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L'offre éducative primaire au Burkina Faso. Approche économique et anthropologique

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par Julie Rérolle
Université Aix - Marseille 1 - Master 2 Langues Etrangères Appliquées "Intelligence économique, culture et organisation" 2007
  

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II) L'étude de l'école bilingue comme remède, vue à travers la presse burkinabé

Méthodologie

D'après les conclusions faites jusqu'à présent sur les manquements du système éducatif burkinabé et sur la nécessite de prise en compte du culturel dans les politiques éducatives, nous allons présenter un type d'école communautaire particulier. Nous verrons dans quelle mesure cette école est une solution possible aux dysfonctionnements précités. Afin de rester dans une approche anthropologique, nous avons décidé d'entreprendre une démarche factuelle basée presque exclusivement sur des sources de la presse burkinabé, pour fournir une vision "locale". Cependant, il ne s'agit pas d'une étude anthropologique à proprement parler car nous n'avons pas fait d'enquête de terrain, qui est la base d'une recherche selon la discipline. Comme nous ne pouvons pas utiliser la parole des acteurs directement concernés, nous proposons une analyse de l'école bilingue selon un petit corpus de presse local et récent, afin de voir comment ce système est présenté et vu dans l'espace public.

Nous avons, pour ce faire, recherché et sélectionné des articles de journaux nationaux, exclusivement grâce à des moteurs de recherche spécialisés dans la presse burkinabé comme lefaso.net, fasopresse.net, mediaburkina.org ou encore theworldress.com. Les termes recherchés ont été « éducation », « école » et « bilingue ». Cela nous a donné accès aux archives de quatre journaux qui traitaient de la question : Fasozine, Le Pays, l'Observateur Paalga, et Sidwaya149(*). Il ne s'agit pas d'un éventail exhaustif des journaux, ni même des articles publiés sur le sujet. Seuls les articles archivés et disponibles sur internet en libre accès ont peu être utilisés (au nombre de 23) et c'est pourquoi, cette étude n'a pas pour prétention de présenter la seule vision possible du sujet. Il s'agit d'un regard particulier sur la question : celui des journaux qui ont les moyens de publier en ligne - pour la plupart des journaux pro-gouvernementaux. En effet, les médias sont très contrôlés par le gouvernement, et le pays est en proie à une censure importante, comme l'a démontré l'affaire Nobert Zongo150(*). Les articles dont nous disposons portent donc en quelque sorte le discours officiel sur la question et peu des sources utilisées apporte un avis critique ou discute des limites dudit système. De plus, la moitié des articles exploités sont extraits du journal Sidwaya, qui se veut partisan du gouvernement. Une analyse plus poussée des journaux aurait été nécessaire mais le manque de données sur la question et l'impossibilité de mener une enquête de terrain a rendu cette étape difficile.

Enfin, l'école bilingue est un système récent (1994) et donc peu d'études ont été réalisées, excepté par les ONG, associations ou ministères en charge de les encadrer. C'est pourquoi les articles dont on dispose ont aussi une limite temporelle, les années de parution sont entre 2003 et 2008. Peut-être que des défauts apparaitront lorsque le système ne sera plus en phase d'expérimentation.

Nous nous contenterons donc des sources de la presse nationale burkinabé qui sont à notre disposition et nous les utiliserons pour faire une présentation de l'école bilingue, ses particularités, avantages et limites. Il s'agit d'une compilation de données, à laquelle nous porterons, autant que possible - étant donnée l'absence d'enquête de terrain - un avis critique et constructif. Nous verrons si la presse présente ce système éducatif comme une véritable alternative, pouvant concurrencer le système classique.

