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La frontière terrestre entre le cameroun et le nigeria d'après la cour internationale de justice, (CIJ, arrêt du 10 octobre 2002)

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par Pierre Esaie MBPILLE
Université de Douala - Cameroun - DEA en Droit public, option Droit international 2003
  

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CHAPITRE I :

DANS LA ZONE DU LAC TCHAD :
UNE DELIMITATION FAVORABLE AU CAMEROUN

Bien que la question de la souveraineté dans la zone du Lac Tchad ait été introduite dans le rôle de la C.I.J dans une requête additionnelle du Cameroun, c'est bien par ce secteur de la frontière terrestre que la Cour a commencé ses développements. Certainement la Cour voulait-elle procéder à une analyse descendante de la délimitation de cette frontière terrestre allant du Lac Tchad au nord, à la presqu'île de Bakassi au sud. A cet effet, compte tenu des multiples revendications antithétiques des Parties dans ce « secteur de la frontière » contenues dans les paragraphes 25, 26 et 27 de cet arrêt58, la Cour s'est prononcée en faveur de la République du Cameroun comme suit:

« LA COUR,

I. A) Par quatorze voix contre deux, décide que la frontière entre la République du Cameroun et la République Fédérale du Nigeria dans la région du Lac Tchad est délimitée par la déclaration Thomson-Marchand de 1929 - 1930, telle qu'incorporée dans l'échange de notes Henderson-Fleuriau de 1931.59

I. B) Par quatorze voix contre deux, décide que le tracé de la frontière entre la République du Cameroun et la République Fédérale du Nigeria dans la zone du Lac Tchad est le suivant :

A partir d'un tripoint situé dans le Lac Tchad par 14° 04'59 `' 999 de longitude est et 13°05' de latitude nord, la frontière suit une ligne droite jusqu'à l'embouchure de la rivière Ebedji, située par 14°12'12'' de longitude est et 12°32'17''de latitude nord, pour ensuite rejoindre en ligne droite la bifurcation de la rivière Ebedji, en un point situé par 14°12'03'' de longitude est et 12°30'14'' de latitude nord »60.

Cet extrait du dispositif de l'arrêt est assez illustratif. Il va de la précision des textes

juridiques applicables à la fixation de la frontière sur les points litigieux confirmant ainsi la

58 Voir les demandes et conclusions des Parties dans l'arrêt, pp. 19-36.

59 Voir dispositif de l'arrêt du 10 octobre 2002, p.145, paragraphe 325.

60 Ibid., p. 146, paragraphe 325.

position camerounaise ; tout en rejetant la non moins pertinente argumentation nigériane basée sur la consolidation historique du titre et l'acquiescement du Cameroun61.

Bien qu'il ne fasse pas expressément allusion à une reconnaissance de la souveraineté camerounaise dans cette zone, le dispositif de l'arrêt de la C.I.J est favorable au Cameroun à travers la lecture pertinente des textes historiques applicables (section 1), et aussi à travers la négation des thèses nigérianes (section 2).

SECTION 1 : LA LECTURE PERTINENTE DES TEXTES JURIDIQUES
APPLICABLES

La lecture pertinente des textes juridiques applicables à la délimitation de la frontière terrestre dans la zone du lac Tchad a été matérialisée par la Cour à travers la précision des points litigieux (II) ; en passant par la présentation historique de ces textes (I).

I- LA PRESENTATION HISTORIQUE DESDITS TEXTES : DE LA DÉCLARATION FRANCO-BRITANNIQUE (MILNER/SIMON) DU 10 JUILLET 1919 A L'ECHANGE DE NOTES HENDERSONFLEURIAU DU 09 JANVIER 1931.

Comme le note la Cour, les principaux instruments pertinents aux fins de déterminer le tracé de la frontière terrestre entre les Parties62 ressortent des «divers accords (qui) furent conclus par l'Allemagne, la France et la Grande-Bretagne pour délimiter les frontières de leurs territoires coloniaux respectifs, à la fin du XIXe et au début du XXe siècle» 63. Toutefois, rappelons que la Cour a retenu, comme le pensait le Gouvernement du Cameroun, que la frontière dans la zone du Lac Tchad était fixée par la déclaration Thomson-Marchand telle qu'incorporée dans l'échange de notes Henderson-Fleuriau. Pour y parvenir elle a déroulé une page de l'histoire coloniale du Cameroun et du Nigeria allant de la première guerre mondiale (A) jusqu'à leur accession à l'indépendance (C), en passant par la seconde guerre mondiale (B).

