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La puissance quasi-illimitée du parlement et la fragilité de la suprématie de la constitution de 1987

( Télécharger le fichier original )
par Destin JEAN
Université d'Etat d'Haà¯ti (Faculté de droit et des sciences économiques de Port-au-Prince).  - Licence 2009
  

Disponible en mode multipage

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UNIVERSITÉ D'ÉTAT D'HAÏTI
UEH
FACULTE DE DROIT ET DES SCIENCES ECONOMIQUES
Port-au-Prince, Haïti

Sujet :

La puissance quasi-illimitée du Parlement et la fragilité de la suprématie de la
Constitution de 1987

Mémoire présenté et soutenu par l'étudiant :
Destin JEAN
Pour l'obtention du grade de licencié en droit
Sous la direction du professeur :
Camille Junior EDOUARD
Promotion CEDRUS
2004 -2008

« C'est une expérience éternelle que tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser. Il va jusqu'à ce qu'il trouve des limites. Qui le dirait ? La vertu même a besoin de limites. »

Montesquieu, l'Esprit des lois.

« Pour qu'on ne puisse pas abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir. »

Montesquieu, l'esprit des lois.

« Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution. »

Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, art. 16.

« L'ordre juridique n'est pas un système de normes juridiques placées au même rang, mais un édifice à plusieurs étages superposées, une pyramide ou une hiérarchie formée d'un certain nombre d'étages ou couches de normes successives. »

Théorie de la hiérarchie pyramidale des normes, Hans KELSEN.

DEDICACE

Je fais hommage de ce travail de recherche académique aux élites éclairées de ce pays et à tous les juristes du monde entier, plus particulièrement, aux juristes haïtiens qui, d'une façon ou d'une autre, font la promotion du droit en Haïti.

REMERCIEMENTS

Qu'il me soit permis, in limine, d'exprimer toute ma gratitude à l'endroit de l'Etre Suprême, l'avocat par excellence, qui m'a tout donné et qui me promet de connaître encore des jours plus heureux.

Je remercie tous mes parents qui, un jour ou l'autre, m'ont aidé d'une quelconque manière. Mes remerciements vont particulièrement à l'endroit de mon incomparable mère, madame Raymonde CALIXTE, qui n'a jamais cessé de me chérir, de m'encourager et de me soutenir à tous les points de vue. Elle n'a jamais raté une occasion de me témoigner sa fierté ; c'est alors pour moi une occasion de lui témoigner toute ma reconnaissance.

Mes remerciements vont également à l'endroit des responsables de la FDSE, particulièrement au doyen, le professeur Gélin Imanès COLLOT et le vice-doyen, chef du Département des Sciences juridiques, le professeur Elie MEUS, qui ont compris la nécessité de faciliter les étudiants intéressés à trouver l'encadrement méthodologique nécessaire en vue de la production de leur travail de 1er cycle universitaire dans un délai plus ou moins acceptable.

Je tiens à remercier très chaleureusement mon directeur de mémoire, professeur Camille Jr EDOUARD, qui a accepté de m'encadrer le jour même de notre première rencontre à la salle des Pas Perdus par le truchement de Gennifer ALCERO. Il manque de disponibilité, mais il trouve toujours un moyen pour me rencontrer. Sa rigueur, son esprit critique et son côté intellectuellement exigeant m'ont aidé à préparer et à présenter un travail académique d'une certaine facture. Ses félicitations répétées et ses mots d'encouragement ont renforcé mes convictions personnelles en ma prédisposition à l'étude du droit et ma certitude de vouloir aller jusqu'au bout de mes études de droit. Sans qu'il ne le sache, il m'inspire. Qu'il en soit alors à nouveau remercié.

A l'avocate canadienne, Me Marie-Claude DESJARDINS, je témoigne aussi ma reconnaissance. En dépit de la distance et de ses préoccupations universitaires personnelles, elle ne se faisait pas prier pour faire une analyse critique de mon travail. Ses précieux conseils méthodologiques et ses compliments sur la qualité de mes raisonnements et le niveau d'analyse ont porté à croire qu'elle a indéniablement lu et scruté mon travail. J'ai utilisé ses

remarques pour apporter de la valeur ajoutée à mon travail. A l'instar de mon directeur de mémoire, elle m'a encouragé à entreprendre des études supérieures de droit. Qu'elle en soit fière lorsque, le moment venu, j'aurai effectivement entamé lesdites études.

Nous remercions d'une façon spéciale professeur Josué PIERRE-LOUIS qui, en dépit de ses multiples occupations, a accepté volontiers de parcourir notre travail de recherche académique.

Nos sincères remerciements vont aussi au professeur Patrick PIERRE-LOUIS, mon professeur de droit constitutionnel. Il m'a donné les premiers enseignements de cette matière que je reconnais difficile. Malgré ses différentes occupations, dont la production d'un nouveau livre, il a accepté de parcourir la substance de mon travail.

Enfin, je remercie tous mes camarades de promotion avec qui j'ai l'habitude de discuter passionnément des questions de pur droit. Ils ont indirectement contribué à m'inciter à produire le plus rapidement possible ce présent mémoire.

ABREVIATIONS ET SIGLES

al. alinéa

art. article

BEC Bureau électoral communal

c.-à-d. c'est-à-dire

C.C. Conseil constitutionnel

CEP Conseil électoral permanent

Cf. confer (se reporter à)

chap. chapitre

CNG Conseil national de Gouvernement

Const. Constitution

CSC/CA Cour supérieure des Comptes et du Contentieux administratif

DUDH Déclaration universelle des droits de l'Homme (10 Décembre 1948)

éd. édition

ex. exemple

ERPI Editions du Renouveau pédagogique inc.

FDSE Faculté de Droit et des Sciences Economiques

GDF Gaz de France

HCJ Haute Cour de Justice

ibid. ibidem (au même endroit d'un texte)

id. idem (de même)

JO Journal officiel

L.G.D.J. Librairie Générale de Droit et de Jurisprudence

OMIJ Observatoire des mutations institutionnelles et juridiques

op. cit. opere citato (oeuvre déjà citée)

p. page

P-A-P Port-au-Prince

P.U.F. Presses universitaires de France

sect. section

U.E.H. Université d'Etat d'Haïti

SOMMAIRE

PREMIERE PARTIE

Les Pouvoirs publics sous le régime constitutionnel de 1987 : déséquilibre au profit du
Parlement

Chapitre premier

Le Pouvoir Législatif et le Pouvoir Exécutif : fondements et organisation Section I.- Le Pouvoir Législatif : composition, fonctions et privilèges

Section II.- Le Pouvoir Exécutif entre légitimité populaire et consécration parlementaire

Chapitre 2

Le régime politique institué par la Constitution de 1987 : mauvaise articulation du cadre
constitutionnel et de la pratique politique

Section I.- Des rapports déséquilibrés entre les pouvoirs publics constitutionnels Section II.- La nature et la « pratique » du régime : controverses et dichotomie

DEUXIEME PARTIE

L'encadrement juridique insuffisant des pouvoirs du Parlement : problématique de
l'autorité de la Constitution de 1987

Chapitre 3
La puissance législative quasi-illimitée du Parlement : causes et implications

Section I.- Des prérogatives de législation quasi-illimitées du Parlement

Section II.- Des risques de dérèglement institutionnel et la fragilisation des libertés fondamentales

Chapitre 4

La suprématie de la Constitution de 1987 : mythe ou réalité ? Section I.- Quelques raisons de la suprématie présumée de la Constitution de 1987 Section II.- L'autorité de la Constitution de 1987 : une suprématie mal assurée

INTRODUCTION GENERALE

Traditionnellement, le système politique haïtien porte la marque du présidentialisme. Ce présidentialisme traditionnel consiste dans l'hégémonie du Président de la République et l'affaiblissement corrélatif du Parlement. Donc, il s'agit d'un système politique dans lequel l'équilibre politique penche en faveur du Président de la République dont l'hégémonie frise même souvent la dictature.

Après la chute du Président Jean-Claude DUVALIER en Février 1986, il a fallu repenser le système politique haïtien. Pour arriver à un système politique nouveau, il a fallu d'abord l'adoption d'une nouvelle Constitution prenant en considération les aspirations du Peuple. Dans cette optique, on l'aura vitement compris, la Constitution de 1987 est établie dans une perspective de rupture avec le régime présidentialiste. Dans le contexte historique, ce qui importait, entre autres, c'est de forger un Président de la République « édenté1 ». Pour emprunter une phraséologie chère à l'historien Claude Moise, il s'agissait d'une « défiance constitutionnelle vis-à-vis du présidentialisme traditionnel2 ». Pour renchérir, professeur Mirlande MANIGAT avance qu' « en rejetant le présidentialisme haïtien, la Constitution de 1987 permet d'éviter l'autocratie et le pouvoir personnel3 ».

Par conséquent, la ratification du texte constitutionnel par le Peuple haïtien le 29 Mars 1987 se veut avant tout un acte de rejet. C'est le rejet d'un système politique qui a fait son temps et que l'on croyait à jamais révolu. Vu la soif de démocratie et le symbolisme de la chute de Février 1986, le Peuple n'a pas voulu que soit possible la restauration du statu quo ante. C'est le cas de dire que le régime de dictature des DUVALIER, particulièrement, effrayait une bonne partie de la population et a également laissé des souvenirs troublants.

Les constituants de 1987 étaient convaincus, à juste titre, qu'il est plus facile à un seul homme, doté d'un pouvoir politique fort, d'instituer le despotisme, annihilant ainsi les libertés

1 Se réjouissant d'avoir limité excessivement le pouvoir du Chef de l'Etat, le constituant Louis ROY déclare : « Nous avons enlevé les dents du Président de la République de sorte qu'il ne puisse mordre ». Voir Georges MICHEL, Souvenir d'un constituant, page 138 (cité par Guichard DORE dans un article publié dans les colonnes du journal « Le Matin » du Vendredi 06 Mars 2009, no 34048).

2 Passage tiré de ses réflexions sur la révision de la Constitution de 1987, disponible sur le lien http://groups.google.com/group/soc.culture.haiti. La page est consultée le 22 Juillet 2008.

3 Propos tenus lors d'un colloque international organisé à l'Université Quisqueya les 28 et 29 Avril 1997 sous le thème : « La Constitution et les droits de l'homme ». Le texte du colloque est disponible sur le lien http://www.un.org/rigths/micivih/renforfr.htm. La page est consultée le 20 Juin 2008.

fondamentales. D'où, le fondement de leur volonté de tenter d'éviter le retour au présidentialisme traditionnel et renforcer corrélativement les pouvoirs du Parlement. Des pouvoirs très étendus sont accordés au Parlement, alors que l'Exécutif est complètement encadré en ce qu'il ne constitue pas un contrepoids réel et efficace à la toute-puissance du Parlement. L'organisation institutionnelle du nouveau régime de 1987 fait du Parlement l'organe central du pouvoir politique dans le système constitutionnel haïtien. D'où, un revirement brutal venant bouleverser l'architecture institutionnelle traditionnelle d'Haïti.

A. PROBLEMATIQUE ET CADRE THEORIQUE

A bien comprendre la tendance dominante de l'époque après-1986 et les mécanismes institutionnels du nouveau régime, l'on se demande à bon droit s'il ne s'agissait pas moins d'instituer un régime efficace et plus démocratique que de l'instituer contre le Président de la République4.

En effet, une analyse exhaustive des mécanismes institutionnels du nouveau régime porte à comprendre, du moins sur le plan théorique que le résultat est atteint en ce sens qu'une application rigoureuse de la Constitution de 1987 aura préservé le Peuple d'un éventuel retour au présidentialisme traditionnel. Néanmoins, notre préoccupation reste à savoir si des anomalies constitutionnelles n'ont pas été tentées d'être corrigées par d'autres anomalies constitutionnelles.

Selon les professeurs Francis HAMON et Michel TROPER : « Le droit constitutionnel a connu depuis le XVIIIe siècle une évolution considérable. Il n'a plus seulement pour objet l'organisation de l'Etat et n'a plus seulement pour fin la limitation du pouvoir et la garantie de la liberté, mais concerne des domaines sans cesse plus variés et plus nombreux. Cette évolution s'explique aisément par la hiérarchie des normes : chaque norme trouve le fondement de sa validité dans une norme supérieure, à laquelle elle doit être conforme5. » Plus loin, ils avancent : « Les hommes qui exercent le pouvoir politique n'exercent pas un pouvoir

4 Pour ce questionnement spécifique, je me suis inspiré du mémoire réalisé par l'étudiant Garry Frantz Cy JEAN-PIERRE, intitulé : La Constitution de 1987, une charte fondamentale contre le Président de la République, no 001216 j, JEA, 2002.

5 HAMON, TROPER 2003, page 22.

propre, mais une compétence. [...] La Constitution est alors l'organisation générale du pouvoir, qui résulte de la répartition des compétences entre les organes6. »

Donc, à bien comprendre cet enseignement, on peut avancer que la Constitution, en tant que code des Pouvoirs publics et charte des libertés, est placée au sommet de la hiérarchie des normes juridiques de sorte qu'elle fonde la validité des autres normes juridiques. Par ailleurs, une sanction de cette suprématie est mise en place, car la garantie de la suprématie de la Constitution est fondamentale à la formation de l'Etat de droit.

Ce travail de recherche académique s'inspire aussi des techniques démocratiques de Séparation des Pouvoirs. Ces techniques donnent naissance aux régimes de Séparation des Pouvoirs découlant de la théorie de la Séparation des Pouvoirs élaborée par les philosophes des Lumières, inspirés à titre principal des travaux de John LOCKE.

L'objectif visé par la théorie est d'éviter le retour à la concentration des pouvoirs dans les mains d'un seul : « Pour qu'on ne puisse pas abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir7. »

La Séparation des Pouvoirs ne signifie pas leur isolement. Montesquieu précise que le Législatif et l'Exécutif ont la faculté d' « empêcher » et celle de « statuer ». Donc, chaque instance titulaire d'un pouvoir politique possède deux facultés : celle d' « agir » et celle

d' « empêcher ». Ces instances sont ainsi contraintes de collaborer pour travailler, tout en se contrôlant mutuellement, ce qui réduit le risque d'abus. Finalement, la Séparation des Pouvoirs postule l'équilibre des pouvoirs8.

De plus, Carré de MALBERG eut à avancer : « Tout pouvoir institué est par essence limité et ne saurait être considéré comme souverain. » Plus loin, il avance : « L'idée de la souveraineté nationale renferme des règles qui déterminent et bornent la puissance des Assemblées constituées9. »

Le rejet du système politique ancien, pour éviter les éventuelles tentatives de dérive dictatoriale, s'est formalisé par la ratification, le 29 Mars 1987, de la Constitution de 1987.

6 Idem, page 22.

7 Montesquieu, l'Esprit des Lois.

8 COLLINET 1999, pages 17 et 18.

9 Contribution à la théorie générale de l'Etat, page 616 in Chevalier, page 33 (cité par le professeur Monferrier DORVAL lors d'un colloque international tenu à l'Université Quisqueya sous le thème : « La Constitution de 1987 et les droits de l'homme » les 28 et 29 Avril 1997.

Cette dernière est affirmée comme la norme suprême de l'Etat. Une sanction de cette suprématie est mise en place. La Constitution de 1987, préserve-t-elle pour autant les citoyens d'un accroissement des pouvoirs de leurs délégués ?

En tout état de cause, à bien cerner les mécanismes institutionnels du nouveau régime et la substance de la littérature juridique relative à cet objet d'étude, on peut avancer que le régime est déséquilibré au profit du Parlement. C'est presqu'une évidence et c'est en quelque sorte le propre des logiques institutionnelles du régime. Néanmoins, à côté de ce état de fait, les pouvoirs du Parlement peuvent aller grandissants. Il lui est loisible d'étendre sa sphère d'influence et d'intervention. D'où, un déficit d'encadrement juridique des pouvoirs du Parlement.

En effet, l'article 93 de la Constitution de 1987, énumérant des attributions de la Chambre des Députés, dispose in fine que « les autres attributions de la Chambre des Députés lui sont assignées par la Constitution et par la loi ». De son côté, l'article 97, énumérant des attributions du Sénat, dispose in fine qu'il peut « exercer toutes attributions qui lui sont assignées par la présente Constitution et par la loi ». Or, n'est-il pas de la compétence du Parlement de faire les lois ? Jusqu'où peut-il aller dans l'élargissement de ses pouvoirs ? Dans le régime constitutionnel de 1987, ne revient-il pas au Parlement de s'imposer des limites hypothéquant ainsi la stabilité des logiques institutionnelles du régime et favorisant la fragilisation des libertés fondamentales ?

Cette faculté accordée implicitement au Parlement d'étendre sa sphère d'influence et d'intervention est, entre autres, une arme potentiellement utilisable contre les logiques institutionnelles du régime. De surcroît, cette faculté n'est pas tempérée par des contrepouvoirs réels et efficaces. Or, selon le maître Montesquieu : « C'est une expérience éternelle que tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser. Il va jusqu'à ce qu'il trouve des limites10 ». Puisqu'il s'agit d'un pouvoir sans bornes, rien n'empêche au Parlement de rendre le régime institué encore plus déséquilibré en sa faveur. D'où, une négation de la notion d'équilibre postulée par le principe de la Séparation des Pouvoirs qui, pourtant, est consacré solennellement à l'article 59 in fine de la Constitution de 1987.

Au lieu d'imposer lui-même les moyens et mécanismes de la stabilité des logiques institutionnelles du régime, le constituant a préféré s'en remettre à la vertu présumée du

10 Passage tiré de son oeuvre magistral, l'Esprit des Lois.

Parlement oubliant ainsi que cela n'est pas sans incidences sur le niveau de protection des libertés fondamentales. Or, c'est, entre autres, le propre de toute Constitution de limiter ou de contrebalancer les prérogatives des Pouvoirs institués ; c'est une condition essentielle et une garantie de protection des libertés fondamentales. C'est d'ailleurs la substance même de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 en France.11

En définitive, les constituants de 1987, à trop vouloir éviter le retour au présidentialisme traditionnel, n'ont-ils pas accordé au Parlement une omnipotence qui compromet dans l'oeuf le niveau de protection nécessaire aux libertés fondamentales ? La protection des droits et libertés des citoyens n'a-t-elle pas été toujours considérée comme un acquis du nouveau régime institué par la Constitution ? Tout au moins, le rejet du présidentialisme traditionnel pour éviter les dérives dictatoriales, n'a-t-il pas eu pour fin ultime une meilleure protection des libertés fondamentales ? Ainsi, n'est-on pas en présence d'un paradoxe du régime ?

En souvenir de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 Août 178912 et de Carré de Malberg13, on pourrait être tenté de faire valoir, avec véhémence, que « la loi est l'expression de la volonté générale ». Donc, n'importe quelle loi adoptée par le Parlement, à la limite même liberticide, est présumée refléter la volonté générale. De plus, en l'espèce, c'est sur l'invitation du constituant que la loi est appelée à accorder d'autres attributions au Sénat et à la Chambre. A priori, cette position paraît fondée, mais c'est là oublier que « la loi n'est l'expression de la volonté générale que dans le respect de la Constitution14 ».

Le Sénat et la Chambre des Députés peuvent étendre leur sphère d'influence et d'invention, par voie législative ordinaire, sur invitation du constituant. Par contre, la Constitution de 1987 a affirmé sa suprématie en prévoyant un contrôle de constitutionnalité des lois et ces dernières fondent la validité des règlements de l'Exécutif et de l'Administration. De plus, elle prévoit la constitutionnalité des conventions, traités ou accords internationaux. Par conséquent, d'aucuns pourraient être tentés d'avancer que les débordements éventuels des pouvoirs du Parlement peuvent être relégués au rang des abstractions. Puisque la Constitution est la norme suprême de l'Etat, toutes les autres normes

11 L'article 16 dispose : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ».

12 Voir l'article 6 in limine.

13 « La loi, expression de la volonté générale », Editions Sirey, Paris, 1931, page 215 (cité par Dominique TURPIN dans son ouvrage intitulé : « Contentieux constitutionnel », 1ère édition, P.U.F., Paris, 1986, page 15).

14 Conseil constitutionnel - Décision no 85-197 DC du 23 Août 1985.

juridiques doivent lui être conformes. D'où, l'organisation institutionnelle du régime sera préservée et les libertés publiques sont efficacement protégées.

A cela, nous répondons que, certes, la suprématie de la Constitution de 1987 est affirmée. Cependant, la garantie de cette suprématie est-elle pour autant juridiquement assurée ? Si la suprématie de la Constitution de 1987 est consacrée, mais juridiquement mal garantie, le problème reste entier. Toute l'organisation du pouvoir dans l'Etat peut être mise en cause, la Constitution peut être vidée de son contenu et les libertés fondamentales sont fragilisées. Dans ces conditions, la Séparation des Pouvoirs et l'Etat de droit pourraient être considérés comme de vains mots.

D'où, la formulation de notre question de départ : «En encadrant complètement le Pouvoir Exécutif au profit du Parlement pour éviter les dérives dictatoriales, les constituants de 1987, n'ont-ils pas accordé à ce dernier des pouvoirs illimités jusqu'à hypothéquer la suprématie de la Constitution ? »

B. HYPOTHESE

Le souci d'encadrer complètement le Pouvoir Exécutif au profit du Parlement, pour éviter les dérives dictatoriales, a même conduit les constituants de 1987 à accorder des pouvoirs illimités au Parlement jusqu'à mettre en péril la suprématie de la Constitution.

C. CADRE METHODOLOGIQUE

Vu l'aspect qualitatif de notre objet d'étude, nous entendons faire usage de la méthode comparative et de la méthode dialectique pour la vérification de l'hypothèse qui pourra être ou bien confirmée ou bien infirmée, sinon nuancée.

La méthode comparative nous porte à nous intéresser principalement à la doctrine constitutionnelle française, sans toutefois négliger la jurisprudence constitutionnelle française et américaine.

La doctrine constitutionnelle française aura permis de faire des considérations académiques pour pouvoir asseoir notre réflexion sur des bases théoriques et ainsi la

structurer. Le coup d'oeil sur la jurisprudence constitutionnelle française et américaine aura permis de mieux comprendre le rôle que peut être appelé à jouer le Conseil Constitutionnel en France et la Cour Suprême des Etats-Unis d'Amérique dans l'équilibre des Pouvoirs publics constitutionnels et la protection de la suprématie de la Constitution. Pour nous en convaincre, le rôle du Conseil Constitutionnel, en France, n'a cessé de se développer depuis 1958 et le célèbre arrêt Marbury v. Madison de 1803 dans lequel la Cour Suprême des Etats-Unis d'Amérique s'est reconnue le rôle de gardien de la suprématie de la Constitution est un tournant historique.

Ce regard sur les systèmes constitutionnels étrangers, notamment celui de la France et des Etats-Unis d'Amérique, favorisera une meilleure compréhension du système constitutionnel haïtien de 1987. De plus, cela servira, à la longue et par une imitation intelligente, à l'amélioration de ce dernier. C'est qu'à bien des égards, plusieurs procédés existant sous la IIIe, ou la IVe République, en France, ont été reproduits dans la Constitution de 1987, alors qu'entre-temps, sous la Ve République, le régime a été rationalisé et « modernisé ».

Pour ce qui est de la comparaison avec le droit américain, ce choix est surtout motivé par le fait que le Président de la République, sous le régime constitutionnel de 1987, est élu comme en régime présidentiel dont le système constitutionnel américain est le prototype. Pourtant, contrairement au système américain, ses pouvoirs ne font pas chorus avec son mode d'élection. Les maigres pouvoirs reconnus au Président de la République en réaction au présidentialisme traditionnel font plutôt penser à un Président de type parlementaire.

Pour ce qui est de la méthode dialectique, elle permettra de saisir le paradoxe du régime par la démonstration des contradictions. Le nouveau système politique a été mis en place pour éviter les dérives dictatoriales, en vue de protéger les citoyens contre l'arbitraire des gouvernants. Tout a été mis en place pour empêcher la dictature de l'Exécutif. Pourtant, les mécanismes du nouveau régime n'empêchent pas une véritable dictature parlementaire.

Ensuite, comme instrument de collecte de l'information, nous adoptons l'observation documentaire en utilisant les documents suivants :

> 1) Ouvrages spécialisés

> 2) Périodiques spécialisés

> 3) Documents officiels

> 4) Sources Internet

De plus, la crédibilité de notre travail de recherche académique a été pour nous un souci constant. Dans cette optique, des renvois aux références bibliographiques sont systématiques. Pour cela, nous avons utilisé l'exemple de références « à l'ancienne » et l'exemple de références avec la « formule codée ».15

Pour tous les documents figurant dans notre bibliographie, nous utilisons comme référence la « formule codée » dont la structure de base est : « Nom Année, page tant ».

Ex. GICQUEL 1997, page 269.

Quand nous évoquons ou citons une source que nous avons choisi de ne pas faire figurer dans notre bibliographie, nous utilisons l'exemple de références « à l'ancienne » en donnant en note la référence précise.

Ex. François TERRE. Introduction générale au droit, précis Dalloz, Paris, 7e éd.,

2006, page 194.

D. CADRE CONCEPTUEL

Ici, nous donnons la définition de certains termes utilisés dans le cadre de ce travail de recherche académique pour les fins de notre analyse.

Constitution

« Ensemble des règles suprêmes fondant l'autorité étatique, organisant ses institutions, lui donnant ses pouvoirs, et souvent aussi lui imposer des limitations, en particulier en garantissant des libertés aux sujets ou citoyens16 ».

« Dans le cadre de ce travail de recherche académique, la fragilisation de l'autorité de la Constitution traduit un état de mise en péril de la suprématie de cette dernière dans la hiérarchie des normes juridiques, en raison d'un phénomène de puissance qui vient compromettre ou minimiser la garantie de cette suprématie ».

15 Michel BEAUD. L'art de la thèse, La Découverte, Paris, 5e éd., 2006, pages 129 à 134.

16 CORNU 2007, page 223.

Régime politique

Forme du Gouvernement d'un Etat. Mise en oeuvre, dans un Etat déterminé, d'une certaine conception concernant la souveraineté et les principes dont doit s'inspirer le Gouvernement, ou les distinctions et relations entre gouvernants et gouvernés et entre les divers Pouvoirs publics17.

Dans le cadre de ce travail, nous nous intéresserons surtout aux éléments juridiques du concept de régime politique. Donc, nous nous appuyons prioritairement sur le cadre constitutionnel, sans toutefois négliger les éléments extra-juridiques du concept comme le système de partis, la personnalisation du pouvoir, l'idéologie, etc.18

De plus, les concepts régime politique et régime constitutionnel sont considérés comme interchangeables. Par contre, quand le premier est utilisé, l'accent est mis sur l'analyse politique ; mais quand le second est utilisé, l'accent est mis sur l'analyse juridique19.

Déséquilibre institutionnel

Dans le cadre de notre travail de recherche, nous entendons par déséquilibre institutionnel, le déséquilibre existant entre les institutions politiques (l'Exécutif et le Législatif) du cadre constitutionnel proprement dit. Ce déséquilibre se traduit par la prééminence quasi-illimitée du Parlement et l'encadrement juridique et politique de l'Exécutif.

Logiques institutionnelles

Parlant de logiques institutionnelles du régime constitutionnel de 1987, nous faisons référence à l'agencement institutionnel des rapports entre les Pouvoirs publics constitutionnels tel que conçu à la fois dans la lettre et surtout dans l'esprit de la Constitution.

En définitive, ce travail de recherche académique comporte deux parties divisées en quatre chapitres. Ces derniers sont divisés en sections qui, à leur tour, sont subdivisées en paragraphes.

17 Idem, page 785.

18 Voir GUILLIEN, VINCENT 2001, page 473.

19 Ibidem, page 786.

PREMIERE PARTIE

LES POUVOIRS PUBLICS SOUS LE REGIME
CONSTITUTIONNEL DE 1987 : DESEQUILIBRE AU PROFIT
DU PARLEMENT

Sous le régime constitutionnel de 1987, l'exercice du pouvoir politique au plan national est confié à deux des trois grands Pouvoirs de l'Etat. Il s'agit du Pouvoir Législatif et du Pouvoir Exécutif. Il va sans dire que ces deux Pouvoirs publics constitutionnels partagent la mission de la conduite de l'Etat haïtien.

Dans les régimes étrangers, il arrive que les Constitutions accordent une certaine prépondérance à l'un ou l'autre de ces deux Pouvoirs. En ce sens, dans le régime constitutionnel de 1987, le système institutionnel retenu se caractérise par la prééminence du Parlement. Il en est ainsi en réaction au présidentialisme traditionnel dans le système politique haïtien. Les constituants de 1987 ont estimé qu'il est plus facile à un seul homme, doté d'un pouvoir politique fort, d'instituer le despotisme, annihilant ainsi les libertés fondamentales. Donc, la prééminence accordée au Parlement paraît comme un moyen de contourner les éventuelles tentatives de dérive dictatoriale. Néanmoins, cette prééminence accordée au Parlement ne favorise-t-elle pas le phénomène de la paralysie parlementaire ou même celui de la dictature parlementaire ?

Par ailleurs, la Constitution de 1987 traite en premier lieu du Pouvoir Législatif et les deux organes de ce dernier sont issus du suffrage universel direct. Au niveau du Pouvoir Exécutif, le Président de la République est issu du suffrage universel direct, alors que le Gouvernement est une émanation du Pouvoir Législatif. Pourtant, dans le cadre du bicéphalisme exécutif institué par la Constitution de 1987, des pouvoirs importants sont accordés au Premier Ministre, Chef du Gouvernement, pour minimiser l'influence du Président de la République, lui-même élu. Ce dernier a le même fondement démocratique que les parlementaires. Toutefois, il ne peut pas mettre fin à leur mandat, alors que le Sénat, érigé en Haute Cour de Justice, peut mettre fin prématurément à ses fonctions présidentielles, pour crime de haute trahison, une notion juridiquement imprécise. De plus, les principaux pouvoirs du Président de la République sont teintés de l'influence et du contrôle du Parlement dont les membres bénéficient des immunités pour le libre exercice de leurs missions souveraines. En outre, ces derniers disposent de pouvoirs très étendus pour le contrôle de l'action gouvernementale.

En somme, le régime constitutionnel de 1987 institue un Parlement puissant et un Exécutif « désarmé », plus particulièrement un Président de la République « édenté ». D'où, le Parlement forme l'épicentre du régime.

CHAPITRE PREMIER

Le Pouvoir Législatif et le Pouvoir Exécutif : fondements et organisation

Ce chapitre traite des deux (2) Pouvoirs de l'Etat auxquels est dévolu l'exercice du pouvoir politique au plan national. D'une part, le Pouvoir Législatif ou Parlement est analysé dans sa composition, ses fonctions et par rapport aux privilèges de ses membres (section I). D'autre part, une analyse est faite du Pouvoir Exécutif, composé du Président de la République, issu du suffrage universel direct, et du Gouvernement émanant du Parlement (section II).

SECTION I.- LE POUVOIR LÉGISLATIF : COMPOSITION, FONCTIONS ET PRIVILÈGES

Le Pouvoir Législatif20, un des trois (3) grands Pouvoirs de l'Etat, forme avec le Pouvoir Exécutif les deux (2) institutions politiques du régime constitutionnel de 1987. Il est essentiellement l'organe de confection de la loi et de contrôle du Gouvernement.

Le Pouvoir Législatif est un Pouvoir bicaméral21 exercé par deux (2) Assemblées élues au suffrage universel direct. D'une part, il s'agit du Sénat, communément appelé Chambre Haute ou Grand Corps et d'autre part, de la Chambre des Députés, communément appelée Chambre Basse.22

Dans le cadre de l'exercice des fonctions législative et de contrôle du Parlement, une certaine symétrie peut être observée en ce sens que les deux Assemblées jouent quasiment le même rôle et dans la même proportion.

20 Les expressions « Pouvoir Législatif », « Corps Législatif », ou « Parlement » sont interchangeables. C'est qu'ici, « Pouvoir Législatif » est synonyme d'organe.

21 Le bicaméralisme est inauguré par l'élection des Députés le 26 Janvier 1817 et l'ouverture de la première session le 22 Avril. Voir Mirlande MANIGAT, Traité de Droit constitutionnel haïtien, 2000, p. 526.

22 Les deux (2) Assemblées siègent au Palais Législatif.

En effet, en matière législative, contrairement à ce qui se fait en France23, aucune des deux Assemblées n'a le droit de dernier mot. En cas de désaccord persistant entre les deux (2) Assemblées relativement à un projet de loi ou une proposition de loi, celui-ci ou celle-ci sera retiré (e)24.

De plus, le Gouvernement est responsable devant chacune des deux (2) Assemblées. Le Gouvernement est en principe issu du parti majoritaire au Parlement, mais ce parti doit être majoritaire dans chacune des deux (2) Assemblées.

Pour pouvoir saisir l'essence de cette institution politique, nous allons la considérer dans sa composition (§ 1), ses fonctions générales et communes (§ 2), par rapport aux privilèges de ses membres et aux mesures protectrices de l'indépendance de ces derniers (§ 3).

§ 1.- LE PARLEMENT ET SES ORGANES

Le texte constitutionnel de 1987 indique clairement, en son article 88, que le Pouvoir Législatif est exercé par le Sénat et la Chambre des Députés. Donc, l'un et l'autre, chacun de son côté, forme un corps, un organe, une branche du Pouvoir Législatif.

Néanmoins, dans des circonstances bien élucidées par la Constitution, le Parlement peut se réunir en Assemblée Nationale.25 Cette dernière peut se définir comme la réunion en une seule Assemblée des deux (2) branches du Pouvoir Législatif (art. 98). Elle n'a ni les mêmes pouvoirs ni la même composition que le Sénat ou la Chambre des Députés. Donc, elle est un organe propre du Pouvoir Législatif, quoique non-permanent.

D'où, le Pouvoir Législatif comporte deux (2) organes permanents : la Chambre des Députés (A) et le Sénat (B), puis un organe non-permanent : l'Assemblée Nationale (C).

23 En France, s'il existe un désaccord entre les deux Assemblées concernant le vote d'une loi, l'Assemblée Nationale tranche en dernier recours sur la demande du Gouvernement. Voir l'art. 20 de la LOI constitutionnelle no 2008-724 du 23 Juillet 2008 de modernisation des institutions de la Ve République, puis l'art. 45 de la Constitution française de 1958 (disposition entrée en vigueur le 1er mars 2009).

24 Voir l'art. 111-4 de la Constitution de 1987. S'il s'agit de la loi de finances, une Commission parlementaire mixte résout en dernier ressort le désaccord. Voir l'art. 111-3 de la Constitution de 1987.

25 Voir les articles 98 et 98-1 de la Constitution de 1987. A ne pas confondre avec l'Assemblée Nationale en France. Cette dernière pourrait être comparée, toutes proportions gardées, à la Chambre des Députés en Haïti. En France, l'organe résultant de la réunion des deux Assemblées porte le nom de Congrès. Pourtant, c'est l'ensemble des deux Assemblées qui forment le Congrès dans le système constitutionnel américain ; le Parlement fédéral porte le nom de Congrès des Etats-Unis. Donc, qui dit Congrès aux Etats-Unis dit Parlement en Haïti. Pourtant, qui dit Congrès en France dit Assemblée Nationale en Haïti. Voir l'article 89, al. 3 de la Constitution française de 1958, puis COLLINET 1999, Op. Cit., page 25 et GICQUEL 1997, page 269.

