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L'offre éducative primaire au Burkina Faso. Approche économique et anthropologique

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par Julie Rérolle
Université Aix - Marseille 1 - Master 2 Langues Etrangères Appliquées "Intelligence économique, culture et organisation" 2007
  

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II) Quelles solutions ?

De grands progrès ont été réalisés en termes d'accès à l'éducation de base au Burkina Faso. Ce pays a connu une augmentation de 37 % du nombre de classes et de 47 % de l'effectif des enseignants entre 2001 et 2005 (et 59% entre 1999 et 2005), dans le primaire, les taux net de scolarisation ont augmenté de 10% entre 1999 et 2005 (passant de 35 à 45%), le ratio filles/garçons s'améliore, etc. Cependant, malgré ces progrès, l'offre éducative - formelle - ne peut pas suivre la demande. Il en résulte une tendance générale à la détérioration des conditions d'enseignement : classes surpeuplées, absence de matériels éducatifs de base, absentéisme et insuffisance de la formation des enseignants. Les indicateurs de qualité de l'enseignement primaire montrent un système éducatif défaillant. D'autre part, la faible capacité financière des ministères de l'enseignement burkinabé demeure un problème persistant. Il a du mal à suivre le développement rapide du système et de la demande.

Nous avons vu que le système éducatif burkinabé a amélioré l'aspect quantitatif, mais il semble, comme nous allons le voir qu'il reste un problème de faible qualité. Mais comment mesurer la qualité ? Et comment l'améliorer ?

Nous verrons dans un premier temps la possibilité de jouer sur les « variables scolaires » pour améliorer la qualité de l'éducation - qui peut aussi jouer sur la demande. Ensuite, nous verrons la solution des incitations auprès des enseignants pour donner des cours de qualité et auprès des familles pour les encourager à scolariser leurs enfants et améliorer leur fréquentation. Nous verrons aussi quelles solutions peuvent être apportées au problème de financement de l'éducation. Enfin, nous analyserons dans quelle mesure le concept de l'école bilingue permet d'atteindre les objectifs de quantité et de qualité.

II.1) Améliorer la qualité de l'éducation 

Selon Glewwe et Kremer, la fonction de production de l'apprentissage est comme suit :

A = a (S, Q, C, H, I)

avec A, les compétences acquises (réussite) ; a, la fonction de production ; S, la scolarisation ; Q les caractéristiques de l'enseignant et de l'école ; C, celles de l'élève ; H, celles de la famille ; et I, les variables scolaires sous le contrôle des parents (fréquentation scolaire de l'enfant, matériel scolaire). Etant donné que seuls Q, C et H sont exogènes, c'est celles sur lesquelles il faut agir pour améliorer la qualité de l'offre d'enseignement. Cependant, les politiques éducatives ne peuvent peut modifier C, les capacités et aptitudes de l'élèves ni H, l'éducation ou le revenu des parents, mais peut agir sur les caractéristiques de l'école et des enseignants.

L'institution Ecole est composée d'infrastructures, de matériel (école, cantines, manuels, programmes) et de professeurs (formation, motivation, salaire, condition de travail etc.), les "inputs", que l'on appellera les "variables scolaires". De nombreuses études, notamment le Coleman Report (1966), ont montré qu'elles ont peu d'impact sur la qualité de l'éducation dans les pays développés où les facteurs familiaux et socio-économiques sont des déterminants plus importants (Averch). Jencks (1974) a même conclut que « les performances d'une école dépendent essentiellement (...) des caractéristiques des enfants qui y entrent. Tout le reste, que ce soit le budget de l'école, sa politique éducative, les caractéristiques des enseignants, n'est que secondaire ou n'a rien à voir avec les résultats. » Dans les pays en développement, au contraire, ces variables scolaires sont un moyen efficace d'améliorer l'efficacité interne et donc la qualité, et sont des incitations efficaces pour la scolarisation des filles surtout.