61 Voir arrêt du 10 octobre 2002, paragraphe 27.2 (a, b, c), pp. 34-35.

62 Paragraphe 32, arrêt du 10 octobre 2002, p. 39.

63 A l'origine il s'agit des frontières entre puissances européennes en Afrique. La Cour parle alors de la : - frontière entre la France et la Grande-Bretagne (convention Franco-Britanique de 1906),

- frontière entre la République française et l'Allemagne (convention franco- allemande de 1908 ).

A- APRES LA PREMIERE GUERRE MONDIALE : NAISSANCE DES INSTRUMENTS PERTINENTS FIXANT LA FRONTIERE TERRESTRE64.

L'Allemagne ayant perdu la première guerre mondiale, l'ensemble de ses possessions territoriales « ...dans la région qui s'étendait du Lac Tchad à la mer, furent divisées entre la France et la Grande-Bretagne par le traité de Versailles, puis placées sous mandat britannique ou français par accord avec la société des nations. ». Dès lors il était devenu impérieux de fixer les limites séparant lesdits territoires sous mandat. Ainsi sont nés la déclaration Milner-Simon, la déclaration Thomson-Marchand et l'échange de notes Henderson-Fleuriau.

1- La déclaration Milner-Simon

Elle est la matérialisation juridique du premier accord auquel sont parvenues la Grande-Bretagne et la France dans la fixation des limites les séparant du Lac Tchad à la mer. Comme l'indique son intitulé, elle a été signée le 10 juillet 1919 par le Vicomte MILNER, secrétaire d'Etat aux colonies de la Grande-Bretagne et Henry SIMON, ministre des colonies de la République française. C'est en vue de la préciser que fut signée la déclaration Thomson-Marchand.

2- La déclaration Thomson-Marchand

Elle a été signée le 29 décembre 1929 et le 31 janvier 1930 par Sir Graeme THOMSON, gouverneur de la colonie et du protectorat du Nigeria; et Paul MARCHAND, commissaire de la République française au Cameroun. Elle visait, comme le dit la Cour, à « préciser le premier instrument ». Elle est alors le second texte juridique applicable qui luimême a été confirmé par un troisième ; l'échange de notes Henderson-Fleuriau.

3- L'échange de notes Henderson-Fleuriau

On peut le qualifier de troisième instrument juridique applicable à la délimitation de la zone du Lac Tchad. Mais cette lecture peut être trompeuse. En effet ce texte semble beaucoup plus avoir un caractère confirmatif que rectificatif. Passé le 09 janvier 1931 par A. DE FLEURIAU, ambassadeur de France à Londres, et Arthur HENDERSON, ministre britannique des affaires étrangères, l'échange de notes en question visait à approuver et à

64 Lire l'arrêt, p. 40, par. 34.

incorporer la déclaration Thomson-Marchand. Ces textes historiques vont être maintenus après la deuxième guerre mondiale.

B- A L'ISSUE DE LA SECONDE GUERRE MONDIALE : MAINTIEN, ET CONSECRATION ONUSIENNE DES ACCORDS TERRITORIAUX FRANCOBRITANNIQUES65.

Après la deuxième guerre mondiale (1939-1945), Il y a eu une restructuration de la société internationale sans pour autant qu'il y ait négation des accords applicables dans la délimitation des frontières entre la Grande-Bretagne et la France en Afrique noire.

1- Comme le souligne la Cour, « les mandats britannique et français sur le Cameroun furent remplacés par des accords de tutelle dans le cadre de l'Organisation des Nations Unies »66. Ceci veut dire qu'à partir de 1945, le Cameroun était devenu un territoire sous tutelle de la France et de la Grande-Bretagne. Cette situation du maintien du tandem colonial franco-britannique a eu pour corollaire, le maintien des accords territoriaux antérieurs. Il ne restait plus que l'Organisation des Nations Unies y apporte son approbation.

2- La Cour souligne également que : « les accords de tutelle pour le Cameroun britannique et pour le Cameroun sous administration française furent tous deux approuvés par l'Assemblée générale le 13 décembre 1946. Ces accords se référaient à la ligne fixée par la déclaration Milner-Simon ». Ce qui laisse croire que la Cour y trouvait des bases juridiques internationalement solides pour la détermination de la frontière terrestre entre le Cameroun et le Nigeria, étant donné que leur accession à l'indépendance s'est faite dans le strict respect de ces frontières coloniales.

