Les résultats obtenus avec les maîtres
coraniques ont permis de dégager certaines caractéristiques
communes aux écoles. Elles sont installées en zone non lotie ;
elles ne portent pas de nom ; les talibés et leurs marabouts sont en
situation de transhumance et ils n'ont pas de source de revenu. Toutes choses
qui font douter de la pérennité de ce type d'école et qui
peut expliquer leur mobilité tant à l'intérieur de la
ville que vers d'autres localités.
Ce qu'il est heureux de constater, c'est que les foyers ne
comptent pas de filles dans leurs effectifs. Celles --ci sont plus
vulnérables et peuvent être victimes de violences en situation de
mendiantes de rues. De plus, les maîtres coraniques sont réunis en
association et se reconnaissent à travers un bureau. Ce qui permet de
les rassembler en cas de besoin et rend possible l'ouverture de dialogue et des
perspectives de changements.
Tout en reconnaissant l'importance de l'école
classique, les marabouts pensent qu'il est impossible pour les enfants de la
fréquenter en même temps que la leur. En réalité,
nous pensons qu'ils craignent d'envisager cette éventualité qui
supposerait la disparition des foyers. C'est peut-être à cause de
cette crainte qu'ils disent ignorer la loi sur l'obligation scolaire et qu'ils
font croire à un bon traitement des talibés au foyer.
Les difficultés qu'ils ont soulignées relatives
à l'hébergement, à la restauration, et à la
surveillance des talibés hors du foyer sont bien réelles. Elles
sont accentuées du fait que les maîtres coraniques ont
vis-à-vis des enfants des responsabilités à la fois de
tuteur, de guide spirituel et d'enseignant. Or, nous savons que des
insuffisances existent chez la plupart de ces marabouts. En
général, ils ont un niveau d'instruction bas, un pouvoir
économique faible, une formation professionnelle de base inexistante et
qui favorise des pratiques pédagogiques désapprouvées.
C'est ce qui constitue la problématique des écoles coraniques.
Les résultats obtenus avec les parents
d'élèves ont révélé que 50,9 % de leurs
enfants sont à l'école coranique. Ce constat confirme notre
appréciation sur l'importance de ce type d'école dans la vie des
populations.
Pour ce qui est des raisons de cette
préférence, elles seraient liées à la foi, nous
a-t-on répondu. Cependant, le fait que ces mêmes parents aient
accepté d'envoyer 40 % de leurs enfants à l'école
coranique sans y être contraints montre qu'avec la sensibilisation, ils
peuvent scolariser davantage d'enfants. A plus forte raison si la loi sur
l'obligation scolaire leur est
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opposée et que la gratuité leur est bien
expliquée. Sans compter que de nos jours les parents et la
communauté musulmane sont de plus en plus convaincus que l'école
coranique n'est pas la seule voie pour accéder aux connaissances de
l'islam. Le président de la communauté musulmane a
évoqué dans ce sens l'AEEMB et le CERFI qui sont pour lui
d'autres cadres d'apprentissage de la religion musulmane.
Quelques détails nous semblent édifiants,
à savoir que la majorité de ceux qui envoient leurs enfants dans
les foyers ont eux-mêmes été enfants talibés et
exercent présentement dans le secteur du commerce ou dans l'agriculture.
C'est à se demander pourquoi les parents qui ont été
à l'école classique n'y envoient pas leurs enfants. La raison
serait, à notre sens, qu'ils ont compris ce qui échappe aux
premiers : à savoir que les parents ont le devoir d'assurer à
leurs enfants une vie décente, qu'ils n'ont pas le droit de les
abandonner à la misère et à des pratiques humiliantes. Les
parents interrogés font bien de reconnaître que la
mendicité est à supprimer, mais ils doivent en apprendre sur les
droits des enfants et les graves manquements qu'ils commettent en abandonnant
les leurs.
Les résultats obtenus à l'issue des
entretiens réalisés avec les responsables des services
déconcentrés ont permis de noter que les écoles
coraniques ne font pas partie de la liste des écoles privées. Ils
ne disposent d'aucune information statistique sur ces écoles pour la
simple raison qu'ils n'ont pas de rapport officiel avec elles.
Néanmoins, ils savent bien que des foyers coraniques existent à
travers les talibés qui parcourent les rues de la ville.
Les écoles de confession musulmane qui apparaissent
sont les medersas et les francoarabes qui se sont fait reconnaître. Ce
qui rend envisageable la transformation des écoles coraniques en
medersas reconnues et résoudre du même coup le problème de
clandestinité dans laquelle fonctionnent les foyers. Pour cela, il
faudrait que l'Etat demande leur recensement au niveau local afin de pouvoir
apprécier l'ampleur du phénomène et réagir
conséquemment.
Autrement, la situation actuelle fait penser que les
écoles coraniques sont marginalisées, qu'elles ne sont pas
perçues comme des structures éducatives véritables ou
simplement qu'elles sont mal comprises. Dans ce dernier cas, ils auraient
raison ceux qui pensent que l'Etat devrait, au nom de la laïcité,
se tenir à l'écart de la chose religieuse.
Néanmoins, nous avons perçu dans les
réponses des responsables pédagogiques la nécessité
d'une réforme des écoles coraniques afin que les TBS60
s'améliorent et que les talibés aient droit à une
éducation normale.
Les entretiens avec les talibés confirment
certaines réponses des maîtres coraniques. Notamment, elles ont
révélé que les châtiments corporels ne sont pas
courants dans les foyers, que les talibés mendient pour leur propre
compte et qu'ils sont séparés de leurs familles qui ne viennent
les voir que rarement. C'est dire qu'au départ, les enfants mendient par
impérieuse nécessité : subvenir à leurs besoins
alors qu'ils sont abandonnés de tous, jeunes et sans ressources. Le
risque à long terme est l'habitude que les talibés peuvent
prendre à vivre de mendicité et à ne rien faire d'autre.
Pour preuve, la confession d'un ancien talibé rapporté par le
journal l'Evènement 61: «En dépit de toutes
ces difficultés, Ahmadou Idrissa, 73 ans, a presque une carrière
de mendiant. Environ trente ans de service dans la mendicité. Il est
mendiant depuis la chute du régime du président Lamizana. Environ
trente ans de service dans la mendicité. Une brillante carrière
de professionnel, qui n'a malheureusement pas de retraite ».
La question se pose de savoir ce que les talibés
feront à leur sortie du foyer vu qu'ils ne font rien à part les
études et la mendicité. Eux-mêmes ne le savent pas et ils
l'ont avoué. Cette révélation démontre
également que la réforme des foyers est un impératif si le
but de l'éducation est de former l'homme productif, utile à
lui-même et à sa société.
Les résultats de l'observation directe nous
permettent de dire que les talibés étudient dans des conditions
difficiles. Les méthodes pédagogiques, le matériel
didactique, et l'organisation de l'environnement scolaire sont traditionnels et
arriérés. De même, l'état sanitaire et nutritionnel
ainsi que l'hygiene corporelle et vestimentaire des talibés sont
insatisfaisants ; et ils sont à améliorer. L'ensemble de ces
manques et insuffisances exposent les enfants à des risques de
malnutrition, d'infections diverses ou autres maladies telles : le marasme, la
diarrhée, la gale, la teigne, etc.
60 Taux brut de scolarisation
61 op.cit.