Hanushek (2006, page 875), considère que les variables scolaires influencent la performance des élèves/étudiants (pour les résultats de tests en mathématiques et lecture) dans les PVD, mais que la qualité des enseignements est le point central à développer dans ces pays. La taille de la classe, ainsi que des ressources supplémentaires sont importantes, surtout pour les premières années de scolarisation. Cependant, l'utilisation des ressources existantes doit être revue pour une meilleure allocation. En effet, les dépenses en éducation représentent une part très importante dans certains pays (3,2% du PNB au Burkina Faso) et donc améliorer l'efficacité de l'utilisation des ressources pourrait avoir un impact non négligeable sur l'économie. Hanushek préconise de faire du cas par cas car « des idées qui semblent prometteuses ne peuvent pas toujours être transférées dans d'autres contextes avec le même succès. »101(*)

II.1.1) Les variables relatives à l'enseignant

Pour faire face à l'expansion rapide de la scolarisation, le gouvernement du Burkina Faso doit embaucher des enseignants et raccourcir leurs formations. La question de la formation est centrale puisque le niveau de qualification d'un maître a un impact sur les résultats des élèves (Psacharopoulos - 1988). Au Burkina Faso, presque un enseignant sur deux (43%) n'est pas titulaire d'un diplôme professionnel. En 1995-1996, plus de 70 % des 14 784 enseignants du primaire étaient des instituteurs adjoints dont 35% seulement étaient titulaires d'une certification. Les maîtres n'ayant reçu aucune formation initiale représentent 40,7 % du corps enseignant, en raison du recrutement massif d'enseignants affectés dans les classes sans formation (près de 5 800 entre 1992 et 1995).

Cependant, d'après les institutions de développement, un haut niveau de qualification n'est pas nécessaire et il est plus efficace de "recycler" des enseignants en poste que d'en former d'autres. La Banque Mondiale et le Fond Monétaire International considèrent que la formation continue est aussi une stratégie à développer, ce qui permettrait d'embaucher des enseignants moins formés et donc de les payer un peu moins en début de carrière (nous verrons que la question du salaire des maîtres est cruciale dans l'allocation des ressources, puisqu'ils constituent la majorité des dépenses en éducation).

Cependant, cette question fait débat :

« Une telle analyse (...) a conduit les gouvernements africains à bazarder la formation des maîtres, à paupériser les enseignants ... à privilégier la quantité au détriment de la qualité, tout en oubliant qu'un enseignement de qualité médiocre aura à moyenne échéance, des répercussions visibles sur la quantité : la demande d'éducation s'amenuisant au fur et à mesure que la qualité baisserait. Une des causes non négligeables de la sous scolarisation dans certaines régions du Burkina Faso et auprès de certaines catégories socioculturelles des populations, s'explique par le manque de confiance des parents en l'institution scolaire quand bien même l'offre éducative est disponible. (...) Pour le développement de l'éducation, n'est ce pas plus urgent d'avoir des enseignants engagés, bien dans leur peau parce que formés en conséquence et motivés dans un contexte national de justice sociale ... que des classes suréquipées de matériel pédagogique, des curricula adaptés et fonctionnels, des réformes et innovations plus ou moins cohérentes. Le tout dans des déclarations d'intention d'autant plus faciles à faire que les conditions objectives pour y arriver ne seront pas appréhendées ? »102(*)

Toujours est-il que le gouvernement a ramené la formation dans les ENEP (écoles nationales des enseignants du primaire) à un an au lieu de deux, avec comme proposition de mettre en place un dispositif de formation continue qui va permettre de compenser la 2e année.

L'expérience des maîtres est plus importante au niveau primaire que les compétences et les connaissances (nécessaires aux niveaux supérieurs). Ainsi, les caractéristiques des enseignants (sexe, formation, expérience) - ainsi que leurs conditions de travail, comme nous le verrons avec les variables liées à l'école - ont une influence sur les performances des élèves, mais un bon professeur est avant tout un professeur motivé et passionné, ce qui est difficile à mesurer ou à développer (nous verrons cette question dans la partie sur les incitations). Mais l'efficacité des maîtres est aussi fortement liée à d'autres éléments qui dépendent plus de l'école, comme la taille des classes, les manuels, les cantines scolaires.