Définition

L'école bilingue se différencie du système classique par trois spécificités : 1) le bilinguisme additif (langue nationale et français en même temps) ; 2) la réduction d'un an de la durée de scolarité ; et 3) des activités pratiques et culturelles professionnalisantes qui relient théorie et pratique. Il s'agit d'une composante de l'éducation de base formelle mais dont la création et la gestion dépend du village. « C'est d'abord l'affaire des communautés »151(*) car la transformation d'une école classique en bilingue ou sa création, n'est pas imposée mais se fait sous la demande des groupes de villageois ou des comités de parents d'élèves. La gestion leur est aussi en partie attribuée et ils sont chargés de financer une partie des dépenses de l'école. Pour récolter des fonds, des activités manuelles, professionnelles sont donc enseignées aux élèves : production, agriculture, élevage, jardinage, menuiserie, maroquinerie, et des ventes sont réalisées. Le lien éducation et production est donc rétabli et les sortants de l'école peuvent être utiles à eux-mêmes et à leur environnement, en apprenant des techniques et des compétences professionnelles utilisables dans leur communauté. De plus, l'utilisation de la langue nationale et les activités replace l'école dans son contexte local et rééquilibre les rapports avec et dans l'Ecole. Les intérêts sont donc multiples.

Nous allons tout d'abord présenter le contexte historique de la création d'un tel système et son organisation. Cela nous permettra de montrer en deuxième partie ce qu'il apporte de nouveau et de plus par rapport à l'école classique. Enfin, nous essaierons de répondre à la question « dans quelle mesure l'école bilingue peut être une solution aux manquements de l'école classique ? ».

II.1) Contexte de l'apparition de l'école bilingue

En 1994, une évaluation nationale des Etats Généraux de l'Enseignement  a « mis à nu toutes les faiblesses et insuffisances du système d'éducation classique »152(*). Le rapport concluait qu'il était « inadapté déracinant et discriminatoire » et qu'il était de plus coûteux et donc inefficace. D'après les conclusions, l'école classique constitue un obstacle à tout effort de développement car elle forme une élite déracinée et inutile à elle-même et à sa communauté - des révélations qui avaient déjà été faites par le président Sankara dans les années 1980.

En effet, le système éducatif en place est très défectueux : il est inefficace au niveau externe et interne ; inadapté aux réalités et aux besoins locaux ; déracinant car élitiste et renie les valeurs nationales ; discriminatoire car les filles et les enfants de milieux défavorisés en sont exclus ; et aussi couteux. Il n'offre ni un accès équitable (quantité), ni un taux de réussite suffisant : « sur 1000 inscrits au CP1, seulement 120 élèves ont leur CEP »153(*) et le niveau national est de 31,11% alors qu'il faudrait, selon des études, 40% pour un décollage économique154(*) (qualité). Ainsi, le système actuel forme « des fonctionnaires, puis des chômeurs, alors qu'ailleurs, elles forment des producteurs, des entrepreneurs et des industriels instruits, aptes à l'emploi, à l'auto emploi et à la production. »155(*)

Etant donné ces dysfonctionnements, l'Ecole burkinabé a besoin de changements. Des réformes importantes ont été votées sur les programmes et l'objectif de connaissances a été remplacé par une approche par compétences pour relier théorie et pratique. Cependant, la pression budgétaire et la crise financière que traverse le pays ont poussé le gouvernement à décentraliser l'éducation et petit à petit, on s'approche d'un désengagement de l'Etat et d'une privatisation de l'enseignement. Les initiatives privées et communautaires sont encouragées, et les institutions, ONG et même l'Eglise catholique, cherchent des solutions. Des méthodes d'enseignement alternatives sont imaginées : des écoles satellites, des Centres d'Education de Base non Formelle (CEBNF) ; et dans une volonté d'autonomie et étant donnée l'importance des langues nationales pour la qualité de l'éducation, l'idée de l'école bilingue parait comme une évidence.

En 2002, le Plan décennal de développement de l'éducation de base (PDDEB) a été adopté et vient appuyer ces initiatives privées et communautaires. En effet, ses principes fondamentaux sont i) de faciliter l'accès des pauvres (accroître l'offre d'éducation et réduire les disparités entre genres, entre régions géographiques et entre les situations socio-économiques des élèves) ; ii) d'améliorer la qualité, la pertinence et l'efficacité de l'éducation ; et iii) de promouvoir l'alphabétisation ainsi que de nouvelles formules d'éducation alternatives. Les arguments de lutte contre les disparités, contre l'inefficacité et pour le renouveau du système, facilitent le développement de l'école bilingue, qui voit le jour 8 ans plus tôt, en 1994.

