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La frontière terrestre entre le cameroun et le nigeria d'après la cour internationale de justice, (CIJ, arrêt du 10 octobre 2002)

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par Pierre Esaie MBPILLE
Université de Douala - Cameroun - DEA en Droit public, option Droit international 2003
  

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SECTION 2 : LA VALIDITE ENTIERE DUDIT ACCORD

En effet, l'autre argumentation du Nigeria visait à démontrer que même si l'accord anglo-allemand du 11 mars 1913 était applicable, il n'était pas valide en ce qui concerne les dispositions relatives à Bakassi. Le Cameroun pour sa part demeurait fidèle à sa démarche juridique qui consacrait la validité de cet accord dans son entièreté. Face à cette diversité des vues des parties (I), la Cour va adopter une solution consacrant la thèse Camerounaise (II).

I- RAPPEL DES ARGUMENTATIONS DES PARTIES

Comme nous l'avons souligné, le Nigeria estimait que l'accord du 11 mars 1913 ne devait pas être retenu par la Cour en ce qui concerne le délimitation de la frontière terrestre à Bakassi pour plusieurs motifs (A), tandis que le Cameroun fondait l'essentiel de sa plaidoirie sur ledit accord (B).

120 Lire ces développements à la page 99 de l'arrêt, par. 199.

121 Voir, arrêt 10 octobre 2002, p. 113, par. 225.

A- LES ARGUMENTS NIGERIANS DE L'INVALIDITE DE L'ACCORD DU 11 MARS 1913 122

D'une manière générale le Nigeria estimait que le titre à Bakassi appartenait en 1913 aux rois et chefs du Vieux-Calabar et qu'il fut conservé par eux jusqu'à ce que ce territoire revienne au Nigeria lors de l'indépendance. La Grande-Bretagne n'aurait dès lors pas été en mesure de transmettre son titre sur Bakassi du fait qu'elle n'avait aucun titre à transmettre ; conformément à l'adage latin « Nemo dat quod non habet » qui signifie « personne ne peut transférer la propriété d'une chose qui ne lui appartient pas ».

En fait la Partie nigériane faisait constater à la Cour que le traité de protectorat conclu le 10 septembre 1884 entre la Grande-Bretagne et les rois et chefs du Vieux-Calabar ne conférait pas à celle-là, la souveraineté sur les territoires de ceux-ci. Que les rois et chefs du Vieux-Calabar auraient conservé leur statut d' « entités indépendantes ayant la personnalité juridique internationale », y compris le pouvoir d'entrer en relations avec des « nation(s) ou puissance(s) étrangère(s) », même si le traité subordonnait cette éventualité à l'obtention de l'agrément de l'Etat protecteur, la Grande-Bretagne123.

A la fin, examinant la question de cette frontière de 1913 à 1960, le Nigeria fait observer à la cour que « la Grande-Bretagne n'a jamais eu le pouvoir de céder Bakassi » et que, pour nombreuses qu'aient pu être ses activités à Bakassi durant le régime de mandat ou de tutelle, elles n'auraient pu détacher ce territoire du protectorat du Nigeria étant donné qu'il fut administré pendant toute cette période depuis le Nigeria et comme partie intégrante de celui-ci, et jamais à partir du Cameroun124.

Dès lors, les articles XVIII à XXII de l'accord du 11 mars 1913 doivent être séparés du reste du texte puisqu'ils sont entachés d'un vice juridique. Naturellement, ces développements ne pouvaient pas susciter l'approbation de la Partie camerounaise.

B - LES CONTRE ARGUMENTATIONS DU CAMEROUN :

D'après la Partie camerounaise, la frontière à Bakassi ou, mieux encore, le tracé de la frontière entre les Parties dans la région de la presqu'île de Bakassi, était fixé par l'accord anglo-allemand du 11 mars 1913 lequel la plaçait du côté allemand de la frontière. De même,

122 Voir arrêt, p. 97, par. 194.

123 Voir arrêt, p. 99, par. 201.

124 Cf. arrêt, pp. 104-105, par. 211.

« lors de l'accession à l'indépendance du Cameroun et du Nigeria, cette frontière serait devenue la frontière entre les deux Etats, qui succédaient aux puissances coloniales et se trouvaient liés par le principe de « l'uti possidetis » ou uti possidetis juris d'après lequel les frontières héritées de la période coloniale sont intangibles »125.