A. LA CHAMBRE DES DÉPUTÉS

La Chambre des Députés forme avec le Sénat les deux branches du Pouvoir Législatif. C'est donc l'une des deux (2) Assemblées formant le Parlement. Elle assume conjointement avec le Sénat le pouvoir législatif26 et contrôle aussi l'action gouvernementale.

La Chambre des Députés est un Corps composé de membres élus au suffrage universel direct à la majorité absolue des suffrages exprimés. Elle est élue pour quatre (4) ans et est renouvelée intégralement au terme de son mandat.27

Les constituants de 1987 n'ont pas prévu un système de remplacement automatique (par un suppléant) contrairement à ce qui se pratique en France28. En cas de fin prématurée du mandat du Député (mort, démission, déchéance, interdiction judiciaire, raisons d'incompatibilité), il est pourvu à son remplacement par une élection partielle29 pour le temps qui reste à courir (art. 130).

En principe, chaque Collectivité municipale forme une circonscription électorale et élit un Député. Toutefois, la Chambre comprend un nombre variable de sièges. Il en est ainsi parce que c'est la loi qui fixe le nombre de Députés au niveau des grandes agglomérations (art.90).

Les Députés siègent en deux (2) sessions annuelles de durée inégale. Ce sont les sessions ordinaires. La première session va du deuxième Lundi de Janvier au deuxième Lundi de Mai (quatre mois). La deuxième session va du deuxième Lundi de Juin au deuxième Lundi de Septembre (trois mois).

Il s'ensuit que la Chambre30 siège obligatoirement durant sept (7) mois nonconsécutifs au cours d'une année civile (soit moins de 60% de l'année). Par contre, dans l'intervalle des sessions ordinaires, cette Assemblée peut valablement se réunir en session

26 Pouvoir législatif ici est synonyme de fonction.

27 Chaque mandat forme une Législature (art. 92-1 de la Constitution de 1987).

28 Voir l'art. 10 de la LOI constitutionnelle no 2008-724 du 23 Juillet 2008 de modernisation des institutions de la Ve République ; l'art. 25 de la Constitution française de 1958 ; les articles 2, 3 et 4 de la LOI organique no 2009-38 du 13 Janvier 2009 portant application de l'art. 25 de la Constitution de 1958 (JORF no 0011 du 14 Janvier 2009). La plupart de ces documents sont consultés sur le site du Journal officiel de la République française : http:// www.journal-officiel.gouv.fr le 26 Avril 2009.

29 L'élection partielle est organisée en cours de Législature afin de pourvoir un ou plusieurs siège (s) devenu (s) vacant (s).

30 En Haïti, qui dit la Chambre dit la Chambre des Députés.

extraordinaire suite au message du Président de la République convoquant le Corps Législatif en session extraordinaire31.

La Chambre exerce, au nom des citoyens, les attributions du Pouvoir Législatif de concert avec le Sénat (art. 89). Donc, les principales fonctions dévolues au Sénat en tant que branche du Pouvoir Législatif sont également dévolues à la Chambre. Cependant, les deux restent et demeurent deux organes distincts. Une certaine asymétrie peut même être observée dans certains domaines.

Ainsi, revient-il exclusivement à la Chambre de décider souverainement de l'opportunité de mettre en accusation n'importe quel membre du Pouvoir Exécutif par-devant la Haute Cour de Justice. Elle peut aussi décider d'engager la même procédure contre les membres du Conseil Electoral Permanent (C.E.P.) et ceux de la Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux Administratif (C.S.C. /C.A.), les juges de la Cour de Cassation de la République et les officiers du Ministère public près cette Cour, et enfin contre le Protecteur du citoyen.

« La Chambre des Députés, à la majorité des deux tiers (2/3) de ses membres, prononce la mise en accusation :

a) Du Président de la République pour crime de haute trahison ou tout autre crime ou délit commis dans l'exercice de ses fonctions ;

b) Du Premier Ministre, des Ministres et des Secrétaires d'Etat pour crime de haute trahison et de malversations ou d'excès de pouvoir ou tous autres crimes ou délits commis dans l'exercice de leurs fonctions ;

c) Des membres du C.E.P. et de la C.S.C. /C.A. pour fautes graves commises dans l'exercice de leurs fonctions ;

d) Des juges et officiers du Ministère public près la Cour de Cassation pour forfaiture ;

e) Du Protecteur du citoyen. » 32

De plus, la Chambre est saisie la première du projet de budget. C'est que les projets de loi de finances sont toujours soumis en premier lieu à la Chambre33.

31 Voir les articles 105 et 106 de la Constitution de 1987.

32 Voir les articles 93 et 186 de la Constitution de 1987.

33 Article 111-2 de la Constitution de 1987.

B. LE SÉNAT

Le Sénat forme avec la Chambre des Députés les deux (2) branches du Parlement34. Il exerce conjointement avec la Chambre le pouvoir législatif et contrôle aussi l'action gouvernementale.

Le Sénat est un corps composé de membres élus au suffrage universel direct et à la majorité absolue des suffrages exprimés (art. 94-2). Ses membres (les Sénateurs) sont élus dans le cadre du département pour un mandat de six ans (6 ans) indéfiniment renouvelable (art.95). Il est soumis à un régime de renouvellement partiel. Ce renouvellement se fait par tiers (1/3) tous les deux ans (art. 95-3). Donc, un tiers des Sénateurs est renouvelé tous les deux ans (2 ans).

Le nombre de sièges au Sénat est fonction du nombre de départements que compte le pays, à raison de trois (3) Sénateurs par département géographique (art. 94-1).

Comme pour le Député, en cas de fin prématurée du mandat du Sénateur (mort, démission, déchéance, interdiction judiciaire, raisons d'incompatibilité), il est pourvu à son remplacement par une élection partielle pour le temps qui reste à courir (art. 130).

Si, comme on l'a vu, les Députés siègent en deux sessions annuelles, le Sénat de son côté siège en permanence (art. 95-1). En revanche, cette Assemblée peut, au même titre que la Chambre, valablement se réunir en session extraordinaire suite au message du Président de la République (art. 106) convoquant le Corps Législatif en session extraordinaire (art.105).

En aucun cas, le Sénat ne peut être ajourné (art.111-8). Cependant, il peut lui-même s'ajourner (art. 95-2).35

De même que la Chambre, le Sénat exerce, au nom des citoyens, les attributions qui lui sont inhérentes en tant que branche du Pouvoir Législatif. Mais, en tant qu'organe distinct de la Chambre, le Sénat exerce des attributions constitutionnelles qui sont sans commune mesure aux fonctions séparées exercées par la Chambre des Députés.

34 Le système législatif est inauguré par le Sénat. Ce dernier est une création de la Constitution de 1806.

35 Le Sénat peut valablement s'ajourner, sauf durant la session législative. Toutefois, l'Exécutif peut le convoquer avant la fin de l'ajournement dans les cas d'urgence. De plus, lorsqu'il s'ajourne, il est tenu de laisser un comité permanent chargé d'expédier les affaires courantes (art.95-2).

En effet, le Sénat de la République est doté d'importants pouvoirs qui pourraient être qualifiés de comparables, toutes proportions gardées, à ceux du Sénat des Etats-Unis d'Amérique36.

Ainsi, le Sénat peut-il s'ériger en Haute Cour de Justice après avoir été régulièrement saisi par la Chambre pour juger des hauts personnages de l'Etat37.

Nous rappelons que la Haute Cour de Justice (HCJ) est une instance constitutionnelle spéciale non-permanente. Il s'agit d'une juridiction politique répressive. Sa compétence s'exerce à l'égard du personnel politique du Pouvoir Exécutif, des juges de la juridiction suprême de l'ordre judiciaire et des officiers du Ministère public près cette juridiction, puis de certains hauts personnages de l'Etat.

Entre autres, cette formation spéciale permet au Sénat de mettre fin prématurément, le cas échéant, au mandat du Président de la République en le destituant38.

De plus, il revient exclusivement au Sénat de la République d'élire les dix (10) membres de la C.S.C/C.A.39

Si la nomination des juges de la Cour de Cassation est du ressort du Président de la République, il revient toutefois au Sénat de limiter sa liberté de choix en faisant la présélection.40

Toujours est-il, dans le cadre de la fonction sélective du Sénat, son approbation est requise pour la nomination du Commandant en Chef des Forces Armées, celui de la Police, les Ambassadeurs et les Consuls généraux, puis des Conseils d'Administration des Organismes autonomes41.

36 Surtout en ce qui concerne la procédure de contrôle parlementaire sur certaines nominations relevant du Président de la République. Avec son pouvoir d'approbation de certaines nominations décidées par ce dernier, le Sénat dispose d'une « faculté d'empêcher » à l'égard du Président de la République.

37 Voir les articles 93 et 97 de la Constitution de 1987.

38 Article 189-1 de la Constitution de 1987.

39 Article 200-6 de la Constitution de 1987.

40 Voir les articles 97 et 175 de la Constitution de 1987. Nous rappelons du même coup que le Sénat des EtatsUnis d'Amérique donne son accord à la nomination des juges à la Cour Suprême fédérale. Voir PACTET 2001, page 234, puis GICQUEL 1997, op. cit., p. 276.

41 Rappelons ici encore que le Sénat des Etats-Unis d'Amérique donne son accord à la nomination des Ambassadeurs et des hauts fonctionnaires fédéraux. Voir PACTET 2001, op. cit., p. 234.

C. L'ASSEMBLÉE NATIONALE

Exceptionnellement, Députés et Sénateurs peuvent siéger ensemble formant ainsi une seule Assemblée. Alors, il convient de dire, suivant l'expression juridique consacrée, que le Parlement se réunit en Assemblée Nationale42. Donc, l'Assemblée Nationale n'est ni la Chambre des Députés ni le Sénat. Il s'agit d'une formation spéciale du Parlement dotée d'attributions propres.

L'Assemblée Nationale, l'organe non-permanent du Parlement, se réunit essentiellement pour l'ouverture et la clôture de chaque session. A l'ouverture de la session, elle reçoit le bilan des activités du Gouvernement43. En outre, elle est dotée de pouvoirs considérables.

> Sur le plan militaire, c'est le Président de la République qui dispose de la compétence constitutionnelle pour déclarer la guerre à une puissance étrangère ennemie44. Toutefois, cette déclaration de guerre ne peut intervenir qu'après l'approbation de l'Assemblée Nationale. Cette dernière donne son approbation par ratification de la décision du Chef de l'Etat de déclarer la guerre45. De plus, l'Assemblée Nationale, a le pouvoir et surtout le devoir de vérifier que toutes les tentatives de conciliation ont échoué avant de pouvoir ratifier la décision du Chef de l'Etat.

Le Président de la République ne peut signer ni même négocier les traités de paix sans l'approbation de l'Assemblée Nationale46.

En temps de crises exceptionnelles (guerre civile, invasion de la part d'une force étrangère), il lui revient d'apprécier et donc de statuer sur l'opportunité de l'état de siège voulu, le cas échéant, par le Pouvoir Exécutif. Elle décide conjointement avec ce dernier des garanties constitutionnelles à suspendre pour éviter que les libertés individuelles soient à la merci du Pouvoir Exécutif. De plus, c'est l'Assemblée Nationale qui décide, le cas échéant, en dernier ressort du renouvellement de l'état de siège après sa caducité47.

42 Historiquement, l'Assemblée Nationale est créée pour la 1ère fois par la Constitution de 1843. Voir Manigat 2000, op. cit., page 526.

43 Voir les articles 98-1 et 98-3 de la Constitution de 1987.

44 Article 140 de la Constitution de 1987.

45 Article 98-3 de la Constitution de 1987.

46 Article 140 de la Constitution de 1987.

47 Voir les articles 98-3, 278 à 278-4 de la Constitution de 1987.

> Sur le plan diplomatique, il revient à l'Assemblée Nationale d'approuver ou de rejeter les conventions et traités internationaux48. De ce fait, on comprend bien que la compétence constitutionnelle pour obliger « définitivement » et solennellement l'Etat49 sur la scène internationale est dévolue à cette formation spéciale du Parlement.

> En matière de révision de la Constitution, le pouvoir constituant lui est formellement et exclusivement reconnu. Certes, le Pouvoir Exécutif ou l'une ou l'autre des deux Assemblées parlementaires peut proposer l'amendement50, mais il revient exclusivement au Pouvoir Législatif de déclarer qu'il y a lieu d'amender la Constitution. De plus, c'est l'Assemblée Nationale qui statue définitivement et souverainement sur l'amendement proposé51.

En effet, la Constitution de 1987, en son article 284-3, interdit tout référendum constituant. En revanche, le Peuple haïtien est appelé à se prononcer en cette matière seulement en décidant de reconduire la majorité ayant déclaré qu'il y a lieu d'amender la Constitution, ou encore de conduire une nouvelle majorité au Parlement, pour manifester son accord ou son désaccord.

> Par ailleurs, dans le cadre de la fonction sélective de l'Assemblée Nationale, cette dernière concourt à la formation du C.E.P. en choisissant trois (3) de ses neuf (9) membres52.

> Enfin, c'est aussi l'Assemblée Nationale qui reçoit le serment constitutionnel du Président de la République élu. Cette affirmation solennelle faite devant l'Assemblée Nationale consacre son entrée en fonction. C'est à cet instant que le Président élu se trouve investi de sa charge et des pouvoirs qui l'accompagnent. Donc, à compter de cette prestation de serment, il cesse d'être un simple Président de la République élu pour devenir un Président de la République en exercice. C'est le cas de dire que les deux Assemblées réunies en Assemblée Nationale constituent le témoin privilégié de la prise en charge des fonctions présidentielles du nouveau élu.

48 Article 98-3 de la Constitution de 1987.

49 « La ratification est l'acte par lequel l'autorité étatique la plus haute, détenant la compétence constitutionnelle de conclure des traités internationaux, confirme le traité élaboré par ses plénipotentiaires, consent à se qu'il devienne définitif et obligatoire et s'engage solennellement au nom de l'Etat à l'exécuter ». Voir Nguyen Quoc Dinh, Droit international public, 7e édition, L.G.D.J., Paris, 2002, p.138.

50 Article 282 de la Constitution de 1987.

51 Voir les articles 98-3 et 283 de la Constitution de 1987.

52 Article 192 de la Constitution de 1987.

§ 2.- LE PARLEMENT ET SES FONCTIONS GÉNÉRALES ET COMMUNES

Mises à part les fonctions spéciales de l'Assemblée Nationale, les fonctions séparées du Sénat et de la Chambre des Députés, le Parlement exerce ordinairement trois (3) fonctions principales. Il s'agit de la fonction législative (A), de la fonction de contrôle (B) et de la fonction d'enquête (C).

Par conséquent, les trois (3) principales fonctions susmentionnées sont communes aux deux Assemblées composant le Parlement haïtien. Une certaine symétrie peut même être observée entre le Sénat et la Chambre quant à l'exercice desdites fonctions.

Nous allons brièvement exposer une à une les trois (3) fonctions précitées pour essayer d'en saisir les grandes lignes.

A. LA FONCTION LÉGISLATIVE

La Constitution de 1987, en son article 111, accorde compétence au Parlement pour faire des lois « sur tous les objets d'intérêt public ». Élaborer et voter des lois constituent l'essence même de la fonction législative. Donc, légiférer est une compétence constitutionnelle du Parlement. En d'autres termes, la loi est essentiellement l'oeuvre du Parlement, puisque ce dernier est l'organe de confection de la loi.

Comme on l'a vu plus haut, il est de la responsabilité du Parlement de faire des lois. Toutefois, le pouvoir d'initiative législative est partagé entre le Pouvoir Exécutif et chacune des deux Assemblées composant le Parlement.53

Si le texte proposé est à l'initiative du Pouvoir Exécutif, on parle de projet de loi. Mais si le texte proposé est d'initiative parlementaire, on parle de proposition de loi. Par voie de conséquence, la loi, avant d'être juridiquement qualifiée telle, a été primitivement un projet de loi ou une proposition de loi.

La loi est adoptée selon la procédure législative, c'est-à-dire l'examen et le vote du texte par chaque Assemblée. Qu'il soit d'origine gouvernementale54 ou d'origine

53 L'initiative législative reste et demeure une compétence partagée du Pouvoir Législatif et du Pouvoir Exécutif. Cependant, dans le souci d'éviter toute dérive éventuelle, l'article 111-2 spécifie qu'en ce qui a trait à la loi de finances, l'initiative de la loi appartient, en dépit de l'article 111, en propre au Pouvoir Exécutif.

54 Le qualificatif est ici pris au sens large ; il implique l'ensemble de l'Exécutif.

parlementaire, le texte est examiné puis voté par les deux Assemblées. C'est que chacune des deux (2) Assemblées, avant de passer au vote, a le droit de discuter du contenu du texte qui lui est soumis. D'ailleurs, c'est au moment des discussions sur le texte que les Assemblées exercent leur droit d'amendement.

Il peut donc arriver que les deux Assemblées soient en désaccord sur le texte en discussion, puisque nous sommes en régime bicaméral. Or, pour devenir loi, le texte doit avoir été voté « dans la même forme par les deux (2) Chambres »55. D'où, un va- et- vient, la navette, du texte en discussion entre les deux (2) Assemblées du Parlement jusqu'à ce qu'elles se soient mises d'accord sur un texte identique.

En Haïti, le bicaméralisme est égalitaire en matière législative.56 Donc, en cas de désaccords incessants entre les deux (2) Assemblées sur un texte, aucune d'entre elles n'a la « vertu » de statuer définitivement. En d'autres termes, ni le Sénat ni la Chambre n'a le droit de dernier mot.

> 1- Suite à un premier désaccord entre les deux (2) Assemblées sur le texte, celui-ci est ajourné jusqu'à la session suivante.

> 2- A la plus prochaine session, le texte est mis en discussion à nouveau, au niveau des deux (2) Assemblées.

> 3- Si le désaccord persiste, une Commission parlementaire (mixte et paritaire) est formée en vue de préparer un texte « définitif » pour être soumis aux deux (2) Assemblées.

> 4- Si là encore le désaccord perdure, « le texte est retiré ».57

Enfin, une fois votée, la loi est promulguée par le Président de la République, après avoir éventuellement usé de son droit d'objection, et publiée dans le journal officiel de la République, Le Moniteur, pour que nul n'en prétexte l'ignorance.58

55 Voir l'article 120 in fine de la Constitution de 1987.

56 Toutefois, la Constitution marque sur un point la spécificité de la Chambre des Députés : les projets de loi de finances sont soumis en premier lieu à la Chambre (art. 111-2).

57 Voir l'article 111-4 de la Constitution de 1987.

58 C'est qu'en principe, « nemo censetur ignorare legem ». La loi prend date du jour de son adoption définitive par les deux Assemblées (art. 126). Cependant, c'est à partir de sa publication que la loi devient opposable à tous (art. 125).

B. LA FONCTION DE CONTRÔLE

Sous le régime constitutionnel de 1987, le Gouvernement est une émanation du Parlement. Le premier tient son investiture du second. Puisque le Gouvernement procède du Parlement, il est politiquement responsable devant ce dernier. Donc, le Gouvernement doit à tout instant, pour subsister, bénéficier de la confiance de la majorité parlementaire. Sa légitimité réside dans cette confiance et le principe de responsabilité du Gouvernement est une technique permettant de vérifier la confiance des Assemblées dans le Gouvernement.

D'une part, le Président de la République symbolise et représente l'Etat en tant qu'entité juridique abstraite. D'autre part, le Parlement en tant qu'organe collégial assure la représentation du Peuple. Quid du Gouvernement ?

Puisque le Gouvernement ne bénéficie pas de consécration populaire et puisqu'il tient son existence et son pouvoir du Parlement, ce dernier dont les membres sont les représentants du Peuple doit être en mesure de contrôler son action.

Pour contrôler efficacement le Gouvernement, le Parlement doit être en mesure de disposer des informations sur son action59 : c'est la condition sine qua non du contrôle. Les informations permettent d'engager éventuellement la responsabilité politique du Gouvernement.

C'est dans cette perspective que la Constitution va jusqu'à accorder à tout parlementaire le droit de questionner et le droit d'interpeller l'ensemble du Gouvernement ou un ou plusieurs de ses membres60. Donc, les Secrétaires d'Etat, membres du Gouvernement, peuvent aussi être interpellés.

Ce droit de questionner et d'interpeller peut s'étendre « sur tous les faits et actes de l'Administration ». Le Gouvernement, de son côté, est tenu d'y répondre ; il a un devoir de reddition de comptes aux Assemblées parlementaires61.

59 Les parlementaires recherchent et recueillent les informations par le biais des questions et des Commissions d'enquête.

60 Article 129-2 de la Constitution de 1987.

61 Le droit de décharge du Parlement selon les prescriptions de l'article 233 de la Constitution de 1987 est un corollaire de ce devoir de reddition de comptes.

Si une demande d'interpellation doit être appuyée par cinq (5) membres au moins du corps intéressé, la Constitution laisse supposer qu'un parlementaire peut prendre seul l'initiative de questionner un Gouvernement en entier.62

Comme étant donné que le Gouvernement est politiquement responsable devant les Assemblées parlementaires, sa responsabilité peut être mise en cause par un vote. Si en France la responsabilité politique du Gouvernement peut être mise en oeuvre par deux (2) voies63 ; en Haïti, la mise en oeuvre de cette responsabilité se fait seulement par l'interpellation. Donc, cette dernière est le seul procédé de mise en jeu de la responsabilité gouvernementale sous le régime constitutionnel de 1987.

L'interpellation donne lieu à un débat « sur une question se rapportant au programme ou à une déclaration de politique générale du Gouvernement » au niveau de l'Assemblée l'ayant provoquée. A l'issue de ce débat, intervient un vote : c'est la sanction du débat. Si le débat aboutit à un vote de confiance, on dit que l'Assemblée renouvelle sa confiance au Gouvernement. Si, au contraire, il aboutit à un vote de censure, on dit que l'Assemblée désavoue le Gouvernement64.

Par suite, la mise en cause de la responsabilité politique du Gouvernement par le vote de la motion de censure entraîne ipso facto la démission en bloc de ce dernier. C'est que cette décision souveraine de l'Assemblée met le Premier Ministre en demeure de remettre la démission du Gouvernement au Président de la République qui ne peut que l'accepter, sous peine de se rebeller contre la Constitution et donc provoquer une crise politique grave65.

62 Or, le droit de questionner implique des questions écrites et orales. Donc, il suffit qu'un seul parlementaire veuille se renseigner sur un fait ou un acte quelconque de l'Administration pour faire descendre l'ensemble du Gouvernement au Parlement en vue de le mettre en face de l'Assemblée pour le questionner.

63 L'une laisse l'initiative à l'Assemblée Nationale, l'autre laisse l'initiative au Gouvernement. Dans cette deuxième voie, il existe deux (2) procédés. D'abord, le Premier Ministre peut engager la responsabilité du Gouvernement devant l'Assemblée Nationale sur un programme ou sur une déclaration de politique générale : C'est la question de confiance. Ensuite, le Premier Ministre peut aussi, après délibération du Conseil des Ministres, engager la responsabilité du Gouvernement devant l'Assemblée Nationale sur le vote d'un projet de loi de finances ou de financement de la sécurité sociale. On parle alors de motion de censure provoquée. Donc, deux voies et trois procédés de mise en jeu de la responsabilité gouvernementale en France. Voir l'art. 24 de la LOI constitutionnelle no 2008-724 du 23 Juillet 2008 de modernisation des institutions de la Ve République et l'art. 49 de la Constitution française de 1958 (disposition entrée en vigueur le 1er mars 2009).

64 Article 129-3 de la Constitution de 1987.

65 Article 129-4 de la Constitution de 1987.

C. LA FONCTION D'ENQUÊTE

En plus de la fonction législative et de la fonction de contrôle comme fonctions générales et communes aux deux (2) Assemblées, la Constitution de 1987 accorde un très large pouvoir d'enquête aux Assemblées parlementaires. Ainsi, la Constitution dispose t- elle en son article 118 : « Chaque Chambre a le droit d'enquêter sur les questions dont elle est saisie. »

D'une part, il est à faire remarquer que la formulation dudit article ne permet nullement de présumer une limitation de la nature ni de l'étendue des questions dont elle peut être saisie. D'autre part, les conditions ou modalités de la saisine ne sont guère précisées. Par conséquent, il suffit que le Sénat ou la Chambre soit touché (e) d'un fait quelconque pour pouvoir déclencher une enquête. Du reste, puisqu'il s'agit d'une compétence constitutionnelle, aucune institution ou personnalité ne pourra prétendre faire obstruction à l'enquête sans s'exposer juridiquement. D'où, un pouvoir sans bornes des Assemblées.

§ 3.- LES IMMUNITÉS PARLEMENTAIRES ET LES INCOMPATIBILITÉS

Le Parlement doit être efficace dans l'exercice de ses missions souveraines. Une première condition de cette efficacité est la protection de ses membres contre des poursuites judiciaires qui pourraient être en réalité la traduction de pressions politiques.66

C'est dans cette perspective que des immunités sont accordées au parlementaire. Leur objet est permettre au parlementaire le libre exercice de son mandat en lui assurant une protection contre les actions judiciaires intentées contre lui67 (A).

Une autre condition non moins importante de cette efficacité est la protection des parlementaires contre l'exercice de certaines fonctions qui pourraient compromettre leur indépendance en tant que parlementaires. D'où, le régime des incompatibilités (B).

66 La situation du parlementaire est caractérisée par un statut. Il vise à garantir la liberté de l'exercice du mandat et l'indépendance du parlementaire.

67 Voir GUILLIEN, VINCENT 2001, op. cit. page 468.

A. LES IMMUNITÉS PARLEMENTAIRES

La Constitution de 1987 accorde aux parlementaires des prérogatives qui les mettent à l'abri des poursuites judiciaires, en vue d'assurer le libre exercice de leur mandat : ce sont les immunités parlementaires68. Elles incluent l'irresponsabilité parlementaire (1) et l'inviolabilité (2).

1.- L'IRRESPONSABILITÉ PARLEMENTAIRE

Le privilège de l'irresponsabilité parlementaire est accordé par la Constitution de 1987 en son article 114-1 : « Ils ne peuvent être en aucun temps poursuivis et attaqués pour les opinions et votes émis par eux dans l'exercice de leur fonction. »

Le fondement de cette immunité est de garantir la liberté d'expression des parlementaires. Donc, le parlementaire est appelé à parlementer et à voter sans avoir à craindre des poursuites judiciaires.

Le texte constitutionnel précise expresis verbis qu' « ils ne peuvent être en aucun temps poursuivis et attaqués ». Cela montre bien le caractère absolu de cette immunité. Elle est perpétuelle et doit suivre à l'expiration du mandat. De plus, elle couvre tous les actes de la fonction parlementaire (les rapports, les discours, les votes).69

2.- L'INVIOLABILITÉ PARLEMENTAIRE

« L'inviolabilité parlementaire est un privilège qu'ont les parlementaires d'échapper aux poursuites intentées pour des actes étrangers à l'exercice de leur mandat : poursuites pénales pour crimes et délits. »70

Ce privilège est accordé par la Constitution de 1987 en ses articles 114 et 115. L'inviolabilité constitue moins un privilège personnel dont bénéficient les parlementaires qu'une protection assurée au Parlement pour assurer son bon fonctionnement. Le

68 Il faut aussi faire remarquer que les immunités parlementaires assurent aux membres du Parlement un régime juridique dérogatoire au droit commun dans leurs rapports avec la Justice. Or, la Justice devrait être le garant de l'égalité de tous devant la loi.

69 Mais eux seuls à l'exclusion des actes et paroles qui ne sont pas liés à l'exercice direct de cette fonction.

70 Idem, page 317.

fonctionnement normal du Parlement risquerait d'être entravé par des poursuites abusivement engagées contre ses membres par le Pouvoir Exécutif ou par des particuliers.

Le régime de l'inviolabilité est plus restrictif que celui de l'irresponsabilité. Les parlementaires sont en principe inviolables jusqu'à l'expiration de leur mandat71. Néanmoins, une dérogation majeure vient tempérer la rigueur de ce principe. L'engagement des poursuites est toujours possible pour délits de droit commun même lorsque le Parlement est en session. Toutefois, l'autorisation de l'Assemblée à laquelle appartient l'intéressé constitue un préalable nécessaire à toute mesure d'arrestation. En revanche, il n'y a pas lieu à soumettre la mesure d'arrestation à l'autorisation de l'Assemblée à laquelle appartient l'intéressé seulement en matière de flagrance pour faits emportant une peine afflictive et infamante72.

B. LE RÉGIME DES INCOMPATIBILITÉS

Les incompatibilités constituent, aux côtés des immunités, une modalité de protection du mandat parlementaire. On pourrait même avancer qu'elles constituent un gage d'indépendance. Elles permettent, entre autres, d'empêcher que les parlementaires soient sous le contrôle direct du Pouvoir Exécutif ou encore de l'Administration qui se situe d'ailleurs dans le prolongement de ce dernier.

A la différence de l'inéligibilité, l'incompatibilité joue après l'élection. L'inéligible ne peut pas être candidat,73 alors que l'incompatibilité ne vicie pas l'élection. Toutefois, elle impose dans un délai relativement court un choix74, par l'élu lui-même, entre le mandat parlementaire et la fonction déclarée incompatible.

71 Article 114 de la Constitution de 1987.

72 Article 115 de la Constitution de 1987.

73 Les constituants de 1987 ont commis l'erreur de regrouper, sous la rubrique «des incompatibilités» des cas d'inéligibilité. Voir les articles 131 et 132 de la Constitution. « L'inéligibilité c'est une situation qui entraîne l'incapacité d'être élu. » Voir GUILLIEN, VINCENT 2001, op. cit., page 302.

74 L'article 25 de la Constitution française du 4 Octobre 1958 réfère à une loi organique pour le régime des inéligibilités et des incompatibilités. Voir l'art. 10 de la LOI constitutionnelle no 2008-724 du 23 Juillet 2008 de modernisation des institutions de la Ve République ; la LOI organique no 2009-38 du 13 Janvier 2009 portant application de l'art. 25 de la Constitution de 1958 (JORF no 0011 du 14 Janvier 2009).

En Haïti, mises à part quelques dispositions constitutionnelles éparses relativement aux inéligibilités et aux incompatibilités, aucune loi n'est venue fixer, jusqu'ici, le régime des incompatibilités et des inéligibilités. Donc, le délai pour choisir n'est pas fixé en Haïti, contrairement au cas français.

En Haïti, le mandat parlementaire est incompatible avec toute autre fonction rétribuée par l'État, nonobstant celle d'enseignant75. C'est que la fonction d'enseignant, même lorsque rétribuée par l'Etat, échappe à la suspicion de dépendance à l'égard du Pouvoir Exécutif.

De plus, à l'article 164, les constituants de 1987 ont jugé utile de rajouter : « La fonction de Premier Ministre et celle de membre du Gouvernement sont incompatibles avec tout mandat parlementaire. Dans un tel cas, le parlementaire opte pour l'une ou l'autre fonction. » Cela, comme pour marquer leur attachement au principe de droit public de la Séparation des Pouvoirs.

SECTION II.- LE POUVOIR EXÉCUTIF ENTRE LÉGITIMITÉ POPULAIRE ET CONSÉCRATION PARLEMENTAIRE

Le Pouvoir Exécutif est l'un des trois (3) grands Pouvoirs de l'Etat et l'une des deux institutions politiques instituées par la Constitution de 1987. En grosso modo, il est chargé de faire exécuter les lois délibérées et votées par le Pouvoir Législatif.

Depuis l'institution de la Constitution de 1987, le Pouvoir Exécutif est organiquement constitué du Président de la République et du Gouvernement : c'est le bicéphalisme exécutif. Par voie de conséquence, le Pouvoir Exécutif est exercé à la fois par le Président de la République et par le Gouvernement comme organe collégial et solidaire ayant à sa tête un Premier Ministre.76

Le Président de la République est le Chef du Pouvoir Exécutif.77 Mais, cela n'implique pas la subordination entre les deux branches de l'Exécutif. A bien comprendre l'esprit du régime constitutionnel de 1987, l'on se demande même s'il n'en est pas le Chef seulement de nom78.

75 Article 129-1 de la Constitution de 1987.

76 Article 133 de la Constitution de 1987.

77 Voir les articles 105 et 106 de la Constitution de 1987.

78 Le titre de Chef du Pouvoir Exécutif est octroyé au Président de la République peut-être pour rester fidèle à une vieille tradition constitutionnelle en Haïti qui considère presque toujours le Président de la République comme le Chef du Pouvoir Exécutif (en ayant même presque toujours seul l'exercice). Autrement, est-ce une simple question de préséance ? Si oui, nous rappelons que le Président de la République est déjà élevé au rang de Chef de l'Etat dans le nouveau régime. Nous comprenons et nous avons rappelé le sens du titre de Chef de l'Etat du Président de la République. Cependant, nous avouons ne pas saisir l'opportunité du titre de Chef de l'Exécutif accordé au Président de la République.

Le Pouvoir Exécutif est certes divisé, mais de façon déséquilibrée entre le Chef de l'Etat et le Chef du Gouvernement. En effet, les mécanismes institutionnels au niveau de la Constitution de 1987 sont montés de manière à organiser le transfert du pouvoir réel au Premier Ministre, Chef du Gouvernement. Cependant, depuis l'institution de la Constitution de 1987, la « pratique » du régime n'a pas semblé illustrer cet aspect du système politique théoriquement posé.

De plus, les deux branches du Pouvoir Exécutif ne jouissent pas du même mode d'accession au pouvoir. D'un coté, le Président de la République est électif, car il est pourvu par élection79 ; d'où, sa légitimité populaire. De l'autre, le Gouvernement procède du Parlement. Donc, le Gouvernement ne jouit pas de la légitimité populaire, mais reçoit la bénédiction des élus du Peuple, plus particulièrement de la confiance des Assemblées parlementaires élues.

Un regard sur les deux composantes du Pouvoir Exécutif, en l'occurrence le Président de la République (§ 1) et le Gouvernement (§ 2), aura permis de saisir cette institution politique dans son essence.

§ 1.- LE PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE : UN ARBITRE OU UN CHEF DE CABINET ?

Sous le régime constitutionnel de 1987, le Président de la République est le premier personnage de l'Etat. D'ailleurs, le texte constitutionnel consacre solennellement cette préséance protocolaire du Président de la République en le surnommant expresis verbis « Chef de l'Etat ».80 Il représente l'Etat et l'engage. Il a la responsabilité de l'Etat et de ses intérêts supérieurs. De plus, il incarne l'Etat dans son existence, sa continuité et sa permanence. Sa fonction a donc pour fondement l'Etat. C'est si vrai que l'art. 136 de la Constitution de 1987 précise qu'il « assure la continuité de l'Etat ».

79 Avec l'élection au suffrage universel direct du Président de la République, le Parlement n'a plus l'exclusivité de la représentation du Peuple. De plus, cela renforce le caractère républicain de l'Etat. C'est que dans un Etat républicain, le pouvoir politique y est nécessairement issu de l'élection.

80 Voir l'art. 133 de la Constitution de 1987. C'est pour la première fois, dans l'histoire constitutionnelle haïtienne, qu'on élève le Président de la République à la dignité de « Chef de l'Etat ». Voir MANIGAT 2000, op. cit., p. 430.

Une prise en compte de son mode d'accession au pouvoir, de son autorité politique (A) et de ses principales compétences (B) aura permis de le situer brièvement dans le système institutionnel mis en place par la Constitution de 1987.

