ne pas la changer. En fait, tu as la possibilité de retirer le médicament cardiaque, puis elle va mourir demain ou dans deux heures.(...) Là , c'est clair, si tu enlèves le médicament elle va mourir, mais elle va mourir à cause d'une insuffisance cardiaque. Cela on ne peut pas le faire. C'est comme si tu enlèves l'oxygène à quelqu'un. C'est comme si on disait au patient, que, vu qu'il va de toute façon mourir, on peut lui prendre l'oxygène. Et comme on t'enlève l'oxygène, tu vas mourir plus vite. Mais ce n'est pas cela que l'on veut. On veut que la personne meure bien et qu'elle meure du problème principal225(*) ».

La mort naturelle connaît ses limites. L'une d'entre elle est la sédation. Elle consiste à induire un sommeil pharmacologique dans sa forme la moins intensive, mais il est également question de la sédation totale qui consiste à plonger le mourant dans un coma profond jusqu'à ce que survienne son décès. La pratique de la sédation a pour but d'éviter que le patient soit conscient de ses souffrances agoniques lorsque son état de morbidité aigüe est réfractaire à tout traitement sur une longue durée. Le problème est que les produits utilisés en sédation sont également ceux qui sont utilisés dans le cadre de l'euthanasie active, mais selon une posologie différente. L'idée est que même totale, la sédation est supposée pouvoir être réversible, ce qu'il est difficile d'établir selon les cas, dans la mesure où la survenance du décès est toujours incertaine.

Une autre limite de la mort naturelle est que le mourant peut devenir l'otage de l'équipe soignante ou de ses proches. Dans la situation relatée par un des médecins interrogés, il s'agit d'un jeune homme ayant fait une tentative de suicide avec une arme à feu, réanimé de justesse alors que son cerveau avait subi des dommages tels qu'il est désormais dans un état végétatif profond depuis plusieurs années. D'un côté la famille demandait qu'il soit procédé à un retrait thérapeutique par arrêt de l'alimentation artificielle, car les proches ne supportaient plus le poids psychologique lié à la survie prolongée du jeune homme dans un état irréversible de coma végétatif avancé. De l'autre, le médecin traitant en charge du patient, s'y est refusé, arguant de l'opposition de l'équipe soignante à cette mesure. Il faut noter que l'équipe soignante était constituée de soeurs, dans la mesure où l'institution dans laquelle avait été placée le jeune homme était gérée par un ordre religieux. Ce dernier exemple montre finalement que dans les soins palliatifs, comme dans la mort clinique, le médecin occupe une position centrale au sein du réseau de prise en charge du mourant.

La temporalité de la mort naturelle résulte d'un compromis entre la temporalité de l'urgence, propre au champ médical, celle du monde domestique et celle de l'inspiration (religieux). Il s'agit en effet de permettre que le statut du défunt soit construit en respect du deuil familial et selon une certaine ritualité. Du point du vue de la conduite médicale du projet thanatologique, la mort naturelle relève donc de la « temporalité de l'innovation incrémentale226(*) ». Mais elle répond aussi à une logique économique, l'approche palliative se veut plus rationalisée, donc moins coûteuse que l'approche purement technique. Il s'agit finalement d'un changement progressif de la prise en charge médicale du mourant, caractérisé par une réforme procédurale de l'espace clinique, un réagencement des ressources, selon des valeurs non plus seulement techniques, mais aussi relationnelles, mais sans que la centralité du médecin ne soit pour autant altérée. Celui-ci conserve son autorité quant à l'objectivation du cas clinique, respectivement palliatif, et la détermination de l'orientation symbolique du projet selon la dimension objective de la relation thanatologique.

* 218 P4 249192 (268 : 276)

* 219 CASTRA M., Bien mourir. Sociologie des soins palliatifs, Paris, PUF, 2003, p. 96.

* 220 LASSAUNIERE J. M. & RUSZNIEWSKI M., « Les soins palliatifs », in BRASSEUR L. et alii, Douleurs, bases fondamentales, pharmacologie, douleurs aiguës, douleurs chroniques, thérapeutiques, Paris, Maloine, 1997, p. 655.

* 221 MINO J. C. & LERT F., « L'éthique quotidienne d'une équipe mobile hospitalière de soins palliatifs », in Gérontologie et Société, no 108, mars 2004, p. 142.

* 222 Idem, p. 144.

* 223 CASTRA M., op. cit., p. p. 96 et suivantes.

* 224 JEAN PAUL II, op. cit..

* 225 P10 269386 (223 : 229) et (241 : 249)

* 226 BOUTINET J. P., Vers une société des agendas. Une mutation des temporalités, Paris, PUF, 2004, p. 220.

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