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La puissance quasi-illimitée du parlement et la fragilité de la suprématie de la constitution de 1987

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par Destin JEAN
Université d'Etat d'Haà¯ti (Faculté de droit et des sciences économiques de Port-au-Prince).  - Licence 2009
  

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B- QUELLE EST LA VÉRITABLE PORTÉE DES POUVOIRS DU PARLEMENT ?

Les pouvoirs du Parlement doivent s'entendre des attributions que lui assigne la Constitution. Toutefois, les deux composantes du Parlement peuvent aussi exercer les attributions que leur assigne la loi. Or, ce sont elles qui sont chargées, par la Constitution, de l'élaboration de la loi, alors que l'Exécutif n'a aucun moyen d'action décisif dans la procédure législative. Quelle est alors la véritable portée des pouvoirs du Parlement ?

On a vu, dans la première partie de ce travail de recherche, que le régime est déséquilibré au profit du Parlement. C'est presqu'une évidence et c'est en quelque sorte le propre des logiques institutionnelles du régime. D'ores, on aura compris que ce déséquilibre peut davantage être accentué par le seul fait du Parlement, puisque les pouvoirs de ce dernier peuvent aller grandissants et à son gré. La Constitution accorde subtilement au Parlement la prérogative de s'octroyer des pouvoirs. De surcroît, cette faculté n'est pas tempérée par des contre-pouvoirs réels. Or, selon Montesquieu : « C'est une expérience éternelle, que tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser ; il va jusqu'à ce qu'il trouve des limites. »211

A en croire le maître Montesquieu, ne devrait-on pas commencer à s'inquiéter et emprunter la voie tracée au titre XIII de la Constitution de 1987 pour enlever cette prérogative exorbitante au Parlement ? Or, comment demander, classiquement, à un organe politique de

210 Voir infra, chap. 4, sect. II, § 1.

211 De l'Esprit des lois, op. cit., livre XI, 1748.

s'autolimiter ? L'intervention directe du pouvoir constituant originaire, qui est par essence souverain, n'est-elle pas ici nécessaire pour jeter les bases d'un édifice institutionnel nouveau ?

En somme, les pouvoirs du Parlement ne sont pas quantifiables, puisque les bornes de ces derniers ne sont pas bien connues. On peut lister les attributions assignées par la Constitution, mais on ne peut pas, a priori, préciser le champ des attributions que le Parlement peut être appelé à exercer. La raison en est simple : la Constitution dresse

séparément une liste d'attributions assignées au Sénat et à la Chambre, puis elle réfère à la loipour l'assignation d'autres attributions, sans même préciser leur objet. Or, le Parlement est

précisément l'organe de confection de la loi. En conséquence, la Constitution de 1987 ne permet pas de se rendre compte de la véritable portée des pouvoirs du Parlement, puisqu'elle laisse subtilement à ce dernier la latitude de s'autolimiter. Qu'adviendrait-il, alors, dans l'hypothèse où le Parlement entendrait user de cette prérogative exorbitante ?

§ 2.- DES DÉBORDEMENTS DE POUVOIRS SONT POSSIBLES

On a vu que le champ d'action du Parlement est illimité tant au niveau du domaine législatif qu'au niveau de la procédure législative. Le domaine de la loi est illimité à un point tel que la loi peut même assigner de nouvelles attributions au Sénat et à la Chambre, deux organes pourtant institués par la Constitution. Qui plus est, l'objet de ces attributions n'est guère précisé, alors que la loi est fondamentalement l'oeuvre du Parlement. Donc, cela revient à accorder au Parlement la compétence constitutionnelle pour s'attribuer des pouvoirs et ainsi élargir le champ de ses attributions comme bon lui semble, puisque l'Exécutif ne dispose d'aucun moyen d'action décisif dans la procédure législative. Jusqu'où le Parlement peut-il aller dans l'élargissement de ses pouvoirs ?

Nous pouvons croire qu'Haïti se veut une démocratie constitutionnelle. Le pouvoir y est nécessairement issu de l'élection. Le Peuple est le seul souverain ; il ne délègue que l'exercice de la souveraineté à trois Pouvoirs.212 De plus, l'article 183 de la Constitution organise le contrôle de la constitutionnalité des lois. Par conséquent, cela fait présumer la suprématie de la Constitution, sa supériorité sur les autres normes juridiques.

212 Art. 58 et 59 de la Constitution de 1987.

Cependant, les constituants de 1987 accordent en même temps à la loi une portée telle qu'elle puisse être à la base de profonds bouleversements du système institutionnel que la Constitution a établi. Qui plus est, les mécanismes de contrôle de constitutionnalité des lois établis par la Constitution n'auront pas empêché, le cas échéant, que ces bouleversements aient amplement le temps de produire les effets recherchés. Alors, si une loi ordinaire peut compléter la Constitution, voire altérer le schéma institutionnel du régime qu'elle a établi, en accordant d'autres attributions à des organes qu'elle a pourtant institués, peut-on parler de subordination véritable de la loi à la Constitution ? N'est-on pas en droit de parler d'un paradoxe du régime, puisque cette loi qui viendrait éventuellement altérer le schéma institutionnel du régime aurait été prise sur invitation du constituant originaire ?

