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L'accès de la société civile à  la justice internationale économique

( Télécharger le fichier original )
par Farouk El-Hosseny
Université de Montréal - LLM 2010
  

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LISTE DES SIGLES ET ABRÉVIATIONS

ALI - American Law Institute

ADPIC - Accord sur les droits de la propriété intellectuelle

CEDH - Convention européenne des droits de l'homme

CIJ - Cour International de Justice

CCI- Chambre de commerce international

CICR- Comité international de la croix rouge

CIRDI- Centre international de règlement de différends d'investissements

CPI - Cour pénale internationale

CNUCED - Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement CNUDCI - Commission des Nations unies pour le droit international commercial DUDH - Déclaration universelle des droits de l'homme

EDC - Export et développement Canada FMI - Fonds monétaire international FoE - Friends of the Earth

FDI - Foreign Direct Investment

ISO - Organisation internationale de normalisation

IISD - International Institute for Sustainable Development

GAFI - Groupe d'action financière internationale

MAI - Multilateral Agreement on Investment

OCDE - Organisation de coopération et de développement économique

OIT - Organisation internationale du travail

ONG - Organisation non gouvernementale

ONU - Organisation des Nations unies ORD - Organe de règlement des différends

RSE - Responsabilité sociale des entreprises multinationales

TBI - Traités bilatéraux d'investissement

UNIDROIT - Institut international pour l'unification du droit privé

INTRODUCTION

Lors de la crise du tsunami en 2004, les États-Unis ont fourni une aide de 657

millions de dollars. Grâce en grande partie à une mobilisation << cyber-spatiale», les
ONG ont amassé une somme de 2 milliards de dollars1. Ces acteurs, dotés de

pouvoirs conséquents à l'instar de ce dernier exemple, se regroupent dans la << grande famille » hétérogène de la société civile. À la fin de la première décennie du XXIème siècle, la société civile est désormais un acteur central dans le développement international, la lutte contre la pauvreté et les opérations humanitaires.

La société civile ne s'est pas contentée d'opérer sur le << terrain ». Pascal

Lamy, le directeur général de l'OMC, a déclaré que la société civile exerce une
influence sur le programme de travail de l'OMC2. En effet, tel que nous le verrons, la

société civile a pu véritablement percer dans l'organisation en soulevant des problématiques de développement durable, d'environnement, de santé, de droits de l'homme et d'assistance aux pays les plus pauvres, c'est à dire des préoccupations non marchandes. Il s'agit d'une percée dans une organisation de commerce mondial, internationale et interétatique.

Cette percée ne se limite pas à l'OMC. La société civile intervient auprès des organes législatifs, exécutifs et judiciaires de l'ordre juridique international. Notre étude porte sur son intervention auprès des organes/tribunaux de l'ALENA, de l'OMC et du Centre international pour le règlement des différends relatifs aux

1 Don EBERLY, «The Rise of Global Civil Society: Building Communities and Nations from the Bottom Up», New York, Encounter Books, 2008, p.11.

2 Pascal LAMY, << La société civile exerce une influence sur le programme de travail de l'OMC », Discours d'ouverture du Forum public de l'OMC, 4 octobre 2007, en ligne : http://www.wto.org/french/news_f/sppl_f/sppl73_f.htm; p.2.

investissements de la Banque mondiale (le << CIRDI >>)3. La société civile accèderait à cette justice internationale économique afin de pouvoir défendre des << droits non marchands >> susceptibles d'être soulevés par l'application du droit international économique4. Pour les soins de cette étude, la notion de << droits non marchands >> inclut notamment les droits de l'homme, le droit de l'environnement, les droits socioéconomiques, le droit de la santé; soit tout droit non économique strictu sensu - ou << marchand >> - tel que le droit de l'investissement étranger, le droit de la propriété intellectuelle, le droit de la concurrence, le droit du commerce international, etc. Il importe également de noter que nous faisons référence systématiquement aux notions de <<préoccupations, questions, intérêts et aspects non marchands >> lorsque nous traitons de dimensions plutôt politiques que juridiques.