65 Lire l'arrêt, p. 40, par. 35.

66 L'O.N.U a été créée par la conférence des Nations Unies pour l'Organisation internationale à travers un instrument, appelé charte des Nations Unies, signé à San Francisco le 26 juin 1945 et entré en vigueur le 24 octobre 1945. Voir à ce sujet, Charte des Nations Unies et Statut de la Cour internationale de Justice, Nations Unies, New York, juin 1998 ( notes préliminaires, p.iii )

C - A PARTIR DE 1960 : LA PERENNISATION DES TEXTES COLONIAUX.

En effet le Cameroun et le Nigeria, comme plusieurs autres Etats d'Afrique, accèdent à la souveraineté internationale en 1960. Ils sont dès lors indépendants67. La Cour note surtout le fait que ces accessions à l'indépendance se faisaient « dans le cadre des frontières héritées de la période antérieure » ; ce qui veut dire que les Parties acceptent le « statu quo »68 territorial.

Après cet exposé plutôt cohérent sur la genèse des instruments juridiques de délimitation de la frontière terrestre dans le Lac Tchad, la Cour internationale de Justice arrive aux mêmes conclusions que le Cameroun en affirmant leur applicabilité sur les points litigieux.

II - LA PRECISION DES POINTS LITIGIEUX :

La difficulté dans la zone du Lac Tchad résidait dans la fixation des coordonnées du tripoint et de l'embouchure de la rivière Ebedji. Le Cameroun dans ses conclusions finales, priait la Cour de dire et de juger que, dans cette région, la frontière entre les deux Parties suit le tracé suivant : « Du point désigné par les coordonnées 13°05' nord et 14°05' est, la frontière suit la ligne droite jusqu'à l'embouchure de l'Ebedji, située au point de coordonnées 12°32'17» nord et 14°12'12» est, point défini dans le cadre de la C.B.L.T69 et constituant une interprétation authentique des déclarations Milner-Simon du 10 juillet 1919 et Thomson-Marchand des 29 décembre 1929 et 31 janvier 1930, confirmées par l'échange de lettres du 09 janvier 1931; Subsidiairement l'embouchure de l'Ebedji est située au point de coordonnées 12°31'12» nord et 14°11'48» est » 70.

Quant au Nigeria, il priait la Cour de dire et de juger :

« - que la délimitation et la démarcation proposées sous les auspices de la Commission du
Bassin du Lac Tchad, n'ayant pas été ratifiées par le Nigeria, ne s'imposent pas à lui; que la
souveraineté sur les zones de la région du Lac Tchad définies au paragraphe 5.9 de la

67 Voir la sentence Max Huber dans l'affaire de l'île de palmes « La souveraineté dans les relations entre Etats signifie l'indépendance. » ; (C.P.A, 4 avril 1928, R.S.A, II, p.838) in N.QUOC DINH et Alii, op.cit., p. 424.

68 L'expression est de R. YAKEMTCHOUK, « les frontières africaines », op.cit, p. 49.

69 Commission du Bassin du Lac Tchad.

70 Voir, arrêt, C.I.J, 10 octobre 2002, pp. 43-44, par. 40.

duplique du Nigeria et indiquées aux figures 5.2 et 5.3 en regard de la page 242 (...) appartient à la République fédérale du Nigeria;

- qu'en tout état de cause, du point de vue juridique, le processus qui s'est déroulé dans le cadre de la commission du bassin du lac Tchad, et qui devait conduire à la délimitation et la démarcation de l'ensemble des frontières dans le lac Tchad, est sans préjudice du titre sur telle ou telle zone de la région du lac Tchad qui revient au Nigeria du fait de la consolidation historique du titre et de l'acquiescement du Cameroun »71.

En dehors de l'analyse pertinente des instruments juridiques, la Cour devait préciser la portée des travaux effectués par la C.B.L.T (Commission du Bassin de Lac Tchad)72, dans sa confrontation des différentes thèses en présence. Ainsi nous examinerons tour à tour la délimitation de la frontière terrestre au niveau du tripoint (A), et au niveau de l'embouchure de l'Ebedji (B).

A - LA PRECISION DES COORDONNEES DU TRIPOINT

Avant d'arriver à la solution retenue par la Cour dans ce secteur (2), il n'est pas superflu de rappeler, comme elle même le fait, les argumentations des Parties (1).