Le Cameroun invoquait à cet effet les articles XVIII à XXI dudit texte qui disposent notamment que « la frontière «suit le thalweg de l'Akwayafé jusqu'à une ligne droite joignant Bakassi point et King point>> (article XVIII), et qu' « au cas où le cours inférieur de l'Akwayafé déplacerait son embouchure de telle sorte que celui-ci arrive au Rio del Rey, il est entendu que la région actuellement appelée presqu'Ile de Bakassi restera néanmoins territoire allemand » (article XX) ». Dans cette logique, Bakassi ayant appartenu à l'Allemagne depuis l'entrée en vigueur de cet accord, la souveraineté aujourd'hui sur cette presqu'île appartient à l'Etat camerounais par le jeu de l'uti possidetis juris invoqué plus haut126.

Contredisant la thèse nigériane d'après laquelle la Grande-Bretagne n'avait pas la capacité juridique de céder la presqu'île de Bakassi par la voie du traité du 11 mars 1913, le Cameroun fera observer que l'acte du 10 septembre 1884 passé entre la Grande-Bretagne et les rois et chefs du Vieux-Calabar visait à établir un « protectorat colonial» et que « dans la pratique de l'époque, il n'y avait que peu de différences de fond, au plan international, en termes d'acquisition territoriale, entre les colonies et les protectorats coloniaux >> et qu'aussi, « l'élément clé du protectorat colonial était le postulat du souveraineté extérieure de l'Etat protecteur ».

Les arguments du Cameroun sont plus élaborés encore lorsqu'il indique que ni la Grande-Bretagne, ni le Nigeria, Etat qui lui a succédé, n'ont jamais invoqué une telle cause d'invalidité de l'accord anglo-allemand du 11 mars 1913. Que « bien au contraire jusqu'au bout du années 1990, le Nigeria avait de manière non équivoque confirmé et accepté le ligne frontière de 1913 par sa pratique diplomatique et consulaire, ses publications géographiques et cartographiques officielles et, enfin, ses déclarations et sa conduite sur la scène politique ». Ainsi, « étant donné qu'il existe une forte présomption que les traités acceptés comme valides doivent être interprétés globalement et l'ensemble de leurs dispositions respectées et appliquées >>, l'accord du 11 mars 1913 forme alors un tout indivisible et qu'on ne saurait en séparer les dispositions relatives à la presqu'île de Bakassi127.

125 Arrêt, p. 97, par. 194. Et pour plus de développements sur ce principe lié à la décolonisation, voir N. QUOC DINH, P. DAILLIER, A. PELLET, op. cit., pp. 468-469.

126 Arrêt, p. 99, par. 200.

127 Arrêt, pp. 100-101, par. 202.

A la fin, examinant également le sort de ce segment méridional de la frontière entre 1913 et 1960, le Cameroun développera d'importants arguments tirés de l'évolution historique du statut de son territoire128 de la période allemande, en passant par celles du mandat et de la tutelle, jusqu'à son accession à l'indépendance. En plus, il ajoute les nombreuses négociations passées entre le Nigeria et lui conformément à cet accord du 11 mars 1913, et les permis d'exploration et d'exploitation pétrolière par lui attribués au Nigeria sur la presqu'île et au large de celle-ci dès le début des années soixante. Que tous ces éléments et l'attitude même du Nigeria militeraient à confirmer la validité plénière de l'accord anglo-allemand, par conséquent l'appartenance de la presqu'île de Bakassi au Cameroun129

Face à ces argumentations contradictoires du Nigeria et du Cameroun, la Cour internationale de Justice va donner raison au Cameroun en reconnaissant la « camerounité » de la presqu'île litigieuse de Bakassi.

II- L'ACCORD DU 11 MARS 1913, UN TEXTE BEL ET BIEN VALIDE, CONFERANT LA SOUVERAINETE A BAKASSI AU CAMEROUN, D'APRES LA COUR

Dans un effort de structuration méthodique de son raisonnement, la Cour va reconnaître la validité de l'accord anglo-allemand dans son entièreté. Pour ce faire, elle invalidera d'abord l'argument du Nigeria d'après lequel la Grande-Bretagne ne pouvait pas céder Bakassi à l'Allemagne en 1913 pour défaut de qualité (A), avant de tirer les conséquences du traitement réservé à cette frontière entre 1913 et 1960 (B).