Cet accès de la société civile constituerait une éventualité déduite d'une réalité: les investisseurs ont effectivement accès à ladite justice (sauf à l'OMC) pour défendre des droits marchands. La société civile et les investisseurs (ou les multinationales) sont des acteurs non étatiques, ayant tous deux percé dans l'ordre juridique international afin de soulever leurs visions et leurs intérêts, pourquoi dès lors un tel double standard? Il importe donc de traiter de ladite percée de façon préliminaire avant d'engager plus en avant notre problématique.

3 La justice des organes/tribunaux de ces institutions représente ce que nous entendons par la << justice internationale économique >>.

4 Le recours à la notion de << droits non marchands >> nous a été inspiré par les échanges avec notre directeur de recherche, Mr. Darankoum, et par la doctrine. En effet, divers auteurs référent aux notions suivantes : << valeurs marchandes et non marchandes >> (Voir Mireille DELMAS-MARTY, << Globalisation économique et universalisme des droits de l'homme >>, Montréal, Les Éditions Thémis, 2003, p. 7-11); << principes non marchands, préoccupations, et normes non marchandes >> (Voir Anne SUY, << La théorie des biens publics mondiaux: une solution à la crise >>, Paris, L'Harmattan, 2009, p.136-137); << non-

trade fields of law >> (Chad BROWN et Bernard HOEKMAN, << WTO Dispute Settlement and the Missing Developing Country Cases: Engaging the Private Sector >>, Journal of International Economic Law Vol. 8 N. 4, Oxford University Press, 2005, p.879), << non-trade issues >>, et << non-trade fields >> (Voir Francesco SINDICO, << Soft Law and the Elusive Quest for Sustainable Global Governance >>, Leiden, Leiden Journal of International Law, 2006, p.842- 845).

La percée des acteurs non étatiques dans l'ordre juridique international - ordre strictement interétatique - est emblématique d'une nouvelle réalité bouleversante pour le juriste classique, soit la perte par l'État de son monopole normatif. La dynamique contemporaine transparaît en un << triangle normatif » qui regroupe acteurs publics (les États), privés (les multinationales) et civils (la société civile) où chacun a un impact effectif sur le droit international5. La validité de la vision classique, linéaire et verticale du droit international où l'État est le seul et unique acteur est plus que jamais remise en cause.

Nous pouvons entamer une modeste tentative ayant pour but de retracer quelques éléments à l'origine de la perte par l'État de son monopole normatif. Les racines de cette réalité contemporaine ne peuvent être dissociées du phénomène de la << globalisation des marchés ». Ce phénomène serait marqué par deux grands mouvements historiques de libéralisation. Le premier fut entamé à la fin du XIXème siècle simultanément à la révolution industrielle. Le deuxième fut déclenché à la fin des années 1980 en concordance avec la fin de la guerre froide6. Ce dernier mouvement entraîna la << déclaration de mort » de l'État providence. Le marché ayant triomphé, des politiques et des mesures néolibérales ont été répandues de façon globalisée. Le << consensus de Washington », adopté par les États Unis et les institutions de Bretton Woods, incita la mise en place d'une politique universelle de libéralisation, de privatisation et de dérégulation7. Ainsi, serions-nous

5 Mireille DELMAS-MARTY, << Les forces imaginantes du droit : Le relatif et l'universel », Paris, les Éditions du Seuil, 2004, p. 327.

6 Philippe NOREL, << État et marché : Éléments pour l'histoire d'une synergie », dans Nicolas THIRION (dir.), Le marché et l'État à l'heure de la mondialisation, Bruxelles, Larcier, 2007, p. 261.

7 Mireille DELMAS-MARTY, << Les forces imaginantes du droit : La refondation des pouvoirs», Paris, les Éditions du Seuil, 2007, p. 17.

paradoxalement parvenus à cette nouvelle réalité en partie grâce à des politiques systématiques étatiques ?