A. DISPROPORTION ENTRE SON ÉLECTION ET SON AUTORITÉ POLITIQUE

Le régime constitutionnel de 1987 emprunte au régime présidentiel l'institution d'un Président de la République élu au suffrage universel direct. Ce mode de scrutin pour l'élection du Président de la République est fixé à l'art. 134 : « Le Président de la République est élu au suffrage universel direct à la majorité absolue des votants. Si celle-ci n'est pas obtenue au premier tour, il est procédé à un second tour. »

Son mode d'élection lui assure, sans conteste, un fondement démocratique et une légitimité populaire au plan national :

> 1- Il n'est pas élu par un collège électoral mais directement par le Peuple.81

> 2- Le corps électoral82 n'est pas défini d'une manière restrictive : Tout Haïtien ayant atteint sa majorité électorale peut, en principe, se prononcer.

> 3- Pour être élu, la majorité absolue des suffrages exprimés (soit plus de la moitié des suffrages exprimés) est nécessaire, majorité exigeant des conditions plus difficiles à réunir que la majorité simple. Si cette majorité n'est obtenue par aucun candidat à l'issue du premier tour, il y a ballottage et il est procédé à un second tour. Donc, le Président de la République est élu au scrutin majoritaire uninominal à deux tours.

Ce mode de désignation, par son caractère largement représentatif, devrait lui conférer une autorité politique considérable. Il reçoit la consécration populaire, alors que le Premier Ministre reçoit la confiance des Assemblées élues. C'est ce qui fait du Chef de l'Etat l'élément politiquement irresponsable de l'Exécutif. Puisqu'il est titulaire d'un mandat politique qu'il tient directement du Peuple, il n'a à répondre de l'exercice de ce mandat ni devant le Parlement ni devant une instance juridictionnelle. Ainsi, n'a-t-il pas besoin de la

81 Il n'en a pas été toujours ainsi. Le premier Président de la République à être élu au suffrage universel direct est le Général Paul MAGLOIRE le 8 Octobre 1950 en vertu du décret du 3 Août 1950. La Constitution de 1950 (art. 88) allait ratifier cette élection et entériner le principe. Idem., p.444.

82 Le corps électoral peut se définir comme l'ensemble des personnes qui bénéficient juridiquement du droit de vote, c'est-à-dire du droit de participer aux élections à la fois au plan national et au plan local. Voir HAMON, TROPER 2003, op. cit., page 461.

confiance du Parlement pour garder son poste et demeurer en fonction pour la durée de son mandat.

En effet, la Constitution de 1987 admet le principe de l'irresponsabilité du Président de la République, mais il s'agit d'une irresponsabilité politique. C'est cette irresponsabilité du Chef de l'Etat qu'exprime la procédure du contreseing dans le cas de l'exercice des pouvoirs partagés du Président de la République. Par la formalité du contreseing, le Premier Ministre et les Ministres responsables endossent la responsabilité des actes du Chef de l'Etat devant les Assemblées parlementaires.83

Si, comme on vient de le voir, le Président de la République est irresponsable politiquement, sa responsabilité pénale n'est, par contre, guère discutable. En effet, en matière pénale, le Président de la République ne bénéficie pas plus qu'un simple privilège de juridiction. C'est ainsi que le Président de la République est passible de la Haute Cour de Justice « pour crime de haute trahison ou tout autre crime ou délit commis dans l'exercice de ses fonctions ».84 Or, la notion de haute trahison est une notion juridiquement fluctuante. En conséquence, les parlementaires peuvent lui attribuer un contenu largement politique.

De plus, le Président de la République n'en est pas moins responsable civilement, puisque la Constitution ne le fait pas bénéficier d'une immunité civile.

En clair, de ce point de vue, le Président de la République n'est pas un personnage intouchable. Son irresponsabilité politique est une conséquence logique de sa légitimité populaire, du fait qu'il incarne et représente l'Etat85 et du fait de sa faible participation à l'exercice du pouvoir réel. Cependant, il reste et demeure pénalement et civilement responsable.

Par ailleurs, lors des élections présidentielles, les votants ne font qu'investir le candidat à la présidence de leur choix d'un mandat. En Haïti, la durée du mandat présidentiel est de cinq ans (5 ans). Dans l'esprit de réduire la tentation de garder le pouvoir, le mandat

83 Article 163 de la Constitution de 1987.

84 Art. 186, al. 1er de la Constitution de 1987.

85 Donc, il doit être tenu à l'écart des luttes politiques.

présidentiel est renouvelable une seule fois et après un intervalle de cinq ans (5 ans) au moins.86

Encore en réaction au présidentialisme traditionnel, le calendrier des échéances électorales est chaotique, c'est-à-dire que le cycle électoral est irrégulier en ce sens que le Président de la République, les Sénateurs et les Députés ne sont pas élus pour la même durée. Qui plus est, la Chambre des Députés est renouvelée intégralement chaque quatre ans (4 ans), alors que le renouvellement du Sénat se fait par tiers (1/3) tous les deux ans. D'où, une véritable « arythmie électorale »87.

Tout l'enjeu politique réside dans le fait que cette « arythmie électorale » laisse place à de forts risques de non-concordance entre les majorités parlementaire et présidentielle. Or, en cas de cohabitation, l'influence du Président de la République va être davantage tempérée ou simplement minimisée par la prépondérance du Premier Ministre.

B. SES COMPÉTENCES ET LEURS LIMITES

Contrairement aux Assemblées parlementaires, les attributions du Président de la République sont limitativement fixées par la Constitution.88 Sans toutefois négliger quelques prérogatives spéciales que lui accorde la Constitution, nous nous en tenons ici, prioritairement, à ses compétences politiques, diplomatiques et militaires.

Ses compétences politiques

Le Président de la République choisit le Premier Ministre. Néanmoins, il est tenu de le choisir au sein du parti de la majorité, c'est-à-dire un membre du parti de la majorité parlementaire.89 Donc, si celle-ci relève d'un autre courant politique que celui auquel appartient le Président de la République, ce dernier peut être obligé de choisir comme Premier Ministre une personnalité dont la vision se trouve aux antipodes de la sienne, surtout dans l'éventualité où cette majorité serait homogène. A ce moment, le Premier Ministre serait le

86 Donc, il n'est pas immédiatement rééligible, c'est-à-dire qu'il ne peut pas se porter candidat à sa propre succession. Et, il est de la sorte, en réaction au présidentialisme traditionnel et cela favorise également l'alternance politique.

87 Cette notion est empruntée à Olivier DUHAMEL. Voir Olivier DUHAMEL 1991, p. 135.

88 Article 150 de la Constitution de 1987.

89 Constitution de 1987, art. 137.

chef d'une majorité parlementaire hostile à la politique souhaitée par le Chef de l'Etat.90 En un mot, c'est la majorité qui impose au Président de la République un Premier Ministre.

Toutefois, il peut arriver qu'aucun parti n'ait la majorité au Parlement. A ce moment, le Président de la République est tenu de choisir un Premier Ministre « en consultation avec le Président du Sénat et celui de la Chambre des Députés ». Ici, le Président de la République paraît disposer d'une plus grande marge de manoeuvre. Mais, dans la pratique, et surtout si la configuration du Parlement présente la réalité d'une mosaïque, le Président de la République devra s'assurer que le Premier Ministre choisi dispose de la confiance du Parlement. Or, dans cette situation, le Président de la République devra montrer toute sa mesure dans l'art difficile de la négociation, vu la multiplicité et la divergence des intérêts politiques.

Dans les deux cas susmentionnés, le choix doit être ratifié par le Parlement. Ce qui met le Parlement au centre du choix du Premier Ministre. Le Président de la République n'a que le pouvoir de lui proposer le nom d'une personnalité.91 Qui plus est, constitutionnellement, le Président de la République n'est pas autorisé à révoquer le Premier Ministre qu'il a pourtant « choisi »92.

Le Chef de l'Etat participe au choix des membres du Cabinet ministériel du Premier Ministre.93 Il assure la présidence du Conseil des Ministres.94 Il dispose d'un droit de message au Parlement.95 Il dispose d'un droit d'objection, un droit très limité.96 Il peut convoquer le Parlement en session extraordinaire.97 Enfin, il dispose d'un droit d'amnistie en matière politique.98

90 Cependant, pour ne pas seulement considérer le simple cadre constitutionnel du régime, nous devons faire remarquer, vu le multipartisme en Haïti, qu'il devient difficile pour un parti de disposer de la majorité parlementaire. Depuis l'institution de la Constitution de 1987, quand une majorité arrive à être dégagée, elle est composite, hormis le cas de la 47e Législature. Or, ce statu quo tend à relativiser les risques de cohabitation au sens propre du terme. D'ailleurs, les élections de Mai 2000 ont été largement contestées par la majeure partie de la classe politique. « A quelques heures du dépouillement, les bulletins se ramassent déjà à la pelle près du BEC de la rue Pavée. » Voir Le Nouvelliste du Lundi 22 Mai 2000, no 35 960 et celui du Mardi 23 Mai, no 35 961.

91 Cependant, quand il y a concordance entre les deux majorités -ce qui est difficile vu le multipartisme- le Président de la République joue un rôle plus actif.

92 Art. 137-1, Constitution de 1987.

93 Article 158 de la Constitution de 1987.

94 Art. 154, Constitution de 1987.

95 Art. 151, Constitution de 1987.

96 Voir les articles 121, 121-4, 144 de la Constitution de 1987.

97 Voir les articles 105 et 106 de la Constitution de 1987.

98 Art. 147, Constitution de 1987.

Ses compétences diplomatiques et miitaires

La Constitution reconnaît au Chef de l'Etat le pouvoir spécial (treaty making power) de négocier99 et de signer les traités internationaux100. Cependant, l'organe interne investi souverainement de l'autorité pour s'engager définitivement et solennellement au nom de l'Etat à les exécuter c'est l'Assemblée Nationale. D'où le pouvoir d'approbation ou de rejet de cet organe en cette matière. Le Président de la République soumet les traités à la ratification de l'Assemblée Nationale et l'instrument de ratification, le cas échéant, se présente sous la forme de « décret de ratification »101.

Le Chef de l'Etat dispose du droit de légation.102 Mais pour la nomination des Ambassadeurs et Consuls généraux, l'arrêté de nomination est pris en Conseil des Ministres et après approbation du Sénat.

Le Président de la République est le Chef nominal des Forces armées et participe au choix du Commandant en Chef des Forces armées. « Il déclare la guerre, négocie et signe les traités de paix », mais il lui faut préalablement l'approbation de l'Assemblée Nationale.

Des prérogatives spéciales

Le Président de la République, aux termes de l'article 136 de la Constitution de 1987, veille au respect de la Constitution, mais il ne pas saisir, en cette qualité, le juge constitutionnel pour lui demander de statuer sur la conformité d'une loi ou d'un traité international à la Constitution. Cet article fait de lui un gardien de la Constitution, mais cette dernière ne lui en donne pas les moyens.103

99 Donc, «le pouvoir de désigner les plénipotentiaires et leur délivrer les pleins pouvoirs». Voir Nguyen Quoc Dinh 2002, op. cit., page 128.

100 Art. 139, Constitution de 1987.

101 Voir les articles 139 et 276-1 de la Constitution.

102 Droit pour un Etat d'envoyer auprès d'autres Etats ou de recevoir de ceux-ci des représentants diplomatiques ; dans le 1er cas, on parle de droit de légation actif, dans le second de droit de légation passif .Voir CORNU 2007, op. cit., page 539.

103 Toutefois, d'aucuns diraient que le Président de la République joue son rôle de gardien de la Constitution à travers son droit d'objection, puisque, entre autres, la promulgation atteste que la loi a été régulièrement délibérée et votée. Donc, si le Chef de l'Etat estime que la loi est inconstitutionnelle, il a le droit de demander une nouvelle délibération de cette loi. Ce raisonnement est très logique, mais, comme il a été déjà indiqué, le droit d'objection du Président de la République est un droit très limité.

Il veille également à la stabilité des institutions, mais il ne dispose pas du droit de dissolution même en cas de conflits irréductibles entre le Gouvernement et les Assemblées parlementaires.

De plus, comment assure-t-il le fonctionnement régulier des Pouvoirs publics ? A ce sujet, nous faisons observer qu'en France, lorsque le fonctionnement régulier des Pouvoirs publics constitutionnels est interrompu, le Président de la République dispose des pouvoirs exceptionnels de l'article 16 de la Constitution de 1958 et du recours au référendum.104

§ 2.- LE GOUVERNEMENT : RESPONSABILITÉ ET INSTABILITÉ

Le Gouvernement forme avec le Président de la République les deux composantes du Pouvoir Exécutif. Cet organe collégial et solidaire dont la mission est de « conduire la politique de la Nation » procède du Parlement et le Conseil des Ministres est sa principale instance de réunion politique. Il est composé du Premier Ministre dont l'influence politique est à géométrie variable (A), des Ministres et des Secrétaires d'Etat (B).

A. LE PREMIER MINISTRE ET DES VARIATIONS DE SON INFLUENCE POLITIQUE

Le Premier Ministre105 est le Chef du Gouvernement dont il dirige l'action. Or, c'est le Gouvernement qui conduit la politique de la Nation. En conséquence, le Premier Ministre occupe, sans conteste, une place d'importance dans le système institutionnel mis en place par la Constitution de 1987.

Le bicéphalisme exécutif institué par la Constitution de 1987 a pour principal objectif le transfert du pouvoir réel au Premier Ministre placé à la tête du Gouvernement dont le fonctionnement est orienté vers l'action. Cependant, l'influence qu'il exerce dépend du contexte politique.

104 Toutefois, le Comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la Ve République, appelé Comité « Balladur », constatant l'insuffisance des mécanismes de contrôle en cas de mise en oeuvre de l'art. 16 de la Constitution de 1958, a proposé d'encadrer cette procédure. Cette proposition a été partiellement suivie par les Pouvoirs Exécutif et Législatif. Cf. Proposition no 11 du Comité « Balladur », rapport consulté le 19 Décembre 2008 sur le site officiel de l'Elysée : http://www.elysee.fr ; art. 6 de la LOI constitutionnelle no 2008-724 du 23 Juillet 2008 de modernisation des institutions de la Ve République.

105 Historiquement, la fonction de Premier Ministre est introduite en 1985 dans le système politique haïtien en vertu des amendements apportés à la Constitution de 1983. Toutefois, pour répéter le professeur Mirlande Manigat, il ne s'agit qu'une simple antériorité normative. C'est qu'il a fallu attendre le nouveau régime constitutionnel de 1987 pour sa première mise en oeuvre. Voir MANIGAT 2000, op. cit., page 511.

Le Premier Ministre joue pleinement son rôle directeur dans la détermination et la conduite de la politique de la Nation quand il est issu et donc soutenu par une majorité politiquement hostile à l'orientation du Président de la République. C'est l'hypothèse classique de la cohabitation et c'est dans cette hypothèse que le Premier Ministre exerce effectivement la fonction de Chef de Gouvernement qui lui est théoriquement dévolue :

1- Il a une liberté certaine dans le choix des membres de son Cabinet ministériel.

2- Il a la possibilité d'imposer sa volonté en s'assurant que ses Ministres, à la tête des différents départements ministériels, mettent effectivement en oeuvre la politique gouvernementale.

3- Le budget106 est préparé sur ses instructions, voté par sa majorité, et c'est le Gouvernement qu'il dirige qui l'exécute.

4- Il peut librement exercer son pouvoir de nomination et de révocation des fonctionnaires publics107.

5- Il pourra faire voter par sa majorité les projets de loi reflétant les grandes orientations de la politique gouvernementale.

6- En tant que coresponsable de la défense nationale108, sa vision en cette matière peut relativement être privilégiée.

7- Il pourra librement exercer le pouvoir réglementaire qu'il tient en application de l'art. 159 en adoptant des règlements d'application pour assurer l'exécution des lois.

Les constituants de 1987 semblent prioriser ce cas de figure, car le cadre constitutionnel place le Parlement au centre du choix du Premier Ministre et « l'arythmie électorale » imposée par la Constitution laisse place à de forts risques de divergence entre les majorités parlementaire et présidentielle.

Par contre, le fait majoritaire peut considérablement empêcher au Premier Ministre de contrebalancer l'influence du Président de la République. Lorsque la majorité parlementaire

106 Précisément, en dehors de ce moyen financier qu'est le budget l'exercice du pouvoir ne peut se concevoir.

107 C'est un moyen de contrôle de l'Administration publique. Puisque cette dernière se situe en quelque sorte dans le prolongement du Pouvoir Exécutif, or c'est précisément le Chef du Gouvernement qui mène la politique de la Nation. En ce sens, il peut être aussi considéré comme chef de l'Administration.

108 Art. 159-1 de la Constitution de 1987.

est en concordance d'orientation avec le Président de la République, le Premier Ministre cesse d'être le Premier Ministre de la majorité pour devenir le Premier Ministre du Président de la République. Le Premier Ministre peut alors jouer un rôle effacé en assurant la mise en oeuvre de la politique présidentielle, surtout si le Chef de l'État bénéficie du soutien fidèle de la majorité au Parlement. Il est vrai que dans cette hypothèse, les deux sont issus du même parti ou de la même coalition, mais le Président de la République a un plus de quoi imposer sa vision : La consécration populaire dont il bénéficie109.

De plus, quand le Premier Ministre n'est issu d'aucune majorité, sa marge de manoeuvre est davantage réduite. S'il n'est issu d'aucune majorité, il ne pourra donc compter sur le soutien d'aucune majorité. Or, pour pouvoir conduire efficacement la politique de la Nation, voire même subsister, il doit à tout instant bénéficier de la confiance des deux (2) Assemblées formant le Parlement. Ainsi, le Premier Ministre issu des tractations du Président de la République avec les forces en présence au niveau du Parlement devra-t-il se débrouiller pour se construire une majorité (composite, donc faible) pour soutenir sa politique, assurer sa subsistance et sa stabilité. Cependant, il n'y arrivera pas facilement tenant compte de la multiplicité des divergences d'opinions et d'intérêts politiques au sein des Assemblées avec une pareille configuration.

Ce dernier cas de figure ne fait l'affaire ni du Président de la République ni du Premier Ministre qui doivent constamment « négocier » pour que ce dernier puisse arriver à gouverner dans une relative stabilité.

B. LES MINISTRES ET LES SECRÉTAIRES D'ETAT : EFFECTIF ET RESPONSABILITÉ

Les Ministres et les Secrétaires d'Etat forment avec le Premier Ministre les trois (3) composantes du Gouvernement.

Un Gouvernement dispose d'un nombre variable de Ministres, la Constitution se contentant de fixer le plancher à dix.110 L'effectif des Ministres sans portefeuille dépend du Premier Ministre et dans une mesure moindre du Président de la République. Mais l'effectif des Ministres à portefeuille dépend du Législateur qui fixe le nombre des ministères.111

109 Sans oublier les séquelles du présidentialisme traditionnel qui continuent à jouer en sa faveur, ne serait-ce qu'au niveau de l'imaginaire collectif.

110 Art. 166, Constitution de 1987.

111 Art. 167, Constitution de 1987.

En ce qui a trait au nombre des Secrétaires d'Etat du Gouvernement, le Premier Ministre dispose d'un véritable pouvoir discrétionnaire.112

Le Secrétaire d'Etat, membre du Gouvernement, vient après le Ministre dans la hiérarchie ministérielle. Il assiste le Ministre auquel il est adjoint et participe certaines fois aux réunions du Conseil des Ministres. Par contre, le Ministre participe de plein droit aux réunions du Conseil des Ministres.

La responsabilité politique du Ministre est à la fois individuelle et collective :

> Primo, le Ministre doit d'abord bénéficier de la confiance du Premier Ministre. Autrement, il peut perdre son poste suite à un remaniement ministériel. Ensuite, individuellement, la responsabilité politique d'un Ministre peut être mise en cause par un vote de censure à l'occasion d'une séance d'interpellation provoquée par l'une ou l'autre des deux Assemblées.113

> Secundo, chaque Ministre est responsable de la politique générale du Gouvernement en tant que membre de ce dernier : c'est la solidarité gouvernementale. Par voie de conséquence, si la censure est infligée au Premier Ministre, tous les Ministres, entre autres, sont obligés de quitter le pouvoir.

En outre, chacune des deux Assemblées peut aussi, dans les mêmes conditions, infliger la censure au Secrétaire d'Etat, membre du Gouvernement.

Enfin, mise à part l'existence des membres du Gouvernement, ce dernier est doté d'une existence propre, distincte de celle des ses membres et qui se traduit dans l'institution du Conseil des Ministres : c'est le principe de la collégialité. Il s'ensuit le principe de la solidarité ministérielle : « Les décisions importantes étant délibérées en commun par les Ministres, chacun d'eux supporte la responsabilité des décisions arrêtées par le Gouvernement... ».114

112 Art. 166, al. 2 de la Constitution de 1987.

113 Art. 172, Constitution de 1987.

114 GUILLIEN, VINCENT 2002, op. cit., p. 519.

CHAPITRE 2
Le régime politique institué par la Constitution de 1987 : mauvaise
articulation du cadre constitutionnel et de la pratique politique

Ce chapitre traite de l'agencement institutionnel des rapports entre les Pouvoirs publics (section I). De plus, des considérations d'ordre théorique sont faites sur la nature du régime sans toutefois négliger la « pratique » dudit régime, quoique marquée par une discontinuité institutionnelle, résultante de l'instabilité politique et de la faiblesse des institutions (section II).

SECTION I.- DES RAPPORTS DÉSÉQUILIBRÉS ENTRE LES POUVOIRS PUBLICS

CONSTITUTIONNELS

Sous le régime constitutionnel de 1987, les rapports entre les Pouvoirs publics115 sont pour le moins aménagés de manière à empêcher le retour au présidentialisme traditionnel en affaiblissant le Pouvoir Exécutif, particulièrement le Président de la République, et en renforçant de manière quasi-exagérée le Parlement. Le Président de la République est élu au suffrage universel direct à la majorité absolue des votants. Pourtant, ce mode d'accession au pouvoir ne fait pas chorus avec les prérogatives constitutionnelles qui lui sont reconnues.

Au sein de l'Exécutif, le Premier Ministre, Chef du Gouvernement qui conduit la politique de la Nation, vient concurrencer son autorité, alors que le Gouvernement est en principe une émanation du Parlement. Or, le Président de la République n'a aucun moyen d'action décisif sur l'action du Parlement qui le contrôle dans ses moindres pouvoirs. D'ailleurs la primauté de l'institution parlementaire est assurée du fait de l'absence de contrepoids constitutionnels propres à l'empêcher.

115 Parlant ici de Pouvoirs publics, nous faisons référence aux organes et autorités les plus importants de l'Etat, c'est-à-dire ceux qui participent à l'exercice du Pouvoir Législatif et du Pouvoir Exécutif. Voir CORNU 2007, op. cit., page 700.

Par voie de conséquence, dans l'agencement institutionnel des rapports entre les Pouvoirs publics constitutionnels, on décèle un net déséquilibre au profit du Parlement (§1). D'où, un Parlement puissant et un Exécutif « désarmé » (§ 2).

§ 1.- DÉSÉQUILIBRE AU PROFIT DU PARLEMENT

A bien cerner les tenants et les aboutissants des mécanismes institutionnels du nouveau régime de 1987, l'on peut avancer que le système politique institué, pour le moins, est déséquilibré. Les deux (2) institutions politiques ne sont pas également armées pour se faire contrepoids et ainsi assurer un certain équilibre du régime.

Le Parlement, pour sa part, est très fort et paraît sans limites, alors que le Pouvoir Exécutif est complètement encadré. Donc, le régime est déséquilibré au profit du Parlement. C'est presqu'une évidence et c'est en quelque sorte le propre des logiques institutionnelles du régime.

Pour mieux faire ressortir ce déséquilibre, nous allons d'abord analyser l'organisation de la responsabilité politique du Gouvernement (A). Ensuite, nous analyserons quelques méfaits de l'absence de l'arme de riposte qu'est le droit de dissolution des Assemblées (B). Finalement, nous essayerons de faire ressortir certaines faiblesses du système institutionnel de règlement de conflits, entre les deux (2) Pouvoirs politiques, mis en place par le régime (C).

A. LA DOUBLE RESPONSABILITÉ POLITIQUE DU GOUVERNEMENT

Le principe de la responsabilité politique du Gouvernement traduit l'obligation pour ce dernier de jouir de la confiance du Parlement qui, en la lui refusant, le contraint à démissionner. Donc, lorsque Premier Ministre, Ministres et Secrétaires d'Etat n'ont plus la confiance du Parlement, ils doivent quitter le pouvoir116.

En effet, dans le régime constitutionnel de 1987, le Gouvernement procède du Parlement dont il reçoit l'investiture.117 Le Gouvernement reçoit, séparément, l'investiture des deux (2) Assemblées par un vote de confiance qui sanctionne favorablement la déclaration de

116 Voir idem, page 822, puis GUILLIEN, VINCENT 2001, op. cit., page 489.

117 Voir les articles 137 et 158 de la Constitution.

politique générale du Premier Ministre. Par voie de conséquence, les articles 129-2, 129- 3, 129-4 et 156 de la Constitution organisent la responsabilité du Gouvernement devant les Assemblées parlementaires. En d'autres termes, le cadre constitutionnel fait dépendre des Assemblées l'existence et la survie du Gouvernement. En outre, on comprend bien que la responsabilité, comme moyen de contrôle, constitue une technique de sanction pour les Assemblées.

Comme le prévoit la Constitution dans sa lettre et son esprit, le Gouvernement est responsable à la fois devant le Sénat et devant la Chambre. Donc, il doit s'assurer d'avoir une majorité de soutien à la fois au Sénat et à la Chambre. En un mot, le Sénat, comme la Chambre des Députés, peut engager la responsabilité politique du Gouvernement par la motion de censure pour le faire chuter. C'est le cas de dire que le Gouvernement est doublement responsable sur le plan politique. Dans ces conditions, il est ici question d'une arme politique redoutable dont dispose le Parlement sur l'action gouvernementale.

En effet, il n'est pas facile qu'un même parti politique soit majoritaire à la fois au Sénat et à la Chambre. Il peut donc arriver que le parti majoritaire au Sénat diffère du parti majoritaire à la Chambre. Or, la majorité parlementaire doit soutenir l'action du Gouvernement pour que ce dernier puisse subsister. C'est cette évidence qui a conduit l'historien Claude MOISE à avancer : « Quiconque a lu cette Constitution doit savoir qu'on ne peut gouverner sans une majorité parlementaire. »118 Qu'adviendrait-il dans l'hypothèse où le Gouvernement s'assure du soutien de la majorité à la Chambre et fait face, en cours de route119, à une majorité hostile au Sénat ?

La réponse est presqu'évidente. Il est théoriquement possible et constitutionnellement correcte que la responsabilité du Gouvernement soit mise en cause par la majorité hostile au Sénat. Donc, quoique soutenu par une majorité numériquement plus forte à la Chambre, la Constitution ne l'empêche pas de tomber par la seule volonté de la majorité numériquement plus faible au Sénat. En clair, il peut arriver que le Gouvernement soit soutenu par le parti le mieux représenté au Parlement (parti majoritaire à la Chambre) et fait face en même temps à l'hostilité d'un parti moins bien représenté qui peut le faire chuter. Or, les deux Assemblées ont la même légitimité démocratique. Peut-on permettre à une minorité de parlementaires

118 Claude MOISE, Le Pouvoir Législatif dans le système politique haïtien, 1999, page 121.

119 Suite à un renouvellement partiel du Sénat, par exemple.

d'imposer sa volonté à une majorité quand pourtant cette minorité et cette majorité ont le même fondement démocratique ?

Nous devons aussi faire remarquer que même dans l'hypothèse où le parti majoritaire au Sénat serait le même à la Chambre, les jeux ne seraient pas pour autant faits pour le Gouvernement. C'est que ce parti majoritaire dans chacune des deux (2) Assemblées devrait faire montre d'une cohésion et d'une discipline éprouvées.120

Au cas où aucun parti ne disposerait de la majorité ni au Sénat ni à la Chambre, il peut être très difficile de doter le pays d'un Gouvernement. Pour être investi, le Gouvernement devra bénéficier de la confiance d'une majorité ou coalition composite au Sénat et à la Chambre. Or, toute majorité composite est, par essence, faible121. Dans ces conditions, le Gouvernement n'est pas certains de pouvoir « conduire la politique de la Nation » sans être sans cesse inquiété par la menace d'interpellation. D'où, sa responsabilité politique peut être facilement engagée pour n'avoir pas pu satisfaire aux intérêts divergents et multiples des partis desquels il tient son investiture.

Qui plus est, une majorité composite ou de circonstance peut être dégagée, suite à des tractations politiques, au niveau de l'une ou l'autre des deux Assemblées, sans qu'on ne puisse arriver à persuader les deux Assemblées de voter en faveur du choix ou de la politique générale du Premier Ministre et de son Cabinet. Pour ainsi dire, dans le cas où aucun parti ne disposerait de la majorité ni au Sénat ni à la Chambre, le Premier Ministre désigné par le Président de la République ainsi que ce dernier devront montrer toute leur mesure dans l'art difficile de la négociation pour arriver à faire en sorte que le Gouvernement soit mis en place.

Quant à présent, considérons l'hypothèse dans laquelle un Gouvernement serait soutenu par un parti majoritaire à la Chambre et qu'aucun parti ne disposerait de la majorité au Sénat. Dans ce cas de figure, la minorité peut encore « imposer sa loi » à la majorité. C'est qu'en dépit du soutien du parti majoritaire à la Chambre, le Gouvernement devra constamment faire face aux exigences des différents courants politiques -avec des intérêts divergents- représentés au Sénat pour pouvoir subsister. En un mot, le Gouvernement devra constamment négocier.

120 Or, pour ne pas tenir compte uniquement du cadre constitutionnel, Haïti est jusqu'ici une démocratie émergente. C'est pourquoi nous n'avons pas encore une culture de parti. Disons que notre réflexe institutionnel n'est pas encore parvenu à un stade très développé. Alors, il peut paraître normal, au stade où nous en sommes, que la discipline et la cohésion à l'intérieur des partis politiques ne soient pas une évidence.

121 Voir LEROY 1992, page 51.

En définitive, toutes ces hypothèses montrent bien la fragilité de la stabilité ministérielle et le poids réel du Parlement en matière de contrôle de l'action gouvernementale.

B. L'ABSENCE CONCOMITANTE DU DROIT DE DISSOLUTION DES ASSEMBLÉES

Sous le régime constitutionnel de 1987, la dissolution du Parlement ou de l'une ou l'autre des deux (2) Assemblées est prohibée.122 Donc, Députés et Sénateurs sont assurés de demeurer en fonction jusqu'à la fin de leur mandat, nonobstant les cas de cessation anticipée de mandat limitativement fixés par la Constitution.123

En effet, d'un côté, chacune des deux Assemblées peut prendre l'initiative de renvoyer le Gouvernement. Le vote de la motion de censure au niveau d'une des deux Assemblées sur une question se rapportant au programme ou une déclaration de politique générale du Gouvernement entraîne, ipso facto, la démission en bloc de ce dernier. De l'autre côté, aucune des deux Assemblées n'a à craindre la menace de la dissolution. Comment alors empêcher les cas de renvoi fantaisiste de Gouvernement ? La question de la stabilité ministérielle a-t-elle été une préoccupation pour les constituants de 1987 ?

Les régimes dans lesquels l'Assemblée qui peut renvoyer le Gouvernement peut aussi être dissoute assurent une certaine stabilité du Gouvernement. C'est que face à la peur de voir la responsabilité politique du Gouvernement engagée, le Chef de l'Etat, membre de l'Exécutif, peut menacer la dissolution sinon pour freiner, du moins pour limiter les cas de renvoi fantaisiste de Gouvernement.

Tenant compte de ce qui précède, l'on peut avancer que le droit de dissolution détenu par le Chef de l'Etat ferait contrepoids au pouvoir de renvoi du Gouvernement que détient chacune des deux (2) Assemblées. Donc, à défaut de cette réciprocité de moyens de pression, on est en plein dans un déséquilibre monumental entre les deux Pouvoirs politiques du régime.

Une Assemblée parlementaire sur laquelle le Chef de l'Etat dispose d'un droit de dissolution réfléchira à deux fois avant de prendre la décision de renvoyer le

122 Art. 111-8.

123 Art. 130.

Gouvernement124. Autant dire qu'elle devra faire preuve d'une extrême prudence dans le maniement de l'arme politique de la censure, sous peine d'être dissoute. A contrario, rien n'empêche à une Assemblée parlementaire, sur laquelle ne pèse pas cette pression politique, d'exiger « du n'importe quoi » au Gouvernement en le menaçant d'interpellation. Dans ces conditions, n'est-on pas en droit de parler d'une certaine dictature parlementaire en Haïti ?

C. L'INEFFICACITÉ DES MÉCANISMES INSTITUTIONNELS DE RÈGLEMENT DE CONFLITS

Le Pouvoir Législatif et le Pouvoir Exécutif sont les deux Pouvoirs politiques du régime constitutionnel de 1987. D'une manière générale, le Parlement délibère et contrôle des actes très souvent préparés et exécutés par le Pouvoir Exécutif. Ces deux Pouvoirs de l'Etat sont donc distincts l'un de l'autre et sont chargés de fonctions différentes. Ils sont « indépendants » l'un par rapport à l'autre ; pourtant, ils sont appelés à collaborer l'un et l'autre en vue de la bonne marche de l'Etat. D'où, des risques de conflits entre les deux Pouvoirs politiques de l'Etat. Quand ces conflits surviennent, comment les résoudre de manière institutionnelle ?

Le régime politique institué par la Constitution de 1987 laisse place à des risques de conflits assez élevés entre les Pouvoirs Législatif et Exécutif. Pourtant, les mécanismes institutionnels de règlement de conflits mis en place par la Constitution de 1987 laissent à désirer.

L'article 206 de la Constitution de 1987 accorde à une institution dénommée « Commission de Conciliation » le pouvoir de trancher, entre autres, les différends opposant le Pouvoir Législatif et le Pouvoir Exécutif. Néanmoins, cette même institution appelée à trancher les différends ne juge pas, puisque ce n'est pas l'adoption d'un acte d'autorité qui consacre son dessaisissement. Ce n'est qu'une commission de conciliation comme son nom l'indique. Elle est une institution ad hoc appelée, entre autres, à aider les deux Pouvoirs politiques à trouver une entente en cas de différends et dans l'éventualité où elle est saisie. Il

124 A ce sujet, nous rappelons que la dissolution d'une Assemblée parlementaire fait provoquer des élections anticipées. Donc, l'enjeu politique est de taille.

revient à la Cour de Cassation de la République de résoudre le différend par une décision d'autorité.125

Dans un premier temps, nous examinons la composition de la Commission de Conciliation, car cela peut aider à évaluer son degré d'indépendance par rapport aux parties qu'elle prétend aider à trouver une entente. Ainsi, l'article 206 de la Constitution donne-t-elle sa composition.

> 1- Le Président de la Cour de Cassation fait office de Président de la Commission de Conciliation. Nous rappelons que ce dernier est avant tout un juge de ladite Cour. Or, c'est le Sénat, Corps du Pouvoir Législatif, qui est chargé de la présélection des juges à la Cour de Cassation.126

> 2- Le Président du Sénat et celui de la Chambre des Députés, en principe deux membres influents du Parlement, sont respectivement vice- président et membre de ladite Commission.