A- L'INVALIDATION DE LA THESE NIGERIANE DU DEFAUT DE QUALITE DE LA GRANDE-BRETAGNE, CONFORMEMENT A L'ADAGE « NEMO DAT QUOD NON HABET »

La Cour dans une analyse rétrospective, observe que la Grande-Bretagne, comme les autres puissances européennes à l'époque de la conférence de Berlin, avait conclu quelque trois cent cinquante traités avec des chefs locaux du delta du Niger. Elle souligne également

128 Arrêt, pp. 103-104, par. 210.

129 Arrêt, ibidem.

que, parmi ces traités figurait bien celui conclu le 10 septembre 1884 avec les rois et chefs du Vieux-Calabar en vue de l'établissement d'un protectorat. L'article II dudit traité disposait en contrepartie des bonnes grâces et de la bienveillante protection de sa Majesté la reine de la Grande-Bretagne et d'Irlande que, « les rois et chefs du Vieux-Calabar s'engageaient à s'abstenir de toute correspondance, de tout accord et de tout traité avec une quelconque nation ou puissance étrangère sans l'autorisation préalable du gouvernement de sa Majesté britannique ». A travers cette démonstration, la Cour mettait en évidence l'abandon implicite de souveraineté que les rois et chefs de Vieux-Calabar avaient effectué en faveur de la Grande-Bretagne.

Ayant reconnu comme le consul britannique JOHNSTON, dans son rapport adressé au Foreign Office en 1890, que Bakassi et le Rio del Rey constituaient effectivement « le territoire véritable» des rois et chefs du Vieux-Calabar130, la Cour va s'appesantir sur la nature juridique du traité de protectorat du 10 septembre 1884. A cet effet, elle estima que « le statut juridique international d'un « traité de protection » conclu sous l'empire du droit alors en vigueur ne saurait être déduit de son seul titre »131. Et, se referant à une sentence de Max Huber dans l'affaire de l'île de palmas132, et à sa propre jurisprudence dans l'avis consultatif sur l'affaire du Sahara occidental, la Cour rappellera que ce genre de traités ou d'accords avec les chefs locaux étaient considérés comme « ... un mode d'acquisition dérivé 133 de territoire et que, même si ce mode d'acquisition ne correspond pas au droit international actuel, le principe du droit intemporel impose de donner effet aujourd'hui, dans la présente instance, aux conséquences juridiques des traités alors intervenus dans le delta du Niger. »134.

A la fin la Cour fera observer que le choix d'un traité de protectorat par la Grande-Bretagne découlait de ses préférences quant à la façon de gouverner135. De même, constatant que plusieurs ordres en conseil de sa Majesté britannique plaçaient cette zone sous l'administration des agents consulaires anglais en 1888 ; la Cour en déduit « que le traité de 1884 conclu avec les rois et chefs du Vieux-Calabar n'était pas un traité de protectorat international. Mais que cet accord n'était qu'un parmi une multitude d'autres conclus dans

130 Voir arrêt, p. 101, par. 203.

131 Voir arrêt, p. 101, par. 205.

132 Où il disait : « il n'y a pas là d'accord entre égaux, c'est plutôt une forme d'organisation intérieure d'un territoire colonial sur la base de l'autonomie des indigènes... Et c'est la suzeraineté exercée sur l'Etat indigène qui est la base de la souveraineté territoriale à l'égard des autres membres de la communauté des nations »,in R.G.D.I.P, t. XLII, 1935, p.187. Cf. Arrêt du 10 Octobre 2002, p. 102, par. 205.

133 Voir affaire du Sahara occidental, avis consultatif, C.I.J ; Recueil 1975, p. 39, par. 80.

134 Voir arrêt, p. 102, par. 205.

135 Ibidem, par. 206.

une région où les chefs locaux n'étaient pas assimilés à des Etats »136. Cette analyse laisse croire à la Cour que depuis 1884, la Grande-Bretagne était déjà souveraine sur les terres des rois et chefs du Vieux-Calabar et sur Bakassi notamment, et qu'elle était donc en droit de céder ce territoire à l'Allemagne par le biais de l'accord anglo-allemand du 11 mars 1913.

La Cour, constatant qu'en 1913 aucun élément ne donnait à penser que les rois et chefs du Vieux-Calabar auraient émis quelque protestation que ce fut, ni qu'en 1960 ils auraient pris des mesures en vue de transférer un territoire au Nigeria lors de l'accession de ce dernier à l'indépendance137, va tout simplement rejeter la thèse du Nigeria en ces termes : « . . . au regard du droit qui prévalait à l'époque, la Grande-Bretagne, en 1913, pouvait déterminer sa frontière au Nigeria avec l'Allemagne, y compris pour ce qui est de sa partie mondiale »138. C'est à dire que la Grande-Bretagne était habilitée à céder Bakassi à l'Allemagne. Bien que cette réflexion ne soit pas convaincante pour certains juges139, la Cour s'y est solidement appuyée, sans négliger le régime de cette frontière terrestre de cette époque à la période des indépendances du Cameroun et du Nigeria.

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"Qui vit sans folie n'est pas si sage qu'il croit."   La Rochefoucault