II.1.1) Historique

Tout commence par une initiative communautaire en 1986, lorsqu'un centre d'alphabétisation est créé à Nomgana, près de Ouagadougou, dans le département de Loumbila, Ce centre permit à de nombreux villageois d'apprendre en 45 jours à lire et à écrire dans leur langue locale : le mooré (Géraldine André, 2008, page 3). Une fois alphabétisés, les mêmes villageois, connaissant la place prépondérante du français, sollicitent l'ONG suisse OSEO156(*) pour l'être également en français, afin de pouvoir « accueillir les visiteurs du développement ». Ainsi, « en 85 jours, les adultes sur base de leurs acquis en mooré apprirent à lire et à écrire en français »157(*). Aux vues de cette efficacité, ils souhaitèrent que certains de leurs enfants exclus du système scolaire (soit ils ont passés l'âge d'être scolarisés, soit ils sont trop jeunes pour les centres d'alphabétisation) bénéficient de la même formation et le programme a été élargi aux plus jeunes.

En 1994, l'année où les états généraux mettent en lumière les faiblesses et les insuffisances du système classique, l'OSEO lance donc l'école bilingue. Entre 1994 et 1998, deux classes bilingues (français-mooré) sont donc crées et accueillent 55 élèves de 9 à 14 ans qui sont « perdus » pour l'école classique car ils ont passé l'âge pour s'inscrire. Aux vues du succès de ce projet (efficacité, rapidité, rentabilité), de nouvelles écoles sont crées (elles sont au nombre de 8 en 2000) et enseignent en quatre langues nationales : mooré, dioula, fulfuldé et lélé et le MEBA participe aujourd'hui à son développement.

Depuis, l'extension géographique et linguistique se poursuit : aujourd'hui, il existe environ 110 écoles dans 28 provinces ; elles enseignent en 8 langues nationales : mooré, jula, fulfuldé, gulmacéma, dagara, liélé, bissa et le nouni. L'objectif est d'avoir des écoles bilingues dans 14 langues nationales afin de représenter le plus possible la diversité ethnique burkinabè, en effet, selon une étude, 90 % de la population parlerait 14 langues nationales.

De nombreuses associations, locales ou nationales (les associations Manegdzanga, Polemde, Tin Tua, Keeni, Tiéfo Amoro ; Elan-Développement ;  l'Association pour la Promotion et la Valorisation de la Linguistique et des Langues Nationales ; le Programme d'alphabétisation du Goulmou ; la Fondation pour le développement communautaire; le Réseau pour la promotion sociale) ; ou même internationales (l'Association pour le développement de l'éducation en Afrique ; l'Association Andal&Pinal ; GTZ (agence de coopération allemande), l'Association intergouvernementale de la Francophonie, pour en citer quelques unes) se sont impliquées à leur tour pour le développement du système. L'OSEO ne détient donc pas le « monopole » de ce projet. Elle a permis son « décollage » et est encore très impliquée dans l'aventure bilingue mais il semble, d'après nos lectures, que les villageois ont pris le relais et sont de plus en plus autonomes.

II.1.2) Structure du système

Le système bilingue est structuré en trois niveaux, de la même façon que le circuit classique. Tout d'abord, l'Espace d'Eveil Educatif (3 E) est l'enseignement préscolaire, pour les enfants âgés de 3 à 6 ans. Les enfants reçoivent une formation cognitive et socioéducative et une initiation dans la langue maternelle. Créée sous la demande de la communauté et gérée par elle, l'initiation est faite par des parents-enseignants, du village bien souvent, qui ont suivi une formation appropriée. Des outils didactiques qui allient tradition et modernité, sont élaborés par des experts de la petite enfance avec pour base des thèmes culturels et des activités ludiques, d'éveil et éducatives représentatifs des cultures du pays.