1 - Le rappel des thèses en conflit

- La thèse camerounaise reposait pour l'essentiel sur les dispositions des instruments juridiques coloniaux applicables, sur les travaux de la Commission du Bassin du Lac Tchad et sur l'attitude paradoxale du Nigeria. Comme le souligne la Cour, pour le Cameroun la frontière dans le Lac Tchad a été établie par la déclaration Milner-Simon de 1919. Que conformément à la « description de la frontière franco-britannique tracée sur la carte (Moisel) du Cameroun, à l'échelle 1/300 000 », annexée à ladite déclaration, la frontière partirait « du point de rencontre des trois anciennes frontières britannique, française et allemande placé dans le Lac Tchad par 13°05' de latitude nord et approximativement 14°05' de longitude est de Greenwich ». Que la ligne frontière établie par cette déclaration fut

71 Voir arrêt, C.I.J, 10 octobre 2002, p.44, par. 40.

72 La C.B.L.T : Commission du Bassin du Lac Tchad a été créée par une convention entre le Nigeria, le Niger, le Tchad et le Cameroun, signée le 22 mai 1964. Initialement vouée à la coordination des actions des Etats membres dans l'utilisation des eaux du Bassin et à la résolution des différends, sa compétence s'est étendue sur la question frontalière suite aux incidents de 1983. (Voir arrêt, C.I.J, 10 octobre 2002, p. 41, par. 36.)

précisée par la déclaration Thomson-Marchand de 1929-1930, dont le texte fut incorporé dans l'échange de notes Henderson- Fleuriau de 193173.

Pour renforcer son argumentation, le Cameroun a précisé que cette frontière a été expressément reprise par l'accord de tutelle, pour le territoire du Cameroun sous administration française, approuvé par l'Assemblée générale des Nations Unies le 13 décembre 1946 et a été par la suite transmis « lors des indépendances au Cameroun et au Nigeria par application du principe de l'uti possidetis »74 . En effet le Cameroun estimait que, le Nigeria ayant accédé à l'indépendance dans le cadre des frontières héritées de la colonisation, n'ayant jamais contesté celles-ci avant la survenance des incidents frontaliers dans la zone du Lac Tchad (d'avril à juin 1983), il ne pouvait plus renoncer à la délimitation de cette frontière du simple fait qu'il n'avait pas ratifié les résultats des travaux de démarcation de la frontière opérée par la C.B.L.T, qui précisaient les coordonnées du tripoint dans le Lac Tchad à 13°05'00»0001 de latitude nord et 14°04'59»999 de longitude est.

- Face à cette analyse juridico dynamique, le Nigeria va adopter une attitude fragilisante du droit frontalier colonial. Pour sa part, l'Etat nigérian estimait que la déclaration Thomson-Marchand de 1929-1930 n'avait pas fixé la frontière anglo-française de manière définitive en ce qui concerne le Lac Tchad, mais prévoyait qu'une commission de frontière se chargerait de la délimitation75. En plus la partie nigériane soulève l'imperfection de la déclaration de Thomson-Marchand dans la délimitation de la zone du Lac Tchad. Le Nigeria voit dans cet instrument un texte « essentiellement de nature procédurale et programmatique ». Il fait également valoir que l'adverbe << approximativement » utilisé pour qualifier la position du tripoint à 14°05' de longitude est, dans la <<description de la frontière franco-britannique tracée sur la carte (Moisel) du Cameroun à l'échelle 1/300 000 » annexée à la déclaration Milner-Simon de 1919, signifiait que la frontière dans cette région n'était pas encore entièrement délimitée. Et que les instruments postérieurs n'auraient pas corrigé ces imperfections76. A la fin, le Nigeria rejette l'argumentation camerounaise fondée sur la qualité des travaux de la C.B.L.T au motif qu'il ne les avait pas ratifiés. Les différentes thèses sur la fixation du tripoint au Lac Tchad déjà examinées, il faut maintenant voir ce qu'en a retenu la Cour.

73 Lire ces développements à la page 41, par. 45 de l'arrêt.

74 Cf. arrêt du 10 octobre 2002, op. cit., p. 45, par. 42.

75 Cf. Arrêt, op. cit., p. 47, par. 45.

76 Voir arrêt, p. 47, par. 48.

2 - La solution de la Cour

Avant d'arriver à sa conclusion sur les coordonnées du tripoint dans le Lac Tchad, la Cour a revisité les instruments juridiques coloniaux et les travaux de la Commission du Bassin du Lac Tchad.