A considérer uniquement l'agencement institutionnel des rapports entre les institutions politiques du nouveau régime, on pourrait être légitimement tenté d'avancer qu'il s'agit d'un régime mixte à forte dominante parlementaire. Néanmoins, le régime peut être dénaturé par le seul fait du Parlement. C'est que cette prérogative exorbitante accordée au Sénat et à la Chambre d'accroître leurs attributions par voie législative ordinaire a tout gâché. En fait, si le Parlement entend faire usage de cette prérogative, l'on peut se retrouver pratiquement face à un régime d'Assemblée assoupli.

En effet, si une loi ordinaire peut varier le schéma institutionnel du régime, on peut conclure que ce dernier est très instable, puisque la loi peut être facilement modifiée. Alors que la Constitution organise l'agencement institutionnel des rapports entre les institutions politiques du nouveau régime, elle n'empêche pas en même temps que cet agencement puisse être modifié par une loi ordinaire. Par conséquent, a-t-on besoin d'engager la contraignante procédure d'amendement de la Constitution de 1987 pour modifier certains de ses aspects ?

Si, par exemple, une loi ordinaire vient accorder au Sénat ou à la Chambre des attributions qui relèvent déjà du Pouvoir Exécutif, comment empêcher que cette loi rentre en vigueur sans qu'il n'y ait une crise institutionnelle ? Un procès est-il envisageable dans ce cas, pour pouvoir avoir au moins la chance de soulever l'inconstitutionnalité de la loi ? De plus, qu'est-ce qui empêche au Parlement de s'octroyer compétence en cas de vide juridique ? Jusqu'où peut-il aller dans l'extension de sa sphère d'influence et d'intervention ?

Il est donc clair que le régime peut être dénaturé à chaque instant ; il suffit que le Parlement le veuille. Cela peut amener à questionner la suprématie de la Constitution et à se demander s'il n'existe pas un certain légicentrisme en Haïti.

Par ailleurs, puisque la dimension de la sphère d'influence et d'intervention du Sénat et de la Chambre des Députés dépend de leurs caprices, l'accroissement de leurs attributions peut atteindre un seuil critique. En votant une loi pour octroyer de nouvelles attributions au Sénat et à la Chambre, le Parlement peut ne pas enfreindre la Constitution, si cette loi ne porte pas atteinte aux autres dispositions constitutionnelles. Or, depuis l'enseignement de Montesquieu dans l'Esprit des lois, chacun sait que « si le pouvoir corrompt, le pouvoir absolu corrompt absolument. » Par conséquent, la situation contraire est aussi envisageable. D'où, la protection des libertés fondamentales des citoyens est juridiquement mal assurée.

Puisque l'objet des attributions légales que le Sénat et la Chambre des Députés sont appelés à exercer n'a pas été précisé, le Parlement pourrait se croire libre de toute contrainte juridique. En ce sens, les nouvelles attributions en question pourraient être contraires à l'esprit de la Constitution. Notamment, cette loi venant leur accorder de nouvelles attributions pourrait être liberticide, c'est-à-dire attentatoire aux libertés fondamentales des citoyens. Par conséquent, nous nous retrouvons face à une situation juridiquement réalisable et politiquement grave.

En outre, il a été enseigné que, traditionnellement, les libertés fondamentales « sont liées à l'idée de limitation de l'Etat. D'ailleurs, à l'origine, les libertés fondamentales sont un moyen de limiter le pouvoir des gouvernants213. » Il a été aussi démontré que « le souci d'organiser la limitation du pouvoir des gouvernants est à l'origine de ce que l'on appellera le constitutionnalisme qui n'est que la traduction de la philosophie libérale dans sa dimension politique214. » De plus, « le fond de la pensée libérale tient le pouvoir de l'Etat pour un mal nécessaire. Ainsi, pour les libéraux, limiter le pouvoir des gouvernants, c'est préserver la liberté des gouvernés. »215

En conséquence, on peut être légitimement tenté d'affirmer que le fait que le champ des compétences du Sénat et de la Chambre n'est pas restrictif, cela ne favorise pas la protection des libertés fondamentales des citoyens. De plus, le principe de la Séparation des

213 DUBOUIS, PEISER 2007, page 98.

214 Michel CLAPIE, Droit Constitutionnel - théorie générale, 2007, Ellipses, Paris, page 108.

215 Idem, page 107.

Pouvoirs consacré par la Constitution de 1987 est mal garanti. D'où, on pourrait conclure que sous le régime constitutionnel de 1987, l'Etat de droit est juridiquement mal assis.

Cependant, les débordements éventuels des pouvoirs du Parlement pourraient être relégués au rang des abstractions à une condition : Il faudrait que la Constitution de 1987 soit la norme suprême de l'Etat et que tout à la fois cette suprématie soit effectivement garantie par l'existence d'un contrôle de constitutionnalité efficace, empêchant qu'un acte du Parlement non conforme à la Constitution puisse être publié.

En ce sens, plusieurs arguments juridiques de taille peuvent conduire à affirmer que les constituants de 1987 ont voulu que la Constitution soit la norme suprême de l'Etat. D'ailleurs, cette suprématie a même a été consacrée dans la Constitution de 1987. Or, la garantie de cette suprématie est-elle, pour autant, juridiquement bien assurée ? Si la suprématie de la Constitution est consacrée, mais juridiquement mal garantie, le problème reste entier.

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"Là où il n'y a pas d'espoir, nous devons l'inventer"   Albert Camus