Ensuite, pour les enfants de 7 à 12 ans, il y a l'Ecole primaire bilingue (EPB). Les particularités de cette structures sont i) d'une part le bilinguisme « additif » (utilisation de la langue nationale et du français comme vecteur d'enseignement) ; ii) la durée de scolarité ramenée à 5 ans au lieu de 6 dans le circuit classique ; et iii) des activités productives et culturelles sont proposées pour éveiller l'enfant et le rapprocher des traditions et valeurs locales et professionnaliser l'enseignement. L'école primaire bilingue a comme objectif premier de renouer le lien éducation et production afin de former de individus utiles pour eux-mêmes et pour leurs communautés et pour qu'ils participent au développement local, régional et national. Ensuite, l'utilisation des langues nationales et l'intégration d'activités manuelles a pour but de faire prendre conscience aux élèves de l'importance de leur langue nationale, de la valeur de leur « terroir », pour qu'ils aient confiance en l'avenir et envie de réaliser des progrès personnels au sein de leur village, pour un développement local endogène.

Pour les enfants « hors-circuit » - ceux qui soit ont passé l'âge de s'inscrire au primaire classique, soit sont trop jeunes pour les centres d'alphabétisation - il existe aussi les centres d'Apprentissage informel de la lecture et de l'écriture pour le développement (AFI-D). C'est l « ancêtre » des écoles bilingues AFI-D, qui est né en 1994. Comme dans les EPB, le bilinguisme additif est utilisé mais l'enseignement ne dure que 4 ans, au cours desquels les élèves sont formés professionnellement selon les besoins et les réalités économiques de la région ou du village.

Enfin, le troisième et dernier niveau est celui des Collèges multilingues spécifiques (CMS), pour les enfants âgés de 12 à 16 ans qui ont fréquenté une EPB. Les programmes ont pour but d'améliorer les connaissances des élèves en langue nationale, en français et introduisent aussi une seconde langue nationale. Ainsi, en plus de fournir un programme classique, des cours spécifiques sont proposés en langues nationales ainsi que des activités culturelles orientées vers la production, dans la continuité des EPB. Le multilinguisme, réalité historique du pays, est donc encouragé et des valeurs culturelles positives sont favorisées. C'est donc la suite logique du préscolaire et du primaire, qui ont des objectifs communs et harmonisés.

* 149 D'autres journaux comme l'Indépendant, le Bendré, Le journal du Jeudi, le Centre National de Presse Norbert Zongo, San Finna ou encore l'Evénement ne proposent pas en ligne d'article sur le sujet.

* 150 Norbert Zongo, journaliste burkinabé et directeur de l'hebdomadaire L'Indépendant a été assassiné en 1998 avec trois autres personnes, alors qu'il enquêtait sur la mort suspecte du chauffeur de François Compaoré, le frère du président du Burkina Faso. Si l'affaire n'a jamais été résolue, parce que le gouvernement l'aurait étouffée, l'implication du président actuel Blaise Compaoré est plus que soupçonnée.

* 151 Article « L'école bilingue au Burkina Faso : les réalités socioculturelles prises en compte » paru le jeudi 8 mai 2003 dans l'Observateur Paalga (Cyr Payim Ouédraogo) http://www.abcburkina.net/content/view/50/45/lang,fr/

* 152 Article « L'éducation bilingue : une alternance sûre pour l'intégration de l'école dans son milieu » paru le 1er juin 2004 dans Sidwaya (Clarisse HEMA) http://lefaso.net/spip.php?article2438

* 153 Article « L'éducation bilingue : une alternance sûre pour l'intégration de l'école dans son milieu » paru le 1er juin 2004 dans Sidwaya (Clarisse HEMA) http://lefaso.net/spip.php?article2438

* 154 Idem

* 155 Article « Finies les vacances, vive la rentré scolaire ! » paru dans Sidwaya, le 1er octobre 2007, (Jean-Paul KONSEIBO) http://lefaso.net/spip.php?article23734

* 156 L'OSEO (l'OEuvre suisse d'entraide ouvrière), association créée en 1936 par le parti socialiste pour éliminer les discriminations et les privilèges, qui s'intéresse depuis 1947 à l'éducation de base formelle et non formelle et qui est à la base de l'école bilingue au Burkina Faso.

* 157 Géraldine André, 2008, L'éducation comme entreprise. Légitimations marchande, civique et culturelle dans le champ scolaire au Burkina Faso (Fucam/Gresas) publication à venir, page 8

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"Ceux qui rêvent de jour ont conscience de bien des choses qui échappent à ceux qui rêvent de nuit"   Edgar Allan Poe