- Pour ce qui est de la nature des instruments applicables, la Cour rappelle : que les frontières coloniales dans la région du Lac Tchad avaient fait l'objet, à la fin du ×I×e et au début XXe siècle, d'une série d'accords bilatéraux entre l'Allemagne, la France et la Grande-Bretagne. Après la première guerre mondiale, la Grande-Bretagne et la France qui héritèrent des possessions allemandes redéfinirent une nouvelle frontière à partir du Lac Tchad à travers « la déclaration Milner-Simon de 1919 qui a statut d'accord international. »77. Faisant une lecture exhaustive du mandat conféré à la Grande-Bretagne par la Société des Nations (S.D.N), la Cour conclue que « ces dispositions ne laissent en aucun moment entendre que la ligne frontière n'avait pas été délimitée dans sa totalité »78. La Cour continue sa démonstration en constatant que les deux puissances mandataires, bien qu'en n'ayant pas procédé à une «délimitation sur le terrain» dans le Lac Tchad, précisèrent néanmoins l'accord Milner-Simon autant que faire se pouvait, à travers une seconde déclaration signée en 1929-1930 par l'anglais THOMSON et le français MARCHAND79. Cette déclaration Thomson-Marchand sera incorporée dans « l'échange de notes Henderson-Fleuriau de 1931 ». Et d'après les déclarations de Fleuriau80 et de Henderson81, il ne faisait plus aucun doute que la frontière dans la zone du Lac Tchad avait déjà été délimitée. C'est à cette solution que va parvenir la C.I.J ; après avoir reconnu le statut d'accord international à la déclaration Thomson-Marchand82.

- Ayant rappelé que les textes applicables ici sont des accords internationaux, la Cour s'est penchée sur les explications du Nigeria concernant le caractère « défectueux » desdits textes et sur la valeur des travaux de la Commission du Bassin du Lac Tchad83.

77 Voir arrêt, p. 48, paragraphe 48.

78 Lire le paragraphe 49 de l'arrêt, p. 49.

79 Arrêt, p. 50, par. 50.

80 Fleuriau, s'adressant à Henderson, précisait que la déclaration Thomson-Marchand « est destinée à donner à la description de la ligne que devra suivre la commission de délimitation plus de précision que ne l'a fait la déclaration Milner-Simon de 1919. » (Voir arrêt, p. 50, par. 50).

81 Henderson, répondant à Fleuriau, dira que « la ligne décrite dans la déclaration de 1929-1930 « définit en substance la frontière ». » ; (Voir arrêt, par. 50).

82 Voir arrêt, p. 50, par. 50, in fine.

83 Voir arrêt, pp. 50-56, par. 51.

A cet effet la Cour a estimé que, contrairement à l'argumentation du Nigeria, les Etats Parties de la C.B.L.T avaient convoqué une session extraordinaire de celle-ci à la suite des incidents de 1983. L'ordre du jour de cette session extraordinaire portait sur deux questions: les « problèmes de délimitation des frontières » et les «questions de sécurité ». Mais que dans le rapport de cette session, c'est surtout les expressions «démarcation» et « sécurité » qui apparaissent84 ; encore que ladite C.B.L.T se fonde sur « les divers accords et instruments bilatéraux conclus de 1906 à 1931 entre l'Allemagne, la France et la Grande-Bretagne. ».

- A la fin la Cour arrive à une solution favorable au Cameroun.

En effet elle estime, comme l'exposait la Partie camerounaise, que : « la déclaration Milner-Simon de 1919, ainsi que la déclaration Thomson-Marchand de 1929-1930 incorporée dans l'échange de notes Henderson-Fleuriau de 1931, délimitent la frontière entre le Cameroun et le Nigeria dans la région du Lac Tchad »85. Sans s'appuyer sur le défaut de ratification par le Nigeria du rapport de la sous-commission de démarcation de la C.B.L.T ; sans aussi confirmer d' « authentique », l'interprétation des textes opérée par celle-ci, la Cour arrive néanmoins aux mêmes conclusions que la C.B.L.T dans la délimitation du tripoint. Elle estime alors que « le tripoint se situe à 14°04'59»999 de longitude est, plutôt qu'à 'approximativement''14°05; et à 13°05' de latitude nord »86.

Après avoir fixé le tripoint dans le Lac Tchad, la Cour s'est livrée à la détermination de l'embouchure de la rivière Ebedji.

B - LA FIXATION DE L'EMBOUCHURE DE L'EBEDJI

Plus que celle de la détermination du tripoint, la question de l'embouchure de l'Ebedji a été un véritable serpent de mer pour la Cour. Ici, le véritable problème reposait sur le fait que : « sur la carte qui illustre la déclaration franco-britannique fixant la frontière du Cameroun, jointe à l'échange de notes de 1931...., l'Ebedji présente un chenal unique débouchant dans le Lac Tchad juste au-delà de Wulgo » 87. Or de nos jours, suite aux nombreuses transformations du relief dans le Lac Tchad, ce cours d'eau se serait divisé en deux chenaux. Un chenal oriental débouchant dans des eaux n'appartenant pas à l'actuel Lac Tchad, et un chenal occidental qui aboutirait à une zone marécageuse proche du rivage actuel.