II.1.2) Les variables liées à l'école

La demande d'éducation a connu une telle croissance que les classes ont parfois des effectifs pléthoriques (qui vont parfois jusqu'à une centaine d'élèves par classe). Or, de nombreuses études laissent à penser que la taille des classes affecte négativement la qualité de l'enseignement, surtout les premières années de scolarisation. Une étude en Afrique du Sud a montré que passer de 40 élèves à 20 élèves par classe améliore les résultats de tests de lecture de la même façon qu'avec deux années supplémentaire d'enseignement (Case et Deaton - 1999). Ainsi, pour remédier aux taux d'encadrement disproportionné au Burkina Faso, de nombreux enseignants ont été embauchés : dans le primaire, ils étaient 17 000 en 1999 et sont passé à 27 000 en 2005, soit 10 000 postes pourvus : une augmentation de 59% en 6 ans. La taille des classes s'est ainsi réduite : le ratio élèves/ enseignants a diminué de 10 élèves en 14 ans (57 en 1991 et 47 en 2005). Le pourcentage de femmes parmi les enseignants a aussi augmenté, passant de 25 à 29% sur la même période, ce qui joue, comme nous l'avons vu sur la scolarisation des filles au primaire.

Alors que la question de l'impact de la qualification des maîtres semble ambiguë, celui des manuels aboutit à des résultats plus clairs. Au Burkina Faso, les manuels sont chers, rares et souvent inadaptés, avec des programmes axés sur l'acquisition des connaissances plutôt que des compétences, qui sont trop difficiles pour l'élève moyen ; seuls les élites issus des classes favorisées, qui ont un stock de capital humain supérieur et dont la famille parle français à la maison peuvent suivre. Une étude menée dans le Philippines par la Banque Mondiale a montré que le nombre de manuels avait un impact significatif sur les performances des élèves, surtout ceux de milieux modestes. Il n'est pas nécessaire de fournir un exemplaire pour chaque élève, un pour deux est amplement suffisant, comme le fait le Burkina Faso. La fourniture de manuel gratuite est donc un moyen très efficace d'améliorer les performances scolaires et d'accroître la qualité des écoles, d'autant que les pays d'Afrique n'allouent en moyenne que 4% de leurs dépenses au matériel didactique, contre 14% dans les pays développés. Mais elle doit s'accompagner d'une formation des enseignants et d'une révision des programmes pour les adapter à l'élève moyen et non pas à l'élite. Depuis la rentrée scolaire 2007, une petite révolution a lieu : le gouvernement fournit les manuels à "tous" les élèves, selon le nombre disponible. Après 3,3 millions de livres distribués l'année dernière, Odile Bonkoungou, ministre de l'enseignement de base a prévu d'ajouter 2,5 millions de manuels à la rentrée 2008.

Les cantines scolaires, non seulement permettent d'augmenter les taux de scolarisation et de participation, mais aussi, améliorent les résultats scolaires car cela peut avoir de bonnes répercutions sur le niveau de santé. Depuis 2000, de plus en plus de cantines sont créées dans les régions rurales et une convention a été signée en 2006 sur la santé et l'alimentation à l'école, ce qui va encore multiplier ce service très utile et efficace.

Malgré des études dans différentes régions du monde sur des caractéristiques diverses, « il n'existe pas de résultats généraux sur quelle variable scolaire relative à l'enseignant ou à l'école améliore l'apprentissage dans le pays en développement »103(*) et par conséquent, « il n'existe pas un facteur unique et « magique » qui permettrait à lui seul d'assurer la qualité de l'école ; celle-ci résulte plutôt d'une combinaison de nombreux facteurs »104(*). De plus en plus d'études montrent qu'il faut s'intéresser aux variables indépendantes de l'enseignant pour améliorer la qualité de l'éducation (en développant l'enseignement par radio ou par la télévision)105(*).