> 3- Le Président du C.E.P. ainsi que le vice- président de la même institution sont membres de ladite Commission. Nous rappelons que l'Assemblée Nationale, organe non permanent du Parlement, concourt à la formation du C.E.P. en choisissant trois de ses neuf membres.

> 4- Enfin, deux Ministres- membres du Gouvernement procédant du Parlement- désignés par le Président de la République font office de membres de la Commission de Conciliation.

En somme, on comprend bien que la probabilité d'avoir une Commission de Conciliation indépendante du Parlement est mince127.

Dans un second temps, nous pouvons nous questionner sur le choix de la Cour de Cassation de la République comme institution chargée d'adopter, le cas échéant, une décision

125 Art. 111-7, Constitution de 1987.

126 Art. 175.

127 Quand les membres de la Commission de Conciliation ne sont pas des membres très influents du Parlement, ils tiennent leur pouvoir, dans une certaine mesure, du Parlement. On peut donc présumer sinon des conflits d'intérêts, du moins une tendance à se croire redevable. Cette analyse peut toutefois ne pas être exacte pour ce qui concerne les deux membres du C.E.P. représentés à ladite Commission, puisque ces derniers pourraient ne pas être ceux préalablement choisis par l'Assemblée Nationale.

souveraine pour mettre fin « définitivement » aux différends opposant Pouvoir Législatif et Pouvoir Exécutif.

La Cour de Cassation de la République, en dépit de son prestige et de la place dominante qu'elle occupe dans le système judiciaire haïtien, reste et demeure une juridiction du Pouvoir Judiciaire. Alors, comment demander à une partie d'un des trois grands Pouvoirs de l'Etat d'adopter une décision sans appel qui s'appliquera aux deux autres grands Pouvoirs de l'Etat en cas de conflit ? Ce mécanisme, est-il en concordance avec le principe de la Séparation des Pouvoirs consacré par la Constitution en son article 59 ?

Prenons l'hypothèse dans laquelle une décision finale est prise par la Cour de Cassation en vue de résoudre le conflit. Comment alors s'assurer de son exécution ? Et dans l'éventualité où aucun des deux Pouvoirs politiques ne déciderait de saisir la Commission de Conciliation, que risquerait-il de se passer ?

En effet, la Commission de Conciliation n'est pas le seul mécanisme institutionnel de règlement de conflits entre le Pouvoir Législatif et le Pouvoir Exécutif. Aussi, la responsabilité politique du Gouvernement permet-elle, classiquement, d'apporter une solution aux conflits susceptibles de survenir entre le Gouvernement et la majorité parlementaire128. Toutefois, dans le régime constitutionnel de 1987, cette méthode institutionnelle de résolution d'un conflit politique crée plus un déséquilibre monumental entre le Pouvoir Législatif et le Pouvoir Exécutif que d'éviter le blocage des institutions.

La responsabilité politique du Gouvernement serait d'une efficience à toute épreuve pour le règlement des conflits entre les Pouvoirs politiques en vue de la bonne marche des institutions politiques du régime, si elle était contrebalancée par le droit de dissolution des Assemblées. C'est que cet équilibre exigerait sinon une certaine prudence, du moins une prudence certaine dans le maniement de l'arme politique de la censure.

En cas de conflit, le Gouvernement saurait que sa responsabilité politique peut être mise en cause. Le cas échéant, cela conduirait à la formation d'un nouveau Gouvernement bénéficiant de la confiance de la majorité. En même temps, l'Assemblée ayant voté la motion de censure ou qui projette de le faire saurait qu'elle peut être dissoute. Le cas échéant, une nouvelle majorité pourrait éventuellement être dégagée. Ainsi, la décision de renvoyer un Gouvernement ferait-elle automatiquement penser au verdict des urnes.

128 Voir PACTET 2001, op. cit., p.145.

Puisque les constituants de 1987 n'ont pas cru utile d'instaurer cette réciprocité de moyens de pression entre les Pouvoirs politiques, la responsabilité politique du Gouvernement perd beaucoup de son importance comme méthode institutionnelle efficace de règlement de conflits. C'est que l'utilisation de cette arme politique peut ne pas viser la bonne marche de l'Etat, puisque les parlementaires n'ont pas à craindre un éventuel arbitrage populaire. Cette situation peut encore favoriser un bras de fer entre la majorité présidentielle et la majorité parlementaire ; d'où, un terrain fertile à crises institutionnelles.

De plus, seulement la menace du vote de la motion de censure peut conduire un Gouvernement ou un de ses membres à avoir une certaine propension à oeuvrer dans le sens des intérêts politiques d'un groupe de parlementaires influents. Or, parallèlement, le Gouvernement peut éventuellement être soutenu par une majorité plus forte dans l'autre Assemblée129.

§ 2.- UN PARLEMENT PUISSANT ET UN EXÉCUTIF « DÉSARMÉ »

A la chute du Président Jean-Claude DUVALIER en 1986, dominait une tendance au chambardement dans le pays. Le gros du Peuple voulait tout chambarder. Vu la soif de démocratie et le symbolisme de la chute130, le Peuple n'a pas voulu que soit possible la restauration du statu quo ante. C'est le cas de dire que le régime de dictature des DUVALIER effrayait une bonne partie de la population et a également laissé des souvenirs troublants.

C'est dans cette perspective que les constituants de 1987 ont cru devoir, par tous les moyens, tenter d'éviter le retour au présidentialisme traditionnel dans le souci d'éviter toute dérive dictatoriale. Dans cette optique, des pouvoirs très étendus sont accordés au Parlement, alors que le Pouvoir Exécutif est complètement encadré. La Constitution accorde des pouvoirs considérables au Gouvernement, branche du Pouvoir Exécutif, mais elle en fait également le

129 Dans ces conditions, que faire ? D'une part, le Gouvernement ne peut pas se permettre d'oublier qu'il est soutenu par une majorité dans une Assemblée. D'autre part, le Gouvernement ne peut non plus négliger le poids du groupe de parlementaires hostiles dans l'autre Assemblée, en dépit de leur infériorité numérique par rapport à sa majorité de soutien. Il risque donc de balloter, alors que le pays va mal.

130 La chute du Président Jean-Claude DUVALIER en 1986 n'est pas simplement la chute d'un Président de la République. Elle a mis fin à une trentaine d'années de dictature des DUVALIER. De plus, ce devrait être la chute d'un système politico-idéologique.

Gouvernement du parti majoritaire au Parlement. De plus, l'esprit du texte constitutionnel trahit une méfiance à l'égard de la fonction présidentielle.

En somme, le Parlement est sinon le véritable lieu de pouvoir, du moins l'épicentre du pouvoir politique (A). Or, le Pouvoir Exécutif, en tant qu'organe du pouvoir politique, ne semble pas constituer un contrepoids réel et efficace à la toute-puissance du Parlement (B).

A. LE PARLEMENT : L'ÉPICENTRE DU POUVOIR POLITIQUE

Tenant compte de l'organisation institutionnelle du nouveau régime constitutionnel de 1987, on peut avancer que le Parlement est sinon une institution-clé, du moins l'organe central du pouvoir politique dans le système constitutionnel haïtien.

En effet, le cadre constitutionnel confère au Parlement un rôle de premier plan dans l'exercice du pouvoir politique. Il demeure entendu que, pour réduire l'influence du Président de la République et ainsi faire échec au présidentialisme traditionnel, des pouvoirs importants sont accordés au Gouvernement dans le cadre du bicéphalisme exécutif institué par la Constitution de 1987. Toutefois, il n'en demeure pas moins vrai que tout Gouvernement est en principe celui du parti de la majorité parlementaire dans le régime constitutionnel de 1987.

Par conséquent, le Gouvernement n'est que le reflet de la configuration du Parlement. Un Parlement dominé par un parti disposant de la majorité dans chacune des deux Assemblées pourra facilement accorder sa confiance pour l'investiture d'un Gouvernement. Dans ces conditions, le programme politique du Gouvernement aura été celui du courant majoritaire au Parlement. A contrario, un Parlement « mosaïque », au sein duquel aucun parti ou groupe ne dispose de la majorité, accordera plus aisément sa confiance à un Gouvernement de coalition reflétant les courants divergents et multiples qui s'affrontent aux Assemblées. En peu de mots, le Gouvernement, quel que soit le cas de figure considéré, procède du Parlement dont il reçoit également l'investiture.

En plus de faire procéder le Gouvernement du parlement, la Constitution de 1987 accorde à ce dernier des pouvoirs quasi-illimités en vue de contrôler minutieusement l'action gouvernementale :

> 1- Il contrôle l'exécution du programme politique pour lequel il a accordé sa confiance ;

> 2- Il peut même questionner ou encore interpeller le Gouvernement en entier ou un des ses membres sur les faits et actes de l'Administration131 ;

> 3- Il contrôle l'exécution du budget qu'il a voté ;

> 4- Il dispose d'un pouvoir général d'enquête.

Par suite, pour rendre effectives les compétences susmentionnées, l'une ou l'autre des deux (2) Assemblées parlementaires peut valablement renverser le Gouvernement si celui-ci ne disposerait plus de sa confiance.

Quant au Président de la République, son pouvoir de nomination, en majeure partie, est teinté de l'influence et du contrôle du Parlement. C'est le cas dans la procédure de nomination des juges de la Cour de Cassation ; sa liberté de choix est limitée par le Sénat. Le Président de la République est le Chef nominal des Forces Armées132, coresponsable avec le Premier Ministre de la défense nationale133 et joue un rôle d'importance dans la diplomatie haïtienne. Toutefois, ce n'est qu'après l'approbation du Sénat que le Président de la République est habilité à nommer le Commandant en Chef des Forces Armées, celui de la Police, les Ambassadeurs et les Consuls Généraux. Ajouter à cela, il faut aussi l'approbation du Sénat pour nommer les Conseils d'Administration des Organismes autonomes.

De plus, il lui faut l'approbation de l'Assemblée Nationale pour déclarer la guerre à une puissance étrangère ennemie. Même en temps de crise grave, il ne peut pas décider de l'opportunité de l'état de siège. Il dispose, certes, d'une compétence constitutionnelle exclusive pour négocier et signer les traités, conventions ou accords internationaux ; mais, un dernier examen, par l'Assemblée Nationale, de ces instruments juridiques internationaux est constitutionnellement nécessaire avant que l'Etat soit juridiquement et « définitivement » engagé.

Le Président de la République ne peut, en aucune façon, mettre fin, avant son terme normal, au mandat des parlementaires. Or, le Sénat, érigé en Haute Cour de Justice, peut,

131 Art. 129-2, Constitution de 1987.

132 Art. 143, Constitution de 1987.

133 Art. 159-1, Constitution de 1987.

éventuellement, mettre fin prématurément au mandat du Président de la République en le destituant. C'est qu'en dépit de son irresponsabilité politique, le Président de la République encourt une responsabilité pénale « pour crime de haute trahison ou tout autre crime ou délit commis dans l'exercice de ses fonctions » et est passible de la Haute Cour de Justice. La procédure de mise en accusation, procédure d'impeachment dans le système américain, est engagée par la Chambre des Députés. Le Sénat, de son côté, érigé en H.C.J., après avoir été régulièrement saisi, statue sur les faits reprochés au Président de la République.

De surcroît, on peut même présumer une responsabilité du Président de la République en dehors de l'exercice de ses fonctions. La Constitution n'empêche pas qu'il puisse être librement poursuivi devant les tribunaux ordinaires pour les actes ne relevant pas de l'exercice de ses fonctions. Le régime de la responsabilité pénale du Président de la République devant la H.C.J. prend en considération seulement les actes accomplis dans l'exercice de la fonction présidentielle. Le Président de la République ne bénéficie pas d'une immunité juridictionnelle concernant les actes accomplis hors de l'exercice de la fonction présidentielle. Donc, constitutionnellement, il peut être attaqué devant une juridiction ordinaire pendant le cours du mandat présidentiel pour les actes ne relevant pas de l'exercice de ses fonctions. Or, quoi que les parlementaires soient passibles des tribunaux de droit commun, il faut quand même, nonobstant les cas de flagrance, d'abord engager la procédure de la levée des immunités.

En dernier lieu, le champ d'action du Parlement, dans le cadre de l'exercice de sa fonction législative, ne fait quasiment pas l'objet de limitations. Le constat est le même tant au niveau du domaine législatif qu'au niveau de la procédure législative.

Tenant compte de tout ce qui précède, il va sans dire que le Parlement est un véritable lieu de pouvoir, sinon le siège réel du pouvoir. Pourtant, il souffre d'une carence d'encadrement juridique.

B. L'ABSENCE DE CONTREPOIDS CONSTITUTIONNELS EFFICACES

Dans le régime constitutionnel de 1987, le système institutionnel retenu se caractérise par la prééminence du Parlement. A la vérité, il arrive que les Constitutions accordent une certaine prépondérance à l'un ou l'autre des organes qu'elles instituent. Néanmoins, dans les régimes démocratiques dits de Séparation des Pouvoirs, les compétences accordées aux

Pouvoirs institués sont limitées voire même contrebalancées. Or, dans la Constitution de 1987, le Parlement détient des pouvoirs très étendus, voire illimités, qu'il exerce, pourtant, sans un contrôle efficace.

En fait, il n'y-a pas de drame à accorder des pouvoirs considérables au Parlement au détriment du Pouvoir Exécutif, comme moyen de contourner les éventuelles tentatives de dérive dictatoriale. C'est qu'il est plus facile à un seul homme, doté d'un pouvoir politique fort, d'instituer le despotisme annihilant ainsi les libertés fondamentales. Cependant, à trop vouloir coincer le Pouvoir Exécutif, particulièrement le Président de la République, les constituants de 1987 donnent l'impression d'avoir oublié, entre autres, les méfaits du phénomène de l'obstruction parlementaire, de celui de la paralysie parlementaire ou de celui de la dictature parlementaire.

Le problème réel résulte du fait qu'en dépit de l'immensité des pouvoirs accordés au Parlement, les bornes de ces derniers ne sont pas bien connues. De plus, ils ne sont ni efficacement contrôlés ni contrebalancés comme le veut la théorie de la Séparation des Pouvoirs qui postule l'équilibre des Pouvoirs134, alors que le principe de la Séparation des Pouvoirs est consacré solennellement par la Constitution. Comment alors contrebalancer l'influence du Parlement en cas de dérive ? Peut-on se contenter d'une « vertu » présumée des élus du Peuple ou doit-on se confier uniquement à la morale politique ? Dans ces conditions, l'institutionnalisation du pouvoir politique en Haïti ne perd-t-elle pas de son sens ?

En effet, les pouvoirs les plus importants et redoutables du Parlement n'ont pas de contrepartie et ne sont pas rationalisés. Nous pensons tout de suite au droit de censure des Assemblées parlementaires, aux prérogatives de législation illimitées du Parlement, à son pouvoir d'enquête, à la procédure de mise en accusation du Président de la République ou de tout autre membre du Pouvoir Exécutif, au pouvoir de contrôle sur nombre de nominations faites par le Président de la République, etc.

Pour l'essentiel, au droit de censure ne correspond pas le droit de dissolution dans le système institutionnel retenu. De plus, en matière de législation, le Parlement est incontournable. Pourtant, le Pouvoir Exécutif, quoique ne disposant pas de la compétence pour adopter des règlements autonomes, ne contrôle pas la procédure législative.

134 Selon le professeur émérite Pierre PACTET, il devait résulter de la théorie de la séparation des pouvoirs un équilibre institutionnel qui constituait le fond même de la théorie et sa raison d'être. Voir, PACTET 2000, op. cit., page 114.

Par esprit de synthèse, nous avançons qu'au regard de la Constitution de 1987, le Parlement peut être considéré comme l'organe central du pouvoir politique dans le système constitutionnel haïtien, sinon l'épicentre du régime. Cependant, en dépit de cette place dominante qu'il occupe dans l'organisation institutionnelle du nouveau régime, il souffre d'un déficit à peine voilé d'encadrement juridique.

SECTION II.- LA NATURE ET LA « PRATIQUE » DU RÉGIME : CONTROVERSES ET DICHOTOMIE

A la lumière des typologies classiques des différents régimes contemporains, nous faisons des considérations d'ordre théorique sur la nature du régime politique institué par la Constitution de 1987 pour essayer de le situer dans les courants théoriques connus. De plus, dans le cadre de la « pratique » du régime, nous abordons le problème de la discontinuité institutionnelle qui, fondamentalement, est la conséquence de l'instabilité politique et de la faiblesse des institutions de l'Etat. D'ailleurs, cette absence de continuité institutionnelle empêche de dire gros sur la « pratique » du régime en termes de ses apports au cadre constitutionnel proprement dit. Toutefois, nous avons jugé intéressant d'en parler quand même, dans la mesure où l'on pourrait se demander si cette discontinuité institutionnelle ne serait pas aussi une conséquence d'une éventuelle inadaptabilité ou d'une éventuelle inapplicabilité du régime.

Pour ce qui concerne la nature du régime, il demeure entendu que l'on doit se garder de se fermer dans des carcans théoriques schématisant un idéal type modélisé à partir de la forme de gouvernement pratiquée en Grande-Bretagne et un idéal type modélisé à partir du système constitutionnel américain, puisqu'en effet chaque régime politique paraît unique135. Toutefois, pour bien poser les logiques institutionnelles du régime constitutionnel de 1987, nous avons jugé opportun de faire des considérations académiques pour pouvoir asseoir notre réflexion sur des bases théoriques et ainsi la structurer.

Dans cette perspective, nous tâcherons de faire des considérations d'ordre théorique sur la nature du régime (§ 1) et nous effleurerons la « pratique » du régime à travers le problème de la discontinuité institutionnelle (§ 2).

135 Voir HAMON, TROPER 2003, op. cit., pages 112 à 116, puis ARDANT 2002, page 593.

§ 1.- LA NATURE DU RÉGIME : AMBIGUÏTÉS ET CONTROVERSES

Parmi les techniques d'organisation des pouvoirs, on distingue sommairement les régimes de concentration des pouvoirs d'inspiration totalitariste et les régimes de séparation des pouvoirs d'inspiration démocratique. La Constitution de 1987, pour sa part, consacre solennellement le principe de la Séparation des Pouvoirs en son article 59. Donc, cette disposition constitutionnelle, prise au pied de la lettre, nous porte à considérer que les constituants de 1987 ont opté pour un régime démocratique dit de Séparation des Pouvoirs.

En effet, dans les régimes démocratiques, on distingue classiquement et à titre principal le régime parlementaire avec ses diverses modalités ou variantes et le régime présidentiel. En ce qui a trait au régime constitutionnel de 1987, force est de constater qu'il s'apparente à un cocktail ayant cumulé des emprunts au régime présidentiel et au régime parlementaire. Donc, le nouveau régime de 1987, n'échappe-t-il pas à la typologie classique des différents régimes démocratiques ?

Il va sans dire que le régime de 1987 tire une certaine originalité du fait de son caractère hybride. Pour faire ressortir cette originalité, nous allons présenter ses principales particularités (A). De plus, des controverses relevées dans la doctrine et dans la documentation relative à cet objet d'étude auront permis de faire la preuve de cette originalité (B).

A. DES PARTICULARITÉS DU RÉGIME

L'organisation institutionnelle du régime constitutionnel de 1987 ne crée pas les conditions d'un régime parlementaire classique. En outre, le régime s'est aussi éloigné, à bien des égards, du schéma classique d'un régime présidentiel. D'où, son caractère hybride et le signe de son originalité. On pourrait même tenter d'affirmer qu'il s'agit, dans une certaine mesure, d'un régime sui generis.

Le régime parlementaire organise l'équilibre des Pouvoirs Exécutif et Législatif en organisant leur collaboration et en dotant le Gouvernement et les Assemblées de moyens d'action réciproques dans le souci d'être toujours en accord étroit. Si, chemin faisant, cet

accord vient à manquer, il peut être rapidement rétabli par modification de la composition politique des Assemblées ou du Gouvernement136.

De son côté, le régime présidentiel organise l'équilibre entre les deux grands Pouvoirs politiques de l'Etat en cantonnant les deux organes dans l'exécution de leurs tâches spécifiques. Ils sont assurés de demeurer en fonction pendant toute la durée préfixée de leurs mandats en évitant qu'ils ne disposent, les uns par rapport aux autres, des moyens d'action décisifs137.

La Constitution de 1987 a institué un Pouvoir Exécutif bicéphale, composé d'un Gouvernement collégial et solidaire, et d'un Président de la République avec dissociation entre la fonction de Chef de l'Etat et celle de Chef de Gouvernement. Le Président de la République fait office de Chef de l'Etat, alors que le Premier Ministre fait fonction de Chef de Gouvernement. Ce schéma paraît correspondre aux canons classiques du régime parlementaire. Cependant, le Président de la République est en même temps élu au suffrage universel direct. Or, cette modalité est une caractéristique fondamentale du régime présidentiel.

Du reste, on a pu constater que le régime constitutionnel de 1987 établit un Gouvernement de type parlementaire et un Président de type présidentiel sans, pour autant, lui accorder les pouvoirs considérables généralement conférés à un Président dans ce type de régime138. Son mode d'accession au pouvoir lui garantit une légitimité populaire au plan national et un fondement démocratique sans conteste. Pourtant, la capacité de jouissance et d'exercice du pouvoir réel lui échappe au profit d'un Chef de Gouvernement qui vient concurrencer son autorité.

L'initiative des lois appartient concurremment au Pouvoir Exécutif et à chacune des deux (2) Assemblées. Le Premier Ministre et les Ministres bénéficient du droit d'entrée aux Assemblées pour venir soutenir les projets de lois et les objections du Président de la République.139 Cependant, le champ d'action du Parlement dans la procédure législative paraît sans bornes. En conséquence, la collaboration constante du Gouvernement avec les

136 Voir PACTET 2000, op. cit., page 142.

137 Idem, p. 142.

138 Prenons en exemple le système constitutionnel américain, prototype du régime présidentiel. Le Président des Etats-Unis détient des pouvoirs considérables sans commune mesure à ceux conférés au Président de la République dans le système constitutionnel de 1987.

139 Art. 161, Constitution de 1987.

Assemblées sur le plan législatif, trait distinctif du régime parlementaire, est juridiquement mal assurée.

Comme il a été susmentionné, en régime parlementaire, quand l'accord étroit devant exister entre le Gouvernement et les Assemblées vient à manquer, il peut être rapidement rétabli par modification de la composition politique des Assemblées ou du Gouvernement. Or, de ce point de vue, on a pu constater un déséquilibre flagrant dans le régime constitutionnel de 1987. L'Exécutif et le Parlement, à proprement parler, ne disposent pas de moyens d'action réciproques. L'une ou l'autre des deux (2) Assemblées peut renverser le Gouvernement par le vote de la motion de censure, alors que le Président de la République est démuni de l'arme de riposte de la dissolution. Donc, en cas de conflit irréductible entre la majorité au niveau de l'une ou l'autre des deux (2) Assemblées et le Gouvernement, les constituants de 1987 ont proposé la voie « royale » de la modification de la composition politique du Gouvernement pour rétablir l'accord entre les deux (2) organes.

Selon le professeur émérite Pierre PACTET : « Tout régime parlementaire peut être défini, pour l'essentiel, comme un régime dans lequel le Gouvernement doit disposer à tout moment de la confiance de la majorité parlementaire »140. Toutefois, il a pris le soin d'ajouter un peu plus loin141 que « la dissolution constitue une contrepartie nécessaire à la possibilité qu'a l'Assemblée de mettre en cause la responsabilité politique du Gouvernement et, par conséquent, un facteur précieux de l'équilibre des pouvoirs recherché par le régime parlementaire ». D'ailleurs, à ce propos, les professeurs Francis HAMON et Michel TROPER ont dit constater une divergence doctrinale142.

Tenant compte de tout ce qui précède, on peut admettre que le régime constitutionnel de 1987 comporte beaucoup d'éléments de rattachement au régime parlementaire au point qu'on ne puisse penser qu'il s'agit d'un régime présidentiel. Néanmoins, s'il se rapproche beaucoup plus du régime parlementaire que du régime présidentiel, on ne peut pas d'emblée, avec véhémence et d'un ton doctoral, avancer que le régime en question répond bien à l'orthodoxie du régime parlementaire classique. Donc, c'est le cas de dire que l'agencement institutionnel du régime ne conduit pas automatiquement à le considérer ni comme un régime parlementaire classique ni comme un régime présidentiel. C'est d'ailleurs cette difficulté pour

140 Ibidem, P. 144.

141 Ibidem, P.145.

142 HAMON, TROPER 2003, op. cit., page 105.

le classer dans l'un ou l'autre schéma classique qui explique autant de controverses dans la littérature juridique se rapportant à cet objet d'étude.

B. DES CONTROVERSES RELEVÉES SUR LA NATURE DU RÉGIME

Depuis l'adoption de la Constitution de 1987, elle n'a guère cessé de faire l'objet de commentaires et critiques. Pour l'essentiel, historiens s'intéressant à l'histoire constitutionnelle du pays, hommes politiques, constitutionnalistes et étudiants en droit ne cessent de confronter leurs points de vue relativement au régime politique institué par la Constitution. Elle est comme un laboratoire intéressant où s'affrontent les curiosités des initiés. En ce qui a trait à la nature du régime, les opinions sont largement partagées à telle enseigne que personne ne peut prétendre faire l'unanimité autour de sa position.

Le professeur Mirlande MANIGAT trouve « une imprécision originelle quant au type de régime politique voulu, ce qui a engendré une voie intermédiaire entre le système présidentiel et le système parlementaire ».143

Pour sa part, professeur Monferrier DORVAL144 pense que le régime politique institué par la Constitution de 1987 est un régime parlementaire dénaturé.

Quant au professeur Patrick PIERRE-LOUIS,145 le régime politique institué par la Constitution de 1987 est un régime parlementaire déséquilibré.

L'historien Claude MOISE eu à avancer : « La Chambre des Députés et le Sénat sont dotés de pouvoirs étendus comparables à ceux d'un régime parlementaire renforcé146. »

De son côté, l'historien Georges MICHEL pense qu'il s'agit d'un régime semiparlementaire147.

143 Voir Traité de Droit constitutionnel haïtien, op. cit., P. 516.

144 Monferrier DORVAL est professeur de droit constitutionnel à la l'U.E.H., tirée de ses notes de cours de droit constitutionnel à la FDSE.

145 Patrick PIERRE-LOUIS est professeur de droit constitutionnel à l'U.E.H., tirée de ses notes de cours de droit constitutionnel à la FDSE.

146 Le Pouvoir Législatif dans le système politique haïtien, 1999, op. cit., Page 126.

147 Le Nouvelliste du Lundi 4 Février 1991, no 33 996.

Selon Lyn FRANÇOIS148 : « Le régime constitutionnel haïtien n'a de parlementaire que le nom ou l'apparence tant il est vrai que l'omnipotence du Parlement fait plutôt penser à la consécration d'un régime directorial ou d'Assemblée ».

En ce qui me concerne, le régime politique institué par la Constitution de 1987 ne peut pas être assimilé, à mon humble avis, à un régime parlementaire classique, et encore moins, à un régime présidentiel, parce qu'il participe à la fois du régime parlementaire et du régime présidentiel. Au premier abord, si l'on s'en tient uniquement à l'agencement institutionnel des rapports entre les Pouvoirs publics constitutionnels, on peut être tenté d'avancer qu'il s'agit simplement d'un régime mixte à forte dominante parlementaire. Néanmoins, si l'on veut associer ce premier élément d'analyse aux prérogatives de législation illimitées accordées au Parlement,149 on pensera plutôt à l'organisation d'un régime d'Assemblée assoupli.

Toutefois, le Parlement n'arrive pas encore à prendre la place qui lui revient dans la « pratique » du régime, en raison de l'instabilité politique provoquant la discontinuité institutionnelle. Ce phénomène récurrent empêche de voir toutes les manifestations de la toute-puissance du Parlement.

§ 2.- LA « PRATIQUE » DU RÉGIME : DISCONTINUITÉ INSTITUTIONNELLE ET

CONTRADICTIONS

La Constitution de 1987, comparée à la Constitution américaine de 1787 ou à la Constitution française de 1958, est relativement jeune. Peut-être même trop jeune pour écrire un traité sur la pratique du régime qu'elle a institué. D'autant que l'instabilité politique vient, par intermittence, rompre l'expérience de la démocratie dans laquelle le pays dit s'engager et qui est, aujourd'hui encore, à une phase émergente.

148 Lyn FRANCOIS est maître de conférences à la Faculté de Droit et des Sciences Economiques de Limoges (France) et Membre de l'Observatoire des Mutations Institutionnelles et Juridiques (OMIJ). Cette position est tirée dans un article soumis à Alter presse le 12 Février 2004. La page est consultée le 12 novembre 2008 sur le réseau alternatif haïtien d'information, cf. http://www.alterpresse.org.

149 Ici, nous pensons tout de suite aux articles 93, in fine, et 97-3 de la Constitution de 1987 référant à la loi pour fixer d'autres attributions à la Chambre et au Sénat. Or, la loi est fondamentalement l'oeuvre de ces deux organes institués par la Constitution. Donc, cela revient à leur accorder implicitement la compétence d'étendre leurs attributions. Jusqu'où peuvent-ils aller dans l'élargissement de leurs pouvoirs ? Le libellé de cet article fait problème.

Il n'en demeure pas moins que, depuis 1987, on a enregistré des tentatives de mise en oeuvre de la Constitution de 1987. Ces moments d'essai ont permis de déceler des survivances du présidentialisme traditionnel dans le comportement des Chefs d'Etat qui se croient obligés de se battre sur tous les fronts.

Ajouter à cela, le gros du Peuple ne semble pas encore intérioriser le nouveau système constitutionnel caractérisé essentiellement par la prédominance du Parlement. Dans l'idiosyncrasie de l'homme de la rue et peut-être même de la plupart de nos hommes politiques, le Président de la République reste et demeure un papa150, sinon le chef, alors que le parlementaire est généralement considéré comme un discoureur ou tout simplement un élément de blocage dans le sens péjoratif du terme. Cela est d'autant plus vrai que le gros de la population à tendance à transformer le parlementaire en « agent de développement » auquel on demande, lors des campagnes électorales, de promettre routes, électricité, ponts, écoles nationales, emplois, etc., au lieu de s'assurer que le candidat en face aura pu faire bonne figure au Parlement en jouant pleinement son rôle législatif et sa fonction de contrôle de l'action gouvernementale.

En effet, on peut facilement avancer que cette situation résulte du déficit d'information ou du faible niveau d'instruction de la population haïtienne. En fait, cette lecture ne se détourne pas de la réalité. Cependant, l'absence de continuité institutionnelle, conséquence de l'instabilité politique et de la faiblesse des institutions, n'en est pas moins une variable explicative du phénomène.

Depuis l'institution de la Constitution de 1987, cinq (5) législatures ont vu le jour. Cependant, elles ne se sont pas succédées dans le cadre d'une continuité institutionnelle. Les élections n'ont pas toujours lieu à temps pour pourvoir aux sièges devenus vacants au Sénat ou en vue du renouvellement intégral de la Chambre. Il arrive même que le Parlement soit devenu inopérant151 ou qu'une Législature entière soit emportée par un coup d'Etat152. De plus, le Peuple a déjà vu un Président de la République en fonction qui dit « constater la

150 L'on n'oubliera pas l'expression «Papa Vincent» ou celle de «Papa Doc» pour designer respectivement le Président Sténiot VINCENT et le Président François DUVALIER. Or, la tradition a la vie dure.

151 Le cas de la 45e Législature, particulièrement au cours de la période du coup d'Etat de 1991.

152 Le cas de la 44e Législature qui n'a pas tenu six (6) mois. Après l'échec des élections de novembre 1987, le Conseil National de Gouvernement (CNG) a organisé des élections en janvier 1988 desquelles sortirent un Président de la République, Lesly F. MANIGAT et une nouvelle Législature. En juin de la même année, un coup d'Etat militaire a emporté le Président de la République élu ainsi que le Parlement.

caducité du Parlement »153 et renvoyer le reste des parlementaires dont le mandat n'était pas pour autant arrivé à terme.

Parallèlement, la Constitution prévoit un mécanisme de rechange relativement facile à mettre en oeuvre en cas de vacance présidentielle. Même lorsque la voie constitutionnelle tracée n'est pas toujours respectée, la fonction présidentielle est toujours occupée. Or, à plusieurs reprises, le pays a fonctionné sans le Parlement. D'où, le citoyen ordinaire ou le non-initié en droit ou à la science politique peuvent en déduire que le Parlement n'a pas grande importance ; s'il doit exister, ses membres feraient mieux de jouer le rôle de relai du Pouvoir Exécutif, notamment dans les provinces. D'où, on peut considérer la discontinuité institutionnelle comme une cause possible de la perception du parlementaire comme « agent de développement » et comme une explication possible aux survivances du présidentialisme traditionnel décelées dans le comportement des Chefs d'Etat ; tandis que le cadre constitutionnel fait du Parlement l'épicentre du régime.

Cette discontinuité institutionnelle qui marque la « pratique » du régime et qui tend à affaiblir le Parlement, va être abordée à la lumière des exemples de crises et vides institutionnels (A) sans oublier l'épineux problème de l'instabilité politique et celui de la faiblesse des institutions (B).

A. DES EXEMPLES DE CRISES ET VIDES INSTITUTIONNELS

Après la chute du Président Jean-Claude DUVALIER en Février 1986, il a fallu repenser le système politique haïtien. Pour arriver à un système politique nouveau, il a fallu d'abord l'adoption d'une nouvelle Constitution prenant en considération les aspirations du Peuple. Donc, l'une des missions essentielles du Conseil National de Gouvernement (CNG) était d'assurer qu'une nouvelle Constitution soit adoptée en vue d'une nouvelle réglementation de la vie politique.

Le 10 Mars 1987, soit un peu plus d'un an après le départ du Président Jean-Claude DUVALIER, l'Assemblée Nationale Constituante a voté le texte final de la Constitution154

153 Le Président René PREVAL a dit constater la caducité du Parlement le 11 Janvier 1999 dans un message adressé à la population sur la Télévision Nationale d'Haïti, pour justifier le renvoi des parlementaires dont le mandat devrait prendre fin en Janvier 2001. C'est le départ des élus de Juin et Septembre 1995. Le Président de la République a annoncé le vide institutionnel et a appris que Jacques E. ALEXIS allait former son Gouvernement. Cf. Le Nouvelliste du Mardi 12 Janvier 1999, no 35 632, page 16.

qui allait être soumis à référendum le 29 Mars 1987155. Le Peuple a reçu favorablement la nouvelle Constitution et elle a été tardivement publiée156 dans le journal officiel de la République, Le Moniteur, le Mardi 28 Avril 1987 par le CNG.

En dépit de l'adoption définitive par voie référendaire de la nouvelle Constitution, le pays a du mal à entrer dans la normalité institutionnelle.157 En conséquence, le nouveau système politique qui devrait s'implanter par la mise en oeuvre de la nouvelle Constitution n'a pas pu atteindre son stade de maturité et reste aujourd'hui encore à l'état embryonnaire. Cela est dû au fait que l'instabilité politique vient presque toujours, par intermittence, entrecouper les tentatives de mise en oeuvre de la Constitution en vue de l'implantation du nouveau système politique en créant presque constamment des crises et des vides institutionnels.