84 Lire le paragraphe 53 de l'arrêt, p. 52.

85 Voir le paragraphe 55, in fine.

86 Cf. arrêt, p. 56, par. 57. Voir également la page 146 du dispositif de l'arrêt. Voir aussi le croquis n°1 de l'arrêt en annexe.

87 Cf. arrêt, p. 56, par. 58.

C'est sur l'un et l'autre de ces chenaux que s'articulent les argumentations des Parties que nous présenterons (1), avant d'arriver à la fixation retenue par la cour (2).

1- Le contenu des argumentations camerouno-nigerianes

- Pour le Cameroun, la Cour était priée de «dire et de juger que '' subsidiairement'',

l'embouchure de l'Ebedji est située au point de coordonnées 12°31'12» nord et 14°11'48»est ». Le Cameroun estimait que, le chenal occidental auquel il se réfère correspondait au

« chenal principal », vu le grand débit des eaux et la profondeur de celui-ci. Pour appuyer sa thèse, le Cameroun se referait à une jurisprudence de la C.I.J dans l'affaire de l'île Kasikili/Sedudu (Botswana, Namibie)88.

- Quant au Nigeria, il invoque le chenal oriental qui est le plus long et qui selon lui la Cour doit retenir. A l'appui de son exposé, le Nigeria se réfère à une sentence arbitrale rendue le 9 décembre 1966 en l'affaire relative au Rio Palena89. Après cette présentation sommaire des positions des Parties, arriverons-en à la solution de la cour.

2- L'embouchure retenue : une embouchure unique basée des coordonnées astronomiques.

En fait, la C.I.J a estimé qu'aucune des deux argumentations ne pouvait être retenue pour la simple raison qu'il ne lui appartenait pas de rechercher quel est le chenal de l'Ebedji à retenir, mais plutôt de déterminer son embouchure exacte. Pour ce faire, la C.I.J a interprété l'intention des parties signataires de la déclaration Milner-Simon telle que confirmée et jointe à l'échange de notes Henderson-Fleuriau de 1931. La Cour arrive à la solution d'après laquelle, l'intention des Parties à l'époque visait l'existence d'une seule embouchure. Dans une conclusion quasi identique à celle de la C.B.L.T, la Cour estime que « l'embouchure de la rivière Ebedji, telle que mentionnée dans les instruments confirmés dans l'échange de notes Henderson-Fleuriau de 1931 a pour coordonnées 14°12'12» de longitude est et 12°32' 17» de latitude nord. »90.

A la fin, l'on constate que la frontière dans la zone du Lac Tchad est essentiellement artificielle, parce que reposant sur les données astronomiques. Bien que cette situation soit justifiée par la lecture pertinente des textes applicables, le rejet des thèses nigérianes y a aussi contribué.

88 Cf. C.I.J, recueil 1999, pp. 1064-1072, par. 30-4.

89 Cf. International law reports (ILR), vol. 38, p. 93-95. Voir aussi, arrêt, p. 57, par. 58.

90 Voir paragraphe 60 de l'arrêt, p. 57.

SECTION 2 : LA NEGATION DES THESES NIGERIANES DE LA
CONSOLIDATION HISTORIQUE DU TITRE ET DE L'AQUIESCEMENT
DU CAMEROUN

La C.I.J a nié la pertinence des arguments du Nigeria basés sur une éventuelle consolidation historique de son titre dans la zone du Lac Tchad, et sur un certain acquiescement du Cameroun à sa souveraineté dans ladite zone. C'est pourquoi on peut qualifier ces thèses de fantastiques parce qu'irréelles et extraordinaires d'après la position de la Cour. Aussi, avant d'arriver à la substance de son raisonnement (II), nous rappellerons le contenu des prétentions des parties (I).

I- LES DIFFERENTES PRETENTIONS DES PARTIES :

C'est sur la consolidation historique du titre et sur l'acquiescement du Cameroun que le Nigeria fondait sa souveraineté dans la zone du Lac Tchad (A). Tandis que le Cameroun, comme toujours, se referait aux dispositions pertinentes des accords internationaux fixant la frontière dans cette zone (B).