La globalisation des marchés nous apporte par ailleurs des phénomènes d'interdépendances sans précédents. L'État et ses institutions perdent le contrôle sur de plus en plus de secteurs d'activités, l'exemple le plus flagrant étant celui du secteur financier8. La crise actuelle nous a certainement appris à quel point les marchés financiers du monde sont interdépendants. Il aurait autrement été possible de relever l'exemple du terrorisme, du réchauffement climatique et de l'environnement, de la lutte contre la corruption, de la lutte contre le SIDA, de la responsabilité sociale des multinationales ou d'internet tout simplement. Tous ces exemples figurent parmi les nombreuses problématiques contemporaines pour lesquelles des solutions étatiques unilatérales ou même strictement interétatiques seraient inadéquates. L'État ne peut pas répondre tout seul aux problématiques de la globalisation des marchés. Selon nous, l'apport des acteurs non étatiques, dont la société civile, s'impose et de facto s'amplifie progressivement.

Ayant brièvement décrit le contexte et la réalité contemporaine, soit celui de la globalisation des marchés et de la perte par l'État de son monopole normatif, nous pouvons retourner à notre problématique. La société civile récupère en effet de nouveaux attributs qui justifieraient son accès à la justice internationale économique. Tel que nous l'avons souligné, le but ultime d'un tel accès serait la défense des droits non marchands. Nous exposons dans les paragraphes qui suivent comment nous entendons soutenir cette idée.

La société civile constitue tout d'abord une force normative puisqu'elle est créatrice de droit. Que ce soit dans le domaine du droit humanitaire, du développement durable ou de l'arbitrage commercial international, les experts hautement qualifiés de la société civile contribuent au développement du droit international. Il est vrai que le pouvoir normatif de la société civile n'est pas formel. Par opposition aux normes étatiques, le non-respect à ses normes n'est pas sanctionné juridiquement (par une autre norme). Tel que soulevé par Santi Romano, la sanction pourrait tout de même être une force agissant indirectement : << une garantie effective qui n'engendre aucun droit subjectif établi par une quelconque norme »9. D'une part, la société civile trouve effectivement des procédés autres que normatifs pour assurer la sanction aux violations de ses normes. D'autre part, la légitimité de son pouvoir normatif émane en grande partie de son savoir, de son expertise ou de sa spécialisation plutôt que de son pouvoir coercitif (Partie I- Qu'est-ce que la société civile ?).

Les organisations de la société civile sont par ailleurs de véritables modulateurs entre préoccupations marchandes et non marchandes. Les propos de Mireille Delmas-Marty révèlent cet attribut: << (...) se voulant les porte-paroles de la contestation et les dénonciateurs presque officiels des effets pervers de la mondialisation économique (...) »10. Grâce à son efficace pouvoir de mobilisation, la société civile a pu forger un soutien transnational et édifiant à sa cause. Il s'avère également que cette défense et cette opposabilité des droits non marchands à l'égard des institutions du droit international économique contribuent au << décloisonnement »

9 Santi ROMANO, «L'ordre juridique», Paris, Dalloz, 1975, p.16.

10 M. DELMAS-MARTY, op. cit., note 7, p. 27.

de ce droit. Cela entraîne notamment l'interprétation des droits économiques à la lumière des droits fondamentaux lorsque ces derniers sont en cause. La société civile soulève ainsi une approche intégrée qui suscite harmonie plutôt que conflit entre droits marchands et non marchands (Partie II- Pourquoi l'accès de la société civile ?).

Il importe ensuite de traiter de la qualité que la société civile présenterait lors d'un accès éventuel à la justice internationale économique. En effet, les éléments traités plus haut concernant d'une part le contexte de la globalisation des marchés, et d'autre part la perte par l'État de son monopole normatif figurent parmi d'autres éléments qui marquent une transformation du droit international public. Les acteurs non étatiques ont progressivement acquis des qualités typiquement réservées aux États, qui sont les véritables sujets de droit international public. L'exemple le plus flagrant est la capacité octroyée aux investisseurs de poursuivre des États, devant la justice internationale économique, grâce à un droit accordé par la voie des traités bilatéraux d'investissement (TBI) 11. À la lumière de ces développements, la société civile serait également en train d'acquérir des attributs de sujet de droit international public. Cela lui permettrait - en tant qu'acteur non étatique - d'accéder à la justice internationale économique au même titre que les investisseurs (Partie III- Obtenir l'accès à quel titre ?).

