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I.2.2. Vérification des hypothèses
Dans la première partie de notre étude, nous
avons formulé trois (03) hypothèses dont une principale et deux
secondaires. En nous basant sur les résultats obtenus, nous
avons cherché dans les lignes qui suivent à vérifier si
ces hypothèses sont confirmées.
L'hypothèse principale :
En rappel, l'hypothèse principale était
formulée de la manière suivante : Les écoles
coraniques dispensent un enseignement religieux qui prépare les enfants
à être de bons croyants musulmans.
Que dire de cette hypothèse ? Cette question nous
amène à examiner le programme et l'objectif de l'école
coranique pour pouvoir nous prononcer.
Pour ce qui est des programmes d'enseignement des
écoles coraniques, nous avons vu que les contenus - matières sont
entièrement tournés vers la foi et les pratiques religieuses de
l'Islam. De plus, les premieres années au foyer sont consacrées
à lire rien que le Coran qui est le livre saint de l'Islam. Les manuels
scolaires de ces écoles contiennent seulement des enseignements
islamiques.
Quant aux finalité, but et objectif de l'école
coranique, nous l'avons relevé, ils se résument à donner
à l'enfant une formation complete dans le domaine de l'Islam, et
à mettre à la disposition de la communauté musulmane des
croyants chargés de célébrer le culte musulman et de
propager les connaissances islamiques.
Aussi, pouvons-nous conclure que notre hypothèse
principale est vérifiée et que les écoles coraniques
dispensent effectivement un enseignement religieux dont le but est de
préparer les enfants à être de bons croyants musulmans.
L'hypothèse secondaire n°1
Cette hypothèse était ainsi formulée :
la durée de la scolarité, les conditions de recrutement et
d'études permettent d'assurer aux élèves des écoles
coraniques une éducation de qualité.
Parlant de la durée de la scolarité, nous
pouvons affirmer qu'elle varie de 3 ans à plus de 10 ans. Vu que
l'âge des talibés est de 7 ans minimum et 20 ans maximum, nous
pouvons affirmer que le plus jeune talibé a au moins 17 ans à sa
sortie d'école en faisant une scolarité maximale. Cela revient
à dire que le séjour du talibé au foyer correspond
à la période de l'obligation scolaire et que sa sortie survient
plus tard.
Pour ce qui est des conditions d'étude, elles sont
particulières et s'écartent de celles de l'école classique
à bien d'égards. De l'entretien réalisé avec les
maîtres coraniques, nous déduisons que les talibés ont au
moins 7 heures de cours par jour contre 6 heures quotidiennes pour les
écoliers du primaire. Les écoles coraniques ont un total de 5
matinées et 5 aprèsmidis ouvrables contre 5 matinées et 4
après-midis ouvrables pour l'école classique. Les talibés
vaquent 20 jours dans l'année tandis que le primaire vaque au moins 90
jours, les congés y compris. De ce point de vue, nous pouvons dire que
les talibés ont un volume horaire annuel nettement supérieur
à celui du primaire ; soit 1715 heures contre 1092 heures. Ce qui fait
623 h de différence.
Par rapport aux contenus enseignés, nous avons
noté qu'ils n'ont rien à voir avec les contenus prévus par
le programme officiel de 1989-1990. Ils sont tous centrés sur les
matières religieuses. L'enseignement de l'école coranique vise la
formation de l'homme complet sur le plan de l'islam. Or cette finalité
ne correspond pas avec celle déclinée dans la Loi d'orientation
à son article 13 et qui vise entre autres à :
> stimuler l'esprit d'initiative et d'entreprise de
l'enfant ; cultivant en lui l'esprit de citoyenneté à travers
l'amour de la Patrie afin qu'il soit capable de la défendre et de la
développer ;
> cultiver en lui l'esprit de citoyenneté
responsable, le sens de la démocratie, de l'unité nationale, des
responsabilités et de la justice sociale; développant en lui
l'esprit de solidarité, d'intégrité,
d'équité, de justice, de loyauté, de tolérance et
de paix ;
Quant aux buts de cet enseignement tel que rappelé par
l'Imam, il est de connaître ALLAH et de l'adorer. Ceux-ci
différent des buts de l'Etat burkinabé déclinés
à l'article 14 de la Loi d'orientation et qui est de :
« faire acquérir à l'individu des
compétences pour faire face aux problèmes de
société; dispenser une formation adaptée dans son contenu
et ses méthodes aux exigences de l'évolution économique,
technologique, sociale et culturelle qui tienne compte des aspirations
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et des systèmes de valeurs au Burkina Faso, en Afrique
et dans le monde ; doter le pays de cadres et de personnels compétents
dans tous les domaines et à tous les niveaux ».