A- UNE SOUVERAINETE NIGERIANE HISTORIQUEMENT CONSOLIDEE ET ACQUIESCEE PAR LE CAMEROUN, D'APRES LE NIGERIA91

Pour le Nigeria, sa souveraineté dans la zone du Lac Tchad, notamment à DARAK et dans les 18 villages avoisinants, est un fait historiquement situé. Cet état des choses serait donc indiscutablement avéré. Cette souveraineté repose sur « trois fondements s `appliquant à la fois séparément et conjointement, et dont chacun se suffit à lui-même :

« 1) une occupation de longue durée par le Nigeria et par des ressortissants nigérians, laquelle constitue une consolidation historique du titre;

2) une administration exercée effectivement par le Nigeria agissant en tant que souverain, et l'absence de protestations;

3) des manifestations de souveraineté par le Nigeria, parallèlement à l'acquiescement par le Cameroun à la souveraineté du Nigeria sur DARAK et les villages avoisinants du Lac Tchad. » .» .

91 Lire ces argumentations nigérianes au paragraphe 62 de l'arrêt, pp. 57-62.

Et que, compte tenu du silence longtemps observé par le Cameroun face aux actes d'administration par lui exercés, le Cameroun a acquiescé à l'exercice paisible de la souveraineté nigériane sur les localités en litige et, que cet acquiescement constitue un élément très important du processus de consolidation d'un titre. En fait, le juge ad hoc du Nigeria devant la Cour, le nigérian Prince BOLA AJIBOLA y trouvait le seul critère de détermination de la souveraineté dans cette zone; « The boundary thus requires adjustments and clarifications which can only be taken care of by effectivités and historical consolidation. »92. Face à ces plaidoiries de la République fédérale du Nigeria, le Cameroun n'est pas resté indifférent.

B- UNE SOUVERAINETE CAMEROUNAISE

CONFORMÉMENT AU TITRE CONVENTIONNEL, SELON LA PARTIE CAMEROUNAISE93

Pour la Partie camerounaise, les effectivités évoquées par le Nigeria ne peuvent pas valoir consolidation historique d'un quelconque titre de cet Etat sur la parcelle querellée, et qu'elles ne doivent être considérées que comme : « Un moyen auxiliaire au soutien de [ses] titres conventionnels ». En somme, le Gouvernement du Cameroun estimait qu' « il n'a pas à démontrer l'exercice effectif de la souveraineté sur [ces zones contestées), un titre conventionnel valide prévalant sur d'éventuelles effectivités contraires ».

A la fin, répondant à l'argument fondé sur son éventuel acquiescement à l'exercice d'activités souveraines par le Nigeria, le Cameroun précisera à la Cour qu'il n'a jamais acquiescé à la modification de sa frontière conventionnelle avec le Nigeria. Et que les autorités centrales du Cameroun, une fois au courant des revendications nigérianes, avaient réagi dans le cadre de la C.B.L.T et par le biais d'une note du Ministère des affaires étrangères camerounais en date du 21 avril 1994.

Considérant la teneur des thèses susmentionnées, et compte tenu de sa jurisprudence constante en la matière, la Cour va rejeter l'argumentation du Nigeria en des termes clairs.

92 Voir opinion dissidente de M. le Juge AJIBOLA, p. 15, par. 48, in fine.

93 Voir le raisonnement du Cameroun à ce sujet, dans l'arrêt, p. 62, par. 63.

II- LA TENEUR DU RAISONNEMENT DE LA COUR : LA CONSOLIDATION HISTORIQUE DU TITRE ET L'ACQUIESCEMENT DU CAMEROUN ; DES ARGUMENTS «CONTRA LEGEM »

En confrontant les deux thèses en conflit, la Cour arrive à une solution très satisfaisante pour le Cameroun en ce qu'elle nie toute valeur juridique à l'argument nigérian de la consolidation historique du titre (A) et à celui fondé sur l'acquiescement du Cameroun (B), qui n'ont aucun impact sur la souveraineté dans cette zone qui appartient au Cameroun. La position de la Cour ici mérite une attention minutieuse.

A - A PROPOS DE LA THÈSE DE LA CONSOLIDATION HISTORIQUE DU TITRE94

D'après la Cour, cette notion de «consolidation historique du titre» invoquée par le Nigeria, « n'a jamais été utilisée comme fondement d'un titre territorial dans d'autres affaires contentieuses, que ce soit dans sa propre jurisprudence ou dans celle d'autres organes juridictionnels >>. Cette notion ne saurait se substituer aux modes d'acquisition de titre reconnus par le droit international, qui tiennent compte de nombreux autres facteurs importants de fait et de droit. Rappelant sa propre jurisprudence dans l'affaire des pêcheries (Royaume-Uni C. Norvège)95, la Cour observe que la théorie de la "consolidation historique" ne doit pas laisser entendre la prévalence d'une occupation territoriale sur un titre conventionnel établi.