Pour nous en convaincre, le Parlement occupe l'épicentre du nouveau régime constitutionnel de 1987. Or, faute de continuité institutionnelle, le Parlement n'a pas encore pris sa place d'institution-clé dans la « pratique » du régime et dans l'opinion. Sous l'égide de la Constitution de 1987, le pays a trop fonctionné sans le Parlement. Quand ce dernier fonctionne, il reste fort souvent en deçà de ses prérogatives constitutionnelles, parfois même inopérant et les législatures ne se succèdent pas dans la continuité institutionnelle.

Sous l'égide de la Constitution de 1987, la première tentative d'organisation d'élections générales a eu lieu le 29 Novembre 1987. Ces élections n'ont pas abouti158. De nouvelles élections ont été organisées le 17 Janvier 1988. Ces élections ont accusé un faible taux de participation de la population et ont été, pour le moins, largement contestées par une bonne partie de la classe politique159. Toutefois, elles ont eu le mérite de donner au pays le premier Président élu sous l'empire de la nouvelle Constitution. Du même coup, elles ont permis l'avènement de la 44e Législature. D'où, le début de la mise en place du nouveau système politique retenu.

154 Le Nouvelliste du Mardi 10 Mars 1987, no 32 848, page 1.

155 Le Nouvelliste du Lundi 30 Mars 1987, no 32 965, page 1. Plus de 99% de OUI au référendum sur la Constitution.

156 L'article 298 de la Constitution dispose qu'elle devrait être publiée dans la quinzaine de sa ratification par voie référendaire.

157 En témoignent le livre de Claude Moise intitulé « Une Constitution dans la tourmente » et celui de Pierre Raymond Dumas intitulé « La transition qui n'en finit pas ».

158 Le Nouvelliste du Lundi 30 Novembre 1987, no 33 142 (29 Novembre : Dimanche d'horreur et de terreur). Ce, en dépit du fait que le Général REGALA a promis que l'Armée aura garanti l'ordre au cours des opérations électorales (Le Nouvelliste du Vendredi 27 Novembre 1987, no 33 141). Le CNG dissout le CEP. Voir Le Moniteur du Dimanche 29 Novembre 1987, no 97.

159 Faible taux de participation aux élections du 17 Janvier (Le Nouvelliste du Lundi 18 Janvier 1988, no 33 175)

En revanche, l'instabilité politique allait tout gâcher. Le Président de la République, Lesly F. MANIGAT, et la 44e Législature n'ont pas tenu six (6) mois, car emportés par un coup d'Etat du Général Henri NAMPHY en Juin 1988160. En Septembre de la même année, on a enregistré un coup d'Etat, dirigé par le Général Prosper AVRIL, dans le coup d'Etat161. Ainsi, de Juin 1988 à Janvier 1991, le pays a connu le vide institutionnel ; il a fonctionné sans le Parlement.

Le 16 Décembre 1990, de nouvelles élections générales ont été organisées dans le pays. Elles ont permis l'accession au pouvoir de Jean-Bertrand ARISTIDE et l'avènement de la 45e Législature162.

Un bras de fer allait opposer le Président de la République et le Parlement sur la personne de René PREVAL comme Premier Ministre. Alors que le cadre constitutionnel proprement dit fait du Parlement l'épicentre du nouveau régime, la 45e Législature n'a pas pu permettre déjà à l'institution parlementaire de prendre cette place dominante dans la « pratique » du régime et dans l'opinion. Depuis le départ du Président Jean-Claude DUVALIER en 1986, le Peuple a toujours vu les organes exécutifs de l'Etat occupés, mais la coutume parlementaire fait défaut. Donc, à ce moment, la majeure partie de la population a perçu le Parlement plus comme un organe de « blocage » que toute autre chose. Qui plus est, le Président de la République, Jean-Bertrand ARISTIDE, a été pratiquement au sommet de sa gloire.

En dépit de tout, le Parlement a voulu exercer sa fonction de contrôle de l'action gouvernementale. En effet, suite à une série de mécontentements, le Premier Ministre René PREVAL a été interpellé le 13 Août 1991 par la Chambre des Députés. Cependant, la Chambre a dû reculer en ajournant le vote sur la motion de censure. Or, à l'issu de toute interpellation, doit intervenir un vote ; elle aboutit à un vote de confiance ou de censure.163 Donc, le bras de fer entre l'Exécutif et le Parlement a amené ce dernier à passer en marge de la Constitution pour éviter le « Coup d'Etat du Peuple ».164

160 Dans la nuit de Dimanche, l'Armée renverse le Président Lesly MANIGAT et constitue un Gouvernement militaire (Le Nouvelliste du Mardi 21 Juin 1988, no 33 289). Proclamation du Lieutenant-Général Henri NAMPHY, Président du Gouvernement militaire et décret portant dissolution du Sénat et de la Chambre (Le Moniteur du Lundi 20 Juin 1988, no 54).

161 Proclamation du 17 Septembre 1988 du Gouvernement militaire, Lieutenant-Général Prosper AVRIL, Président (Le Nouvelliste du Mardi 20 Septembre 1988, no 33 352).

162 Le Nouvelliste du Vendredi 14 au Dimanche 16 Décembre 1990, no 33 959).

163 Art. 129-3, Constitution de 1987.

164 Claude MOISE, Le Pouvoir Législatif dans...op. cit., page 121.

Par suite, le 30 Septembre 1991 un coup d'Etat militaire a emporté le Président Jean-Bertrand ARISTIDE. La 45e Législature est restée en place, mais on l'aura compris, cette dernière est restée pendant longtemps inopérante.

Entre Juin et Septembre 1995 des élections ont été organisées ; la Chambre est renouvelée et le Sénat est complété. Le Parlement rentre en fonction à la fin de l'année 1995. C'est le début de la 46e Législature.

Par la suite, des élections n'ont jamais pu être organisées. En Janvier 1999, le Président de la République René PREVAL a dit constater la caducité du Parlement dans un message adressé à la population sur la chaîne publique et en a profiter pour renvoyer le reste des parlementaires dont le mandat n'était pas pour autant arrivé à terme. Donc, un nouveau vide institutionnel en a découlé. Entre-temps, le pays fonctionne sans Premier Ministre depuis Juin 1997, suite à la démission du Gouvernement de Rosny SMARTH, fatigué de gérer les affaires courantes. En peu de mots, le régime a plongé dans un véritable désordre institutionnel et cette situation ne tend guère à renforcer l'institution parlementaire. Elle donne de préférence libre cours à des élans de présidentialisme que l'on croyait à jamais révolu.

Il a fallu attendre 21 Mai 2000 pour voir de nouvelles élections organisées dans le pays. Elles ont permis, entre autres, l'avènement de la 47e Législature. Entre-temps, le Sénat n'a jamais pu être renouvelé.

Les événements du 29 Février 2004 ont emporté le Président de la République, Jean-Bertrand ARISTIDE, ainsi que la 47e Législature. De Mars 2004 à Avril 2006, le pays a de nouveau fonctionné sans le Parlement. Le Président de la Cour de Cassation, Me Boniface ALEXANDRE, a passé plus de 90 jours à occuper provisoirement la fonction présidentielle. De son côté, le Premier Ministre Gérard LATORTUE a fonctionné sans le Parlement pour contrôler l'action de son Gouvernement.

Le 7 Février 2006, de nouvelles élections générales ont été organisées. Elles ont permis l'accession au pouvoir de René PREVAL une nouvelle fois et l'avènement de la 48e Législature. Après les élections générales de 2006, il a fallu attendre Avril et Juin 2009 pour l'organisation des élections sénatoriales partielles en vue du renouvellement du tiers du Sénat et l'on s'achemine tout droit vers l'amputation d'un nouveau tiers des membres de ladite Assemblée. D'où, un nouveau vide institutionnel pointe à l'horizon et on peut craindre le pire si de nouvelles élections ne sont pas organisées dans les mois qui viennent.

On l'aura compris, des crises et vides institutionnels constituent le lot quotidien de la « pratique » du régime, fortement marquée par la discontinuité institutionnelle. Cette situation contribue à affaiblir l'institution parlementaire et à donner libre cours à des élans de présidentialisme en dépit du cadre constitutionnel qui fait du Parlement l'épicentre du régime.

Certains observateurs pourraient avancer que, depuis 1987, le régime a du mal à fonctionner dans la continuité institutionnelle, parce qu'il est tout simplement inadaptable sinon inapplicable.

Sans pour autant prendre d'emblée le contre-pied de ce point de vue, nous avançons de préférence qu'on ne peut pas encore tester de l'inadaptabilité ou de l'inapplicabilité du régime puisqu'il n'a jamais été mis en place totalement. D'ailleurs, la Constitution de 1987 a su s'imposer dans la durée.165 Nous trouvons qu'il est plus judicieux de voir dans l'épineux problème de l'instabilité politique et celui de la faiblesse des institutions des variables explicatives du phénomène de la discontinuité institutionnelle plutôt que de considérer que le régime est inadaptable ou inapplicable avant même de le tester au moyen de sa mise en oeuvre complète.

B. L'INSTABILITÉ POLITIQUE ET LA FAIBLESSE DES INSTITUTIONS

La ratification du texte constitutionnel par le Peuple haïtien le 29 Mars 1987 se veut avant tout, un acte de rejet. C'est le rejet d'un système politique qui a fait son temps et que l'on croyait à jamais révolu. Le Peuple voulait faire l'expérience de la démocratie après plusieurs décennies de dictature, particulièrement le régime des DUVALIER. Cela pourrait s'expliquer par une soif de liberté, liberté que le Peuple croyait garantie par l'institution de la Constitution de 1987.

Cependant, seulement la ratification de la Constitution de 1987 ne suffit pas à permettre au Peuple d'instaurer la démocratie, car nulle part ailleurs, la démocratie ne se « décrète » pas ; c'est un processus. On pourrait même l'envisager comme une construction permanente. L'adoption de la Constitution de 1987 était la première étape, très significative d'ailleurs sur le plan de pur droit, mais ce n'était qu'une première étape.

165 Une Constitution dure en moyenne neuf (9) ans en Haïti. Or, on a déjà commémoré les 21 ans de la Constitution de 1987.

Si l'on veut arriver à l'instauration du nouveau système politique, encore faudrait-il imposer l'application continue de la Constitution, pour permettre au régime de fonctionner dans la continuité institutionnelle. La continuité institutionnelle voudrait dire mettre effectivement en place les institutions créées par la Constitution, leur donner les moyens de leur fonctionnement, les renouveler, le cas échéant, à temps pour permettre au nouveau régime de fonctionner sans être saccadé.

Pourtant, on l'aura vitement compris, la première tentative de mise en oeuvre du nouveau régime en Février 1988 n'a pas duré six (6) mois. Depuis lors, le pays s'enlise dans une instabilité politique dont il a du mal à s'en sortir. Les tentatives de mise en oeuvre du nouveau régime sont entrecoupées de coups d'Etat. Il va sans dire que cette situation ne favorise guère le renforcement des institutions de l'Etat. D'ailleurs, jusqu'à présent, le Conseil Electoral Permanent (CEP) n'a pas pu être mis en place. Or, il devrait jouer un rôle moteur dans la continuité institutionnelle du régime.

C'est le cas de dire que l'instabilité politique et la faiblesse des institutions sont étroitement imbriquées. Les deux (2) expliquent la discontinuité institutionnelle qui caractérise la « pratique » du régime et l'on pourrait même se demander si l'une n'engendre pas l'autre et vice versa.

La Constitution de 1987 place le CEP au rang des institutions indépendantes. Elle le charge de l'organisation des élections dans tout le pays et fait de lui en même temps le juge du contentieux électoral.166 De plus, ses membres jouissent de l'inamovibilité en vue de garantir leur indépendance vis-à-vis du pouvoir politique. Or, précisément, la discontinuité institutionnelle est due au fait que les élections ne sont jamais organisées à temps. Pour que l'on puisse arriver à avoir dans le pays régulièrement l'organisation d'élections, le CEP doit être mis en place et il doit avoir les moyens de son fonctionnement. C'est ce qu'a empêché l'instabilité politique. La mise en place du nouveau système politique est entrecoupée de périodes de « transition ».

Depuis l'institution de la Constitution de 1987, le Pouvoir Exécutif a toujours eu à intervenir et même à décider de l'organisation d'élections dans le pays. Or, les premières élections de Novembre 1987 devraient permettre la formation du CEP qui est précisément

166 Toutefois, l'on se demande à bon droit si le pouvoir de validation des Assemblées, notamment l'Assemblée des Sénateurs, ne leur permet pas de jouer un rôle déterminant en matière de contentieux électoral. L'on pourrait même se demander si elles ne peuvent pas ignorer le choix du peuple lors des élections législatives.

l'organe chargé d'organiser en toute indépendance, suivant le cycle électoral fixé par la Constitution, les élections en vue du renouvellement du personnel du pouvoir politique.

Le Conseil Electoral Permanent, doté de moyens qu'il faut et soucieux de remplir sa mission en toute indépendance, aura permis au régime de fonctionner dans la continuité institutionnelle, moyennant qu'un nouveau coup d'Etat ne vienne pas perturber l'expérience de la mise en place du nouveau système politique de 1987. De cette continuité institutionnelle, aura découlé le renforcement de l'institution parlementaire dans la pratique du régime et dans l'opinion. De plus, cela aura permis de couper court aux élans de présidentialisme, car une application rigoureuse de la Constitution de 1987 aura empêché le retour au présidentialisme traditionnel.

En revanche, si le régime arrive à fonctionner dans la continuité institutionnelle, on peut doublement craindre des dérives dictatoriales du Parlement qui peuvent, d'ailleurs, prendre des proportions alarmantes. A ce moment, on aura vu toutes les manifestations de sa toute-puissance. Il n'y-a pas que l'Exécutif à pouvoir instaurer la dictature. Le phénomène de la dictature parlementaire existe. Un Parlement sans bornes peut tout aussi être nocif pour la stabilité et le fonctionnement régulier des institutions, sans oublier les libertés fondamentales qui peuvent être sans cesse bafouées. D'où, un dilemme : que faire ? S'efforcer de faire fonctionner le régime tel quel dans la continuité institutionnelle, pour respecter la Constitution, ou encore amender la Constitution pour borner les pouvoirs du Parlement avant de prôner la continuité institutionnelle ?

DEUXIEME PARTIE

L'ENCADREMENT JURIDIQUE INSUFFISANT DES
POUVOIRS DU PARLEMENT : PROBLEMATIQUE DE
L'AUTORITE DE LA CONSTITUTION DE 1987

Dans la première partie de ce travail de recherche académique, nous avons essayé de démontrer qu'il existe, sous le régime constitutionnel de 1987, un déséquilibre entre les Pouvoirs publics au profit du Parlement. C'est presqu'une évidence et c'est en quelque sorte le propre des logiques institutionnelles du régime. Néanmoins, à côté de ce état de fait, les pouvoirs du Parlement peuvent aller grandissants, sans que pour autant l'autorité de la Constitution soit préservée.

En effet, la Constitution de 1987 accorde des prérogatives de législation illimitées au Parlement. Son champ d'action, en matière législative, ne fait quasiment pas l'objet de limitations tant au niveau du domaine de la loi qu'au niveau de la procédure législative. Ses prérogatives de législation sont illimitées à telle enseigne qu'il lui est loisible d'étendre sa sphère d'influence et d'intervention par la voie législative ordinaire. D'où, un déficit d'encadrement juridique des compétences du Parlement et une condition de fragilisation des libertés fondamentales. Il s'ensuit que le déséquilibre constaté risque d'être accentué ; donc des risques de dérèglement institutionnel du régime.

Les risques de débordements éventuels des pouvoirs du Parlement pourraient être relégués au rang des abstractions à condition que la Constitution de 1987 soit la norme suprême de l'Etat et que tout à la fois cette suprématie soit garantie par un contrôle efficace de constitutionnalité empêchant qu'un acte du Parlement puisse s'écarter du texte et de l'esprit de la Constitution. Or, à ce propos, la suprématie de la Constitution de 1987 oscille entre mythe et réalité. Plusieurs raisons permettent de présumer sa suprématie, mais plusieurs failles au niveau des mécanismes de garantie de cette suprématie viennent l'hypothéquer. La suprématie matérielle de la Constitution est épinglée par la puissance de la loi. La Constitution institue la constitutionnalité de la loi, mais la garantit inefficacement. Elle institue la constitutionnalité des conventions, traités ou accords internationaux, mais ne la garantit pas. De plus, les constituants de 1987 n'ont pas jugé utile d'instituer la constitutionnalité du règlement intérieur des Assemblées. Par conséquent, la Constitution de 1987 institue des limites et permet en même temps au Parlement de les dépasser.

Au contraire, historiquement, le rôle premier d'une Constitution est de limiter les prérogatives des gouvernants et ainsi préserver la liberté des citoyens. Donc, si la suprématie de la Constitution est juridiquement mal assurée, on peut craindre, à bon droit, l'arbitraire des gouvernants. En ce sens, le principe de la Séparation des Pouvoirs, consacré par la Constitution de 1987, est-il garanti ? L'Etat de droit, est-il juridiquement bien assis ?

CHAPITRE 3
La puissance législative quasi-illimitée du Parlement : causes et
implications

Ce chapitre met en lumière le déficit d'encadrement constitutionnel des compétences des représentants du Peuple au Parlement. Cette situation résulte des prérogatives de législation illimitées du Parlement (section I) et laisse place à de forts risques de dérèglement institutionnel du régime en plus de fragiliser les libertés fondamentales (section II).

SECTION I.- DES PRÉROGATIVES DE LÉGISLATION ILLIMITÉES DU PARLEMENT

Le champ d'action du Parlement, dans le cadre de l'exercice de sa fonction législative, ne fait quasiment pas l'objet de limitations tant au niveau du domaine législatif qu'au niveau de la procédure législative. Du reste, il va sans dire que le domaine de la loi est très étendu, voire sans limites (§ 1) sans que pour autant la procédure législative soit l'objet de contrôle (§ 2).

§ 1.- LE DOMAINE DE LA LOI EST ILLIMITÉ

Le domaine de la loi ou domaine législatif est le domaine sur lequel le Parlement peut légiférer, c'est-à-dire, élaborer, discuter et voter des lois.

Dans la Constitution de 1987, le domaine de la loi est très étendu, voire sans limites. Donc, les constituants de 1987 n'ont pas limité la portée des prérogatives de législation des deux (2) Assemblées législatives.

La portée du domaine de la loi conduit à faire deux (2) observations : D'une part, le caractère illimité du domaine de la loi ne laisse place qu'à un pouvoir réglementaire complètement encadré sinon subordonné (A). D'autre part, le domaine de la loi est illimité à

un point tel qu'il est même permis subtilement au Parlement d'étendre ses attributions par voie législative ordinaire (B).

A. LE DOMAINE DE LA LOI ET LE POUVOIR RÉGLEMENTAIRE

Si le domaine de la loi est le domaine sur lequel le Parlement peut légiférer ; en revanche, le pouvoir réglementaire est le pouvoir d'édicter des règlements, c'est-à-dire des actes de portée générale et impersonnelle édictés par les autorités exécutives compétentes167.

La Constitution française de 1958 a limité le domaine de la loi à certaines matières ; l'article 34 énumère les matières où la loi peut intervenir. D'où, la loi se voit cantonnée dans un domaine d'attribution. L'article 37, de son côté, institue un pouvoir réglementaire autonome. Par conséquent, la délimitation du domaine de la loi crée une place qu'occupe un nouveau type d'acte, le règlement autonome.

De ce point de vue, la Constitution de 1958 introduit un moment de rupture. Certains auteurs n'hésitent même pas à parler de « révolution juridique ». Avant 1958 en France, la loi n'avait pas de bornes en ce sens qu'elle pouvait intervenir dans tous les domaines. Le pouvoir réglementaire, quant à lui, n'avait qu'une fonction d'exécution. Il n'existait pas de pouvoir réglementaire autonome. Ainsi, un décret était toujours un décret d'application d'une loi.

A partir de la Constitution de 1958, tracée dans ces grandes lignes par le Général Charles de Gaulle avec la principale contribution du juriste de grand talent, Michel Debré, le Gouvernement dispose non seulement d'un pouvoir réglementaire d'application de la loi, mais encore d'un pouvoir réglementaire autonome dans toutes les matières qui ne sont pas attribuées à la loi. Les règlements autonomes sont subordonnés à la Constitution et aux traités, alors que les règlements d'application doivent être directement subordonnés à la loi.

On observera au passage que les constituants haïtiens de 1987 n'ont pas suivi l'exemple de la France relativement au cas précité et dans bien d'autres cas, bien que l'on ait tendance à répéter trop souvent que le droit haïtien est un calque du droit français, comme pour faire référence à un phénomène de mimétisme juridique.

Par voie de conséquence, il est à peine besoin de souligner que le Parlement haïtien n'a pas à respecter, dans le cadre de l'exercice de sa fonction législative, un domaine

167 GUILLIEN, VINCENT 2001, op. cit., pages 426, 475.

d'attribution qui serait fixé par la Constitution. Le domaine de la loi n'a pas de bornes en ce sens que la loi peut intervenir dans toutes les matières.

En revanche, le Premier Ministre, en Haïti, dispose du pouvoir réglementaire selon les prescriptions de l'article 159 de la Constitution de 1987. Toutefois, il s'agit d'un pouvoir réglementaire d'application. Il doit se contenter d'édicter les mesures permettant l'application effective des lois. Par conséquent, le Parlement vote les lois et le Gouvernement prend des règlements d'application. Il n'y a pas d'une part, le domaine de la loi et de l'autre, le domaine réglementaire. Tous les règlements sont subordonnés à la loi.

Qu'adviendrait-il dans l'hypothèse où le Législateur s'abstient de légiférer ? Nous ne devons pas perdre de vue que les constituants français de 1958 ont limité le domaine de la loi pour mettre fin, entre autres, à une paralysie parlementaire existant sous la IVe République. C'est le cas de dire que le caractère illimité de la loi est vecteur de paralysie parlementaire.

B. LE DOMAINE DE LA LOI ET LE CHAMP DE COMPÉTENCES DU PARLEMENT

Le Sénat et la Chambre des Députés sont les deux (2) composantes du Parlement. Or, ce dernier est une création de la Constitution. En conséquence, il va de soi que le Sénat et la Chambre sont deux (2) organes institués par la Constitution.

La doctrine constitutionnelle française retient l'Etat et les limites de son pouvoir comme objet de la Constitution et du droit constitutionnel168. Par contre, dans la Constitution de 1987, les pouvoirs du Parlement, un organe de l'État, ne lui sont pas comptés.

En effet, l'article 93 de la Constitution de 1987, énumérant des attributions de la Chambre des Députés, dispose in fine que « les autres attributions de la Chambre des Députés lui sont assignées par la Constitution et par la loi ». On en déduit que l'énumération de cette disposition constitutionnelle n'est pas limitative, puisque d'autres attributions éparses de la Chambre des Députés peuvent être trouvées dans l'ensemble du texte constitutionnel et dans la loi. Donc, toutes les attributions de la Chambre ne sont pas contenues dans l'article 93 de la Constitution de 1987. Elle est fondée à exercer valablement toutes autres compétences que lui confèrent la Constitution et la loi.

168 HAMON, TROPER 2003, op. cit., page 22.

De plus, l'article 97 de la Constitution de 1987, énumérant des attributions du Sénat, dispose in fine qu'il peut aussi « exercer toutes autres attributions qui lui sont assignées par la présente Constitution et par la loi ». On en déduit que pareillement à la Chambre des Députés, le Sénat est fondé à exercer valablement toutes autres compétences que lui confèrent la Constitution et la loi.

Le terme loi doit être pris, ici, au sens organique et formel (stricto sensu), c'est-à-dire le texte émanant du Pouvoir Législatif. Il ne doit pas être compris comme englobant, ut universi, toutes les règles à valeur juridique (Constitution, loi ordinaire, règlements, principes généraux du droit, coutume...). Il y a plusieurs raisons à cela :

D'abord, le terme loi, en général, est compris au sens organique et formel, par opposition aux règlements, mais aussi à la Constitution. C'est en ce sens que l'on entend en général le mot loi dans la pratique. En d'autres termes, c'est son sens juridique usuel169.

Ensuite, les articles 93 et 97 in fine précisent : « par la Constitution et par la loi ». Par conséquent, s'il s'agissait de la loi lato sensu, il serait inutile d'invoquer la Constitution, car la loi au sens large englobe aussi la Constitution170. De plus, la conjonction de coordination et n'aurait pas sa place.

Par ailleurs, il n'y a pas un problème juridique particulier le fait que les dispositions des articles 93 et 97 in fine de la Constitution de 1987 réfèrent à l'ensemble du texte constitutionnel pour rechercher d'autres attributions du Sénat et de la Chambre. En ce sens, ces dispositions constitutionnelles invitent à observer que les attributions du Sénat et de la Chambre sont éparses, donc non regroupées sous une rubrique particulière de la Constitution.

Cependant, les deux dispositions constitutionnelles en question font problème en référant aussi à la loi pour rechercher d'autres attributions du Sénat et de la Chambre. Si le Sénat et la Chambre peuvent valablement exercer toutes attributions que leur assignent la loi, comme le veulent les articles 93 et 97 de la Constitution, cela suppose évidemment que la loi peut accorder de nouvelles compétences au Sénat et à la Chambre. D'où, une extension du domaine de la loi. En plus de pouvoir mettre en oeuvre la Constitution, la loi peut aussi étendre les compétences des organes qu'elle institue, en l'occurrence le Sénat et la Chambre.

169 Voir CORNU 2007, op. cit., page 560, puis François TERRE, Introduction générale au Droit, Précis Dalloz, Paris, 7e éd., 2006, p. 194.

170 Idem, p. 194.

A ce propos, nous rappelons qu'il est de la compétence du Parlement de faire les lois. Or, le Parlement est composé du Sénat et de la Chambre des Députés. D'où, la loi qui peut venir étendre les attributions du Sénat et de la Chambre aura été votée par ces deux organes.

Par voie de conséquence, on peut avancer qu'en plus des attributions expressément constitutionnelles qui leur sont dévolues, la Constitution de 1987 leur reconnaît implicitement le pouvoir d'étendre le champ de leurs attributions, donc de leurs compétences, par voie législative ordinaire. N'est-ce pas leur accorder la « compétence de leur compétence » ? Pour l'assignation d'attributions au Sénat et à la Chambre, y-aurait-il lieu de parler de compétence concurrente du constituant et du Parlement ? Peut-on véritablement parler de prééminence hiérarchique de la Constitution sur la loi ? En pouvant élargir ses attributions, le Législateur paraît être l'égal du constituant.

D'aucuns pourraient faire valoir que les dispositions constitutionnelles en question ne concernent que le Sénat et la Chambre des Députés séparément, mais ne concernent pas le Parlement comme organe et que l'on n'encoure donc aucun danger puisqu'aucune des deux Assemblées ne vote seule la loi.

Nous répondons que les deux Assemblées participent, sur un pied d'égalité, à l'élaboration et au vote de la loi. Un projet de loi ou une proposition de loi devient loi quand il ou elle est voté (e) en termes identiques par les deux (2) Assemblées.171 Elle est ensuite adressée au Président de la République pour promulgation.172 De plus, le Sénat et la Chambre sont deux organes d'un même Pouvoir, en l'occurrence, le Pouvoir Législatif ou Parlement. D'ailleurs, c'est l'addition du Sénat et de la Chambre qui donne le Parlement. Donc, accorder un pouvoir extensif à la fois au Sénat et à la Chambre revient encore à l'accorder au Parlement. C'est ainsi que l'on admet que le Parlement exerce un contrôle sur l'action gouvernementale, alors que ce pouvoir de contrôle est accordé au Sénat et à la Chambre séparément.

Par voie de conséquence, les deux (2) Assemblées du Parlement peuvent toujours s'arranger pour voter un texte173 en termes identiques qui aura devenu ipso facto loi, puis

171 Art. 120, Constitution de 1987.

172 Art. 121, Constitution de 1987.

173 Une sorte de proposition de loi d'auto-habilitation dans laquelle elles se distribuent des pouvoirs, surtout en cas de vide juridique.

l'adresser au Président de la République qui, après avoir éventuellement usé de son droit d'objection, se trouvera dans l'obligation constitutionnelle de la promulguer.174

De plus, l'initiative de la loi appartient concurremment à chacune des deux Assemblées et au Pouvoir Exécutif. Néanmoins, la Constitution, en son article 111-2, met une sourdine à la portée du droit d'initiative législative accordé au Parlement en ce sens qu'elle prescrit que l'initiative des lois de finances est de la compétence exclusive du Pouvoir Exécutif. Par contre, les constituants de 1987 n'ont pas jugé utile d'empêcher que l'une et l'autre des deux Assemblées puissent avoir l'initiative de la loi qui aurait pour vocation de leur donner des pouvoirs. La Constitution a seulement prescrit que la Chambre et le Sénat peuvent exercer également les attributions qui leur sont dévolues par la Constitution et par la loi.

Bien qu'il ne soit pas évident d'avoir un projet de loi (donc, d'initiative gouvernementale) prévoyant d'accorder de nouvelles attributions à la Chambre ou au Sénat, ces derniers peuvent toujours se proposer un texte en ce sens pour être adopté comme loi. D'ailleurs, la proposition pourra facilement devenir loi puisque le Pouvoir Exécutif ne dispose d'aucun moyen de pression effectif sur le Parlement en matière législative.

En effet, il n'est pas sans intérêt de faire remarquer que les constituants de 1987 ont accordé uniquement au Sénat et à la Chambre des Députés ce pouvoir d'étendre leurs compétences.

D'abord, cette prescription constitutionnelle exorbitante est rencontrée en deux (2) occasions et en deux (2) endroits différents.175 La Constitution dresse une liste d'attributions de la Chambre et du Sénat et précise, expresis verbis, qu'ils peuvent aussi exercer toutes autres attributions qui leur sont assignées par la Constitution et par la loi. Par contre, les constituants ont bien pris le soin de limiter singulièrement les attributions de l'Assemblée Nationale, l'organe non-permanent du Parlement, avant même d'en dresser la liste. C'est l'objet même de l'article 98-2 de la Constitution : « Les pouvoirs de l'Assemblée Nationale sont limités et ne peuvent s'étendre à d'autres objets que ceux qui lui sont spécialement attribués par la Constitution. »

Ensuite, seul le Parlement, c.-à-d. le Sénat et la Chambre, jouit de cette prérogative d'élargir le champ de ses attributions par voie législative ordinaire. En effet, il est clairement

174 Art. 121-4, Constitution de 1987.

175 Voir les articles 93 et 97-3 de la Constitution de 1987.

indiqué dans la Constitution que le Président de la République n'a d'autres pouvoirs que ceux que lui attribue la Constitution.176 D'où, un obstacle à l'équilibre institutionnel et démocratique du régime.

En somme, le pouvoir constituant originaire a accordé, par sa ratification du texte le 29 Mars 1987, à un pouvoir constitué, le Parlement, des prérogatives de législation illimitées jusqu'à lui permettre de se donner des pouvoirs.

L'effectivité des prérogatives de législation illimitées du Parlement est assurée, car des faibles moyens d'action sont accordés au Pouvoir Exécutif sur la procédure législative.

§ 2.- DES FAIBLES MOYENS D'ACTION DE L'EXÉCUTIF SUR LA PROCÉDURE LÉGISLATIVE

La loi est adoptée selon la procédure législative, c'est-à-dire, l'examen et le vote du texte par chaque Assemblée.177 Nous retenons cinq (5) étapes principales dans la procédure d'élaboration de la loi (A). En outre, la procédure législative ne fait quasiment pas l'objet de contrôle dans la Constitution haïtienne de 1987. Cette dernière n'accorde que des faibles moyens d'action à l'Exécutif sur la procédure législative (B).

A. LE SOMMAIRE DE L'ITINÉRAIRE DE LA LOI

1. L'initiative législative

La loi, avant d'être juridiquement qualifiée telle, a été initialement un projet de loi ou une proposition de loi. Le projet de loi émane du Pouvoir Exécutif, alors que la proposition de loi est d'origine parlementaire. Par conséquent, l'initiative législative est l'acte par lequel on propose l'adoption d'un projet de loi ou d'une proposition de loi.178 On peut aussi en déduire que le droit d'initiative législative est reconnu concurremment au Pouvoir Exécutif et aux parlementaires.179

176 Art. 150, Constitution de 1987.

177 C'est la définition retenue par Pierre PACTET (voir Droit constitutionnel Institutions politiques, op. cit., page 470).

178 CORNU 2007, op. cit., p. 492.

179 Voir, l'art. 111-1 de la Constitution de 1987.

2. Les discussions

La discussion est une étape importante de la procédure législative. Chacune des deux (2) Assemblées a le droit de discuter du contenu du texte qui lui est soumis. La discussion permet d'évaluer la valeur du texte ainsi que l'opportunité de son adoption avant le passage au vote. D'ailleurs, c'est au moment des discussions sur le texte que les Assemblées exercent leur droit d'amendement.

3. Le vote et la navette législative

Le Parlement est l'organe de confection de la loi. Ainsi, la loi est-elle votée par le Parlement. Le texte proposé doit être voté par chacune des deux Assemblées avec, le cas échéant, les amendements. Le principe est qu'on vote sur chaque article et chaque amendement ; c'est le principe de la spécialité du vote.180 Le texte proposé ne devient loi « qu'après avoir été voté dans la même forme par les deux Chambres ». 181

La navette législative est une locution couramment employée pour désigner la suite de « va et vient d'un projet ou d'une proposition de loi d'une Assemblée à l'autre en régime bicaméral, tant que subsiste entre elles un désaccord sur le texte en discussion.» 182

4. La promulgation

La promulgation est l' « acte par lequel le Chef de l'Etat constate officiellement l'existence de la loi et la rend exécutoire ».183 Le professeur émérite Gérard CORNU, de son côté, précise que cet acte « préside à l'insertion du texte dans l'ordre juridique et conditionne son entrée en vigueur sous réserve de la publicité à intervenir. »184

5. La publication

La publication c'est l'action de porter la loi à la connaissance du public par son insertion dans le journal officiel de la République, Le Moniteur. Le professeur émérite Gérard CORNU précise que la publication est une « mesure de publicité destinée à rendre l'acte opposable à tous et qui constitue l'une des conditions de l'entrée en vigueur de l'acte. »185

180 Art. 119, Constitution de 1987.

181 Voir l'art. 120 in fine de la Constitution de 1987.

182 GUILLIEN, VINCENT 2001, op. cit., p. 374.

183 Idem, p. 445.

184 CORNU 2007, op. cit., p. 732.

185 Idem, p. 742.

De plus, nul n'est recevable à faire valoir son ignorance d'un texte de loi. Ainsi l'a voulu la sagesse romaine : « nemo censetur ignorare legem ». Or, cette maxime, qualifiée de vénérable par le professeur émérite François TERRE186, est toujours d'actualité. D'où, la toute importance de la publication de la loi.

B. LES FAIBLESSES DE L'EXÉCUTIF ET LES FORCES DU LÉGISLATIF

En principe, la loi est l'oeuvre du Parlement. D'ailleurs, celle-ci ne doit pas être définie matériellement, mais de préférence organiquement, par le seul fait que le domaine de la loi, en Haïti, n'a pas de bornes. En conséquence, le pouvoir de faire les lois est une prérogative constitutionnelle du Parlement.187

En revanche, « légiférer est une nécessité pour les exécutifs contemporains ».188 Ce n'est pas sans raison qu'il y a toujours plus de projets de loi déposés que de propositions de loi. De plus, c'est le Gouvernement qui « conduit la politique de la Nation ».189 Sous le régime constitutionnel de 1987, le Président de la République est élu au suffrage universel direct. De ce fait, ce dernier a, sans conteste, un fondement démocratique et une légitimité populaire au plan national. Par conséquent, la vision pour laquelle il a été voté, les engagements qu'il a pris lors de sa campagne électorale, le programme ou la politique du Premier Ministre doivent être traduits dans des textes de lois. C'est que les grandes orientations de la politique gouvernementale sont en principe traduites dans des textes de lois. C'est ainsi que chaque Gouvernement a en principe son programme législatif.