Nous retenons pour l'école coranique qu'elle veut
former des Imams, des muezzins, des marabouts et maîtres coraniques
pendant qu'à l'école classique l'Etat burkinabé veut
« faire du jeune burkinabé un citoyen responsable, producteur
et créatif ».62
Nous retenons également qu'au regard de ses horaires
et programmes d'enseignement purement religieux, l'école coranique ne
dispense pas « une formation adaptée dans son contenu et ses
méthodes aux exigences de l'évolution économique,
technologique, sociale et culturelle qui tienne compte des aspirations et des
systèmes de valeurs au Burkina Faso ».
Nous retenons enfin que l'école coranique absorbe
l'enfant pendant la période d'obligation scolaire, c'est-à-dire
de 6 à 16 ans et qu'elle le soustrait à une scolarité
normale. De plus, en considérant l'emploi du temps des écoles
coraniques nous remarquons qu'il consacre une large part à la
mendicité. Les talibés sont dans la rue de 9h à 14h puis
de 17h à 19h. Cela revient à dire que les talibés restent
sans surveillance d'un adulte durant 7heures dans la journée. Ce long
moment se passe dans les lieux publics tels les gares routières, les
marchés, les environs des mosquées, les restaurants et le Centre
de Lecture publique et d'Animation culturelle (CELPAC). Ils sont alors
exposés aux mêmes risques que les enfants de la rue en
l'occurrence : le vol, la drogue, les bagarres et autres comportements
déviants.
Du point de vue psychologique, ces enfants vivent sans doute
une crise affective à cause de la séparation avec leurs parents.
Nos enquêtes ont révélé que tous les talibés
présents à Dédougou sont venus des autres provinces du
Burkina ; notamment la Kossi, le Houet, le Passoré, le Sourou et le
Yatenga. C'est surtout éprouvant pour les plus jeunes, les moins de
douze (12) ans qui partagent souvent le même «dortoir» que les
plus grands et qui peuvent subir les brimades des ces derniers.
L'importance de l'affection des parents et du climat familial
a été démontrée dans la vie des enfants. Son manque
peut affecter l'équilibre psychique de l'enfant. En aucun prix, il ne
faut en priver l'enfant. Or, malheureusement, la fréquentation de
l'école coranique entraine cela. A propos de l'importance de la famille,
F. Macaire a écrit à juste titre : « La famille
est
62 Loi d'orientation de l'Education, article 13
assurément le milieu naturel dans lequel se
développe normalement l'enfant. A moins de nécessités
impérieuses, il est donc préférable de ne pas enlever
l'enfant au cadre de vie qui semble le plus apte à assurer son
éducation »63. Plus loin, l'auteur renchérit
: « Insensiblement, le climat familial imprégnera l'enfant, le
marquera des traits indélébiles C'est donc aux parents à
poser les premiers jalons d'une éducation qui doit se continuer par
l'école ». 64
Partant de toutes ces raisons, nous pouvons affirmer que
notre première hypothèse secondaire n'est pas
vérifiée et que l'école coranique n'assure pas aux
talibés une éducation de qualité ni du point de vue de
l'islam ni de celui des normes de l'Etat burkinabé.
L'hypothèse secondaire n°2
En rappel, la deuxième hypothèse secondaire
était formulée ainsi : les élèves des
écoles coraniques se livrent à la mendicité seulement par
principe religieux.
La question sur la mendicité a été celle
qui a concerné presque tous les répondants, excepté les
responsables des services déconcentrés. Elle a été
posée à 47 enquêtés sur 50, soit 94% des
participants. Si le probleme a été posé plus ou moins
directement aux uns qu'aux autres, tous se sont sentis interpellés de la
même manière. Ainsi, il a été demandé :
> aux marabouts, à la question n°5
du guide élaboré à leur intention : « Vos
élèves mendient-ils ? Etes-vous d'accord avec cette pratique ?
Quelles sont les raisons de votre position ? »
> à l'Imam et au président de la
communauté musulmane, à la question n°3 : « Quel
sens donnez- vous à la mendicité? »
> aux parents d'éleve, à la question n°11
: « Que pensez-vous de la mendicité ? »
> aux talibés, à la question n°9 :
« Pourquoi mendies-tu ? »
L'ensemble des réponses apportées ont
révélé que la mendicité est reconnue de tous.
Certains légitiment cette pratique et l'acceptent ; d'autres la
tolérent à certaines conditions ; et il y en a qui l'acceptent
mal.