Dans le but de préciser définitivement le rapport juridique existant entre les « effectivités » et les titres, la Cour se référera à nouveau à deux de ses jurisprudences96. Elle estime alors que deux situations doivent être distinguées : « Dans le cas où le fait ne correspond pas au droit, où le territoire objet différend est administré effectivement par un Etat autre que celui qui possède le titre juridique, il y a lieu de préférer le titulaire du titre. Dans l'éventualité où «l'effectivité» ne coexiste avec aucun titre juridique, elle doit inévitablement être prise en considération.>>. C'est ainsi que sera amplement invalidée la thèse nigériane des effectivités que la Cour a jugée de « contra legem » par rapport au titre

94 Les développements de la Cour sont contenus ici au paragraphe 65, p. 63 de l'arrêt.

95 Voir arrêt, p. 63, paragraphe 65. Cf. aussi (C.I.J. Recueil 1951, p. 130.)

96 Voir affaire du Différend frontalier (Burkina Faso-République du Mali), C.I.J. Recueil, 1986, p. 587.

Et affaire du Différend territorial (Jamahiriya arabe libyenne/Tchad), C.I.J. Recueil 1994, p. 75-76, par. 38)

conventionnel préexistant du Cameroun sur cette région du Lac97. Cette position n'est pas très éloignée de celle retenue par rapport à la question de l'éventuel acquiescement du Cameroun.

B- A PROPOS DE LA QUESTION DE L'ACQUIESCEMENT DU CAMEROUN98

La Cour, tout en reconnaissant d'après sa propre jurisprudence qu'un acquiescement peut être déterminant à une modification du titre conventionnel99, observe néanmoins que face aux nombreuses effectivités nigérianes100, les activités propres du Cameroun dans la zone du Lac Tchad ont une incidence très limitée.

La Cour constate néanmoins que quelques actes d'administration ont été effectués par le Cameroun dans cette zone entre 1982 et 1985 dans dix huit villages y compris DARAK101. Qu'à la fin, vu la réaction spontanée du Gouvernement camerounais le 21 Avril 1994 à la note diplomatique nigériane de revendication de souveraineté sur DARAK du 14 Avril 1994, et considérant enfin l'élargissement du différend intervenu dans sa requête additionnelle du 06 juin 1994, <<. . . le Cameroun n'a pas acquiescé à l'abandon de son titre sur la région en faveur du Nigeria ».

En bref, à la lumière de toutes ces démonstrations, la Cour arrive à la reconnaissance de la souveraineté du Cameroun sur les localités situées à l'est de la frontière102.

A la fin de l'examen de la frontière terrestre entre le Cameroun et le Nigeria dans le secteur de la zone du Lac Tchad, nous constatons que la Cour donne raison dans l'ensemble aux démonstrations juridiques camerounaises. Elle montre également ainsi, son fort attachement aux instruments internationaux intervenus dans cette région entre la première guerre mondiale et l'accession des deux Parties à l'indépendance. C'est sur la base de ces textes franco-britanniques que le Cameroun jouit d'un titre juridique devant lequel les effectivités nigérianes ne doivent que céder. Après l'examen de la délimitation de la frontière terrestre dans la zone du Lac Tchad qui consacre dans l'ensemble, les traités coloniaux et les argumentations camerounaises, il convient à présent de nous interroger sur la délimitation retenue par la Cour internationale de Justice dans la presqu'île de Bakassi, où les revendications des parties étaient beaucoup plus passionnées encore103.

97 Voir arrêt, pp. 64-65, par. 68.

98 Lire les développements de la Cour à ce propos aux paragraphes 67 à 70 de l'arrêt, pp. 64-66.

99 Cf. Différend insulaire et maritime ( El Salvador / Honduras, Nicaragua ( intervenant ), C.I.J, Recueil 1992, pp. 408-409, par. 80.

100 Voir à cet effet, arrêt, p. 64, par. 67.

101 On peut même se demander pourquoi faire un tel constat, dès lors que le principe de la primauté du titre juridique sur les effectivités postérieures est acquis ?

102 Voir à cet effet, le croquis N°2 de la page 57 de l'arrêt, en annexe.

103 Il faut souligner à cet effet que, c'est << la crise de Bakassi » qui a servi de tremplin à la saisine entière de la Cour sur cette affaire de frontière terrestre et maritime entre les Parties.

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