Or, tenant compte des faibles « prérogatives positives » et « prérogatives négatives » reconnues à l'Exécutif sous le régime constitutionnel de 1987 sur l'activité législative, le Parlement a un champ d'action très étendu dans le cadre de l'exercice de sa fonction législative. Le Pouvoir Exécutif ne prend pas une part notable à l'activité législative.

Telle que tracée dans ses grandes lignes par la Constitution, la procédure législative n'est pas encadrée. Les maigres prérogatives reconnues à l'Exécutif résident surtout dans le droit d'initiative législative de l'Exécutif, notamment en matière de loi de finances, dans le régime des sessions et dans le droit d'objection du Président de la République.

186 François TERRE, Introduction générale au Droit, 2006, Op. cit., p. 377.

187 Art. 111.

188 PACTET 2001, op. cit., p. 236.

189 Voir l'art. 156 in limine de la Constitution de 1987.

Certes, l'Exécutif a le droit d'initiative législative. Cependant, sa marge de manoeuvre est négligeable, quant à faire en sorte qu'un de ses projets de loi devienne loi. Quand l'Exécutif ait fini de faire le dépôt d'un projet de loi au Parlement, le Premier Ministre et les Ministres peuvent seulement aller le « soutenir » aux Assemblées.190 Or, il n'y a aucun moyen de contourner le Parlement.

Le Président de la République, notamment en cas d'urgence, peut convoquer le Parlement en session extraordinaire.191 L'Assemblée Nationale, l'organe non-permanent du Parlement, peut être convoquée à l'extraordinaire par le Pouvoir Exécutif, notamment en cas d'urgence.192

De plus, le Président de la République détient un droit d'objection qu'il est à même d'exercer quand le Parlement lui soumet un texte de loi pour promulgation. Cependant, ce droit d'objection est très limité. Si le Président de la République fait des objections à une loi qui lui est adressée pour être promulguée, les Assemblées doivent délibérer à nouveau. Néanmoins, ce droit d'objection doit être exercé dans les huit (8) jours francs à partir de la réception de la loi par le Président de la République.193 Par contre, si les objections sont rejetées par les Assemblées, le Président de la République n'y peut rien. En pareille hypothèse, il est tenu de la promulguer en dépit de son désaccord, sous peine de se rebeller contre la Constitution.194

Aux Etats-Unis d'Amérique, en dépit du régime présidentiel, le Président de la République détient, en addition à son droit de veto, du « pocket veto ». Il consiste à refuser de signer un bill qui lui a été transmis dans les dix (10) jours précédant l'ajournement du Congrès, ce qui met fin à la procédure législative. Le bill devient alors caduc sans que son veto puisse être renversé195.

En effet, sous le régime constitutionnel de 1987, les maigres prérogatives reconnues à l'Exécutif sur la procédure législative ne facilitent pas la traduction des grandes orientations de la politique gouvernementale dans des textes de loi. Ainsi, le Gouvernement peut-il avoir beaucoup de difficultés pour faire passer ses projets de loi même dans des domaines très prioritaires.

190 Art. 161, Constitution de 1987.

191 Art. 105, Constitution de 1987.

192 Art. 101, Constitution de 1987.

193 Art. 122, Constitution de 1987.

194 Art. 121-4, Constitution de 1987. Ce, sans préjudice des dispositions de l'art. 123 de ladite Constitution.

195 Voir GICQUEL 1997, op. cit., page 292.

1) Pas d'adoption de texte sans vote

L'article 49, troisième alinéa, de la Constitution française de 1958 met en place une procédure d'engagement de responsabilité du Gouvernement devant l'Assemblée Nationale, par le Premier Ministre, après délibération du Conseil des Ministres, sur le vote d'un projet de loi de finances ou de financement de la sécurité sociale196. La procédure de l'art. 49, al. 3 permet de considérer ce projet comme présumé adopter par l'Assemblée Nationale sans qu'il n'y ait vote sur le projet. Il suffit, pour cela, que le Premier Ministre, après délibération du Conseil des Ministres, lie le sort du Gouvernement à celui du projet. Alors, pour empêcher l'adoption automatique du projet, il faut qu'une motion de censure soit déposée à temps et qu'elle soit votée. Elle ne peut être adoptée qu'à la majorité des membres composant l'Assemblée. Si les Députés ne veulent pas du projet, il leur faut donc renverser le Gouvernement.

Cette procédure permet au Gouvernement d'obtenir le vote d'un projet d'une extrême importance pour lui en faisant peser une forte pression politique sur l'Assemblée Nationale et en contournant, du même coup, le principe de la spécialité du vote.

En revanche, le Gouvernement, en Haïti, ne peut pas engager sa responsabilité politique devant les Assemblées sur un projet par lui soumis. La responsabilité politique du Gouvernement est mise en cause seulement par l'une ou l'autre des deux (2) Assemblées à l'occasion d'une interpellation soldée par le vote de la motion de censure.

Néanmoins, on pourrait faire remarquer que la procédure précitée existant en France n'aurait pas grand intérêt en Haïti vu qu'aucune des deux (2) Assemblées ne peut être dissoute par le Président de la République. Toutefois, un Gouvernement très populaire aurait pu exercer cette forte pression politique sur le Parlement quand il s'agit de faire voter rapidement un projet de loi très important pour lui. De plus, cette procédure pourrait se révéler une arme très précieuse pour un Gouvernement qui fait face, en cours de route, à l'hostilité de la majorité dans l'une ou l'autre Assemblée et qui voudrait seulement ne pas accorder au Gouvernement les moyens (la loi) de sa politique, sans vouloir nécessairement le renverser.

196 Le Comité « Balladur » a proposé, dans son rapport remis au Président Nicolas SARKOZY (Proposition no 23, http://www.elysee.fr), de limiter la portée de l'art. 49, al. 3 aux seules lois de finances et de financement de la sécurité sociale. Cette proposition a été suivie par les Pouvoirs publics. Voir l'art. 24 de la LOI constitutionnelle no 2008-724 du 23 Juillet 2008 de modernisation des institutions de la Ve République et le nouvel énoncé de l'art. 49, al. 3 de la Constitution de 1958 entré en vigueur le 1er Mars 2009.

2) Pas de « vote bloqué »

L'article 44, troisième alinéa, de la Constitution française de 1958 permet au Gouvernement d'écarter le principe de la spécialité du vote. Il peut à tout moment de la procédure demander un vote unique sur tout ou partie du texte. Pour le Gouvernement, l'objectif est d'éviter la dénaturation de son texte par des flux d'amendements. Donc, le « vote bloqué » se révèle un instrument utile pour assurer la cohérence du texte.

De son côté, l'article 119 de la Constitution haïtienne de 1987 prescrit : « tout projet de loi doit être voté article par article ». Même le budget de chaque ministère doit être voté article par article.197 Par conséquent, la procédure du vote unique, communément appelée « vote bloqué », n'est pas admise sous le régime constitutionnel de 1987.

3) Pas de « substitut » au Législateur

En France, la loi est en principe votée par le Parlement198. Toutefois, la Constitution de 1958 prévoit qu'il peut être exceptionnellement écarté.

En effet, l'article 11 de la Constitution française de 1958 prévoit le référendum législatif. Ce procédé de la démocratie semi-directe permet au Peuple de collaborer à l'élaboration de la loi199.

Nous devons faire remarquer au passage qu'aux Etats-Unis d'Amérique, il est possible de recourir au référendum dans trente neuf (39) Etats200.

De son côté, l'article 16 de la Constitution française de 1958 accorde au Président de la République des prérogatives hors du commun dans les situations de crise. Ledit article est très extensif dans sa formulation. Il dispose : « ...le Président de la République prend les mesures exigées par ces circonstances... ». D'où, les pleins pouvoirs, y compris la plénitude du Pouvoir Législatif, sont accordés au Président de la France en période de crise201.

197 Voir l'art. 227 de la Constitution de 1987.

198 Cf. art. 9 de la LOI constitutionnelle no 2008-724 du 23 Juillet 2008 de modernisation des institutions de la Ve République ; l'art. 24 de la Constitution française de 1958.

199 GUILLIEN, VINCENT 2001, op. cit., page 470.

200 BARILARI, GUEDON 1994, page 71.

201 Toutefois, le nouvel énoncé de l'art. 16 de la Constitution de 1958, après la reforme de Juillet 2008, permet au Conseil constitutionnel de vérifier si les conditions de mise en oeuvre des pouvoirs exceptionnels de l'art. 16 demeurent réunies.

Pour sa part, l'article 38 de la Constitution française de 1958 permet au Gouvernement, « pour l'exécution de son programme », de recevoir, par délégation du Parlement, le pouvoir d'intervenir dans le domaine législatif : c'est l'hypothèse classique de l'habilitation législative. Le Gouvernement agira alors au moyen de normes réglementaires, les ordonnances202.

De plus, l'article 47, troisième alinéa, de la Constitution française de 1958 permet au Gouvernement, dans des circonstances bien élucidées, de prendre des ordonnances budgétaires en éludant le Parlement. L'article 47-1, de son côté, permet au Gouvernement de prendre des ordonnances sociales en éludant le Parlement.

Alors, on comprend bien que les dispositions constitutionnelles évoquées plus haut permettent de sanctionner l'inaction du Parlement dans des domaines stratégiques et prioritaires comme, par exemple, le domaine budgétaire.

Au contraire, le Parlement haïtien est incontournable ; lui seul peut légiférer et ce, dans tous les domaines. La Constitution haïtienne de 1987 ne prévoit pas la procédure de soumission, par l'Exécutif, d'un projet de loi au référendum. Donc, pas de provision constitutionnelle pour le référendum législatif ; le Parlement ne peut pas être court-circuité. De plus, le Gouvernement n'a aucun recours, pour l'exécution de son programme, en cas d'inaction du Parlement. Cette inaction éventuelle n'est pas sanctionnée même dans un domaine très stratégique et prioritaire qu'est le domaine budgétaire. La Constitution de 1987, en ses articles 231 et 231-1 respectivement, se contente de préciser :

« Au cas où les Chambres législatives pour quelque raison que se soit, n'arrêtent pas à temps le budget pour un ou plusieurs Départements ministériels avant leur ajournement, le ou les budgets des Départements intéressés restent en vigueur jusqu'au vote et adoption du nouveau budget. »

« Au cas où, par la faute de l'Exécutif, le budget de la République n'a pas été voté, le Président de la République convoque immédiatement les Chambres législatives en session extraordinaire à seule fin de voter le budget de l'Etat. »

Qu'adviendrait-il dans l'hypothèse où la faute invoquée dans l'article précédent serait imputable au Parlement ? Considérons toute même le principe de la convocation en session extraordinaire comme acquis, que risquerait-il de se passer si les deux (2) Assemblées

202 Les ordonnances de l'article 38 sont l'équivalent des décrets-lois des IIIe et IVe Républiques.

n'arrivent pas à s'entendre sur le texte ? Considérons que la procédure tracée à l'article 111-3 est d'application pour le cas visé à l'article 231-1, la République devrait-elle attendre pendant tout ce temps ?

4) Le Parlement est totalement maître de son ordre du jour

L'ordre du jour est un élément crucial du cadre dans lequel s'inscrit l'activité de l'Assemblée pour l'exercice de sa fonction législative. En Haïti, le Gouvernement n'a aucune maîtrise sur l'ordre du jour des Assemblées. Par contre, en France, la prérogative de fixation de l'ordre du jour des Assemblées est partagée entre le Gouvernement et lesdites Assemblées, quoique ces dernières bénéficient d'une priorité certaine en cette matière.203 Cette prérogative permet au Gouvernement non seulement de faire passer très rapidement, certaines fois, les textes qui lui conviennent, mais encore de retarder l'examen d'autres textes.204

5) Le droit d'amendement des Assemblées est quasi-ilimité

L'article 228-1 de la Constitution de 1987 dispose : « ...aucun amendement ne peut être introduit au budget à l'occasion du vote de celui-ci sans la prévision correspondante des voies et moyens. »

L'article susmentionné est la seule limite au droit d'amendement des Assemblées. Et, comme on l'aura bien compris, elle ne joue que lors du vote du budget général de l'Etat.205

Il n'est pas ici inopportun de rappeler qu'en France, le phénomène de l'obstruction parlementaire a pris la forme de « bataille d'amendement ». De plus, la procédure du vote bloqué, en France, permet, entre autres, à l'Exécutif de contrebalancer le droit d'amendement des Assemblées.

203 Cf. art. 23 de la LOI constitutionnelle no 2008-724 du 23 Juillet 2008 de modernisation des institutions de la Ve République ; art. 48 de la Constitution française de 1958.

204 Voir PACTET 2001, op. cit., p. 505.

205 La Constitution haïtienne de 1987 ne limite pas les risques que la tactique de dépôt multiple d'amendements soit utilisée à des fins de blocage. Il est ici utile de rappeler qu'en France, en dépit des limitations apportées au droit d'amendement des Assemblées, les Députés ont pu déposer 137000 amendements au projet de loi de privatisation de GDF en 1980. Cette dernière information a été consultée sur le site officiel de l'Assemblée Nationale : http://www.assemblee-nationale.fr le 3 Juin 2008.

6) Entorse aux tours de navette

En Haïti, l'Exécutif engage et nourrit les débats par les objections du Président de la République et par le dépôt de projets de lois en vertu de son droit d'initiative. De leur côté, les parlementaires peuvent se perdre dans des interminables débats.206 Dans une certaine mesure, la navette dure tant qu'il n'y a pas accord sur un texte final entre les deux (2) Assemblées. Le bicaméralisme est égalitaire en matière législative. Par conséquent, en cas de désaccords incessants entre les deux (2) Assemblées sur un texte, aucune d'entre elles n'a la « vertu » de statuer définitivement207 et le Gouvernement n'a aucun recours.

De plus, l'article 120-1 de la Constitution dispose : « Tout projet peut être retiré de la discussion tant qu'il n'a pas été définitivement voté ». Cette disposition constitutionnelle prête à confusion. A mon sens, l'esprit de cette disposition est que l'Exécutif peut, lui-même, se rétracter et retirer le texte de la discussion. Si on essaye de la comparer au schéma tracé à l'article 111-4, l'on comprendra toute la justesse de ce point de vue, car autrement, il y aurait contrariété de dispositions. Cependant, prise au pied de la lettre, elle traduit toute autre chose : « tout projet peut être retiré... » ; par qui ? La formulation du texte n'empêche pas au Parlement de l'interpréter à son profit pour ne pas faire son travail. C'est que le libellé de l'article fait problème.

En conséquence de tout ce qui précède, le Gouvernement peut se retrouver dans l'impossibilité de faire passer ses projets. Pourtant, c'est lui qui « conduit la politique de la Nation ». Or, cette politique doit se traduire, à titre principal, dans des textes de loi. De plus, le Gouvernement n'a pas d'autres moyens pour exécuter son programme législatif, puisque le Parlement est incontournable ; même le référendum législatif n'est pas autorisé par la Constitution de 1987.

En définitive, puisque les prérogatives de législation du Parlement sont d'une telle ampleur, qu'est-ce qui garantit la protection du schéma institutionnel tracé par la Constitution ? Quid de la protection des libertés fondamentales des citoyens ?

206 Cela peut se révéler une tactique pour les parlementaires de l'opposition, en principe minoritaires, dans le dessein d'éviter qu'un texte qui ne rencontre pas leur adhésion soit adopté. Dans le meilleur des cas, elle peut aussi se révéler une technique utile pour provoquer un débat public et contraindre le Gouvernement à discuter.

207 (Voir supra, chap. 1er, sect. I, § 2, A).

SECTION II.- DES RISQUES DE DÉRÈGLEMENT INSTITUTIONNEL ET LA FRAGILISATION DES LIBERTÉS FONDAMENTALES

On vient de voir que la Constitution de 1987 accorde des pouvoirs de législation illimités au Parlement tant sur le plan du domaine de la loi que sur le plan de la procédure législative. Le constituant originaire confère aux deux composantes du Parlement, des pouvoirs spécifiques et ajoute paradoxalement qu'elles peuvent aussi valablement exercer toutes autres attributions qui leur sont assignées par la loi. En même temps, le constituant originaire leur a aussi donné la compétence exclusive de voter la loi sans l'influence décisive du Pouvoir Exécutif qui jouerait en ce sens le rôle de contre-pouvoir pour empêcher les dérives éventuelles du Parlement.

De ce qui précède, on en déduit que les pouvoirs du Parlement souffre d'un déficit d'encadrement juridique. Or, il revenait au constituant originaire de fixer limitativement les compétences des gouvernants dans la Constitution ; c'est une condition sine qua non du respect des droits et libertés des citoyens.

En outre, cette situation traduit un manque d'institutionnalisation du pouvoir politique sous le régime constitutionnel de 1987. En effet, selon le professeur Pierre PACTET, l'institutionnalisation du pouvoir politique veut dire « qu'il s'est dissocié de la personne des gouvernants pour se reporter sur une entité qui lui sert de support. » Plus loin, il avance que les gouvernants, « bien loin d'être maîtres de leurs pouvoirs, ils ne sont, en principe, que les dépositaires provisoires, les agents d'exercice des compétences qui leur sont confiées208. »

Par ailleurs, cela nous conduit à nous questionner sur les éventuelles différences entre les attributions constitutionnelles et les attributions légales du Parlement, et aussi sur la portée réelle de ses pouvoirs (§ 1).

De plus, on l'aura vitement compris, la liberté d'action du Parlement est garantie. Cependant, en même temps, cette liberté n'est pas restrictive. D'où, des risques réels de débordements des pouvoirs du Parlement (§ 2).

208PACTET 2001, op. cit., page 17

§ 1.- LES ATTRIBUTIONS CONSTITUTIONNELLES ET LES ATTRIBUTIONS LÉGALES DU PARLEMENT : PORTÉE ET DIFFÉRENCES ?

Les attributions des Pouvoirs institués par une Constitution sont en principe contenues dans la Constitution elle-même. C'est que la Constitution assure l'encadrement juridique du pouvoir politique pour éviter l'arbitraire des gouvernants. La Constitution fixe les règles de dévolution et d'exercice du pouvoir politique. Elle identifie les pouvoirs des organes qu'elle institue et en fixe les limites209. Il en est ainsi puisque la Constitution est tout à la fois un code des Pouvoirs publics et une charte des libertés.

Or, en plus des attributions expressément constitutionnelles dévolues au Parlement, la Constitution lui reconnaît subtilement la faculté d'élargir le champ de ses attributions par voie législative ordinaire. En conséquence, toutes les attributions du Parlement ne devraient pas être recherchées uniquement dans la Constitution, puisqu'il peut aussi exercer des attributions en vertu de la loi qu'il est pourtant chargé d'élaborer.

D'une part, cette situation amène à rechercher les différences entre les compétences constitutionnelles et les compétences légales du Parlement (A). D'autre part, elle amène à s'interroger sur la portée réelle des pouvoirs du Parlement (B).

A- QUELLES DIFFÉRENCES ENTRE LES COMPÉTENCES CONSTITUTIONNELLES ET LES COMPÉTENCES LÉGALES DU PARLEMENT ?

Les attributions du Parlement sont en principe définies, quoique de manière non restrictive, dans la Constitution de 1987 au titre V, chapitre II. Ce sont, à proprement parler, les attributions constitutionnelles du Parlement. Ici, le constituant est la source de ses compétences.

Néanmoins, la Chambre des Députés et le Sénat, les deux (2) composantes du Parlement, peuvent aussi exercer d'autres attributions qui leur sont assignées par la loi. Par conséquent, les attributions que le Parlement exercerait en vertu de la loi pourraient être qualifiées de légales, puisqu'elles découleraient de la loi. Ici, sur invitation implicite du

209 Voir HAMON, TROPER 2003, op. cit., p. 53 à 58.

constituant, le Parlement peut aussi se donner des compétences. D'où, il peut être aussi sa propre source de compétences.

Selon le schéma tracé plus haut, les attributions contenues expressément dans la Constitution sont constitutionnelles, alors que celles que le Parlement exercerait en vertu de la loi seraient des attributions légales. Or, c'est la Constitution elle-même qui précise, expresis verbis, que la Chambre et le Sénat peuvent aussi exercer des attributions qui leur sont assignées par la loi. De plus, ce sont précisément ces deux Assemblées qui sont chargées de l'élaboration de la loi sans aucun moyen d'action décisif du Pouvoir Exécutif sur la procédure législative. Par voie de conséquence, dans l'éventualité où le Parlement voterait une loi pour augmenter le champ de ses attributions, ne serait-il pas là encore dans le cadre de l'exercice de ses attributions constitutionnelles ? En d'autres termes, les attributions qui découleraient de cette loi pourraient-elles être qualifiées de légales, alors qu'elles sont assignées en vertu d'une habilitation constitutionnelle ?

A supposer que l'on ait accepté l'idée qu'il n'y aurait pas de différences entre les attributions expressément listées dans la Constitution et les attributions qui découleraient d'une loi votée par le Parlement, nous répondons qu'il n'en est pas tout à fait exact. La procédure d'amendement de la Constitution de 1987 en fait une Constitution rigide. D'où, sa modification devrait obéir à une procédure différente de la procédure législative ordinaire. Par conséquent, les attributions qui découleraient de la loi seraient plus attaquables que les attributions expressément listées dans la Constitution. Les premières peuvent être supprimées ou modifiées seulement par l'adoption d'une nouvelle loi comportant des dispositions qui leur sont contraires. Par contre, pour supprimer les secondes, il aurait fallu engager la difficile procédure d'amendement de la Constitution. D'où, une différence fondée sur la valeur juridique.

De plus, il s'agit aussi d'une question de sémantique. Les attributions figurant clairement dans la Constitution sont des attributions constitutionnelles. Alors, puisque la Constitution dispose que le Sénat et la Chambre peuvent aussi exercer les attributions qui leur sont assignées par la loi, si le Parlement entend faire usage de cette prérogative et vote une « loi d'auto-habilitation », les attributions qui découleraient de cette loi seraient qualifiées, ipso facto, de légales.

En revanche, nous devons reconnaître tout de même, pour des raisons d'ordre pratique et d'efficacité, que la frontière n'est pas aussi bien établie entre les deux groupes

d'attributions, puisque le contrôle de constitutionnalité des lois se fait a posteriori, à l'occasion d'un procès et il y a autorité relative de la chose jugée210. D'où, la primauté attachée, à première vue, aux attributions constitutionnelles sur les attributions légales est juridiquement mal assurée.

De plus, cette situation permet de susciter d'autres questionnements. Une Constitution devrait-elle renvoyer à la loi pour assigner d'autres attributions à l'organe pourtant chargé de la voter ? N'est-ce pas confier à un pouvoir constitué la latitude de s'octroyer des pouvoirs ; donc « la compétence de sa compétence » ? Par suite, n'est-on pas fondé à parler d'un certain légicentrisme en Haïti ?

Puisque les pouvoirs du Parlement peuvent aller grandissants et à son gré, c'est à bon droit que l'on se questionne sur sa sphère d'influence et d'intervention.

B- QUELLE EST LA VÉRITABLE PORTÉE DES POUVOIRS DU PARLEMENT ?

Les pouvoirs du Parlement doivent s'entendre des attributions que lui assigne la Constitution. Toutefois, les deux composantes du Parlement peuvent aussi exercer les attributions que leur assigne la loi. Or, ce sont elles qui sont chargées, par la Constitution, de l'élaboration de la loi, alors que l'Exécutif n'a aucun moyen d'action décisif dans la procédure législative. Quelle est alors la véritable portée des pouvoirs du Parlement ?

On a vu, dans la première partie de ce travail de recherche, que le régime est déséquilibré au profit du Parlement. C'est presqu'une évidence et c'est en quelque sorte le propre des logiques institutionnelles du régime. D'ores, on aura compris que ce déséquilibre peut davantage être accentué par le seul fait du Parlement, puisque les pouvoirs de ce dernier peuvent aller grandissants et à son gré. La Constitution accorde subtilement au Parlement la prérogative de s'octroyer des pouvoirs. De surcroît, cette faculté n'est pas tempérée par des contre-pouvoirs réels. Or, selon Montesquieu : « C'est une expérience éternelle, que tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser ; il va jusqu'à ce qu'il trouve des limites. »211

A en croire le maître Montesquieu, ne devrait-on pas commencer à s'inquiéter et emprunter la voie tracée au titre XIII de la Constitution de 1987 pour enlever cette prérogative exorbitante au Parlement ? Or, comment demander, classiquement, à un organe politique de

210 Voir infra, chap. 4, sect. II, § 1.

211 De l'Esprit des lois, op. cit., livre XI, 1748.

s'autolimiter ? L'intervention directe du pouvoir constituant originaire, qui est par essence souverain, n'est-elle pas ici nécessaire pour jeter les bases d'un édifice institutionnel nouveau ?

En somme, les pouvoirs du Parlement ne sont pas quantifiables, puisque les bornes de ces derniers ne sont pas bien connues. On peut lister les attributions assignées par la Constitution, mais on ne peut pas, a priori, préciser le champ des attributions que le Parlement peut être appelé à exercer. La raison en est simple : la Constitution dresse

séparément une liste d'attributions assignées au Sénat et à la Chambre, puis elle réfère à la loipour l'assignation d'autres attributions, sans même préciser leur objet. Or, le Parlement est

précisément l'organe de confection de la loi. En conséquence, la Constitution de 1987 ne permet pas de se rendre compte de la véritable portée des pouvoirs du Parlement, puisqu'elle laisse subtilement à ce dernier la latitude de s'autolimiter. Qu'adviendrait-il, alors, dans l'hypothèse où le Parlement entendrait user de cette prérogative exorbitante ?

§ 2.- DES DÉBORDEMENTS DE POUVOIRS SONT POSSIBLES

On a vu que le champ d'action du Parlement est illimité tant au niveau du domaine législatif qu'au niveau de la procédure législative. Le domaine de la loi est illimité à un point tel que la loi peut même assigner de nouvelles attributions au Sénat et à la Chambre, deux organes pourtant institués par la Constitution. Qui plus est, l'objet de ces attributions n'est guère précisé, alors que la loi est fondamentalement l'oeuvre du Parlement. Donc, cela revient à accorder au Parlement la compétence constitutionnelle pour s'attribuer des pouvoirs et ainsi élargir le champ de ses attributions comme bon lui semble, puisque l'Exécutif ne dispose d'aucun moyen d'action décisif dans la procédure législative. Jusqu'où le Parlement peut-il aller dans l'élargissement de ses pouvoirs ?

Nous pouvons croire qu'Haïti se veut une démocratie constitutionnelle. Le pouvoir y est nécessairement issu de l'élection. Le Peuple est le seul souverain ; il ne délègue que l'exercice de la souveraineté à trois Pouvoirs.212 De plus, l'article 183 de la Constitution organise le contrôle de la constitutionnalité des lois. Par conséquent, cela fait présumer la suprématie de la Constitution, sa supériorité sur les autres normes juridiques.

212 Art. 58 et 59 de la Constitution de 1987.

Cependant, les constituants de 1987 accordent en même temps à la loi une portée telle qu'elle puisse être à la base de profonds bouleversements du système institutionnel que la Constitution a établi. Qui plus est, les mécanismes de contrôle de constitutionnalité des lois établis par la Constitution n'auront pas empêché, le cas échéant, que ces bouleversements aient amplement le temps de produire les effets recherchés. Alors, si une loi ordinaire peut compléter la Constitution, voire altérer le schéma institutionnel du régime qu'elle a établi, en accordant d'autres attributions à des organes qu'elle a pourtant institués, peut-on parler de subordination véritable de la loi à la Constitution ? N'est-on pas en droit de parler d'un paradoxe du régime, puisque cette loi qui viendrait éventuellement altérer le schéma institutionnel du régime aurait été prise sur invitation du constituant originaire ?

A considérer uniquement l'agencement institutionnel des rapports entre les institutions politiques du nouveau régime, on pourrait être légitimement tenté d'avancer qu'il s'agit d'un régime mixte à forte dominante parlementaire. Néanmoins, le régime peut être dénaturé par le seul fait du Parlement. C'est que cette prérogative exorbitante accordée au Sénat et à la Chambre d'accroître leurs attributions par voie législative ordinaire a tout gâché. En fait, si le Parlement entend faire usage de cette prérogative, l'on peut se retrouver pratiquement face à un régime d'Assemblée assoupli.

En effet, si une loi ordinaire peut varier le schéma institutionnel du régime, on peut conclure que ce dernier est très instable, puisque la loi peut être facilement modifiée. Alors que la Constitution organise l'agencement institutionnel des rapports entre les institutions politiques du nouveau régime, elle n'empêche pas en même temps que cet agencement puisse être modifié par une loi ordinaire. Par conséquent, a-t-on besoin d'engager la contraignante procédure d'amendement de la Constitution de 1987 pour modifier certains de ses aspects ?

Si, par exemple, une loi ordinaire vient accorder au Sénat ou à la Chambre des attributions qui relèvent déjà du Pouvoir Exécutif, comment empêcher que cette loi rentre en vigueur sans qu'il n'y ait une crise institutionnelle ? Un procès est-il envisageable dans ce cas, pour pouvoir avoir au moins la chance de soulever l'inconstitutionnalité de la loi ? De plus, qu'est-ce qui empêche au Parlement de s'octroyer compétence en cas de vide juridique ? Jusqu'où peut-il aller dans l'extension de sa sphère d'influence et d'intervention ?

Il est donc clair que le régime peut être dénaturé à chaque instant ; il suffit que le Parlement le veuille. Cela peut amener à questionner la suprématie de la Constitution et à se demander s'il n'existe pas un certain légicentrisme en Haïti.

Par ailleurs, puisque la dimension de la sphère d'influence et d'intervention du Sénat et de la Chambre des Députés dépend de leurs caprices, l'accroissement de leurs attributions peut atteindre un seuil critique. En votant une loi pour octroyer de nouvelles attributions au Sénat et à la Chambre, le Parlement peut ne pas enfreindre la Constitution, si cette loi ne porte pas atteinte aux autres dispositions constitutionnelles. Or, depuis l'enseignement de Montesquieu dans l'Esprit des lois, chacun sait que « si le pouvoir corrompt, le pouvoir absolu corrompt absolument. » Par conséquent, la situation contraire est aussi envisageable. D'où, la protection des libertés fondamentales des citoyens est juridiquement mal assurée.

Puisque l'objet des attributions légales que le Sénat et la Chambre des Députés sont appelés à exercer n'a pas été précisé, le Parlement pourrait se croire libre de toute contrainte juridique. En ce sens, les nouvelles attributions en question pourraient être contraires à l'esprit de la Constitution. Notamment, cette loi venant leur accorder de nouvelles attributions pourrait être liberticide, c'est-à-dire attentatoire aux libertés fondamentales des citoyens. Par conséquent, nous nous retrouvons face à une situation juridiquement réalisable et politiquement grave.

En outre, il a été enseigné que, traditionnellement, les libertés fondamentales « sont liées à l'idée de limitation de l'Etat. D'ailleurs, à l'origine, les libertés fondamentales sont un moyen de limiter le pouvoir des gouvernants213. » Il a été aussi démontré que « le souci d'organiser la limitation du pouvoir des gouvernants est à l'origine de ce que l'on appellera le constitutionnalisme qui n'est que la traduction de la philosophie libérale dans sa dimension politique214. » De plus, « le fond de la pensée libérale tient le pouvoir de l'Etat pour un mal nécessaire. Ainsi, pour les libéraux, limiter le pouvoir des gouvernants, c'est préserver la liberté des gouvernés. »215

En conséquence, on peut être légitimement tenté d'affirmer que le fait que le champ des compétences du Sénat et de la Chambre n'est pas restrictif, cela ne favorise pas la protection des libertés fondamentales des citoyens. De plus, le principe de la Séparation des

213 DUBOUIS, PEISER 2007, page 98.

214 Michel CLAPIE, Droit Constitutionnel - théorie générale, 2007, Ellipses, Paris, page 108.

215 Idem, page 107.

Pouvoirs consacré par la Constitution de 1987 est mal garanti. D'où, on pourrait conclure que sous le régime constitutionnel de 1987, l'Etat de droit est juridiquement mal assis.

Cependant, les débordements éventuels des pouvoirs du Parlement pourraient être relégués au rang des abstractions à une condition : Il faudrait que la Constitution de 1987 soit la norme suprême de l'Etat et que tout à la fois cette suprématie soit effectivement garantie par l'existence d'un contrôle de constitutionnalité efficace, empêchant qu'un acte du Parlement non conforme à la Constitution puisse être publié.

En ce sens, plusieurs arguments juridiques de taille peuvent conduire à affirmer que les constituants de 1987 ont voulu que la Constitution soit la norme suprême de l'Etat. D'ailleurs, cette suprématie a même a été consacrée dans la Constitution de 1987. Or, la garantie de cette suprématie est-elle, pour autant, juridiquement bien assurée ? Si la suprématie de la Constitution est consacrée, mais juridiquement mal garantie, le problème reste entier.

CHAPITRE 4

Suprématie de la Constitution de 1987 : mythe ou réalité ?

Ce chapitre pose la problématique de l'autorité de la Constitution de 1987. Cette autorité oscille entre mythe et réalité. Dans un premier temps, nous donnons quelques raisons permettant de présumer la suprématie de la Constitution (section I). Dans un deuxième temps, nous essayons de démontrer que cette suprématie est hypothéquée, car juridiquement mal assurée (section II).

SECTION I.- QUELQUES RAISONS DE LA SUPRÉMATIE PRÉSUMÉE DE LA CONSTITUTION DE 1987

Une Constitution est en quelque sorte un code des Pouvoirs publics et une charte des libertés. De ce point de vue, Louis DUBOUIS et Gustave PEISER ont rappelé que « la Constitution est la Loi suprême de l'État216. » D'ailleurs, Georges BURDEAU a estimé : « Que la Constitution soit écrite ou qu'elle soit coutumière, elle demeure la Loi suprême de l'Etat. »217

Un peu plus loin, Georges BURDEAU a aussi fait valoir que « la force qui s'attache aux dispositions constitutionnelles doit être envisagée à un double point de vue : elle leur vient en effet toujours de leur contenu et parfois de la forme dans laquelle elles sont édictées218. »

Dans cette perspective, au regard de son contenu, la Constitution de 1987 paraît être la norme suprême de l'Etat. Cela permet de présumer sa suprématie matérielle (§ 1). De plus, son mode d'adoption et surtout sa procédure d'amendement consacrent une rigidité de la norme constitutionnelle. Cette rigidité permet de présumer une suprématie formelle de la Constitution (§ 2).

216 DUBOUIS, PEISER 2007, op. cit., page 2.

217 BURDEAU 1977, page 80.

218 Idem, page 80.

Par ailleurs, on a pu identifier une consécration implicite du principe de la hiérarchie des normes juridiques dans la Constitution de 1987. Au sommet de cette hiérarchie, les constituants de 1987 ont placé la Constitution. Cette dernière prescrit le principe de la légalité des règlements de l'Exécutif et de l'Administration et le principe de la constitutionnalité des lois, des conventions, traités ou accords internationaux (§ 3).