Nous avons soulevé plus haut l'existence d'un double standard quant à l'accès à la justice internationale économique. Afin de soutenir ce constat, les symétries entre la société civile et les multinationales doivent être dégagées. Ces symétries se retrouvent tout d'abord dans leur intérêt mutuel pour des préoccupations non

11 Sauf à l'OMC, tel que mentionné plus haut.

marchandes telles que le développement durable et la responsabilité sociale des entreprises multinationales (RSE). Toutes deux poursuivent également des efforts conséquents pour la propagation de la règle de droit internationale. Tel que nous le verrons, l'exemple de l'accession de la Chine à l'OMC est emblématique de ces efforts. En effet, la règle de droit est essentielle à la protection et l'opposabilité des droits tant marchands que non marchands. Les deux acteurs sont par ailleurs souvent les véritables instigateurs des différends économiques internationaux. Enfin, l'opposition des pays en développement à leur implication dans les différends à l'OMC évoque cette symétrie. Ces derniers réclament notamment le maintien du caractère strictement interétatique de ces différends (Partie IV - Quelles symétries entre les multinationales et la société civile ?).

Une fois ledit double standard mis en évidence, un examen du cadre normatif permettant l'accès direct aux investisseurs à la justice internationale économique s'impose. Un tel double standard serait en effet incompatible avec les exigences du procès équitable. Le droit de toute personne à un juge n'est actuellement pas assuré au niveau de la justice internationale économique. La société civile bénéficie par ailleurs d'un accès comme amicus curiae. Cet accès partiel, récemment octroyé, pourrait constituer les prémices d'un accès à part entière. Il s'avère pourtant que les conditions pour obtenir le statut d'ami de la cour sont hautement exigeantes (Partie V - Quelles asymétries entre les multinationales et la société civile ?).

Afin d'évaluer si l'accès de la société civile à la justice internationale est ou non bénéfique, un compte rendu des impacts engendrés par les interventions d'amicus curiae s'avère nécessaire. Il appert que la société civile est désormais considérée

comme un acteur capable d'apporter une certaine transparence et légitimité aux différends internationaux économiques. Étant donné l'importance de l'intérêt public souvent en cause dans ces différends, la société civile est parvenue à susciter une plus ample ouverture des juridictions du droit international économique. De plus, ces juridictions ont adopté dans de nombreuses décisions une approche intégrée et progressiste, consistant notamment en la prise en compte des problématiques d'intérêt public et des préoccupations non marchandes dans l'interprétation du droit international économique. Il s'agit justement d'une interprétation « décloisonnée » que la société civile a systématiquement soulevée. Les interventions d'amicus curiae de la société civile ont suscité également des réformes institutionnelles qui ont permis l'évolution du règlement d'arbitrage des différends d'investissement. En 2006, le CIRDI a adopté des amendements qui permettent notamment la publicité des audiences et les interventions d'amicus curiae. Ces derniers amendements ont été repris par des TBI récemment signés par le Canada. Les tribunaux constitués en vertu de ces traités pourront ainsi conduire des audiences publiques et accepter les interventions d'amicus curiae. Ces TBI seraient également de véritables instruments progressistes, en incluant de nombreuses dispositions qui traitent de préoccupations non marchandes n'étant pas typiquement évoquées dans ce type de traités. Le développement durable, la responsabilité sociale des entreprises, la lutte contre la pauvreté, le droit du travail et la lutte contre la corruption figurent parmi ces préoccupations extensivement disposées par les nouveaux traités (Partie VI - Quels effets suscités par l'intervention de la société civile ?).

Somme toute, l'examen des éléments mentionnés ci-dessus est une tentative de soulever des arguments au soutien d'un véritable accès à la justice internationale économique pour la société civile, et qui irait au-delà de l'accès à titre d'amicus curiae. Cette modeste étude est néanmoins atypique car elle ne traite point d'un sujet de droit classique ou strictement positiviste. Nombre d'éléments qui y sont traités bousculent tout simplement les imposantes frontières du droit. Cette étude ne fait qu'effleurer la montagne des composantes nébuleuses et impalpables qui contribuent à l'évolution de l'ordre juridique international...

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