La catégorie de réponses qui légitiment la
mendicité part de deux principes. Le premier est que les talibés
ont consacré leur vie à la recherche du savoir pour servir
Allah (Dieu) et
63 F. Macaire, Notre beau métier,
Edition Saint Paul, 1979, p. 7
64 Ibid. p. 13
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leurs communautés. Il est donc normal que cette
communauté prenne en charge les études des futurs dirigeants
comme on l'aurait fait pour des boursiers admis à l'internat. Le
deuxieme principe est d'ordre religieux et ne devrait concerner que les
musulmans. Il leur serait recommandé de partager leur repas s'il est
abondant. Il serait défendu de garder les restes de repas apres
s'être rassasié.
Pour le second groupe, la mendicité ne devrait avoir
d'autres fins que de satisfaire le besoin alimentaire. C'est dire que le
mendiant ne devrait recevoir ni argent, ni autre don ; rien que de la
nourriture. Tout porte à croire que si les foyers disposaient de cantine
scolaire et de réfectoire, les mendiants talibés
disparaîtraient des rues.
Les autres trouvent dans la mendicité les moyens de
subvenir à leurs besoins de se vêtir, de se procurer des
chaussures, et même d'alimenter les lampes pour les études de
nuit. La nécessité serait donc à l'origine de cette
pratique. Cette derniere catégorie de réponses confirme d'une
part l'opinion qui fait croire que les parents abandonnent les enfants entre
les mains des maîtres coraniques sur lesquels ils portent toutes leurs
charges parentales. D'autre part, on pourrait déduire que les marabouts
gardent pour eux seuls les contributions que les parents donneraient.
Sur la question, El Hadj Moussa Semdé,
Secrétaire général de la Communauté musulmane du
Burkina Faso se prononce : « En réalité, la
mendicité est pour le maître, un gagne-pain pour entretenir tous
ces enfants qui lui sont confiés sans aucune aide matérielle ou
financière. Les parents des talibés les oublient dès
qu'ils quittent leurs villages Le maître (lui-même souvent sans
grands moyens) est alors obligé de les envoyer mendier pour se nourrir
et leur donner quelque chose en retour. Les talibés sont pauvres et
très nombreux, et ils vivent dans des situations très
précaires. Leur mendicité constitue la source principale de
financement des écoles qui les forment et les hébergent. Pire, la
mendicité leur prend tellement de temps qu'ils n'arrivent
véritablement plus à apprendre, ce pourquoi ils sont là
».
A la lumière des différentes réponses
apportées sur la mendicité, nous pouvons affirmer que les
talibés mendient plus par nécessité que par principes
religieux. Nous nous appuyons sur le propos de l'Imam qui estime que c'est
gênant de voir les talibés pulluler dans les lieux publics. Nous
considérons aussi le point de vue de la majorité des parents qui
préfèrent des contrats rémunérés à la
mendicité.
De plus, nous retiendrons pour le compte de notre
hypothèse que la mendicité telle que pratiquée de nos
jours n'a aucune dimension religieuse et qu'elle ne respecte ni les regles ni
les raisons qui l'ont fondée jadis. En effet : « Il existe,
trois motifs valables pour mendier, comme de nombreux Shaykhs l'ont dit :
d'abord pour l'amour de la liberté de l'esprit, puisqu'aucun souci n'est
plus préoccupant que celui de s'assurer de sa nourriture ;
ensuite, pour la discipline de l'me : les soufis mendient parce que c'est
particulièrement humiliant et que cela les aide à prendre
conscience de leur peu de valeur dans l'opinion des autres et ils
évitent ainsi les écueils de l'autosatisfaction ; enfin , c'est
une preuve de respect pour Dieu si un serviteur mendie auprès d'hommes
qu'Il considère tous comme Ses serviteurs car cela dénote une
plus grande humilité que de s'adresser à Dieu directement
».65
Pour ce qui est des regles de la mendicité, poursuit
l'auteur, elles sont les suivantes : «si tu mendies et que tu
n'obtiens rien, montre-toi plus joyeux encore que si tu avais obtenu quelque
chose ; ne mendie pas auprès des femmes ou des gens qui trainent dans
les bazars et autant que faire se peut, fais le dans un esprit altruiste ; ne
garde jamais ce que tu as récolté pour embellir ta mise, pour ta
maison ou pour acquérir des biens. Tu dois vivre dans l'instant : ne
laisse aucune pensée du lendemain entrer dans ton esprit, ou bien tu es
perdu. La règle ultime est de ne jamais exhiber ta piété
dans l'espoir que cela te vaudra des aumônes plus substantielles
».
Aussi, pouvons nous déclarer que notre deuxieme
hypothese secondaire n'est pas vérifiée et que les
élèves des écoles coraniques mendient non pas par principe
religieux mais par nécessité et par désespoir.
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