En conséquence, toutes ces raisons concourent à faire présumer l'autorité, donc la suprématie de la Constitution de 1987 sur les autres normes juridiques.

§ 1.- LE CONTENU DE LA CONSTITUTION

Selon les professeurs Louis DUBOUIS et Gustave PEISER : « La raison profonde de la supériorité de la Constitution tient à l'importance du contenu des règles constitutionnelles : organisation du pouvoir, consécration des droits et libertés fondamentales du citoyen219. »

De son côté, le professeur Georges BURDEAU précise : « La Constitution doit sa supériorité surtout à son contenu220. »

Pour sa part, le professeur Philippe ARDANT, faisant référence au contenu d'une Constitution a fait la remarque que voici : « La diversité est reine, mais un fonds commun aux Constitutions existe221. » Pour lui, dans une Constitution, on trouve généralement et fondamentalement une Déclaration des droits, des principes d'organisation économique et sociale, des règles d'organisation et des procédures de fonctionnement des institutions, puis des dispositions diverses.

En effet, la Constitution de 1987 a un contenu similaire sinon identique au contenu indiqué par Philippe ARDANT :

> D'abord, la Constitution de 1987 s'ouvre par un Préambule et comporte une Déclaration des droits. D'ailleurs, la Constitution fait référence à la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme de 1948 (DUDH) à la fois dans son Préambule et dans ses dispositions222. De plus, elle fixe les droits civils et politiques du citoyen sans

219 DUBOUIS, PEISER, 2007, op. cit., page 2.

220 BURDEAU 1977, op. cit., pages 80 et 81.

221 ARDANT 2002, op. cit., pages 69 à 72.

222 Art. 19, Constitution de 1987.

négliger les droits économiques et sociaux. De ce point de vue, la Constitution de 1987 peut être considérée comme une charte des libertés. Selon Philippe ARDANT : « Ces textes formulent la philosophie politique du régime, les valeurs dont il se réclame, et énoncent les droits et libertés des citoyens que le pouvoir s'engage à respecter223. »

> Ensuite, les principes d'organisation économique et sociale dont parle Philippe ARDANT sont inscrits dans la Constitution de 1987 et prennent place prioritairement dans son Préambule.

Dans le Préambule de la Constitution de 1987, il est clairement indiqué : « Le Peuple haïtien proclame la présente Constitution. [...] Pour constituer une nation haïtienne socialement juste, économiquement libre et politiquement indépendante. [...] Pour fortifier l'unité nationale, en éliminant toutes discriminations entre les populations des villes et des campagnes, par l'acceptation de la communauté de langues et de culture et par la reconnaissance du droit au progrès, à l'information, à l'éducation, à la santé, au travail et au loisir pour tous les citoyens. »

> Pour ce qui concerne les règles d'organisation et les procédures de fonctionnement des institutions dont fait mention le professeur ARDANT, elles forment en quelque sorte la toile de fond de la Constitution de 1987.

La Constitution de 1987 crée trois Pouvoirs dans l'Etat : le Pouvoir Législatif, le Pouvoir Exécutif et le Pouvoir Judiciaire224. L'article 59-1 précise : « L'ensemble de ces trois (3) Pouvoirs constitue le fondement essentiel de l'organisation de l'Etat qui est civil. » De plus, à l'article 59, la Constitution dit consacrer le principe de la Séparation des trois Pouvoirs.

En outre, sur le plan local, la Constitution de 1987 crée des collectivités territoriales et en fait le cadre fondamental de la décentralisation qu'elle prône.

> En dernier lieu, pour le professeur ARDANT, les « dispositions diverses » que contient la Constitution précisent certains attributs de l'Etat et proclament des principes variés comme le nom de l'Etat, des dispositions relatives au drapeau, les langues, etc.

223 idem, page 70.

224 Voir les chapitres II, III et IV du titre V de la Constitution.

Là encore, la Constitution de 1987 donne le nom de l'Etat : « République d'Haïti » qu'elle veut être d'ailleurs démocratique225. Elle donne les couleurs du drapeau : « le bleu et le rouge », le décrit et en fait l'emblème de la Nation226. Elle fixe le Créole et le Français comme les deux langues officielles de la République227. Elle donne l'hymne nationale (La Dessalinienne), l'unité monétaire (La Gourde)228, etc.

En somme, on vient de voir que la Constitution de 1987, vu son objet, correspond bien à ce « fonds commun aux Constitutions » qui a pu être identifié par le professeur Philippe ARDANT.

Par conséquent, en raison de l'importance du contenu de ses règles, on peut déjà présumer une suprématie de la Constitution de 1987. D'ailleurs, les professeurs Louis DUBOUIS, Gustave PEISER et Georges BURDEAU ont estimé que le critère profond de la suprématie de la Constitution doit être recherché dans son contenu.

D'aucuns diraient qu'il s'agit d'une suprématie matérielle. Toutefois, le mode d'adoption et la procédure d'amendement de la Constitution de 1987 permettent encore de présumer sa suprématie formelle.

§ 2.- LE MODE D'ADOPTION ET LA PROCÉDURE D'AMENDEMENT DE LA CONSTITUTION

Selon le professeur Georges BURDEAU229 : « L'autorité renforcée que la Constitution doit à son contenu appelle logiquement à une consécration formelle. En ce sens déjà, la rédaction de la Constitution extériorise la puissance particulière qui s'attache à ses dispositions. » Plus loin, il avance que « pour rendre cette garantie plus efficace, on subordonne aussi sa modification au respect de certaines conditions de forme. »

Tenant compte de ce qui précède, il est à peine besoin de souligner que les conditions qui ont présidé à l'adoption de la Constitution de 1987 et celles exigées pour sa modification en font une Constitution rigide. D'ailleurs, à en croire Raymond GUILLIEN et Jean

225 Art. 284-4.

226 Art. 3.

227 Art. 5.

228 Art. 4-1 et 6.

229 BURDEAU 1977, op. cit., page 82.

VINCENT, ce formalisme confère en principe à la norme constitutionnelle une force juridique qui la situe à la première place dans la hiérarchie des règles de droit230.

En effet, la forme dans laquelle la Constitution de 1987 a été élaborée et adoptée obéit à une procédure différente de la procédure législative ordinaire. D'où, un critère permettant de présumer sa suprématie formelle.

En premier lieu, la Constitution de 1987 a été élaborée par un organe spécial : l'Assemblée Nationale Constituante. En second lieu, le texte constitutionnel a été soumis à référendum pour que le Peuple haïtien puisse le sanctionner. Effectivement, le Peuple l'a approuvé ; ce qui, en fin de compte, fait de la Constitution de 1987 l'oeuvre du Peuple luimême. Or, le Peuple est le Souverain. Il est le pouvoir constituant originaire. Comment ne pas parler de la suprématie de l'oeuvre du Peuple par rapport aux normes édictées par des organes qu'il institue ?

En outre, la rigidité de la norme constitutionnelle ne tient pas uniquement à sa procédure d'élaboration. Encore faut-il que sa modification obéisse à une procédure spéciale, plus rigoureuse que la procédure législative ordinaire.

En ce sens, la Constitution de 1987 prévoit elle-même, aux articles 282 et suivants, les modalités en vue de lui apporter des amendements. Cela laisse présager qu'elle prévoit sa modification par la mise en oeuvre de la procédure spéciale qu'elle renferme. Par conséquent, cette procédure spéciale exigée par la Constitution pour sa modification peut être envisagée comme une conséquence de sa supériorité sur les autres normes juridiques.

Par ailleurs, la rigidité de la norme constitutionnelle comporte des degrés qui sont fonction de la plus ou moins grande difficulté de la procédure qui doit être suivie pour sa modification. Or, à ce sujet, on a déjà entendu plus d'une fois que la Constitution de 1987 est « verrouillée » tant il paraît difficile de la modifier par la mise en oeuvre de la procédure spéciale qu'elle renferme.

En effet, les modalités suivantes sont fixées aux articles 282 et suivants de la Constitution de 1987, pour sa modification :

230 GUILLIEN, VINCENT 2001, op. cit., page 147.

a) Le pouvoir de révision

Ce sont les parlementaires qui sont investis du pouvoir constituant dérivé encore appelé « pouvoir de révision ». Néanmoins, pour amender la Constitution, les parlementaires siègent dans une formation différente de celle prévue pour le vote des lois ordinaires : « ...les Chambres se réunissent en Assemblée Nationale et statuent sur l'amendement proposé231. »

b) Les étapes de la procédure

1. L'initiative

L'initiative constitutionnelle est partagée. Elle appartient concurremment au Pouvoir Exécutif et à chacune des deux Assemblées. Donc, un projet d'amendement peut être déposé au Parlement par le Pouvoir Exécutif. Sous l'impulsion de l'une ou l'autre des deux (2) Assemblées, une proposition d'amendement peut être aussi déposée.

2. La déclaration

La déclaration qu'il y a lieu d'amender la Constitution est faite par le Pouvoir Législatif, avec motifs à l'appui.

Le libellé de l'article 282 paraît donner un caractère discrétionnaire à cette prérogative du Parlement. En effet, ledit article dispose : « Le Pouvoir Législatif, sur la proposition de l'une ou l'autre des deux (2) Chambres ou du Pouvoir Exécutif, a le droit de déclarer qu'il y a lieu d'amender la Constitution, avec motifs à l'appui. »

On en déduit que même sur la proposition du Pouvoir Exécutif, par exemple, le Parlement pourrait décider de ne pas tenir compte de la saisine. En d'autres termes, le Parlement pourrait ne pas statuer sur le projet d'amendement de l'Exécutif à la dernière session ordinaire de la Législature, puisqu'il n'est pas tenu de le faire.

Par ailleurs, pour que la déclaration puisse être faite, l'adhésion de la majorité qualifiée (2/3) est exigée au niveau de chacune des deux (2) Assemblées. De plus, elle peut être faite uniquement au cours de la dernière session ordinaire de la Législature. Encore, fautil qu'elle soit publiée sur toute l'étendue du territoire.232

231 Voir l'article 283 de la Constitution.

232 Art. 282-1.

De surcroît, la déclaration du Pouvoir Législatif n'est qu'une déclaration d'intention233, car on n'en est pas encore arrivé à l'amendement. Il y a nécessité de votes renouvelés et cela permet de provoquer des débats au niveau de la population. De plus, cela permet au Peuple de se prononcer en décidant de reconduire la majorité ayant fait la déclaration ou en votant une nouvelle majorité pour manifester son accord ou son désaccord.

En somme, la déclaration exige la volonté du Parlement, une majorité qualifiée, une période précise et une publication immédiate.

3. La décision

La décision d'amender la Constitution suppose que des élections législatives aient été préalablement organisées, puisque la Constitution, en son article 283, fait obligation aux Assemblées de se réunir en Assemblée Nationale pour statuer sur l'amendement proposé dès la première session de la Législature suivante, c'est-à-dire la Législature ayant suivi celle qui a fait la déclaration.

Pour l'adoption de la décision d'amender la Constitution, il est prévu : - Une période spécifique : la première session de la Législature. - Une formation spéciale : l'Assemblée Nationale.

- Un quorum précis : la présence des deux tiers (2/3) des membres de chacune des deux Assemblées.

- Un type de majorité : la décision d'adopter l'amendement proposé est prise par un vote à la majorité qualifiée (2/3) des suffrages exprimés.

c) Les limitations et les interdictions

L'article 284-2 de la Constitution de 1987 dispose : « L'amendement obtenu ne peut entrer en vigueur qu'après l'installation du prochain élu. En aucun cas, le Président sous le gouvernement de qui l'amendement a eu lieu ne peut bénéficier des avantages qui en découlent. »

233 C'est en quelque sorte un voeu d'amendement.

L'article précité fixe le moment de la mise en oeuvre de l'amendement obtenu. Cependant, qu'adviendrait-il si le Chef de l'Etat sous la présidence de qui l'amendement a eu lieu redevient Président cinq (5) ans ou dix (10) ans après, par exemple ? Va-t-on suspendre l'amendement précédemment obtenu et mis en vigueur, puisqu'en aucun cas, le Président en question ne peut bénéficier des avantages qui en découlent ? Nous voulons croire que le libellé de l'article en cause paraît avoir un caractère ambigu.

Par ailleurs, en plus du fait que le Peuple ne dispose pas de l'initiative constitutionnelle, l'article 284-3 de la Constitution interdit formellement tout référendum constituant.

Enfin, des limitations sont apportées à l'objet de l'amendement, en ce sens qu' : « aucun amendement à la Constitution ne doit porter atteinte au caractère démocratique et républicain de l'Etat234. »

§ 3.- LA CONSÉCRATION IMPLICITE DU PRINCIPE DE LA HIÉRARCHIE DES NORMES JURIDIQUES

Un système juridique est un ensemble organisé de règles de droit régissant une société. Elles ne se retrouvent pas sur le même plan. Par conséquent, elles ne se voient pas attachées la même valeur juridique. D'où, une subordination entre normes supérieures et normes inférieures. Les normes inférieures doivent être conformes aux normes supérieures235.

La hiérarchie des normes juridiques est une vision synthétique du droit mise au point par Hans KELSEN. Il s'agit d'une vision hiérarchique des normes juridiques. Selon cette théorie, toute règle de droit doit respecter la norme qui lui est supérieure, formant ainsi un ordre hiérarchisé.

Il est admis que la Constitution écrite est la source première du principe de la hiérarchie des normes. C'est le cas de dire que ce principe trouve son fondement juridique dans la Constitution d'un Etat donné. Pourtant, si on cherche les termes « hiérarchie des normes juridiques » dans la Constitution de 1987, on ne les retrouvera point. Donc, le texte

234 Voir l'article 284-4 de la Constitution de 1987.

235 ARDANT 2002, op. cit., p. 99.

constitutionnel ne fait pas textuellement référence au principe de la hiérarchie des normes juridiques. Néanmoins, le principe en question est consacré implicitement dans la Constitution.

Comme on l'a vu un peu plus haut, le principe de la hiérarchie des normes juridiques suppose une différenciation de ces normes. Il aboutit à une suprématie de la Constitution et cette suprématie est garantie par un contrôle de constitutionnalité, c'est-à-dire, une vérification de conformité ou tout au moins de compatibilité des normes inférieures à la Constitution. C'est que cette hiérarchie n'a de sens que si son respect est contrôlé par un juge. En d'autres termes, le principe est mis en oeuvre par un contrôle de conformité. Or, c'est précisément l'objet des articles 183 et 183-2 de la Constitution de 1987.

Par voie de conséquence, on peut avancer que le principe de la hiérarchie des normes juridiques n'est pas posé textuellement dans le texte constitutionnel de 1987. Toutefois, sa mise en oeuvre est organisée par les dispositions des articles 183 et 183-2 de la Constitution. D'où, sa reconnaissance et sa consécration tacite.

L'article 183 de la Constitution dispose : « La Cour de Cassation à l'occasion d'un litige et sur le renvoi qui lui en est fait, se prononce en sections réunies sur l'inconstitutionnalité des lois. »

On en déduit l'institution d'un contrôle juridictionnel de conformité des lois ordinaires à la Constitution. Donc, de toute évidence, cela suppose aussi que ledit article prescrit que les lois ordinaires doivent être conformes ou tout au moins compatibles à la Constitution. D'où, l'on peut supposer la supériorité de la Constitution sur la loi ordinaire. En d'autres termes, si l'on veut prendre ledit article au pied de la lettre, on peut avancer que la norme législative occupe un rang inférieur par rapport à la norme constitutionnelle.

De son côté, l'article 183-2 de la Constitution de 1987 dispose : « Les tribunaux n'appliquent les arrêtés et règlements d'Administration publique que pour autant qu'ils sont conformes aux lois. »

Ici, on en déduit l'institution d'un contrôle juridictionnel de conformité des règlements aux lois ordinaires. Donc, de toute évidence, ledit article prescrit que les règlements adoptés par le Pouvoir Exécutif ainsi que ceux adoptés par l'Administration publique236 doivent être

236 Que ce soit l'Administration publique centrale ou l'Administration publique locale.

conformes ou tout au moins compatibles aux lois ordinaires. De là, on peut valablement supposer la supériorité des lois ordinaires sur lesdits règlements. En d'autres termes, la norme réglementaire occupe un rang inférieur par rapport à la norme législative.

Cela paraît d'autant plus vrai que la Constitution ne fait aucune place aux règlements autonomes, puisque la loi peut intervenir dans tous les domaines. Donc, les règlements auxquels fait référence le paragraphe précédant sont toujours des règlements d'application. Ils tirent leur fondement de la loi ; comment alors ne pas être conformes ou ne pas être compatibles à la norme à laquelle ils doivent leur fondement ?

D'ores, il est à peine besoin de préciser que le contrôle de constitutionnalité des lois organisé par l'article 183 de la Constitution de 1987 et le contrôle de légalité des règlements organisé par l'article 183-2 de ladite Constitution font tout de suite penser à une hiérarchie entre la norme constitutionnelle, la norme législative et la norme réglementaire. Dans la hiérarchie instituée entre ces trois (3) catégories de normes juridiques, la norme constitutionnelle est supérieure à la norme législative et cette dernière est supérieure à la norme réglementaire.

De plus, l'article 276 de la Constitution de 1987 dispose : « L'Assemblée Nationale ne peut ratifier aucun traité, convention ou accord internationaux comportant des clauses contraires à la pressente Constitution. »

Le libellé de cet article montre bien le souci de préserver la supériorité de la Constitution même sur les instruments juridiques internationaux par la ratification desquels l'Etat décide de s'engager au plan international. C'est le cas de dire, suivant l'expression juridique consacrée, que les traités, conventions ou accords internationaux sont infraconstitutionnels.

Plus loin, la Constitution, en son article 276-2, précise : « Les traités ou accords internationaux, une fois sanctionnés et ratifiés dans les formes prévues par la Constitution, font partie de la législation du pays et abrogent toutes les lois qui leur sont contraires. »

On en déduit que la Constitution de 1987 accorde aux traités ou accords internationaux une valeur juridique égale à la norme législative. Il y a plusieurs raisons à cela :

> 1- D'abord, les traités ou accords internationaux ainsi que les lois ordinaires ont la même norme de référence : la Constitution. Les deux (2) groupes de normes juridiques doivent leur validité directement à la Constitution.

> 2- Ensuite, on ne peut pas se fonder sur le fait que l'article 276-2 de la Constitution précise que les traités ou accords internationaux ratifiés par Haïti abrogent toutes les lois qui leur sont contraires pour justifier leur supériorité prétendue sur les lois ordinaires. Cet argument n'est pas tenable, puisqu'en principe la loi nouvelle abroge la loi ancienne237. D'aucuns diraient même qu'il s'agit là d'un principe cardinal en droit. En ce sens, même la loi ordinaire nouvelle abroge la loi ordinaire ancienne en cas de contrariété. Par conséquent, le pouvoir d'abrogation de la norme nouvelle n'est pas un critère de supériorité.

> 3- De surcroît, les traités ou accords internationaux ne sont pas supra-légaux, parce qu'il n'est indiqué nulle part dans la Constitution de 1987 que les lois ordinaires doivent leur être conformes. D'ailleurs, il n'est pas prévu un contrôle de conventionalité des lois, c'est-à-dire de conformité des lois ordinaires aux règles conventionnelles de droit international. Or, comme pour marquer une hiérarchie entre la Constitution, les lois ordinaires et les règlements, il est prévu un contrôle de constitutionnalité des lois et un contrôle de légalité des règlements.

En somme, même si on ne serait pas d'avis que le traité international est assimilé à la loi ou encore a même valeur juridique que la loi, on ne saurait toutefois nier l'affirmation de la supériorité de la Constitution sur la norme conventionnelle de droit international.

Or, pour l'essentiel, nous avons voulu surtout démontrer que la Constitution de 1987 institue tant soit peu une hiérarchie entre les normes juridiques et la Constitution est présentée comme la norme occupant le sommet de la « pyramide ». Elle est donc posée comme la norme suprême. La Constitution ne nie pas le principe de la hiérarchie des normes juridiques. Elle l'a même consacré, ne fût-ce qu'implicitement. Le souci a été d'ériger la Constitution en norme suprême.

Cependant, un écart est observé entre la norme constitutionnelle et la pratique politique. En effet, la discontinuité institutionnelle qui marque la « pratique du régime »

237 François TERRE, Introduction générale au droit, 2006, op. cit., page 397.

apporte une douche froide au principe de la hiérarchie des normes juridiques par la pratique des décrets.

La Constitution de 1987 ne prévoit pas des cas où le Parlement ne fonctionnerait pas. En revanche, comme on l'a déjà vu dans ce travail, la réalité politique montre toute autre chose. C'est qu'en l'absence du Parlement, le Pouvoir Exécutif est bien obligé de gouverner le pays ; il le fait par décret. Par contre, les décrets adoptés paraissent avoir valeur législative, puisque dans leurs dispositions abrogatoires, ils indiquent avoir abrogé les lois qui leur sont contraires238. Or, les constituants de 1987 ont vite fait d'éliminer le procédé des décretslois239. Par voie de conséquence, sous le régime constitutionnel de 1987, le Pouvoir Exécutif n'est pas autorisé à adopter des normes à valeur législative. Seul le Parlement est appelé à voter la loi ; même le référendum législatif n'est pas prévu par la Constitution de 1987. Le Pouvoir Exécutif n'a le pouvoir d'adopter que des normes réglementaires d'application de la loi, donc subordonnées à la loi.

A la lumière de ce qui précède, quand le Pouvoir Exécutif adopte des décrets qui indiquent avoir abrogé les lois qui leur sont contraires, on peut avancer qu'il s'agit là d'un accroc à la hiérarchie des normes juridiques reconnue et consacrée par la Constitution de 1987. D'autant que la Constitution prévoit un contrôle de légalité des règlements ; ce qui place les règlements de l'Exécutif à un rang inférieur par rapport à la loi. Comment alors un règlement de l'Exécutif pourrait-il avoir la « vertu » d'abroger une norme qui lui est supérieure ? N'est-ce pas déjà ébranler la hiérarchie des normes de droit interne ?

Le problème est d'autant plus épineux que ces décrets n'ont pas toujours été rapportés par le Pouvoir Exécutif pour être par la suite présentés sous forme de projets de loi au Parlement quand celui-ci arrive à fonctionner. Au contraire, bien souvent, ils restent toujours d'application. De plus, cette situation devient tellement courante que l'on accuse une certaine propension à la considérer comme normale. D'où, déjà, un ébranlement, dans la pratique politique, de la hiérarchie des normes juridiques posée dans la Constitution de 1987.

238 Prenons en exemple le décret du 22 Août 1995 relatif à l'organisation judiciaire abrogeant la loi du 18 Septembre 1985 sur l'organisation judiciaire.

239 La Constitution de 1987 a accordé le droit exceptionnel de gouverner par décret uniquement au CNG. Voir l'article 285-1.

SECTION II.- L'AUTORITÉ DE LA CONSTITUTION DE 1987 : UNE SUPRÉMATIE MAL ASSURÉE

On a vu dans la première section de ce chapitre des raisons permettant de présumer la suprématie de la Constitution de 1987. On a également fait observer, à la fin de ladite section, un écart entre la norme constitutionnelle et la pratique politique qui apporte déjà une douche froide, par la pratique des décrets, à la hiérarchie des normes juridiques au sommet de laquelle est placée la Constitution.

Cependant, la Constitution de 1987 comporte en elle-même des failles qui viennent compromettre, dans une certaine mesure, sa propre suprématie, puisque cette dernière est juridiquement mal assurée. Il ne suffit pas de clamer la suprématie de la Constitution, ni même de l'instituer. Encore faut-il que cette suprématie soit efficacement protégée.

En effet, la Constitution de 1987 accorde une puissance illimitée à la loi jusqu'à lui permettre de la concurrencer matériellement. Cette situation vient en quelque sorte épingler la suprématie matérielle de la Constitution (§ 1). De plus, on a pu constater l'inefficacité de la sanction de la suprématie de la Constitution à un triple point de vue (§ 2).

§ 1.- LA PUISSANCE DE LA LOI ET LA SUPRÉMATIE MATÉRIELLE DE LA CONSTITUTION

Si une Constitution tient sa supériorité formelle à son mode d'élaboration et à sa procédure de révision ; elle doit, en revanche, sa suprématie matérielle à son contenu, c'est-àdire, son objet.

Dans cette perspective, on a déjà démontré que le mode d'adoption et la procédure d'amendement de la Constitution de 1987 consacrent sa suprématie formelle. De plus, il a été aussi démontré que le contenu de la Constitution de 1987 correspond bien, d'une manière générale, à ce qu'on trouve dans une Constitution. Donc, à lire même cursivement la Constitution de 1987, on peut être légitimement tenté d'affirmer avec véhémence et d'un ton doctoral qu'au regard de son objet, elle est la norme suprême de l'Etat.

En réalité, on ne peut pas d'emblée prendre le contre-pied d'une telle affirmation, car effectivement l'ensemble de la matière qui est abordée par la Constitution de 1987 est retrouvée, d'une manière générale, dans quasiment toutes les Constitutions écrites. En revanche, on ne peut non plus, d'emblée, abonder dans le sens de l'affirmation en question. En d'autres termes, il paraît risquer de se fonder sur la matière traitée par la Constitution de 1987 pour affirmer sa suprématie.

En effet, tout le problème réside dans le fait que la loi jouit d'une puissance illimitée. La Constitution de 1987 accorde à la loi une puissance telle que celle-ci peut matériellement concurrencer la Constitution.

Selon le professeur Philippe FOILLARD : « La Constitution est l'ensemble des règles qui définissent le statut des gouvernants (désignation et compétences) et les rapports des gouvernants et des gouvernés. »240

Pour leur part, les professeurs Francis HAMON et Michel TROPER avancent : « La Constitution rigide a toujours pour objet et pour contenu minimum d'instituer des autorités ou organes ou encore pouvoirs constitués et de répartir entre eux des compétences241. » De ce point de vue, il revient à la Constitution d'instituer des autorités et de leur fixer des compétences. D'ailleurs, le professeur Georges BURDEAU n'a pas enseigné autrement lorsqu'il a avancé qu' « il appartient à la Constitution de fixer les compétences des personnalités ou collèges auxquels il appartiendra de décider pour l'Etat. »242

Or, la Constitution de 1987 a, certes, mis en place des « pouvoirs constitués » auxquels elle a normalement accordé des attributions. Cependant, comme on l'a déjà vu dans ce travail243, elle réfère en même temps à la loi pour étendre les attributions des organes qu'elle institue. Ce procédé fait problème, en ce sens que la loi peut venir interférer dans un domaine relevant normalement de la Constitution. S'il revient en principe à la Constitution de fixer limitativement les compétences des organes qu'elle institue pour éviter l'arbitraire des gouvernants, la Constitution de 1987 a étrangement innové en accordant à la loi ordinaire, en ses articles 93 et 97-3, le pouvoir de prolonger les attributions du Sénat et de la Chambre, deux organes pourtant chargés de voter la loi et institués par la Constitution elle-même. D'où,

240 FOILLARD 1997, page 29.

241 HAMON, TROPER 2003, op. cit., p. 42.

242 BURDEAU 1977, op. cit., p. 69.

243 Voir supra, chapitre 3, section I.

la suprématie matérielle que la Constitution doit, en principe, à son contenu est épinglée par cette puissance illimitée de la loi qui peut venir la concurrencer.

Il paraît utile ici de faire remarquer que ce type d'intervention du Législateur dans le domaine constitutionnel n'est pas sans danger. Sous prétexte d'accroître ses attributions, il peut être tenté de modifier, voire dénaturer la Constitution sans passer par les procédures contraignantes de l'amendement.

Néanmoins, le professeur Philippe ARDANT a fait la remarque que voici : « la Constitution ne peut régler tout ce qui concerne les Pouvoirs publics. A côté de la Constitution, on trouve donc souvent des lois qui la complètent, la précisent, la prolongent. » Un peu plus loin, il a également fait observer qu'en France, « c'est dans cette optique que la Constitution prévoit que des lois spéciales, dites lois organiques, interviendront pour la compléter, pour développer les règles d'organisation et de fonctionnement des Pouvoirs publics. »

Par contre, le professeur Philippe ARDANT a tout aussi fait remarquer que la Constitution prévoit limitativement les domaines dans lesquels une loi organique peut intervenir. De plus, il a avancé : «La loi organique ne doit pas réaliser une révision constitutionnelle déguisée, on ne doit pas utiliser cette procédure dans l'intention de tourner la Constitution. »244 D'où, la saisine obligatoire du Conseil constitutionnel pour un contrôle de constitutionnalité de la loi organique avant sa promulgation.

A ce sujet, les professeurs Francis HAMON et Michel TROPER font aussi observer que les lois organiques, en France, sont adoptées ou modifiées selon une procédure particulière. Cette dernière est plus contraignante que la procédure législative ordinaire. Selon eux : « Le trait le plus marquant de cette procédure est l'examen par le Conseil constitutionnel de la conformité à la Constitution de tout projet ou proposition de loi organique, c'est-à-dire sans qu'il ait été nécessaire de le saisir. Il s'agit évidemment d'empêcher que la loi organique, sous prétexte de compléter la Constitution, n'en remette en cause les principes. »245

En dépit des garde-fous mentionnés plus haut, la Constitution française de 1958 ne prévoit pas qu'une loi organique puisse venir prolonger la liste des attributions des organes du pouvoir politique, par exemple. Or, la Constitution haïtienne de 1987, en ses articles 93 et 97- 3, prévoit que la loi peut accorder de nouvelles attributions aux organes qui sont pourtant

244 ARDANT 2002, op. cit., p. 59 à 61.

245 HAMON, TROPPER 2003, op. cit., p. 49.

chargés de la voter. Qui plus est, l'objet desdites attributions n'a guère été précisé et aucune procédure spéciale n'est prévue à cet effet. Or, le parlement a une parfaite maîtrise sur la procédure législative ordinaire. Par voie de conséquence, les deux (2) dispositions constitutionnelles en question n'ont rien à voir à la loi organique en France.

En effet, le professeur Philippe ARDANT a fait la remarque que voici : « Sur le plan de la philosophie politique, se donner une Constitution, c'est admettre que le pouvoir n'est pas illimité, ses détenteurs acceptent de lui fixer des bornes. L'idée de limitation du pouvoir est à l'origine de l'élaboration des Constitutions. »246

De leur côté, les professeurs Francis HAMON et Michel TROPER ont fait valoir que « la Constitution est le fondement de la légitimité des gouvernants. Ceux-ci peuvent justifier leur pouvoir et leurs décisions par le fait qu'ils ont été désignés conformément à la Constitution et qu'ils exercent des compétences qui leur ont été attribuées par la loi fondamentale.»247

A bien comprendre les remarque et position évoquées aux deux (2) précédents paragraphes, la Constitution haïtienne de 1987 paraît faire fi des grands canons classiques du droit constitutionnel en référant à la loi pour fixer de nouvelles attributions à deux (2) organes du pouvoir politique qu'elle institue. Ce faisant, en plus de permettre à la loi d'empiéter sur son domaine sans même l'exigence d'une procédure spéciale, la Constitution de 1987 permet aussi à certains gouvernants de se fixer des compétences, or c'est la Constitution qui devrait fixer limitativement les pouvoirs des organes institués. Au lieu d'énumérer limitativement les compétences du Parlement, elle lui accorde « la compétence de sa compétence »,248 c'est-àdire la faculté de déterminer l'étendue et les limites de sa propre compétence.

Finalement, on l'aura vitement compris, cette puissance illimitée de la loi a fortement épinglé la suprématie matérielle de la Constitution de 1987, quand bien même que la loi ordinaire au contenu matériellement constitutionnel dont on parle aura été prise sur invitation du constituant. De ce point de vue, c'est le cas de dire que le critère matériel n'est plus un élément distinctif permettant de différencier la norme constitutionnelle et la loi ordinaire. Ajouter à cela, la sanction de la suprématie de la Constitution de 1987 se révèle inefficace à un triple niveau.

246 ARDANT 2002, op. cit., p. 54.

247 HAMON, TROPER 2003, op. cit., p. 45.

248 Termes empruntés à JELLINEK, cité par André BARILARI et Marie-José GUEDON dans leur ouvrage intitulé « Institutions politiques », 3e édition, 1994, Sirey, France, page 19.

§ 2.- L'INEFFICACITÉ DE LA SANCTION DE LA SUPRÉMATIE DE LA CONSTITUTION

La sanction de la suprématie de la Constitution de 1987 est inefficace. La Constitution institue la constitutionnalité des lois, mais la garantit inefficacement. Elle institue la constitutionnalité des conventions, traités ou accords internationaux, mais ne la garantit pas. De plus, la constitutionnalité du règlement intérieur des Assemblées n'est pas instituée, donc non garantie.

En effet, la Constitution de 1987 institue, à l'article 183, un contrôle de constitutionnalité des lois. Cependant, les mécanismes du contrôle n'empêchent pas qu'une loi du Législateur soit susceptible d'application même lorsque déclarée inconstitutionnelle par le juge constitutionnel. Il revient uniquement à l'auteur de la loi déclarée inconstitutionnelle par le juge, en l'occurrence le Parlement, de la faire disparaître de l'ordre juridique. Or, la primauté de la Constitution sur la loi suppose que cette dernière tire le fondement de sa validité dans la Constitution (A).

En outre, la Constitution de 1987 prescrit sa primauté sur les normes conventionnelles de droit international. Par contre, elle ne garantit aucunement cette primauté. En conséquence elle donne libre cours au Parlement qui peut sans contrainte ratifier une convention ou un traité international comportant des clauses contraires à la Constitution, puisque le juge constitutionnel n'est pas fondé à vérifier la constitutionnalité de ces normes (B).

De plus, les constituants de 1987 n'ont pas cru utile d'instituer et de garantir le principe de la constitutionnalité du règlement intérieur des Assemblées. Or, il s'agit d'un instrument juridique d'une très grande importance qui, dans une certaine mesure, complète la Constitution. En ce sens, rien n'empêche aux parlementaires de défier la norme constitutionnelle et même de s'octroyer des pouvoirs que la Constitution ne leur avait pas accordés comme cela a pu être d'ailleurs constaté en France, sous la IIIe République notamment249 (C).

249 DUBOUIS, PEISER 2007, op. cit., page 759 ; ARDANT 2002, op. cit., page 62.

A. L'INEFFICACITÉ DU CONTRÔLE DE CONSTITUTIONNALITÉ DES LOIS

La constitutionnalité des lois c'est l'adéquation de la loi votée par le Parlement avec la Constitution du pays. Donc, le contrôle de constitutionnalité de la loi c'est la vérification de sa conformité ou de sa compatibilité à la Constitution.

Historiquement, c'est aux Etats-Unis d'Amérique que fut institué pour la première fois un contrôle de constitutionnalité, à la suite de la célèbre affaire Marbury v. Madison (1803). A cette occasion, la Cour Suprême des Etats-Unis statua incidemment sur la constitutionnalité d'une loi à propos d'un litige et décida de ne pas appliquer cette loi dans le procès en cours d'instance, puisque son absence de conformité avec la Constitution américaine de 1787 était établie.