Cependant, il y a une caractéristique particulière du système éducatif burkinabé qui nous semble intéressant à étudier : la langue d'enseignement. L'enseignement formel burkinabé est très centralisé - aussi bien sur le plan budgétaire que sur le plan administratif et pédagogique - et se fait en français sur tout le territoire. Comme nous l'avons vu, le français est tout d'abord enseigné comme matière d'enseignement, pendant les six années de primaire, et puis, il est utilisé comme langue d'enseignement pour les autres matières.

Le pays compte déjà de très nombreuses langues nationales - entre soixante et soixante-dix - mais seul le français est une langue "officielle". Pourquoi avoir choisi une langue étrangère pour langue d'enseignement, plutôt qu'une des multiples langues locales ? Le temps passé à l'apprentissage de cette langue (56% du volume horaire total en primaire) est du temps sacrifié sur d'autres matières. De plus, cela représente une part considérable du budget de l'éducation pour le primaire. Enfin, « les langues africaines sont essentielles pour la décolonisation des esprits et pour la Renaissance africaine. 106(*)» Tous ces efforts pour des résultats médiocres. En effet, seulement 5,13% des familles burkinabé parlent français à la maison107(*) et 2% de la population sont des francophones confirmés. 84,5% de la population ne savent ni lire ni écrire dans une langue quelconque108(*).

La langue majoritaire (le mooré) pourrait servir de langue d'enseignement, ce qui aurait le triple avantage de i) faciliter l'apprentissage des matières comme le calcul, les sciences, etc. (amélioration des résultats), de ii) raccourcir le temps d'enseignement au primaire (amélioration de l'efficacité) et de iii) revaloriser la culture nationale (facteur de développement et d'intégration)109(*). La langue française, facteur d'ouverture sur le monde, qui reste très utile au Burkina Faso dans la diplomatie, les affaires, etc., pourrait aussi être enseignée comme langue seconde et être de meilleure qualité qu'elle ne l'est aujourd'hui, en tant que langue première. Mais les langues nationales n'ont aucun statut dans la loi burkinabé. La Constitution de 1991 stipule que les modalités de promotion et d'officialisation des langues nationales doivent être fixées mais rien n'a été fait jusqu'à présent. Nous verrons par la suite qu'en ce sens, l'expérience de l'école bilingue est aussi une voie très prometteuse.

* 101 « ... promising looking ideas cannot be transported to other places with the same success. » page 903

* 102 L'Initiative de l'UNESCO pour la formation des enseignants en Afrique subsaharienne (TTISSA) (pages 5 et 10) http://unesdoc.unesco.org/images/0014/001452/145294F.pdf

* 103 «There are no general results regarding which teacher and school variables raise learning in developing countries.» Glewwe Paul (2006) « Schools, teachers, and education outcomes in developping countries », (Handbooks in Economics 26 - Handbook of the Economics of Education - Volume 2) page 987

* 104 Mingat Alain et Suchaut Bruno, (2000), Les systèmes éducatifs africains. Une analyse économique comparative. Pédagogie en développement. DeBoeck Université, Paris, page 269

* 105 Idem page 195

* 106 Déclaration de la Conférence d'écrivains et d'intellectuels d'Afrique : Contre Toute Attente: Langues et littératures africaines dans le 21ème siècle, Asmara, Erythrée, janvier 2000, http://www.bisharat.net/Documents/declaration.htm

* 107 Somé Maxime Z. (2003), Politique éducative et politique linguistique en Afrique. Enseignement du français et valorisation des langues nationales : le cas du Burkina Faso. L'Harmattan, Paris, page 153

* 108 Résultats de l'enquête démographique de 1991, Edition de INSD (1992)

* 109 Mais les risques de tension entre les ethnies pourraient avoir des conséquences dramatiques, comme nous l'évoquerons plus loin.

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"Un démenti, si pauvre qu'il soit, rassure les sots et déroute les incrédules"   Talleyrand