Sous le régime constitutionnel de 1987, les lois votées par le Parlement peuvent faire l'objet d'un contrôle de constitutionnalité. Par contre, ce contrôle se révèle amplement inefficace. C'est que l'objectif de l'institution d'un contrôle de constitutionnalité des lois est de garantir la supériorité de la Constitution sur les lois. Une loi doit être conforme à la norme constitutionnelle car elle trouve le fondement de sa validité dans la Constitution. Une loi contraire à une disposition de la Constitution est irrégulière et n'a pas sa place dans l'ordre juridique hiérarchisé. Or, le type de contrôle institué par la Constitution de 1987 n'empêche nullement qu'une loi inconstitutionnelle fasse partie de l'ordre juridique. En conséquence, la Constitution de 1987 et les éventuelles lois inconstitutionnelles sont condamnées à cohabiter, nonobstant l'abrogation des lois dites inconstitutionnelles par le Parlement. D'où, l'autorité de la Constitution de 1987 sur les lois paraît un vain mot.

En effet, le régime constitutionnel de 1987 n'institue pas de Cour constitutionnelle non intégrée dans l'ordre judiciaire, contrairement à ce qui se fait en France, en Allemagne fédérale ou en Italie, par exemple250. En Haïti, le contrôle de conformité d'une loi à la Constitution est réalisé par la Cour de Cassation selon les dispositions de l'article 183 de la Constitution et les articles 141 et suivants du décret du 22 Août 1995 relatif à l'organisation judiciaire, abrogeant étrangement la loi du 18 Septembre 1985 portant sur l'organisation judiciaire.

En vertu de ce qui précède, on l'aura vitement compris, le contrôle de constitutionnalité des lois, en Haïti, est concentré, puisque la Cour de Cassation est le seul

250 PACTET 2001, op. cit., page 82.

juge constitutionnel ; elle juge en premier et dernier ressort. Le contrôle de constitutionnalité des lois est de type juridictionnel en ce sens que le recours en inconstitutionnalité est formé devant un organe juridictionnel, mais les tribunaux ordinaires ne sont pas pour autant compétents pour vérifier la constitutionnalité des lois.

En outre, le contrôle est concret. Le contrôle par voie d'action n'est pas prévu par la Constitution. Donc, un requérant ne peut pas directement demander à la Cour de Cassation de vérifier la conformité d'une loi à la Constitution ; il faut qu'il y ait un procès. Lors de ce procès, un requérant soulève l'inconstitutionnalité, c'est-à-dire le fait qu'il prétend qu'une loi est contraire à la Constitution et ne doit donc pas lui être appliquée.

Du reste, comme étant donné que, contrairement au modèle américain, le contrôle de constitutionnalité des lois n'est pas diffus, le tribunal saisi du litige principal ne statue pas luimême sur l'inconstitutionnalité soulevée. Il sursoit à statuer et renvoie les parties par-devant les sections réunies de la Cour de Cassation. D'où, la Cour de Cassation, juge constitutionnel, fait le contrôle de constitutionnalité des lois par le biais du renvoi préjudiciel.

Puisque le contrôle de constitutionnalité des lois, en Haïti, est toujours concret, cela autorise n'importe quel justiciable, lors d'un procès, d'exciper que les dispositions que l'on entend lui appliquer ne sont pas conformes à la Constitution. En revanche, ce procédé est par essence aléatoire, puisqu'il ne peut pas être mis en oeuvre en dehors d'une instance judiciaire. Or, la Constitution de 1987 dispose en même temps que la loi peut accorder des attributions au Sénat et à la Chambre. Est-il toujours possible d'avoir un procès permettant aux organes du Pouvoir Exécutif, par exemple, de contester la constitutionnalité d'une loi attribuant des compétences au Sénat ou à la Chambre et qui ont été déjà attribuées au Pouvoir Exécutif ? Le citoyen qui n'est pas partie à un procès en instance, comment pourra-t-il avoir la possibilité d'échapper à une loi liberticide ?

Par suite, il va sans dire que le contrôle de constitutionnalité des lois, en Haïti, se fait a posteriori, c'est-à-dire en aval de la promulgation ; d'où, une insécurité juridique. Le citoyen est exposé. Il risque de voir appliquée contre lui une loi inconstitutionnelle si son défenseur en Justice, le cas échéant, n'a la moindre intelligence de soulever l'inconstitutionnalité de la loi. En ce sens, tous les problèmes contentieux ne sont pas réglés avant l'entrée en vigueur de la loi.

En outre, le problème majeur résulte du fait que la loi déclarée inconstitutionnelle par la Cour de Cassation n'est pas pour autant rayée de l'ordre juridique. Cette loi sera seulement déclarée inapplicable au litige considéré, puisque l'arrêt de la Cour produit un effet inter pares, c'est-à-dire entre les parties. Le juge constitutionnel ne fait qu'écarter l'application de la loi dans un cas précis. Il s'ensuit qu'elle est toujours d'application dans tous les autres cas, si aucune inconstitutionnalité n'aura été soulevée.

Puisque le contrôle de constitutionnalité des lois, en Haïti, n'empêche pas qu'une loi inconstitutionnelle fasse partie de l'ordre juridique, l'on peut se demander à bon droit si la suprématie de la Constitution n'est pas un vain mot. D'autant que l'on sait qu'une loi ordinaire peut accroître les attributions du Sénat ou de la Chambre, les deux organes pourtant chargés de la voter.

En somme, l'article 183 de la Constitution de 1987 instituant le contrôle de constitutionnalité des lois vise à garantir la suprématie de la Constitution. C'est en quelque sorte une limite apportée à la loi. Cependant, le modèle de contrôle institué n'empêche pas en même temps que cette limite soit dépassée, puisque même lorsque déclarée inconstitutionnelle par un arrêt de la Cour de Cassation, la loi reste encore en vigueur autant que le Parlement le veuille. Par conséquent, elle est toujours susceptible d'être appliquée.

La Constitution permet au Parlement d'accroître ses pouvoirs par la loi, alors que même si cette loi arrive à être déclarée inconstitutionnelle par le juge constitutionnel, elle continuera à s'imposer erga omnes jusqu'à ce que ce même Parlement décide éventuellement de faire cesser ses effets en l'abrogeant. En d'autres termes, l'arrêt du juge constitutionnel, le gardien de la suprématie de la Constitution, produit un effet inter pares, alors que la loi inconstitutionnelle du Parlement s'impose erga omnes. Ainsi, n'est-ce pas permettre au Parlement d'élargir par la loi sa sphère d'influence tout en l'autorisant à défier l'autorité de la Constitution ?

B. LE PROBLÈME DE LA CONSTITUTIONNALITÉ DES TRAITÉS, CONVENTIONS OU ACCORDS INTERNATIONAUX

L'article 276 de la Constitution de 1987 pose en termes clairs la supériorité de la Constitution sur les traités, conventions ou accords internationaux dans la hiérarchie des normes juridiques. Ces instruments juridiques internationaux sont infra-constitutionnels et doivent donc être conformes à la norme constitutionnelle. C'est tout au moins ce qui est posé comme principe à l'article en question.

En fait, l'article 276 de la Constitution de 1987 ne fait que poser une interdiction. On pourrait même avancer qu'il s'agit d'une simple mise en garde, puisque le respect du principe en tant que tel n'est pas garanti par la Constitution.

La meilleure façon de garantir la supériorité de la norme constitutionnelle sur la norme conventionnelle de droit international c'aurait été d'instituer un contrôle de constitutionnalité des traités, conventions ou accords internationaux. Cela aurait permis au juge constitutionnel, gardien de la suprématie de la Constitution, de vérifier la conformité des instruments juridiques internationaux à la norme constitutionnelle. Donc, s'il n'existe pas un contrôle de conformité, l'Assemblée Nationale peut ne pas se sentir obligée de respecter l'interdiction posée à l'article 276 de la Constitution. Comment d'ailleurs empêcher qu'un traité international inconstitutionnel puisse être ratifié par l'Assemblée Nationale ?

Sous le régime de la Ve République en France, le traité ou l'accord international est supra-légale, donc de valeur juridique supérieure à la loi, mais infra-constitutionnel. Cette primauté de la Constitution sur le traité ou l'accord international est garantie par l'institution d'un contrôle, a priori, de constitutionnalité des engagements internationaux par le Conseil constitutionnel.251

En effet, l'article 54 de la Constitution française de 1958 dispose : « Si le Conseil constitutionnel, saisi par le Président de la République, par le Premier ministre, par le président de l'une ou l'autre assemblée ou par soixante députés ou soixante sénateurs, a déclaré qu'un engagement international comporte une clause contraire à la Constitution,

251 Voir les articles 52 et suivants de la Constitution française de 1958 ; François TERRE, Introduction générale au droit, 2006, op. cit., p. 208 ; David RUZIE, Droit international public, 16e édition, Dalloz, Paris, 2002, page 23 ; PACTET 2001, op. cit.,page 526.

l'autorisation de ratifier ou d'approuver l'engagement international en cause ne peut intervenir qu'après la révision de la Constitution. »

De son côté, la Constitution haïtienne de 1987 s'est contentée de poser le principe de sa primauté sur le traité ou l'accord international, sans que pour autant le respect de ce principe soit garanti.

La Cour de Cassation, en Haïti, est le juge constitutionnel, c'est-à-dire le gardien de la suprématie de la Constitution. Or, la Constitution de 1987 l'autorise seulement à vérifier, selon les dispositions de l'article 183, la constitutionnalité des lois. Quid des conventions, traités ou accords internationaux ?

Là encore, la Constitution de 1987 pose une limite et permet en même temps de la dépasser. En prescrivant à l'article 276 que « l'Assemblée Nationale ne peut ratifier aucun traité, convention ou accord internationaux comportant des clauses contraires à la présente Constitution », elle pose une limite au pouvoir de ratification du Parlement. Par contre, en ne prévoyant aucun mécanisme de contrôle de constitutionnalité de ces instruments juridiques internationaux, la Constitution de 1987 permet de dépasser la limite qu'elle a posée.

Or, le Peuple, auteur de la Constitution, est le seul Souverain. En conséquence, le justiciable devrait pouvoir exciper de l'inconstitutionnalité d'un instrument juridique international ratifié par ses délégués au Parlement. Imaginer le contraire aboutirait à ruiner la hiérarchie des normes juridiques telle que posée dans la Constitution de 1987.

Finalement, cette attitude ambiguë des constituants de 1987 permet à l'Assemblée Nationale de ratifier impunément des engagements internationaux comportant des dispositions contraires à la Constitution de 1987. D'où, la suprématie de la Constitution de 1987 en prend un nouveau coup.

C. LE PROBLÈME DE LA CONSTITUTIONNALITÉ DU RÈGLEMENT INTÉRIEUR DES ASSEMBLÉES PARLEMENTAIRES

Pour l'adoption du règlement intérieur des Assemblées, plusieurs systèmes sont concevables, selon le degré d'autonomie que la Constitution entend laisser aux Assemblées.

D'abord, il est un système dans lequel il revient au Pouvoir Exécutif d'adopter le règlement intérieur des Assemblées. Ce système n'offre aucune autonomie aux Assemblées relativement à l'adoption du règlement intérieur devant régir leur organisation interne et le travail parlementaire. La France a connu ce système sous le Consulat et l'Empire.252

Ensuite, un autre système accorde aux Assemblées le pouvoir d'adopter leur règlement intérieur respectif sans le moindre contrôle. C'est le système qui offre la plus grande autonomie aux Assemblées parlementaires. Le régime constitutionnel de 1987 retient ce système.

En dernier lieu, un autre système, dit intermédiaire, accorde aux Assemblées le pouvoir d'adopter leur règlement intérieur respectif, mais sous le contrôle du juge pour éviter qu'elles ne portent atteinte aux principes constitutionnels. La France, sous le régime de la Ve République, connaît ce système.253

En effet, selon les professeurs Francis HAMON et Michel TROPER : « Les règlements des Assemblées parlementaires complètent la Constitution pour tout ce qui concerne l'organisation interne des assemblées et le travail parlementaire. »254

Pour leur part, les professeurs André BARILARI et Marie-José GUEDON ont avancé : « Le règlement intérieur d'une Assemblée a une influence très grande sur les modalités d'exercice des pouvoirs et donc sur les rapports avec le Gouvernement. Une liberté totale en la matière peut au fait donner aux Assemblées la possibilité de modifier le fonctionnement d'un régime politique. »255

En vertu de tout ce qui précède, on comprend bien que le système retenu par le régime constitutionnel de 1987 et qui laisse la plus grande autonomie aux Assemblées parlementaires

252 HAMON, TROPER 2003, op. cit., page 51.

253 Idem, page 51 ; PACTET 2001, op. cit., pages 497 et 498.

254 Ibidem, page 50.

255 BARILARI, GUEDON 1994, op. cit., page 235.

relativement à leur règlement intérieur respectif n'est pas sans danger. Puisque la Constitution haïtienne de 1987 ne prévoit aucun mécanisme de contrôle de conformité du règlement intérieur des Assemblées à la Constitution, qu'est-ce qui rassure que cet instrument juridique d'une aussi très grande importance ne comportera pas des dispositions inconstitutionnelles ?

D'ailleurs, il a été fait observer qu'en France, « l'expérience de la IIIe et de la IVe République avait montré que, par le biais de son règlement, une Assemblée parlementaire pouvait parfois s'octroyer des pouvoirs que la Constitution ne lui avait pas accordés. C'est pour éviter une telle dérive que les règlements des Assemblées sont désormais obligatoirement soumis, avant leur mise en application, au contrôle du Conseil constitutionnel. »256

Il n'est pas sans intérêt de rappeler qu'en France, sous le régime da la Ve République, le contrôle de la constitutionnalité des lois parlementaires par le Conseil constitutionnel n'est pas obligatoire. Il est plutôt facultatif ; il peut être demandé par le Président de la République, par le Premier Ministre, par le Président de l'Assemblée Nationale ou de celui du Sénat, par soixante Députés ou soixante Sénateurs. Pourtant, au même titre que les lois organiques et les propositions de loi mentionnées à l'art. 11 avant qu'elles ne soient soumises au référendum, le règlement intérieur des Assemblées est soumis obligatoirement au contrôle de constitutionnalité avant leur promulgation257.

C'est le cas de dire que les constituants français de 1958 ont bien compris la nécessité d'encadrer juridiquement les Assemblées parlementaires dans l'adoption de leur règlement intérieur respectif, ayant tiré leçon de l'expérience de la IIIe et de la IVe République258.

En revanche, avec l'absence de contrôle de constitutionnalité du règlement intérieur des Assemblées parlementaires sous le régime constitutionnel de 1987, la suprématie de la Constitution de 1987 prend encore un nouveau coup, puisqu'on ne peut pas empêcher ni même sanctionner la violation de la Constitution par les Assemblées parlementaires dans leur règlement intérieur respectif.

256 Ibidem, page 759 ; ARDANT 2002, op. cit., page 62.

257 Cf. art. 28 de la LOI constitutionnelle no 2008-724 du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la Ve République ; le nouvel article 61 de la Constitution française de 1958 ; COLLINET 1999, op. cit., page 92 ; PACTET 2001, op. cit., page 497.

258 « Anodin en apparence, le règlement se présentait comme une véritable machine infernale contre l'Exécutif et la Constitution. Les constituants de 1958 ne s'y sont pas trompés en soumettant obligatoirement sa conformité à l'appréciation du Conseil constitutionnel (art. 61 in limine) ». Voir GICQUEL 1997, op. cit., page 130.

En somme, la Constitution est affirmée comme la norme suprême de l'Etat, mais cette suprématie est juridiquement mal assurée, car les actes du Parlement, quand ils ne sont pas soumis à un régime de contrôle inefficace, ne font l'objet d'aucun contrôle. En d'autres termes, la Constitution fixe des limites et permet en même temps au Parlement de les dépasser.

CONCLUSION GENERALE

L'abrogation d'une Constitution est toujours considérée comme un acte fort259. C'est tout à la fois le rejet d'un système politique et la manifestation d'un désir de changement. D'où, l'abrogation d'une Constitution est un phénomène de rupture.

La République d'Haïti n'échappe pas à cette réalité. La plupart de nos Constitutions ont été abrogées. A titre indicatif, après la chute du régime des DUVALIER, en Février 1986, la majeure partie de la population n'a pas voulu que soit possible la restauration du statu quo ante, vu la haute portée symbolique de la chute et la soif de démocratie. Ainsi, fallut-il marquer, par un signe fort, cette volonté de rupture. La ratification d'une nouvelle Constitution en Mars 1987 a été l'expression formelle de cette volonté de rupture.

Voulant tenir compte des aspirations légitimes de la majorité de la population, les constituants de 1987 ont cru devoir, par tous les moyens, tenter d'éviter le retour au présidentialisme traditionnel pour éviter toute dérive dictatoriale. Donc, à l'origine, l'intention est bonne. Cependant, la manière de procéder pose problème. Des anomalies ont été tentées d'être corrigées par d'autres anomalies.

En effet, au lieu de chercher les équilibres manquants dans les régimes antérieurs, les constituants de 1987 ont préféré quitter un extrême pour se diriger vers l'autre. Ils ont instauré un parlementarisme absolu, s'appuyant sur le fait qu'il est plus facile à un seul homme, doté d'un pouvoir fort, d'instituer le despotisme. C'est là oublier les méfaits du phénomène de l'obstruction parlementaire, de celui de la paralysie parlementaire ou encore de celui de la dictature parlementaire.

Le système institutionnel retenu sous le régime constitutionnel de 1987 se caractérise par la prééminence du Parlement et l'esprit du texte constitutionnel trahit une méfiance à l'égard de la fonction présidentielle. D'une façon ou d'une autre, les pouvoirs les plus importants du Président de la République sont teintés de l'influence et du contrôle du Parlement, alors que les deux sont issus du suffrage universel direct. D'ailleurs, on pourrait même présumer une plus forte légitimité du Président de la République, par rapport aux parlementaires, puisque celle du Président de la République a une portée nationale. De plus, le bicéphalisme exécutif est organisé de manière à transférer le pouvoir réel au Premier Ministre. En même temps, le Gouvernement, dirigé par le Premier Ministre, est mis sous tutelle des

259 Philippe ARDANT parle d' « événement exceptionnel », Institutions politiques Droit constitutionnel, op. cit., page 97.

Assemblées parlementaires qui peuvent le faire et le défaire sans s'inquiéter d'une possible dissolution.

Comme si tout cela n'était pas suffisant, les constituants de 1987 ont accordé une puissance législative illimitée au Parlement, jusqu'à lui permettre implicitement d'étendre le champ de ses attributions par la voie législative ordinaire, alors qu'il a une bonne maîtrise de la procédure législative.

L'absence de moyens d'action décisifs de l'Exécutif sur la procédure législative favorise le phénomène de la paralysie parlementaire et celui de l'obstruction parlementaire. En effet, la procédure législative, telle que tracée dans ses grandes lignes par la Constitution, ne permet pas au Gouvernement d'écarter le principe de la spécialité du vote, même dans le cas d'un projet de loi d'une extrême importance pour lui. L'hypothèse classique de l'habilitation législative est inenvisageable, même pour permettre au Gouvernement d'exécuter son programme. L'inaction du Parlement n'est pas sanctionnée même dans un domaine très stratégique et prioritaire qu'est le budget national. Pourtant, le Législateur est incontournable en matière législative ; même le Peuple n'est pas appelé à collaborer à l'élaboration de la loi.

Le nouveau régime institué devait servir de repoussoir aux visées totalitaires du Président de la République, pour protéger les libertés fondamentales, la démocratie, l'alternance politique, le pluralisme politique et idéologique que l'on entendait instituer. Il faut reconnaître, par souci d'objectivité, que la toute-puissance accordée au Parlement ne met pas en cause, a priori, l'alternance politique, le pluralisme politique et idéologique. Cependant, elle paraît attentatoire à la démocratie libérale. Le Peuple participe peu à la vie politique et le niveau de protection des libertés fondamentales laisse à désirer.

Une protection assurée de la Constitution de 1987, en tant que code des Pouvoirs publics et charte des libertés, constituerait « un minimum démocratique vital ». Se hissant au sommet de la hiérarchie des normes juridiques, son règne devrait succéder à celui de la loi. Or, la souveraineté parlementaire débouche sur la mise sous tutelle de la Constitution.

Cette souveraineté parlementaire trouve, essentiellement, son expression dans la non limitation des attributions du Sénat et de la Chambre des Députés, dans l'inefficacité du contrôle de constitutionnalité des lois, dans l'absence de contrôle de constitutionnalité des

traités internationaux et dans le non encadrement de l'organisation et du fonctionnement des Assemblées.

Le régime constitutionnel de 1987 fait du Parlement l'épicentre du régime et lui accorde, en quelque sorte « la compétence de sa compétence ». En plus de pouvoir se donner compétence en cas de vide juridique, rien ne l'empêche d'empiéter sur les pouvoirs de l'Exécutif, puisqu'aucune sanction du partage des compétences entre les Pouvoirs publics n'est instituée. Donc, le principe de la Séparation des Pouvoirs consacré par la Constitution de 1987 paraît un vain mot. Pour qu'il y ait Séparation des Pouvoirs, il faut que les compétences des divers Pouvoirs publics soient fixées et que le partage des compétences soit sanctionné. Or, dans le régime actuel, il revient au Parlement de s'autolimiter. A fortiori, il paraît inconcevable de parler de sanction de partage des compétences. En ce sens, le Parlement détient la clé de la stabilité du schéma institutionnel du régime.

Les débordements éventuels des pouvoirs du Parlement pourraient être relégués au rang des abstractions si le contrôle de constitutionnalité des actes du Parlement était d'une efficacité à toute épreuve. Or, à ce sujet, la Constitution a fixé des limites et permet en même temps au Parlement de les dépasser. Par conséquent, le problème reste entier. La Constitution de 1987 est affirmée comme la norme suprême de l'Etat, mais les mécanismes de garantie de cette suprématie laissent à désirer. Dans ces conditions, la hiérarchie des normes juridiques est sinon tombée, du moins ébranlée.

Pourtant, l'importance réelle des droits fondamentaux se mesure à travers l'efficacité du contrôle de constitutionnalité et l'existence d'un Etat de droit s'accompagne obligatoirement d'une hiérarchie des règles juridiques260. « L'Etat de droit implique l'existence d'un ordre juridique hiérarchisé au sommet duquel se trouve la Constitution (...) et l'existence d'un système de contrôle garantissant le respect de cet ordre juridique par toutes les autorités de l'Etat »261. Par voie de conséquence, l'Etat de droit, en Haïti, est sinon un projet, du moins une construction inachevée.

En outre, on a vu que si le régime arrive à fonctionner dans la continuité institutionnelle, on peut doublement craindre des dérives dictatoriales du Parlement. D'ailleurs, à ce moment, on aura vu toutes les manifestations de sa toute-puissance. Par voie de conséquence, le choix n'est pas facile entre faire fonctionner le régime tel quel dans la

260 BARILARI, GUEDON 1994, op. cit., pages 37 et 57.

261 Idem, page 20.

continuité institutionnelle pour respecter la Constitution, et attendre que la Constitution soit amendée pour borner les pouvoirs du Parlement avant de prôner la continuité institutionnelle.

A priori, on ne peut pas avoir l'audace de se prononcer contre le respect de la Constitution, en dépit de ses failles. Par contre, on ne peut non plus faire l'autruche. La Constitution de 1987 a besoin d'être amendée pour corriger ses faiblesses, notamment, la portée illimitée des pouvoirs du Parlement et la quasi-absence de contrôle de ses actes, causant ainsi la fragilisation de l'autorité de la Constitution, donc de l'Etat de droit.

C'est le cas de dire que le vers est dans le fruit. La chute du Président Jean-Claude DUVALIER, en 1986, devrait être la chute d'un système idéologico-politique. La majorité du Peuple aspirait à l'Etat de droit pour ne plus avoir à subir l'arbitraire des gouvernants. Le Peuple a ratifié massivement le texte constitutionnel, le 29 Mars 1987, dans l'espoir de voir instaurer à jamais dans le pays un Etat de droit. Cependant, vu la toute-puissance accordée au Parlement, le régime constitutionnel de 1987 paraît plus instaurer un Etat légal qu'un Etat de droit ou, plus précisément, un Etat de droit constitutionnel.

La toute-puissance accordée au Parlement empêche la réalisation de l'Etat de droit. On pourrait même s'intéresser spécifiquement, dans le cadre d'un travail de recherche, à la question de savoir si la souveraineté du Peuple n'est pas confisquée par ses délégués au Parlement.

Nous ne sommes pas d'avis que le choix du parlementarisme absolu soit la meilleure façon de contourner les dérives dictatoriales. Certes, il a fallu couper court au présidentialisme traditionnel, car l'omnipotence du Président de la République frisait souvent la dictature. Cependant, l'omnipotence accordée au Parlement jusqu'à fragiliser la suprématie de la Constitution, n'en est pas moins compromettante.

Quoi qu'il soit difficile de demander à un Pouvoir politique de réviser une Constitution pour limiter, voire encadrer ses pouvoirs, nous proposons un déclenchement rapide de la procédure d'amendement fixée dans la Constitution de 1987 en vue de parvenir à l'améliorer. Dans cette démarche, on devrait s'intéresser en premier lieu à instaurer effectivement un Etat de droit, au sens plein du terme ; quitte à mettre en oeuvre, par la suite, dans la pratique politique, le cadre constitutionnel proprement dit.

Cela passe par des mécanismes effectifs de garantie de la suprématie de la Constitution dans la hiérarchie des normes juridiques. Pour arriver à cela, il aura fallu instituer une Cour

constitutionnelle non intégrée dans l'ordre judiciaire. Nous rappelons que le juge constitutionnel est le gardien de la suprématie du Peuple sur ses délégués. Il est déjà très difficile, sur le plan théorique, à classer le juge constitutionnel dans l'un ou l'autre des trois grands Pouvoirs de l'Etat, ou encore à le situer par rapport aux trois Pouvoirs. Comment juger concevable qu'une juridiction de l'ordre judiciaire puisse faire office de juge constitutionnel ?

Cette Cour constitutionnelle aura exercé son contrôle de constitutionnalité a priori. Elle devra être obligatoirement saisie, avant la promulgation de la loi, avant la publication du règlement intérieur respectif des Assemblées et avant l'adoption du décret de ratification des traités, par le Président de la République ou le Président du Sénat ou encore celui de la chambre des Députés suivant les modalités qu'une loi d'application viendra fixer.

Les juges qui devront siéger à cette Cour doivent être recrutés par la voie de concours et présélectionnés parmi les avocats et les juges ayant marqué leur passage dans le métier du droit tant par leur dextérité que par leur probité tout au long de leur longue carrière de professionnels du droit.

De plus, nous proposons ardemment que le régime soit rationalisé, pour que le Parlement ne puisse pas empêcher au Gouvernement de gouverner sans qu'il ne gouverne à sa place. Ainsi, on aura mis fin à la puissance législative du Parlement. Par ailleurs, les compétences des Pouvoirs institués auront été limitativement fixées et le partage des compétences entre les Pouvoirs publics constitutionnels aura été sanctionné.

Le Peuple devra participer plus activement à la vie politique, notamment, par le référendum législatif, le référendum constituant et en pouvant trancher les conflits irréductibles entre les Pouvoirs publics constitutionnels.

Loin de prétendre avoir souligné tout ce qui devrait être fait pour avoir un régime plus démocratique et libéral ; et très loin de prétendre que la position suivante reflète une doctrine unanime, nous avons jugé quand même utile de rappeler que le professeur Monferrier DORVAL a fait valoir : « L'omnipotence parlementaire est incompatible avec les fondements de l'ordre juridique et peut se révéler dangereuse pour les libertés262 ». Ce point de vue fait chorus avec l'ensemble de ce qui a été démontré dans ce travail de recherche académique. C'est le cas de dire que l'hypothèse de départ est bel et bien confirmée.

262 Propos tenus lors d'un colloque international organisé à l'Université Quisqueya les 28 et 29 Avril 1997 sous le thème la Constitution et les droits de l'homme.

Une meilleure protection des libertés fondamentales contre l'arbitraire des gouvernants passe par l'institution de mécanismes effectifs de garantie de la suprématie de la Constitution, mais non par un sur-encadrement de l'Exécutif au profit d'un Parlement tout-puissant.

TABLE DES MATIERES

Dédicace ( ii)

Remerciements ... (iii)

Abréviations et sigles (v)

Sommaire (vi)

Introduction générale 1

PREMIERE PARTIE

Les Pouvoirs publics sous le régime constitutionnel de 1987 : déséquilibre au profit du
Parlement 10

Chapitre premier

Le Pouvoir Législatif et le Pouvoir Exécutif : fondements et organisation

12

Section I.- Le Pouvoir Législatif : composition, fonctions et privilèges

.....12

§ 1.- Le Parlement et ses organes

13

A. La Chambre des Députés

14

B. Le Sénat

.16

C. L'Assemblée Nationale

..18

 

§ 2.- Le Parlement et ses fonctions générales et communes

20

A. La fonction législative

20

B. La fonction de contrôle

22

C. La fonction d'enquête

24

 

§ 3.- Les immunités parlementaires et les incompatibilités

24

A. Les immunités parlementaires

25

1. L'irresponsabilité parlementaire

25

2. L'inviolabilité parlementaire

25

B. Le régime des incompatibilités

26

Section II.- Le Pouvoir Exécutif entre légitimité populaire et consécration parlementaire .27

§ 1.- Le Président de la République : un arbitre ou un chef de Cabinet ? 28

A. Disproportion entre son élection et son autorité politique ...29

B. Ses compétences et leurs limites ..31

- Ses compétences politiques............................................................ 31

- Ses compétences diplomatiques et militaires.................................... 33

- Des prérogatives spéciales 33

§ 2.- Le Gouvernement : responsabilité et instabilité .34

A. Le Premier Ministre et les variations de son influence politique .34

B. Les Ministres et les Secrétaires d'Etat : effectif et responsabilité 36

Chapitre 2

Le régime politique institué par la Constitution de 1987 : mauvaise articulation du cadre constitutionnel et de la pratique politique 38

Section I.- Des rapports déséquilibrés entre les Pouvoirs publics constitutionnels..............38

§ 1.- Déséquilibre au profit du Parlement 39

A. La double responsabilité politique du Gouvernement 39

B. L'absence concomitante du droit de dissolution des Assemblées ...42

C. L'inefficacité des mécanismes institutionnels de règlement de conflits 43

§ 2.- Un Parlement puissant et un Exécutif « désarmé » 46

A. Le Parlement : l'épicentre du pouvoir politique ..47

B. L'absence de contrepoids constitutionnels efficaces 49

Section II.- La nature et la « pratique » du régime : controverses et dichotomie 51

§ 1.- La nature du régime : ambigüités et controverses 52

A. Des particularités du régime .52

B. Des controverses relevées sur la nature du régime 55

§ 2.- La « pratique » du régime : discontinuité institutionnelle et contradictions 56

A. Des exemples de crises et vides institutionnels 58

B. L'instabilité politique et la faiblesse des institutions 62

DEUXIEME PARTIE

L'encadrement juridique insuffisant des pouvoirs du Parlement : problématique de

 

l'autorité de la Constitution de 1987

65

Chapitre 3

 

La puissance législative quasi-illimitée du Parlement : causes et implications .....

67

Section I.- Des prérogatives de législation quasi-illimitées du Parlement

..67

§ 1.- Le domaine de la loi est illimité

..67

A. Le domaine de la loi et le pouvoir réglementaire

68

B. Le domaine de la loi et le champ de compétences du Parlement

69

§ 2.- Des faibles moyens d'action de l'Exécutif sur la procédure législative

..73

A. Le sommaire de l'itinéraire de la loi

73

B. Les faiblesses de l'Exécutif et les forces du Législatif

75

 

Section II.- Des risques de dérèglement institutionnel et la fragilisation des libertés fondamentales

.82

§ 1.- Les attributions constitutionnelles et les attributions légales du Parlement : Portée et différences ?

83

A. Quelles différences entre les compétences constitutionnelles et les compétences légales

du Parlement ?

83

B. Quelle est la véritable portée des pouvoirs du Parlement ?

85

§ 2.- Des débordements de pouvoirs sont possibles

.86

Chapitre 4

La suprématie de la Constitution de 1987 : mythe ou réalité ?

90

Section I.- Quelques raisons de la suprématie présumée de la Constitution de 1987

.90

§ 1.- Le contenu de la Constitution

..91

§ 2.- Le mode d'adoption et la procédure d'amendement de la Constitution

..93

§ 3.- La consécration implicite du principe de la hiérarchie des normes juridiques

97

 

Section II.- L'autorité de la Constitution de 1987 : une suprématie mal assurée

.102

§ 1.- La puissance de la loi et la suprématie matérielle de la Constitution

102

§ 2.- L'inefficacité de la sanction de la suprématie de la Constitution

..106

 

A. L'inefficacité du contrôle de constitutionnalité des lois

107

B. Le problème de la constitutionnalité des conventions, traités ou accords internationaux

.110

C. Le problème de la constitutionnalité du règlement intérieur des Assemblées parlementaires

112

 

Conclusion générale

115

Bibliographie générale

.125

BIBLIOGRAPHIE GENERALE

Manuels généraux et ouvrages de droit constitutionnel

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GICQUEL, Jean ; AVRIL Pierre. Droit parlementaire, 2e édition, Montchrestien, Paris, 1996, 346 pages.

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MANIGAT, Mirlande. Traité de droit constitutionnel haïtien, tomes I et II, L'Imprimeur II, Port-au-Prince, 2000, 786 pages.

- Entre les normes et les réalités. Le Parlement haïtien (1806-2007), L'Imprimeur II, Port-au-Prince, 2007, 540 pages.

MARSHALL, Terence. Théorie et pratique du Gouvernement constitutionnel, les Editions de l'Espace Européen, La Garenne-Colombes, 1992, 406 pages.

MOISE, Claude. Constitutions et luttes de pouvoir en Haïti, tome I, CIDIHCA, Port- au- Prince, 1997, 339 pages.

- Le Pouvoir Législatif dans le système politique haïtien, CIDIHCA, Montréal, 1999, 180 pages.

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Le journal officiel « Le Moniteur ».

Le quotidien «Le Matin »

Le quotidien « Le Nouvelliste »

Revue du droit public et de la science politique (France)

Revue française de droit constitutionnel

Revue internationale de droit comparé (France)

Documents officiels

Deux siècles de Constitutions haïtiennes, tomes I et II, Les Editions Fardin, P-A-P, 1998. Le texte constitutionnel du 29 Mars 1987.

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Manuels de méthodologie

BEAUD, Michel. L'art de la thèse, 5e éd., La Découverte, Paris, 2006, 202 pages.

GINGRAS, François-Pierre. Guide de rédaction des travaux universitaires, http://aix1.uottawa.ca/~fgingras/metho/guide-fr.pdf, 16 mars 2008.

GIROUX, Sylvain. Méthodologie des sciences humaines, ERPI, Québec 1998, 266 pages.

LANI-BAYLE, Martine. Ecrire une recherche, 2e éd., Chronique Sociale, Lyon, 2002, 148 pages.

MACE, Gordon ; PETRY, François. Guide d'élaboration d'un projet de recherche, 2e éd., Les Presses de l'Université Laval, Québec, 2000, 134 pages.

PIARD, Frantz. Construire le mémoire de sortie, Les Editions Duvalsaint, P-A-P, 2004, 300 pages.

PINTO, Roger ; GRAWITZ, Madeleine. Méthodes des sciences sociales, 3e éd., Dalloz, Paris, 1969, 940 pages.

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Sources Internet

http://www.alterpresse.org

http://www.elysee.fr

http://www.senat.fr http://www.assemblee-nationale.fr http://www.lematinhaiti.com http://www.journal-officiel.gouv.fr http://www.conseil-constitutionnel.fr






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